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 La guerre des Confins

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De Vaanne
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MessageSujet: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeJeu 3 Sep - 0:15

Parce que certains, ce que je comprends très bien, ne peuvent ou ne veulent pas aller sur le board ogame pour me lire, il faut bien que je vienne à eux. et pour ceux qui savent que j'ai écrit mais ne m'ont pas lu, vous n'avez plus d'excuse =°
Pour vous laisser le temps d'absorber toute ma prose, je posterai un chapitre par semaine mais rassurez vous, tout est déjà écrit ^^




La guerre des Confins Entteyp9



Quelqu’un était en train de se plaindre. A l’écouter, il semblait avoir transformé cette manifestation de mauvaise humeur en une forme d’art inconnue jusqu’alors. Les mots semblaient se perdre dans sa barbe, et pourtant on les comprenait clairement. Les paroles se succédaient sans queue ni tête, mais on y distinguait un fil directeur. Et malheur à quiconque l’aurait interrompu : la sourde plainte se transformait alors en un rugissement capable de renverser les montagnes, d’abattre les villes et de souffler les vaisseaux comme des fétus de paille : les trompettes de Jéricho faites homme.

L’homme en question se regardait devant une glace, et semblait détester ce qu’il voyait. Dans le miroir se reflétait un vieil homme qui aurait été agréable à regarder encore dix ans auparavant : la crinière blanche lui donnait un air distingué mais les rides de soucis et les yeux gris se liguaient pour donner au visage un air de lassitude résignée. Malgré son âge, sa silhouette ne s’était pas encore trop affaissée sur le ventre, et il tenait à ce que cela continue. Il se débattit pour entrer dans une culotte blanche moulante, manquant se prendre les pieds dedans à chaque seconde et s’étaler par terre. Lorsqu’il y arriva enfin, ce fut pour enfiler une chemise avec un col à jabot qui lui remontait le menton si haut qu’il donnait l’impression de regarder les gens avec mépris. Au dessus de la chemise, une veste d’uniforme bleu foncé bardée de décorations l’enserrait dans un carcan tel qu’il en avait du mal à respirer. Grognant d’exaspération, il mit ses bottes montant aux genoux et empoigna son chapeau, un bicorne, qu’il enfonça d’un geste rageur sur sa tête.


Il ouvrit la porte de ses appartements en coup de vent et passa devant un jeune officier qui se mit précipitamment au garde à vous.

- Je déteste m’habiller en pingouin…

- Je le sais, amiral, dit l’officier, mais c’est votre uniforme de cérémonie, après tout.

- N’avez rien de plus intelligent à dire que de me mettre en rogne, lieutenant ?

- Mes excuses, amiral. Excusez moi, ajouta-t-il après un instant, mais le bicorne ne se porte-t-il pas en pointe ?

- Lorsque j’ai commencé à le mettre il y a des années, il fallait le porter suivant la ligne des épaules. Je ne changerai pas d’habitude à cause d’une histoire de modes.


L’officier, après avoir vérifié qu’il ne serait pas vu, leva les yeux au ciel et soupira discrètement.Voilà trois mois, lorsqu’on l’avait averti de sa promotion au poste d’officier d’ordonnance de l’amiral en chef de la flotte du Protectorat des Confins, il avait sauté de joie, pensant qu’il allait pouvoir apprendre beaucoup de la légende vivante qu’était l’amiral Silvestri. Une semaine plus tard, il avait cruellement déchanté : Silvestri n’était apparemment plus qu’un vieux chnoque hargneux plus préoccupé de problèmes d’intendance que de grandes stratégies victorieuses. Chacune des questions du lieutenant n’avait conduit qu’à une rebuffade plus ou moins désagréable suivant l’heure de la journée. Pourtant, vieux débris ou pas, l’amiral, à plus de soixante ans, avait encore fière allure dans l’uniforme de parade. Et il allait en avoir besoin pour affronter ce qui l’attendait.


Le lieutenant savait où il allait, mais il ne connaissait pas la raison de la convocation. Silvestri n’était pas causant avec les sous-fifres. La seule chose dont il était sûr c’était que la rencontre de l’état major militaire commandé par l’amiral et de l’Assemblée des nobles allait faire des étincelles qu’on entendrait dans tous les couloirs du palais.


