Le manoir [zone publique]

Au premier pas, Idrial s'attendait à encaisser le choc dû à sa chute. Et rien. Elle avait eu la sensation de perdre pieds puis plus rien. La nymphe et elle avaient basculés dans un monde sans corps ni consistance. Son seul point de repère était Cassiopée et elle s'y accrochait fermement.

J'ai peur aussi.

Serrées l'une contre l'autre, elles n'avaient plus conscience que d'elles-mêmes. Rien n'existait autour ou alors elles ne percevaient rien. Leurs sens étaient comme morts. Rien. Le vide était partout. Dans leur cœur, dans leur corps, autour d'elles. Combien de temps elle resta ainsi, recroquevillée contre Cassiopée, elle l'ignorait mais un brusque changement intervint et combla le vide. Idrial le ressentit comme si le changement l'avait affectée elle aussi, comme si elle avait fait partie intégrante de ce vide. Elle n'était plus qu'une âme sans corps, une conscience assimilée par ce changement.
Le chant qui s'élevait enflamma tout son être et elle se sentit happée par la force qu'il dégageait. Idrial savait que cette force lui était destinée et elle n'y résista pas. La musique toucha le cœur-même de son être, s'insinuant partout et l'emplissant d'un pouvoir tout neuf. Dans le même instant, une douleur fulgurante la traversa. Elle n'avait rien de physique. Idrial se serra plus fort contre Cassiopée pour calmer la douleur.

Que m'arrive-t-il ?

Elle était perdue. L'elfe sentait son âme tiraillée de toute part par cet afflux de pouvoir et se démenait pour calmer la fureur qui agitait son âme.

Peut-on parler de la chaleur des âmes quand celles-ci se meuvent sans consistance ? Pourtant Cassiopée ressentait la douceur des essences qui irradiaient à ses cotés.

Elle percevait la présence d’Idrial comme un cocon de ouate quand il s’enfla soudain d’une mélopée issue des profondeurs du Néant.
La musique enveloppait Cassiopée, assouplissant son âme et lissant les replis. Très vite, Cassiopée eut la sensation de briller. Plus la mélodie s’élevait, plus elle emplissait sa perception, l’isolant du Néant comme une peau de sons distendue et mouvante.

Elles plongeaient. Elles plongeaient dans un vide dans lequel seul le pouvoir musical était évocation. Elles s’enfonçaient dans un mouvement qui n’en était pas un. Une chute non sensible.

Le choc fut brutal. L’eau assaillit les âmes, les submergeant.
Cassiopée sans son corps ne pouvait la toucher, mais elle sentait sa présence comme celle d’une amie. Elle entendait sans voir. Elle voyait sans écouter.
Leur chute semblait sans fin.

- Où allons-nous ? dit-elle presqu’en chantant tant la mélodie l’emplissait toujours comme un lit de senteurs.

Une dernière secousse puis plus rien. La douleur était partie. Petit à petit, les choses se mirent à exister autour d'elles. Pourtant, l'elfe continuait à se sentir extérieure à tout cela, comme si elle n'était pas vraiment présente ou qu'elle n'était qu'une simple spectatrice. Elle relégua cette étrange sensation au second plan et essaya de se concentrer sur les alentours mais ses sens étaient brouillés par les mélodies qui se croisaient ici.
Toutefois, l'une d'entre elles lui paraissait étrangement familière. L'accord des sons entre eux créaient une harmonie toute particulière. Lorsqu'elle les prenait un par un, Idrial arrivait à y attacher une essence, une aura. Ils étaient au nombre de trois. L'un s'agitait, vif et déroutant, tandis les deux autres exprimaient une mélodie calme aux hauteurs variables.
Soudain, elle réalisa et son coeur fit un bond dans sa poitrine. Cette harmonie, ces trois mélodies, il s'agissait de Linae, Nichiren et Nylrem. L'elfe les sentait à la fois loin et terriblement proches comme si elle était à deux endroits à la fois.

Je sens la présence des mes compagnons d'infortunes mais je suis incapable de savoir exactement où ils sont.

Il lui vint alors une idée et elle commença à remonter le cours de leur harmonie. Elle s'en saisit, s'en imprégna et chercha ses compagnons. Derrière elle, elle percevait les notes douces et cristallines que jouaient l'âme de Cassiopée. C'est alors que l'elfe remarqua à quel point l'harmonie qui émanait d'elle faisait écho avec celle du lieu où elles évoluaient.

Cassiopée, je ne sais pas exactement où nous sommes mais je perçois un lien entre le milieu et toi. Aide-moi, je peux retrouver la trace des gens qui étaient avec moi dans le Manoir mais je ne sais comment m'y prendre pour les rejoindre.

Cassiopée ne sut pas ce qui finit par faire taire sa peur. Peut-être avait-elle finalement acquis des habitudes en circulant dans le Néant lorsqu’elle voyageait avec Issac ou bien était-ce la proximité des pouvoirs de l’âme d’Idrial qui la soulageait.
Elle sentait, sans pouvoir le toucher, le décor qui les entourait, un peu comme une chauve-souris ou un dauphin. Elle avait en échos à sa propre émanation d’ondes, un retour d’images ressenties.

Elles descendaient dans les profondeurs des eaux, si profondément que leur descente lui rappelait celle, sans fin, qui l’avait conduite dans les profondeurs des mers d’Atalante lorsque perdue dans le Néant, les étoiles étaient venues la chercher. C’était là qu’elle avait trouvé Issac.
Issac n’était pas avec elle aujourd’hui. Il ne lui était que très finement perceptible… Elle se surprit à ne pas en souffrir.
Le lieu lui paraissait si comparable au lieu de leur rencontre, qu’elle en ressentit un émoi intense.
Leur chute s’accentua soudain. Elles étaient comme aspirées par une trombe.

Soudain, un spectacle féerique se composa autour d’elles :

-Je crois que nous sommes sous Atalante ! S’émue-t-elle.

Parmi les blocs monumentaux recouverts d’une flore marine rase, s’élevait une gigantesque statue que pas une vague n’avait délogée de son socle. La sculpture évoquait une femme haute et dominatrice dont la tête était cernée d’une couronne. Elle portait un dragon de pierre sur l’épaule gauche.

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Linae poussa doucement la porte qui leur faisait face, et elle s'ouvrit silencieusement, dévoilant un espace plongé dans un noir d'encre lourd et glacial. Aucune lumière ne semblait pouvoir pénétrer l'intérieur de la pièce, ce qui ne rassurait Nylrem en aucun cas. Ses deux compagnons et lui fixèrent ce trou béant sans trop savoir quoi faire, et Linae s'avança, semblant décidée à entrer coûte que coûte. Brusquement, le bras du magicien plaqué sur son buste l'arrêta dans sa course.
Nylrem parla d'une voix calme et posée :

Non. Ne nous précipitons pas. Je n'ai pas l'impression que nos amies soient en danger.

