Les nuits sont éprouvantes. Nous ne pouvons pas dormir. Nous ne menons pas une vie. Pas ici. On m'a dit que c'était une camaraderie. Il fallait que j'y aille, pour la Mère Patrie. "Ils se rebellent ces lascars" Me criait-on. Et maintenant je suis là. Au milieu d'un carnage sans nom, baigné par une peur inébranlable, toujours là pour vous faire trembler au mauvais moment. Les moments de plaisir n'existaient plus vraiment. On étaient heureux d'être vivants, et on se contentait de ça. Ce cycle interminable pris fin, lorsque le Colonel décida d'organiser des minis tournois de foot, certains après-midi au sein de la base. C'est toujours mieux que de méditer sur les crimes qu'on a commis durant la journée. C'est bon pour le moral des troupes.
Et merde. C'est mon tour. A moi de trouver un ballon, cette fois-ci. Nous en avons bien demandés au QG, mais ils n'en ont pas un seul, de ballon de foot. Je pars donc en dehors de la base, seul. Je croise plusieurs patrouilles sur le chemin. On boit un coup, on se raconte les potins. Je leur apprends que Maurice à encore tué un pauvre gosse, dans une autre folie meurtrière. Cela provoqua plus de rires qu'autre chose. Qu'est-ce qu'on en a à foutre de ce gamin, il n'avait qu'a pas se trouver là après tout. Je continue ma route, cherchant toujours un ballon perdu, isolé.
Le moment se présente enfin. J'aperçois un ballon au fond d'une ruelle déserte. Les bruits alentours me couvriront sans problème. Fusil à l'épaule, je bloque ma respiration. Feu. Deux balles suffisent. Le ballon s'effondre dans un hurlement de douleur, sans que personne n'y assiste. Excepté moi. Je me dirige vers sa dépouille, recouverte par son sang coagulant. Je saisis ma machette et termine le travail. J'enveloppe le tout dans un torchon et l'enfouit au fond de ma sacoche.
Paisiblement, je reviens à la base. Je brandis mon trophée, fier de moi. Je le lance sur la terre aride, au milieu de mes coéquipiers. Ils s'époumonent et crient leur joie. Ils n'auraient pas pu crier davantage si l'on avait gagné la guerre. C'était une victoire, pour nous. La partie commença.
Victoire de mon équipe, les "Sharks", 9 à 7. On devait aller jusqu'à dix. Mais le ballon n'a pas tenu. Ils n'ont pas la tête solide ces foutus Algériens.