Le lieutenant sourit. En tant que membre de la flotte, et par expérience personnelle, il était prêt à parier que Silvestri, par ailleurs membre d’une des plus grandes Maisons du Protectorat, en sortirait échevelé, mal en point, mais victorieux. Quelques instants plus tard, il dépassa l’amiral pour lui ouvrir la porte de la Salle des Réunions, sise au plus profond du secteur des Représentants planétaires du Palais.


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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeMer 9 Sep - 19:29

Merci à Ramrod de m'avoir prêté l'outil que j'ai du utiliser pour cause de post trop long ^^
La guerre des Confins Hache





La guerre des Confins Chapitrage1pq6



Avachi sur son fauteuil, Silvestri réprima discrètement un bâillement. Avachi n’était d’ailleurs pas le mot physiquement juste, car il se tenait bien droit avec l’air d’écouter avec attention le représentant qui était en train de débiter un discours d’une voix monocorde, mais il résumait bien ce que Silvestri souhaitait le plus à ce moment précis : être ailleurs, le plus loin possible de ceux qu’il appelait un panier de crabes névrosés. Lesdits crabes étaient en train de s’écharper par l’intermédiaire de la plume et de la parole sur un sujet qui ne passionnait la flotte en aucune manière, une histoire d’aide massive au développement des planètes les plus reculées des Confins. Silvestri tiqua à cette idée : dans une entité appelé les Confins, pouvait-il réellement y avoir des Extrêmes ?


Pour échapper au sommeil qui le gagnait insidieusement, il commença à détailler le décor et la foule qui l’entourait. La première pensée qui venait à l’esprit en regardant la Salle des Réunions était, qu’à force de traditionalisme, on en venait immanquablement à se couper des évolutions qui avaient lieu au dehors. La salle en question était, pour un homme vivant un tant soit peu dans son siècle, une abomination sortie de la préhistoire de l’ère humaine : les seules concessions à l’avancée technologique étaient minimales, comme les micros devant chaque personne, les discrets écrans de communicateurs sur le pupitre et les sièges à mémoire de forme. Autrement, tout n’était que vieilles tentures, dorures, tableaux et fresques en tous genres représentant le passé glorieux qui avait présidé à la création du Protectorat. Derrière le Princeps de l’Assemblée, lui-même installé face aux Représentants, était placé l’immense blason du Protectorat, une Rose couronnée or sur fond d’azur : l’azur pour représenter les mers de l’espace, la rose pour le havre de paix qu’avaient trouvé les colons et la couronne pour la souveraineté du Protectorat sur ses propres terres.


La deuxième remarque que l'on pouvait se faire, mais qui demandait quelques notions d’étiquette, était que l’Assemblée représentait le condensé de toutes les amitiés et inimitiés qu’on pouvait trouver entre les Maisons nobiliaires, et qui étaient en fait les maîtres incontestés du Protectorat. Certes l’habit de cérémonie était de rigueur, et il datait de plusieurs siècles sans évolutions notables, mais il était assez souple pour permettre de faire passer tous les messages à qui voulait bien les lire. Le mauvais message passé au mauvais moment pouvait échauffer les esprits assez loin pour qu’éclate une bagarre qui allait parfois jusqu’au duel d’honneur, dans lequel on pouvait très bien finir empalé parce que l’abruti d’en face avait « mal calculé » son coup. Par exemple, la Gens Eriana et la Haus Verdennyi étaient ennemies depuis longtemps, et il suffisait que le Représentant Erian décide de changer sa mise pour un tricorne pour que le Verdennyi, dès le lendemain, ait un bicorne fermement vissé sur la tête. Pour les mêmes causes, un Silvestri sans uniforme s’habillerait toujours en noir et un Caldan toujours en blanc. Plus loin encore, la ceinture bleue du représentant Heyriès signalait son discret appui à la tentative d’OPA hostile de la Haus Verdennyi (dont le bleu était la couleur dominante du blason) sur les Baldréon.