Son regard était sévère, fixant le gouffre invraisemblable qui semblait tout aspirer autour d'eux. Ses yeux se mirent à briller et il tenta une nouvelle fois de comprendre la Toile de ce manoir. Son expression changea alors en un masque de stupéfaction et d'incompréhension. Toutes les lignes de l'Aeria s'arrêtaient à la frontière de la salle qu'ils venaient d'ouvrir. Une musique douce et rassurante résonna dans l'air.

Il... faut y aller. Suivez-moi.

Nylrem tendit son bras droit et plongea la main dans les ténèbres et la vit disparaître complètement dans le noir. Il ne nota aucune sensation néfaste, mais plutôt comme une douce chaleur courir le long de ses doigts. Le bras toujours en avant, il avança dans l'obscurité et disparut à la vue de Linae et Nichiren.
Il fut tout de suite aveuglé par une lumière phénoménale, qui le fit chanceler. Lorsque l'effet s'estompa, et qu'il put de nouveau voir ce qui l'entourait, il était perdu dans une immensité immaculée, où sol, murs et plafond se confondaient. Une brise douce et tiède soufflait sur son visage et un son cristallin résonnait tout autour de lui. Le sol sous ses pieds avait le toucher du marbre, mais il ne pouvait rien voir d'autre qu'un océan de lumière blanche. Loin devant lui, il aperçût une forme sombre, unique tache dans la toile, et reconnut l'araignée qui les avait conduits jusqu'à la porte.

Sans attendre ses comparses, Nylrem s'avança vers elle, doucement. Une étrange idée lui parvint alors. Il fit un rapprochement entre la Toile Aériane, structure de toutes les choses, cet immense réseau de liens magiques qui recouvrait le mond, vivant ou non, et l'araignée. Se pouvait-il qu'il ait face à lui une tisseuse, l'une de ces créatures mythiques qui peuvent modifier à volonté les nœuds de l'Aeria pour créer leur propre environnement ? Il lança un regard derrière lui. Au milieu de ce néant lumineux trônait une porte de bois vernis, celle qu'il avait traversée pour entrer, et qui s'ouvrait sur un espace totalement noir. Il s'arrêta pour attendre Nichiren et son amie.

Les choses s'étaient corsées de l'autre côté de la porte. En effet, Nylrem l'ayant franchi le premier, il s'était rapidement affranchi de la dette d'oxygène qui les assaillait alors. Or Linae lui ayant moins bien résisté que Nichiren avait dû demandé à son ami de l'épauler jusqu'à plonger dans cette abysse, ce monde encore inconnu qui s'ouvrait devant eux.

Ca va aller, tu va s'en sortir... tu en as déjà vu des bien pire... disait le chevalier autant pour lui que pour la jeune femme tout en gardant bien son bras autour de ses épaules pour la stabiliser, en proie à de désagréables vertiges.

Lorsque les deux êtres pénétrèrent ce voile sombre par où Nylrem était passé quelques secondes avant ça, ils sentirent tous les deux un fluide froid remonter de leurs aisselles jusqu'à leur front puis envahir sournoisement leurs entrailles.

On va mourir?

Nichiren ne l'avait jamais vu comme ça, il pensait d'ailleurs être le seul à la voir ainsi. Linae semblait près de s'éteindre. Son côté pétillant avait disparu pour ne laisser place à rien d'autre que de l'obscurité, des remords, des reproches ; c'était intense, triste mais intense d'être avec elle alors qu'elle se pensait finie. Ses yeux fuyaient les siens, son regard cherchait du réconfort, une étincelle qui pourrait l'enflammer à nouveau. Ses cheveux longs ondulaient verticalement, masquant et démasquant sans arrêt son visage.

On meurt tous un jour.

Cette réponse fut l'étincelle qu'il lui fallait, réaliste et quasi hors propos. L'obscurité se dissipait peu à peu et révéla alors à Nichiren et Linae l'endroit où ils étaient. En avant, une petite plage les séparait d'une mer ou d'un océan éclairé faiblement par une lune, pratiquement pleine. Des vagues peu puissantes terminaient régulièrement leur course sur le sable et chantaient à leurs oreilles des chœurs mêlés au vent tiède que l'eau véhiculait vers les terres. En arrière s'élevait une imposante cité bâtie en pierre claire. Visiblement sur une île, les deux humains se laissèrent aller au grès de leurs envies, et si Nichiren préférait tourner le dos à la mer pour contempler les multiples tours, toutes couvertes d'un petit dôme, ou une sorte de cathédrale perchée sur le sommet à la pointe ouest de l'endroit, Linae préféra crier à plein poumon sa joie à la lune qu'elle imaginait la regarder.

Les couloirs du manoir étaient définitivement très complexes : en quelques minutes seulement, ils avaient dispersé ses hôtes en trois groupes, à savoir Idrial et Cassiopée, Nichiren et Linae, et enfin Nylrem, encore dans un néant indéterminé.

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Nylrem faisait face depuis quelques minutes à l'obscure déchirure dans l'espace, mais rien n'en sortit. Il n'entendit pas même un murmure ou un bruit provenant de l'autre coté de la porte.
Affichant une expression teintée de scepticisme mêlé d'impatience, il avança vers l'ouverture et passa prudemment la tête à l'intérieur. Mais il ne vit rien d'autre que l'immensité blanche qui l'entourait déjà de toutes parts. Il fut pris soudain d'un doute frustrant, et passa entièrement dans l'entrebâillement plongé dans le noir. Mais à peine avait-il franchi le seuil, qu'il se retrouvait au même endroit, toujours coincé dans ce linceul exsangue. L'immonde rectangle noir ne lui permettait pas de revenir en arrière, et il pesta intérieurement.

Il fit volte-face, le regard mauvais, bien décidé a reporter toute sa frustration sur l'araignée. Se laissant emporter par la rage de s'être fait piéger aussi stupidement, il leva la main, paume vers la bête. Ses yeux étincelèrent brièvement, et un arc de foudre jaillit de ses doigts sa main dans un crépitement. Il fila à toute allure, et atteignit la créature de plein fouet avec un craquement sonore, mais elle n'en sembla nullement affectée. La bête sembla lui lancer un regard de défi, puis son image s'estompa simplement, et elle disparut.

Remplaçant l'incompréhension qui commençait déjà à germer dans son esprit, le magicien ressentit une douleur brûlante au front, et il sentit le sol se dérober sous ses pieds. Des images confuses défilaient dans sa tête. Il voyait des visages familiers déformés par l'horreur, une colère élémentaire telle qu'il ne pouvait l'imaginer, entrecoupés de visions d'une mystérieuse créature sans visage, qui lui renvoyait le son strident d'une scie sur la pierre.

