Je suis fatigué, fatigué de toujours devoir être le meilleur, fatigué de toujours devoir chercher ce à quoi je suis fait, fatigué de penser et d'être. J’ai sur moi le poids des années que je n'ai pas encore passées, je sens au creux de mes os une torpeur lente et envoûtante qui me berce et m'endors. J'ai envie de vacances, de très longues vacances. D'une escapade dans les régions où l'on ne me demandera plus rien, où je pourrais faire ce que je veux depuis toujours, me servir de mes mains et façonner le monde. Je rêve d'être l'architecte du lendemain, je rêve d'écraser mes lèvres sur les tiennes et de pleurer de joie...
Mais tout ce que j'ai c'est une brise puante et de soufrés relents d'impatience d'un monde qui me rejette. J'ai les narines qui frémissent et espèrent sentir un jour le parfum musqué de la sueur de ta peau. J'ai les mains qui tremblent de ne pas pouvoir te caresser le visage. J'ai le palpitant qui défaille de trop et de toujours et de tellement penser à toi, toi qui ne vient jamais et dont je ne peux m'approcher... Tu es mienne malgré moi, et ce même si sur moi tu ne poseras jamais le regard. Et ce même si je suis insignifiant...
Mais je marche seul.
Et tant mieux, je bâtirai sur les plus hautes montagnes des bastions que nul ne pourra détruire, je construirai des bateaux si grands et véloces que nul ne pourra vaincre, je lèverai une armée si nombreuse et entrainée que nul ne pourra survivre... J'inventerai des mythes et des légendes, je tournerai à loisir les pages du livre de vos destinées, je brûlerai vos familles et cracherai sur vos cadavres. Je sombrerai lentement dans la démence et fermerai mon cœur avec tellement de tour que plus personne ne pourra y accéder. Je deviendrai la terreur de vos nuits blanches et le démon de vos jours sombres. Je serai le maître et tracerai avec votre sang les glyphes de mon désespoir.
Mais je marche seul.
Je suis le vagabond de l'ivresse, je m'enivre de caresses et me saoule de boniments. J'adore les compliments et en demande sans cesse, je comble les vides avec force tendresse et flatte mon égo avec des talents que j'invente. Je fais semblant d'être fort et je parcours mes pensées à la recherche de nouvelles inspirations. Je suis le rêveur invétéré de l'amour inconsidéré...
Mais pourtant je marche seul, toujours...