L’orateur finit son intervention et, salué par quelques applaudissements, regagna son siège pendant que le Princeps de l’Assemblée, en théorie le chef du Protectorat, prenait la parole.


- Nous remercions le Représentant Valcirian pour ses constatations sur ce sujet. Passons maintenant au deuxième sujet inscrit à l’ordre du jour, pour lequel vous avez sans doute reçu et lu les rapports que l’Assemblé vous a personnellement envoyés. La suite de la séance se déroulera à huis clos. Que l’on ferme les portes !


Il attendit quelques instants, et reprit la parole après avoir entendu un claquement sonore, sans doute enregistré, qui signifiait que ne restaient plus dans la salle que les personnes dûment accréditées.


- Je disais donc, un sujet qui nécessite votre attention la plus extrême ainsi qu’un effort de votre part d’entrevoir toutes les conséquences éventuelles d’une possible action de notre part. En accord avec la demande du premier orateur inscrit, la séance ne sera pas levée tant qu’une décision n’aura pas été adoptée à la majorité des deux tiers des représentants. Vous l’aurez compris, nous allons devoir nous concerter sur l’intérêt et l’opportunité de déclencher une guerre contre la République voisine d’Ehlermann. Représentant Tibérius Caldan, vous avez la parole.


Silvestri grinça des dents et se renfonça dans son siège alors que son ennemi avançait jusqu’à la tribune. Son état-major, tiré lui aussi de son demi-sommeil par l’annonce, lui jeta un regard inquiet qu’il reporta ensuite droit devant lui.


- Merci à vous, Princeps de m’avoir laissé la parole et merci à l’Assemblée de s’être déplacée en si grand nombre, commença le Caldan en souriant.


Il le pouvait, car il était évident qu’aucun Représentant n’aurait manqué cette session pour rien au monde. Le seul qui n’avait d’ailleurs pu assister vouait à tous les diables la maladie qui le clouait au lit. Néanmoins, par les miracles de la technologie, un hologramme le représentait assis à sa place, de sorte que la salle était uniformément pleine.


- Vous vous doutiez parfaitement, ou du moins je l’espère, que cette question allait tôt ou tard parvenir jusqu’au point où elle devrait être sérieusement tranchée, et non plus envisagée dans les salons feutrés des réceptions où nombre de nos courtisans refont si bien le monde, avec nous, la Nobilitas, à sa tête. Cette question devait donc être posée à l’Assemblée, et je vais donc le faire : devons-nous déclarer la guerre à la République d’Ehlermann ? Je me permettrai d’apporter mes éléments de réponse. Tout d’abord, cela est-il opportun ? Sans hésitation : oui ! Cela est-il nécessaire ? Sans hésitation : oui ! Cela est-il utile ? Sans hésitation encore une fois : oui ! Je vous rappellerai tout d’abord l’inoubliable, je vous rappellerai les faits. Voilà des années que nous subissons sans mots dire les vexations de cette République, ainsi que ses affronts : arraisonnements de vaisseaux de commerce, saisie de la marchandise, séquestration de ressortissants à des fins officielles d’enquête judiciaire, incitations répétées à la haine et à l’émeute envers le Protectorat, expulsions de diplomates, incidents de frontière. Est-il besoin que je continue cette litanie ? Non, car elle est déjà trop longue ! Chacun de ces évènements est un casus belli que nous avons ignoré par peur ou désintérêt, alors même qu’un traité d’amitié nous lie avec la République. Or, ces actes viendraient-ils d’un ami ? En aucun cas !

Pourquoi alors jouent-ils avec nos nerfs et notre flotte ? Y a-t-il seulement une raison valable ? Sans doute, lorsqu’on connaît leur frénésie d’achats de matières premières venant entre autres de Silvestri, Richèse et Verdennyi, planètes situées à la frontière avec la République, et qui, si vous vous en souvenez, font l’objet de revendications territoriales multi centenaires de la part de celle-ci. Personne ne pourra m’accuser d’aimer les Silvestri, ajouta-t-il avec une courbette moqueuse en direction de l’amiral puis du Représentant officiel, pourtant qui oserait prétendre dans cette Assemblée qu’ils ne font pas partie du Protectorat ? Personne !