Il vit les cités de Ter Aelis dévastées par un Fléau sans nom, alors que le monde même s'éffritait, submergé par un torrent d'âmes tourmentées qui dévastait tout sur son passage. Un vacarme assourdissant lui fit plaquer ses mains contre ses oreilles, mais le bruit ne cessa pas. Les images défilaient toujours plus vite. Il se rappela ses anciens compagnons, il se rappela ce qu'ils avaient subi dans les Salles Sombres et le magicien sentit ses poings se serrer. Tous les muscles de son corps étaient crispés. La douce sensation de bien être qui accompagnait la salle blanche avait disparue, remplacée par une atmosphère moite et brûlante qui faisait bouillir son sang.

Torturé tant par la douleur qui le cinglait que par ces souvenirs enfouis, il poussa un long hurlement et rouvrit les yeux. Brutalement, toute sa colère déferla, se muant en un torrent de flammes qui inonda la pièce. Son esprit était réduit à quelque chose de plus primaire, instinctif. Il luttait de toute ses forces, contre la peur que lui infligeait ce flot de pensées obscures. Autour de lui, les flammes léchaient les parois invisibles de l'endroit où il se trouvait, et elles enflammèrent le cadre de la porte.

Nylrem baissa les bras, et il sentit ses jambes rompre sous son propre poids. Il tomba par terre, et se recroquevilla, pétrifie par une terreur sans nom. L'air était brûlant, et l'espace, auparavant immaculé, était d'un noir de jais, uniquement teinté par les flammes qui consumaient le bois. Au-dessus de Nylrem, qui s'était emmitouflé dans sa cape, une douzaine de flammèches jaunes vinrent danser doucement en cercle. Il eut une pensée pour ses compagnons, et ferma les yeux.

Nichiren regardait de la plage, les bâtiments de la ville des eaux. Il se concentrait fortement dans un but encore inconnu.

*C'est sans doute une illusion, je dois me concentrer pour qu'on puisse s'en défaire.*

Mais rien n'y faisait, le chevalier dût se rendre à l'évidence qu'ils n'étaient pas dans l'imagination de quelques personnes mentalistes psychopathes, mais sans doute, ont ils passé une porte vers une nouvelle dimension. Linae de son côté appréciait d'être toujours là, vivante et entière.
Sans doute s'était elle qui avait raison, par ailleurs elle ne voyait pas ce monde comme une image préfabriquée par l'esprit.

"Linae, je pense qu'on a été téléporté ici, une porte vers d'autres mondes, enfin c'est une possibilité. C'est ce qui a dû arriver aussi à Idrial et Cassiopée ainsi qu'à Nylrem. Il nous faut les retrouver, à plusieurs on pourrait être plus fort et sortir du manoir"

"Je suis d'accord, il nous faut retrouver tout le monde et on connaitra les mystères du manoir également.... Mais que se passe t'il ?"

Un gargouillement envahissait l'air d'un ton monotone et plaintif, signe d'une possible nouvelle agression.

"Désolé, Je crois que c'est mon ventre, j'ai vraiment faim en fait, je suis d'avis qu'on trouve quelque chose à manger."

Atalante ?!

Et elle avait raison.
L'elfe, d'abord surprise, sentait qu'elles avaient encore une chance de s'en sortir. Etait-ce parce qu'il s'agissait des profondeurs d'Atalante ? Sans doute. Cette cité représentait beaucoup pour elle. Idrial avait commencé sa nouvelle vie ici et elle y vivait toujours bien qu'elle ait quitté le Collège. Elle eut un pincement au coeur en y pensant et son âme échappa quelques notes sombres et douloureuses pendant quelques instants.
Très vite, elle se ressaissit et remarqua à quelle point Cassiopée était détachée de tout autour d'elle. La nymphe semblait s'être complétement renfermée sur elle-même. Idrial doutait même qu'elle l'ait écouté un seul instant depuis le début. Cassiopée semblait être dans un état d'euphorie alarmant. Elle fixait l'immense statue loin devant.
Le dragon, juché sur son épaule, interpella Idrial. L'elfe se souvint avoir vu, à mainte reprises, la nymphe en compagnie d'un tel être.

Cassiopée ? Est-ce que tout va bien ?
Tu sais ce que c'est ?

Aucune réaction. L'elfe s'approcha de Cassiopée et la prit par le bras.

Allons, viens. Ne restons pas là. Il n'y a rien ici et nous ne sommes même pas sous Atalante, c'est impossible. A moins que le Manoir lui-même le soit ! Et aux dernières nouvelles, il est à Echoriath.

Pour toute réponse, la nymphe dégagea son bras et se déplaça jusqu'à la statue. Idrial poussa un soupir à fendre l'âme. Elle ne se priva pas de communiquer son mécontentement à Cassiopée qui avancait, fascinée. Son âme jouait des notes délicieuses et désarmantes. Son ravissement en devenait presque effrayant. Lorsque la nymphe entra en contact avec la statue, une onde balaya les environs et les heurta de plein fouet. Toute engourdie qu'elle était par le choc, Idrial essayait de retrouver ses repères lorsqu'une nouvelle présence se fit sentir. Amie ou ennemie ? Difficile à dire.

Cassiopée ne pouvait dégager son attention de la grande statue qu’elle percevait très nettement près d’elle, elle la percevait si clairement qu’elle s’en approcha alors qu’Idrial tentait de l’en empêcher. Elle était hypnotisée par la sculpture et son âme semblait en épouser les moindres détails en se gonflant de son importance. C’est sans s’en apercevoir qu’elle entra en contact avec elle.
C’est alors, que l’onde la submergea, l’ensevelissant d’une lumière étincelante qui formait une immense colonne chatoyante dans laquelle les deux ectoplasmes prirent formes humaines.
Ses yeux furent violemment éblouis par l’éclat qui leur faisait face, sa peau sentait la chaleur lumineuse des rayons et elle pouvait sentir la présence d’Idrial et entendre la musique céleste qu’elle jouait sans s’interrompre depuis qu’elles avaient été jetées dans le vide.

Yeux et bouches béants, Cassiopée vit la statue ouvrir les yeux dans lesquels brillaient des pupilles dorées qui crachaient une lumière ardente. Cassiopée fut perturbée d’y reconnaître un iris brisé en milliers de petits éclats, signe de la présence d’une âme si multipliées qu’elle ne pouvait en être réelle. Le dragon sur son épaule bougea légèrement le cou, lentement, comme pour l’étendre après une sieste bien méritée, puis il dirigea son regard vers elle et elle y découvrit le même éclat que celui qui brillait dans l’immense reine qui leur faisait face.

Elles demeuraient toutes deux, petites et immobiles devant l’illumination qui les assaillait.

L'onde l'avait traversé de part en part, suivie d'un flash qui étourdit les deux âmes quelques instants. Cette décharge avait opéré un changement en elles. Idrial avait le sentiment de s'être retrouvée, et pour cause, les deux âmes avaient réintégrées leurs corps par on ne sait quelle magie. Les forces qui opéraient ici échappaient à sa compréhension.
Comme en écho au flash précédent, une boule de lumière s'échappa de la statue et apparut devant elle. Moins agressive que la précédente, la lumière était plus douce et chaleureuse. C'était une invitation. L'elfe avança un bras et au même moment, l'éclat se déforma et l'enveloppa dans un cocon de lumière, réconfortant. La sensation ne dura qu'un instant et la lumière vint se rétracter au creux de ses mains. Elle lui fit don d'une lyre avant de disparaitre en se réfugiant au cœur de l'instrument.

"Atalantë, salle 36.
Orphée"

Orphée...

En réponse à son murmure, la statue s'illumina tandis que les profondeurs d'Atalante sombraient peu à peu dans le noir total. La statue disparut brusquement et elles basculèrent de nouveau dans le Néant. Tout était noir, seule la faible lueur qui émanait de la lyre leur permettait de ne pas se perdre de vue.

L'instrument l'effrayait. Il en émanait un pouvoir fort et terriblement attirant. Celui-ci amplifiait les perceptions de l'elfe. Elle sentait l'âme de Cassiopée, pouvait en détacher chaque note et savoir ce que la nymphe éprouvait à tout moment. Son harmonie était un curieux mélange d'une mélodie riche et complexe.
Elle tranchait avec l'air plus pauvre et monotone qui se jouait en arrière-plan. De temps à autre, Idrial appréhendait une fausse note. Elle distinguait une anomalie, un dysfonctionnement dans le milieu qui les entourait. Sans réfléchir, elle promena ses doigts sur la lyre et en réponse aux notes qui s'en échappèrent, la musique du lieu cumula les fausses notes et commençait à s'affaiblir. Dans le même instant, un nouveau décor émergea du Néant. Idrial réitéra l'expérience avec plus de conviction cette fois et sa musique, plus assurée et juste, fit taire l'autre.
Alors, elle retrouva la sensation du sol sous ses pieds. Un long couloir s'étendait de chaque côté. Les murs en pierre n'étaient pas sans rappeler ceux du Manoir. Elle observa Cassiopée à ses côtés. Son incompréhension la rendait nerveuse.

Ce Manoir aura ma peau. Je suis au bord. Qu'est-ce encore que cet endroit ?!

Elle baissa les yeux sur la lyre.

ET CA AUSSI ? Je ne sais même pas comment je m'en suis servi pour nous amener là !

Pendant que Linae cherchait quelques morceaux de bois qui affleurait la plage d'Atalantë, Nichiren s'adonnait à la pêche à mains nues, exercice ardu en tout point. Les poissons étaient vifs et rapides. Lorsque le chevalier arrivait à en attraper un, le poisson glissait des mains avant de replonger, heureux dans l'onde salée. Linae rigolait du peu d'efficacité de la technique de pêche.

"Alors tu vas abandonner ?" Dit-elle d'un air mutin et souriant.

Le chevalier n'y arrivait pas, maudissant de ne pas avoir apprit à pêcher à la main, sans matériel et sans pouvoir. Il refusait d'user de ses pouvoirs électriques pour attraper le poisson, logique en étant soi même dans l'eau et trempé. Il préféra continuer à une infructueuse saisie.

Linae en secret avait réussi à pêcher deux poissons qu'elle faisait déjà cuire. L'odeur vint rapidement au nez du Chevalier qui devait se résoudre à rentrer bredouille et relativement honteux.

"Allons ce n'est pas grave, le chevalier, on ne peut être bon en tout, je suis juste meilleure."

"J'avoue que là."

"La prochaine fois tu feras le feu, tu es bien meilleur dans ce domaine, il faut savoir bien utiliser les talents, même si je sais aussi utiliser les moyens naturels pour faire un bon feu. C'est prêt ! Tu aimes bien grillé ?"

Ainsi la fougueuse guerrière et le combattant mangèrent avidement, ne laissant des poissons que des arêtes bien nettoyée. Une fois repus, le plan était de retrouver Idrial et Cassiopée et sortir du manoir. Mais avant il faudrait sortir de cette dimension, ce qui ne serait pas évident sans quelqu'un maîtrisant ce domaine.

"La ville est à quelques brasses d'ici, je pense que c'est là bas qu'on pourrait y arriver sans trop de mal."

"C'est parti."

.......

Venu des profondeurs et approchant les récifs acérés, un léviathan mue d'une force et d'une volonté sans faille se dirigeait vers une destination prévue. Ondulant son corps à grande vitesse, rien ne pouvait l'entraver, les animaux marins s'écartaient à la vue du mastodonte marin. Le monstre avait un objectif, la traque avait pris fin, il les avait repéré sans se montrer. Deux proies qu'il engloutirait en une seule bouchée, deux proies qui actuellement nageaient vers un univers civilisé.

.......

Nichiren et Linae nageaient avec insouciance lorsque un monstre les pris de court en pleine nage. La bête avait chargé sans les dévorer, après tout même ce genre de créature aimait jouer avec la nourriture avant de s'en repaitre. Aucun des deux n'avait pu voir quel monstre les avait pris en chasse, il étaient encore sous l'effet de la surprise et une terreur emplissait soudain les deux humains.

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- Hugh !?

IL était étonné... Comment un léviathan avait pu surgir dans ce monde-ci ?!! Ce n'était pas du tout prévu... son visage s'assombrit un instant d'inquiétude, avant de s'illuminer d'un grand sourire.

- Ca sera ça plus intéressant, s'exclama-t-il ! Ah mon doux manoir, tu es plein de surprise, n'est-ce pas ! A force de te livrer ma magie, tu te l'appropries... C'est bien, personne n'est éternel, il faudra que tu te débrouilles sans moi, une fois que je l'aurais rencontrée...

Il tourna son regard vers Idrial et Cassiopée. Elles semblaient toutes deux en voie de débrouiller l'énigme à laquelle il les avait soumises... Quant à Nylrem, et bien... celui-ci semblait errer sans trop savoir.

Il fit une pichenette dans l'eau de la flasque représentant l'Atalante fictive dans laquelle nageaient Nichiren et Linae, déclenchant une énorme vague.

- Ca devrait les sortir du pétrin... ou pas ! Hi hi hiiiii

La boule de feu avait, comme un éclair, déversé son pouvoir dans les mains d’Idrial, mais Cassiopée n’en demeurait pas moins en contact avec l’Etre qui envahissait leur monde. Alors qu’Idrial recevait la lyre d’Orphée, l’entité s’illumina soudain et Cassiopée tendit vers le ciel sa paume ouverte comme pour cueillir un fruit, et son poing se referma sur un petit objet au moment même où elles furent à nouveau plongées dans le froid glacial d’un Vide que leurs corps ne pouvaient percevoir. Une nouvelle fois, elle ne put toucher, ne put entendre ou voir. Ses sens s’ils existaient n’avaient plus rien à sentir.

Cassiopée n’avait pour guide que la mélodie qu’Idrial jouait pour elle. C’était une mélodie triste et douloureuse qui irritait sa conscience. Et soudain, l’information s’afficha en elle lorsqu’elle ressentit le poids de l’air sur ses épaules et la dureté du sol qui semblait vouloir happer ses jambes.
Toutes ses sensations, annihilées un moment plus tôt, reprenaient vie avec une intensité plus violente.

Sa volonté refaisait surface et elle décida d’ouvrir enfin le poing qu’elle tenait serré depuis qu’elle y avait recueilli un tout petit objet : c’était un dragon finement sculpté dans une pierre fine et bleue nuit, d’une extrême petite taille.

Elles étaient toutes deux dans un long couloir de pierre. Un froid violent mordait les joues et les bras nus de Cassiopée. Frottant ses épaules avec énergie, elle se tourna à droite, puis à gauche. Elles se situaient au milieu d’un couloir qui paraissait ne pas avoir de fin mais elles ne pouvaient rester là sans rien faire.
Comme le bout lui semblait envisageable vers la droite, elle entraina Idrial vers le point noir qui marquait une extrémité.
Alors qu’elles avançaient dans ce long corridor où leurs pas résonnaient en ricochets dans le silence qui les entourait, Cassiopée dit :

-Ce froid est si piquant et mordant qu’il me fait penser à la mort.

Alors qu’elle marchait, elle tenait la petite statuette comme on sert un réconfort.

Long soupir.

Je crois que nous ne sommes pas encore sorties, Cassiopée.

Tandis qu'elles marchaient, l'elfe était troublée. Tous ses sens lui criaient danger. Pourtant, elle ne voyait rien, ne percevait rien mais la sensation était bien là. Si Cassiopée avait des pensées aussi sombres, ce n'était pas étonnant.

C'est sans fin ! Un couloir sans fin. Quelle originalité ce Manoir ! Bravo.

Penser à voix haute l'aidait à apaiser sa frustration. Depuis combien de temps erraient-elles dans le vague comme cela ?
Autre fait inquiétant, depuis peu, de brèves visions envahissaient son esprit. Il revenait souvent l'image d'un homme, une lyre à la main, devant une présence monstrueuse. La peur s'insinuait progressivement en elle. Idrial suivait Cassiopée car le simple fait de marcher la rassurait.

Attends ! N'avance plus. Tu n'entends pas ? Il y a quelque chose devant.

De nouveau, une image s'imposa à son esprit. Celle d'un animal étrange profondément endormi et toujours cet homme avec sa lyre à la main. Hésitante, l'elfe parcourut quand même les derniers pas qui les séparaient de cette "chose". On aurait dit un animal tout droit sorti des enfers. Ou peut-être était-ce le cas. Il ne valait mieux pas car elle ne se sentait pas d'affronter un cerbère.
La créature était calme et ne montrait aucun signe d'aggressivité. Toutefois, rien que sa présence mettait mal à l'aise l'elfe. La disharmonie qu'elle créait perturbait l'équilibre du milieu et Idrial se sentait incapable de résister. Il fallait qu'elle fasse taire cette dissonnance.

Leur errance le long de ce long couloir semblait ne pas avoir de fin, mais elles avançaient sans autre but que de dépasser l’instant présent.
Le sol défilait sous leurs pas et Cassiopée s’accrochait à eux comme hypnotisée par leur élan. Elle marchait depuis si longtemps qu’elle en avait oublié le temps.
L’arrêt brusque d’Idrial à ses côtés l’immobilisa.

Attends ! N'avance plus. Tu n'entends pas ? Il y a quelque chose devant.

Non. Cassiopée n’avait rien entendu. Elle était si concentrée à mettre un pied devant l’autre qu’elle en avait omis son environnement.
Mais soudain, les sons envahirent son esprit. Une sourde soufflerie dont l’intensité irrégulière suivait les sons saccadés de raclements diffus.
Idrial l’avait précédé et quand elles surgirent au détour du long dédale qu’elles parcouraient sans fin, le monstre qui lui faisait face l’arrêta net.
Les trois énormes têtes qui surplombaient son corps monstrueux s’empilaient les unes sur les autres, mais celle du milieu roulait des yeux sanguinolents alors que les babines se soulevaient à chaque bouffée exhalée.
Un homme de très haute taille, d’une beauté exceptionnelle les regardait avec un visage sur lequel la tristesse avait envahi chacun des traits. Il restait là, le regard plongé dans celui d’Idrial, à jouer sur une lyre dont les sons heurtaient de raclements diffus les oreilles de tous les protagonistes et arrachaient au musicien des grimaces de désolation.
Sans lâcher les yeux d’Idrial, il l’accusa :

Tout est de ta faute ! Qu’as-tu fait ? Qui es-tu ?

Le désespoir semblait se déverser à travers ses mots, autant que par sa physionomie.

Qu'est-ce que c'est que cette merde!

La jeune femme n'avait aucune expérience du combat dans l'eau et n'avait jamais vu de tel animal. Sentant la panique monter très rapidement en elle, son ami commença par tenter de la rassurer.

C'est un léviathan à carapace dure, un prédateur marin ; c'est tout ce que je peux te dire. Regarde souvent sous l'eau et fonce!

Malgré le discours peu rassurant qu'il venait de tenir, cela avait quand même stabilisé la gamine. les deux humains se mirent à nager le crawl à toute vitesse, plongeant leur tête sous l'eau à chaque secondes pour repérer cette sorte de reptile marin. Mais à peine eurent-ils démarré qu'un mur d'eau fit son apparition au loin. Une vague gigantesque s'approchait de l'île qu'ils visaient, perpendiculairement à leur course.

C'est pas un problème ça, on passera en dessous! hurla-t-il à Linae entre deux respirations. Le plus préoccupant était ce monstre qui ne se montrait plus pour l'instant. La peur, bien que maîtrisée, augmentait l'effort physique à fournir si bien que les deux combattants s'épuisaient rapidement.

Soudain, ils s'arrêtèrent net, sentant leur corps vibrer. Le monstre chantait sous les eaux ; la puissance acoustique leur chatouillait le ventre. Le visage de la jeune femme s'affaissa encore d'avantage, convaincue qu'ils n'en reviendraient pas vivant. Nichiren pensait à la même chose qu'elle : aux vues de ce qu'ils venaient de ressentir, le léviathan était énorme. A une centaine de mètres, les deux amis virent l'eau se faire déchirer par quelques écailles dorsales acérées de la bête. Les premières estimations tombèrent.

Un jeune lagiacrus, il doit mesurer dans les 25 mètres. On ne pourra pas le semer, il faut le décourager.

L'affrontement était alors inévitable. Cela allait être le baptême du feu pour Linae : sa première expérience de combat aquatique allait se dérouler face à un des plus redoutables prédateurs connu.

Idrial aurait voulu ne jamais se trouver ici à cet instant. A la vue de l’homme, elle se figea, incapable de faire un pas de plus. Sur le moment, il l’inquiétait bien plus que le Cerbère derrière lui.
Elle fit l’erreur de croiser son regard et la mélodie se fit plus douloureuse encore.

Tout est de ta faute ! Qu’as-tu fait ? Qui es-tu ?

Elle envahit son esprit, détruisant ses barrières avec brutalité. L’elfe chancela et se prit la tête entre ses mains comme si cela pouvait soulager sa douleur. Saisie de colère, Idrial tenta de « repousser » l’intrusion mais ne remporta qu’un succès mineur. Elle avait réussi à le faire sortir mais il venait toujours cogner contre ses défenses. Ces coups de butoir l’irritait autant qu’il l’épuisait.

Cesse ! Je t’en prie…Cesse…

Elle se laissait gagner par le désespoir d’Orphée et prit à ressentir ses émotions à lui. Elle ressentait un vide immense, de la tristesse et de la colère. Il avait échoué, il n’aurait pas dû se retourner, jamais. Ils y étaient presque, touchaient au but et il avait échoué. Sa culpabilité l’anéantissait.

NON ! Laisse-moi, sors de ma tête !

Ce n’était pas ses émotions, ses souvenirs, Orphée et elle se confondaient.

Tout est ta faute…

Plus il s'enfonçait dans son désespoir, plus sa musique frôlait la limite du supportable et plus l'animal s'agitait. Il grondait dangereusement.

Rends-moi mon âme !

Et Idrial sut qu'il s'agissait de la lyre qu'elle avait récupéré peu de temps avant. L'objet gisait au sol, elle l'avait lâché lorsqu'il l'avait attaqué. Elle se pencha pour le ramasser et Orphée lança un nouvel assaut sur ses remparts. Elle effleura les cordes et les quelques notes qui s'en échappèrent le repoussa.
La bête s'apaisa et Orphée, surpris, s'arrêta de jouer. Idrial aussi s'arrêta, soulagée. La musique d'Orphée ne lui vrillait plus les tympans.
Cependant, comme s'il mesurait l'étendue de son manque, Orphée poussa un hurlement de désespoir. Il se mit à pleurer et la folie envahit ses traits. Le répit fut de courte durée et c'est une Idrial, sans défense, qui encaissa cette nouvelle charge. Elle ne pouvait rien faire, elle était au supplice et tenait à peine debout.
Du regard, elle implora la Dame des Etoiles de lui venir en aide. L'elfe ne voulait pas mourir.

Il n'avait pas prévu cela... Comment se faisait-il qu'Orphée lui échappe ? Il lui semblait pourtant s'être imposé comme maître à bord dans ce manoir... Certains faits lui échappaient quelques fois, mais rarement à ce point-là ! Lorsque l'elfe rendit l'âme, il ouvrit grand les yeux d'effroi et retira brusquement sa main griffue du mur du manoir, comme s'il avait été brûlé.

- Ca ne peut pas continuer... murmura-t-il.

Il tourna les talons et disparut pour réapparaître devant Cassiopée.

- Qui êtes-vous ? demanda-t-elle.

- Elle est morte, dit-il, sans se présenter.

Il se tourna vers Orphée, vert de rage, et sa voix tonna à en ébranler les murs :

- Orphée ! Cesse cela et retourne-t-en faire partie de l'Histoire ! Retourne chercher Eurydice et laisse-nous en paix !

Il ajouta à l'adresse de Cassiopée :

- On ne peut tuer l'Histoire... voilà pourquoi je le punis par son passé.

A ses mots, une femme à l'air fantomatique apparut, lui fit signe avec un grand sourire, et Orphée se précipita vers elle. Plus il en approchait, plus elle reculait, dans une lutte sans fin que la vie mènerait pour rattraper la mort.
Il se tourna vers Cassiopée, les paumes tournées vers le plafond :

- Je suis le responsable de tout ceci.

Et avant qu'elle dise un mot, des jets de lumières lui enchaînèrent les poignets en même temps que le décor changeait autour d'eux. Ils étaient dans la pièce centrale du Manoir, l'habitat de Sirius depuis des siècles...

- Elle est morte, répéta-t-il, insistant, un signe de tête vers Idrial. La musique l'a tuée. Elle est sa vie et sa mort. Que veux-tu faire d'elle ?

Le temps était passé si vite soudain. Les événements s’étaient succédé sans qu’aucun lien ne semble les unir. Au moment même où Cassiopée avait vu Idrial se tordre de douleur devant Orphée en lui réclamant son âme, elle avait vu apparaître cet étrange être qui se voulait la voix du Destin.
Mais à peine avait-elle eu le temps de lui demander son nom qu’elle s’était retrouvée dans une salle du manoir, les mains liées et Idrial comme morte à ses pieds.
Elle tenait encore la petite statuette dans sa paume et cela seul lui rappelait qu’elle n’avait pas rêvé.
Les chaines la gênaient, elle aurait voulu prendre Idrial entre ses bras.

- Qui es-tu donc ? Qui es-tu, toi qui te permets de te jouer de la vie d’êtres exceptionnels ? Quel pion es-tu dans l’Univers qui nous unit pour t’immiscer dans nos existences au point de nous faire jouer ?
Tu me demandes ce que je ce que je veux faire du cadavre d’Idrial ?
Délivre-moi.

Les derniers mots prononcés par Cassiopée étaient dit d’un ton qui ne laissait place à aucun autre choix.
Etait-ce sa voix ou la simple volonté de l’être qui fit tomber les chaînes ? Toujours est-il que Cassiopée s’agenouilla près d’Idrial et la prit enfin entre ses bras.
Le sang ne circulait déjà plus, il ressemblait à un immense marais où bientôt la gangrène pousserait.
Cassiopée reposa alors l’elfe sur le sol et libérant ses mains, elle ouvrit ses deux paumes.
Dans l’une reposait la statuette d’un petit dragon encore palpitant, dans l’autre apparut la corne longue et torsadée d’une licorne.
Prenant la corne en main elle déposa la pointe effilée sur le sein gauche d’Idrial et celle-ci s’enfonça doucement en quête du cœur.
Lorsque la corne entra en contact avec l’organe vital, Idrial se cambra, tétanisant tous ses muscles sous le coup de la décharge que Cassiopée lui envoyait.
Alors, Cassiopée lâcha la corne qui resta plantée dans le corps d’Idrial. Elle frôla la bordure tranchante de la corne d’un doigt léger et serra sa paume pour glisser dans le cornet qu’elle formait une goutte de son sang qui poursuivit son chemin vers le cœur de la morte.
La goutte de sang de Cassiopée fit l’effet d’une source qui réveilla les remous de ce cœur trop vite arrêté et la dame des Etoiles entendit les premières notes d’une musique évoquant l’essence perdue d’Idrial :

-Avance Idrial ! Avance ! Chante pour moi ! Suis donc le dragon que je porte dans ma main, il te guidera vers moi.

Cassiopée serra plus fort la statuette, jusqu’à ce qu’elle marque son empreinte sur son corps, puis elle le déposa sur le front d’Idrial, lui imprimant la marque du dragon sur le visage.

Elle s'écroula. Ses jambes ne la tenaient plus. L'elfe avait tout juste la force de maintenir ses mains plaquées sur ses oreilles comme si cela pouvait atténuer ses souffrances. Son Harmonie se taisait, battue par la mélodie funeste d'Orphée. Il s'imposait à elle avec violence et lui imprimait son désespoir, sa colère, sa folie. Il prenait tout et ne laissait rien. Si bien que, lorsqu'elle laissa sa place, elle avait éprouvé les souffrances d'Orphée et non les siennes.
Elle ne ressentit rien, pas même la peur et expira pour la dernière fois. Le corps s'agita de quelques soubresauts comme pour expulser l'âme qui s'y trouvait auparavant et demeura inerte. Idrial était morte.

Il n'y a rien. La lumière s'est éteinte laissant place au noir le plus complet. Ou presque.

Quelque chose vint s'agiter à la limite de sa conscience. Celle-ci même qui s'éveillait de nouveau. Elle rechignait à s'extirper du sommeil si profond dans lequel elle était plongée. Sans repères, elle avançait à tâtons vers cette présence qui venait l'importuner.

Je sais qui tu es. Laisse-moi veux-tu.

Elle n'écoutait pas et s'insinuait en elle pour la ramener quelque part. Ce quelque part lui faisait peur mais elle se sentait attirée par la présence et elle la suivit. Elle s'éveillait, vraiment.

- Avance Idrial ! Avance ! Chante pour moi ! Suis donc le dragon que je porte dans ma main, il te guidera vers moi.

Chaque chose repris sa place, y compris Idrial. L'elfe reprit conscience d'elle-même. Elle était entre deux mondes et ses souvenirs lui revinrent comme d'affreux cauchemars qu'elle aurait voulu ne jamais revivre. Son coeur battait à une vitesse folle, sa peur l'étreignait. Elle se sentait partir de nouveau. Elle glissait lentement vers la mort. Encore. Mais cette fois, quelque chose la sauva. Un lien qui la reliait à la Dame des Etoiles, ou plutôt au dragon qu'elle tenait dans sa main, l'empêchait de sombrer à nouveau. Son âme s'y raccrocha avec espoir et plus elle s'y raccrochait, plus le lien se renforçait. Idrial recouvra peu à peu ses sens. Par la même, son supplice revint mais elle se sentait vivante. Ses blessures ne signifiaient plus rien bien qu'elle en souffrait. Elle vivait.
L'elfe, muette, laissa son âme s'exprimer. Elle enveloppa Cassiopée d'une mélodie douce et fragile. Elle leva une main pour prendre celle de la nymphe. A son contact, la marque du dragon se révéla sur son visage.

Nichiren voyait le Léviathan se diriger vers Linae et lui même, gueule ouverte, prêt à n'en faire qu'une bouchée. Le décourager serait la seule stratégie pour le vaincre, même unis il n'y aurait aucun moyen de le vaincre et le tuer. Un monstre de 25 mètres, aquatique et dans son élément serait victorieux dans tout les cas de figure.

"Linae, il faut l'éloigner de nous, sinon on est mort !"

Linae commençait à trembler, le monstre s'approchait avec hâte, plus rapidement que prévu, la gueule ouverte à proximité immédiate, sa mâchoire n'étant désormais qu'à 5 mètres. Le chevalier aussi s'en rendit compte que trop tard.

"Non !" crièrent t'il à l'unisson.

Un claquement plus tard, deux humains faisaient le repas d'un des monstres les plus dangereux du monde aquatique de Ter Aélis.

.........................

Dans l'obscurité totale, on ne peut rien voir de l'endroit ou l'on se trouve. Le sol, les murs, le plafond, dans leur horreur sont mouvants, visqueux et vivants. Une odeur âcre de poisson pourri et autres déjections marines se faisaient sentir et donnait la nausée. Un sentiment d'immobilité extérieure se faisait sentir alors qu'à l'intérieur, la mobilité se faisait, des liquides visqueux suintaient partout recouvrant Linae et Nichiren qu'un mucus collant et odorant.

"Je comprend pourquoi les Léviathans sont autant craints maintenant, non seulement massifs, mais aussi plus rapides qu'on peut le penser, c'est une chance qu'il nous ait avalé tous rond."

"Il va falloir sortir de là, il va falloir trancher les chairs pour sortir de l'intérieur, le hic dans tout ça c'est que à l'extérieur, on ne sait pas ou l'on est, sans doute dans des abysses profonds."

Nichiren comprenait l'inquiétude de Linae, sortir pourrait être beaucoup plus dangereux que les sucs gastriques du Léviathan ou pire encore. Pour le moment, sans qu'ils le sachent ils étaient encore dans l'œsophage, se dirigeant malgré eux vers l'estomac.

"Tiens ça me rappelle une histoire, d'un homme en bois qui se fait manger par une baleine."

"C'est vrai, mais la différence c'est qu'une baleine doit remonter à la surface pour respirer."

"C'est exact, tu vois comme moi, il faut obliger le monstre à faire surface si on veut sortir, le Léviathan est purement aquatique, hormis chasser et remplir sa vessie natatoire périodiquement pour assurer sa flottaison."

Nichiren semblait impressionné du savoir de Linae, il s'hasarda à poser la question.

"Comment tu sais ça ?"

"C'est Freuzne qui me l'avait dit, c'est utile ce genre d'information de temps en temps." Fit Linae avec un clin d'oeil malicieux.

"Il nous faut contrôler le cerveau de la créature si on veut l'obliger à passer à la surface, à l'intérieur, on aura pas de chance de riposte sévère, hormis accélérer le processus de digestion, de plus le temps nous manque, ainsi que l'air."

La seule magie des sens qui se dilatent sur le monde éveille les cœurs les plus noircis.
Le cœur d’Idrial n’avait reçu qu’un faible échantillon de ce qu’était le Sang pour le vivant, mais la gangrène qui courait dans ses veines s’en était tant imprégné qu’il courait avec légèreté dans le corps mourant. Un faisceau de vie pour que la musique chante.

Leurs mains jointes liaient moins Idrial à Cassiopée que la marque du dragon qui frappait à cet instant le front de l’elfe.

-J’aime entendre ta musique, Idrial. Elle est mon réconfort. Elle est comme un jardin aux senteurs idéales qui embaument un ciel clair dont l’azur n’a d’égal que l’outremer de la nuit.
Joue encore… Par toi, je sens le vivant resplendir.

Au loin, si loin… Cassiopée peut entendre enfin Issac gronder de contentement. Sous les sons diffusés par les doigts d’Idrial qui glissaient sur la lyre, elle percevait un sentiment de perfection encore jamais atteint.

Lorsque Cassiopée reposa les mains d’Idrial et qu’elle se redressa pour faire face à Sirius, la marque du dragon qui étincelait sur le front de la musicienne s’atténua un peu.

-Si par ta musique tu m’apaises et m’amène à mon point d’équilibre, toi aussi tu resteras lié à mon sang. La marque qui apparaît sur ton front est bien la preuve que je ne pourrais me délier de toi facilement à présent. Que tu le veuilles ou non, nos avenirs ne seront pas contraires, Idrial.

Le visage de Cassiopée exprimait la conscience profonde de ce qu’impliquait cette découverte.
Alors qu’elle s’exprimait ainsi, la Dame des étoiles sentait le regard pointu de Sirius sur ses épaules alors que ses poignets la brûlaient encore des menottes qui les avaient enserrés.

-Maintenant que tu m’as forcé à choisir ce que je ferais d’elle ? Qui es-tu pour m’obliger à de tels choix? et que fais-tu en nos murs dans cette pièce qui m’est inconnue? Tu m’as laissé ou peut-être forcé à agir de la sorte… Pourquoi ?

Sirius avait observé la scène avec intensité. Il accumulait les informations comme une machine imprime soigneusement des données.Il entendit vaguement les propos de Cassiopée avant que ceux-ci ne prennent sens dans son esprit. Plus que de poser des questions, elle exigeait des réponses. Il prit le temps de regarder la pièce du regard, ses yeux courant d'abord sur les tapisseries moisies qui couvrait le mur du fond, glissant ensuite vers le mobilier en bois massif orné de vaisselle d'argent et se posant enfin sur l'énorme bassin rond du centre de la pièce, devant le mur où s'étendait un grand miroir. Son visage affichait une forme de répugnance à répondre, qui se transformait, au fil du parcours de ses yeux, en réflexion, puis en un sourire triste. Il consentit dès lors à répondre :

- Qui suis-je ? Je suis Sirius et je me suis permis bien des choses que je regrette. En fait, pour être tout à fait honnête, j'ai joué à contrôler ce Manoir alors qu'il ne m'appartient pas... je crois qu'il y a d'autres forces qui l'influencent mais l'Univers me commandait d'être ici. Sans compter que j'adore le jeu.

Il la regarda comme pour voir si la mention de l'Univers allait l'intriguer, mais elle n'eut pas la réaction souhaitée. Il s'inclina devant Idrial, sans pour autant oser la toucher :

- Ma Dame, je vous prie d'accepter mes piètres excuses, Cassiopée ici présente a raison, vous êtes une vie exceptionnelle et vous mourrez plus d'une fois, j'en ai peur. Considérez ceci comme un entraînement, le futur sera plus éprouvant.

Il se tourna vers la nymphe et reprit :

- Je ne te forcerais jamais à choisir, Nymphe. Je suis là pour t'accompagner et t'orienter. Et si je puis me permettre, le Manoir s'appartient à lui-même, et quand bien même ton opinion serait différente, mon ancienneté ici me donne plus de droits que n'importe lequel d'entre vous. Cette pièce est la pièce centrale du Manoir, ainsi tu sauras à présent qu'une telle pièce existe et que n'y entre pas qui veut.

Il s'arrêta, le souffle comme coupé. Et il s'approcha d'elle, l'immobilisant d'un sort muet.

- Quant au pourquoi, je dois te connaître pour te répondre. Montre-moi l'étendue de ta vie et l'étendue de ta puissance... Ce sera peut-être violent, mais indolore. Et ça ne durera qu'une seconde : le temps de ton éternité.

Il approcha un doigt griffu du front de la nymphe et appuya en son centre. L'effet fut immédiat, Cassiopée bascula la tête en arrière, de la lumière sortant de tous ses pores.

Nymphe….

Sirius nommait Cassiopée sous une appellation qu’elle n’avait pas entendue depuis bien longtemps. Depuis quand l’avait-on appelée Nymphe des eaux ?
Il lui semblait si lointain le temps où l’océan était son principal élément qu’elle ne se souvenait plus à quel moment la vie l’avait accrochée aux étoiles.

Sirius semblait sans âge et si vieux à la fois qu’il aurait pu être le manoir lui-même. Il portait sur son corps l’immense savoir du temps.

Ce simple nom provenant du passé avait bouleversé la « Nymphe » en elle sans doute plus que la chute qu’elle venait de faire avec Idrial dans le Néant et leur visite dans d’antiques couloirs de la mort. Aussi Cassiopée était sans défense morale au moment où Sirius posa sa griffe sur son front.

A son contact, elle sentit son être se démultiplier comme si tous les plis du temps s’étalaient autours d’elle, partant dans toutes les directions de sa vie. La lumière se faisait sur ce qu’elle n’avait même jamais vu et sa puissance baignait la scène au-delà de ce qu’elle-même aurait imaginé.

Elle voyait Cassiopée petite fille souriant à la mère qui l’instruisait d’une science inconnue et qu’à son tour, elle essayait de maîtriser. Elle vit l’enfant rire aux éclats quand, devant elle, l’eau se mit à jaillir de terre en trempant tout le monde jusqu’aux os, et Dras’Helm qui la punissait ensuite pour n’avoir pas été capable d’arrêter le produit de ses exploits.
Au côté de la fillette, se tenait la même Cassiopée à peine plus grande qui s’étonnait de voir ses doigts se couvrir d’étincelles comme s’ils étaient autant de baguettes magiques.
Elle se revoyait le corps plongé dans l’Océan, puisant une surcharge d’énergie qui la rendait étincelante.
C’était comme une illumination de sa vie. Elle vit même ce qu’elle ne devait pas voir et entendit les paroles « Tu oublieras afin que la Connaissance n’affecte pas l’Equilibre du Vivant. »
Elle se vit s’asseoir sur le trône que lui offraient les étoiles à la suite de la périlleuse épreuve du Cosmos… Elle revécut l’une après l’autre les terribles épreuves qui lui révélaient une à une sa réelle condition, mais qui devaient rester dans l’inconnu de la Réalité.
Cassiopée répétait chacune des épreuves de sa vie et les douleurs cruelles qui leur étaient liées comme autant d’agressions qui lui tordaient les entrailles en lui brouillant la vue. Le mal ne l’atteignait pas mais les souvenirs l’assaillaient tous à la fois.
Elle découvrait ce qu’elle n’aurait pas dû savoir….
Elle se tordit sous l’Appel sombre qui lui ordonnait de protéger le Vivant et se revit enfanter…

C’est à ce moment que Sirius retira son doigt, le laissant un moment en attente à quelques centimètres de son visage. Il avait la face troublée et semblait interroger tous les êtres qui l’habitaient.

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