Les faits sont donc clairs : la République veut de nous amputer de trois de nos bastions et fleurons technologiques. Pouvons-nous les laisser faire sans réagir ? Passerons-nous dans l’univers entier pour des lâches ? Aurons nous la possibilité de conserver tout pouvoir sur nos planètes lorsque le peuple apprendra comment nous avons abandonné ses pareils de Silvestri ? A ces trois questions, je réponds encore une fois non ! J’en déduis que nous ne pouvons attendre l’attaque, puisque cela déplacerait la ligne de front à l’intérieur de nos frontières. Et de cela je déduis encore que pour l’éviter nous devons prendre l’offensive, attaquer les premiers pour bénéficier de l’effet de surprise. La flotte qui fait notre orgueil saura tirer parti de cet avantage précieux, n’en doutons pas.

Devant cette Assemblée je dépose donc un projet de motion visant à faire entrer le Protectorat des Confins en guerre contre la République d’Ehlermann. Je vous remercie de votre attention.


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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeMer 9 Sep - 19:29

Silvestri n’avait pas cessé de grincer des dents durant tout le discours et il s’attaquait maintenant à l’ivoire. Le Caldan avait très habilement manœuvré et son discours était un chef d’œuvre d’accumulation de contresens, mensonges en demi-teintes et autres omissions malencontreuses. Malheureusement, il était trop tard pour s’insurger, et l’amiral comprenait parfaitement le plan de son ennemi : en exagérant la menace, certes réelle, que faisait peser la République sur la frontière et en le produisant, lui, comme une victime collatérale, il désamorçait d’abord toute tentative sérieuse d’opposition, et il offrait ensuite au Protectorat l’opportunité de s’étendre de plusieurs planètes dont il aurait sans doute une part de propriété conséquente et qu’il pourrait utiliser à loisir. Bref, il joignait l’utile à l’agréable aux dépens de la flotte qui allait sans doute en sortir étrillée, la République possédant aussi une flotte conséquente. Ainsi, cerise sur le gâteau, la position des Silvestri sur l’échiquier politique serait significativement réduite. Et cela seul mettait l’amiral en rage. Son état-major, qui disposait des mêmes renseignements, échangea des regards inquiets et s’attendit au pire. Suivirent ensuite plusieurs heures de discours militaristes sans intérêt qui vouaient la République aux Gémonies et chantaient les louanges de la glorieuse flotte des Confins. Le plus drôle était que ceux qui encensaient si haut la flotte étaient les mêmes que ceux qui, quelques années plus tôt, s’étaient ouvertement opposé au maintien de ses crédits. En toute autre occasion, les rangs de l’Assemblée réservés à l’armée auraient été parcourus d’une hilarité générale, mais aujourd’hui, aucun soldat n’avait le cœur à rire. Finalement, le princeps reprit la parole pour annonce la prise de parole de l’amiral Silvestri. Celui-ci se leva et gagna le podium à pas lents, comme pour désavouer silencieusement ces militaristes à tous crins qui auraient voulu la guerre déclarée pour avant-hier voire avant.


- Ne nous embarrassons pas de formules de politesse, je sais l’amitié que la majorité d’entre vous me porte. Je sais également que je n’aimerais pas croiser cette même majorité dans un coin sombre. Mais passons, ce n’est pas le sujet, car cela relève à mon avis plus du droit pénal. (agitation parmi les Représentants visiblement visés par la pique, en premier lieu le Caldan). J’ai entendu sans broncher durant plusieurs heures des stratèges en chambre qui s’enorgueillissent de leurs résultats à la SimStrat nous démontrer en long, en large et en travers l’intérêt qu’il y avait à attaquer Ehlermann. Nul doute que l’ordinateur de la SimStrat leur décernera de nombreux points pour leur clairvoyance stratégique. Mais je vous rappellerai son principal défaut : si la stratégie d’ensemble y est parfaitement reproduite, les stratégies militaires sont d’une pauvreté à faire trembler tous les amiraux présents et à venir. Et j’en fais partie. Lorsqu’on ne connaît rien à la guerre, mieux vaut éviter de faire des déclarations à l’emporte-pièce.

Je vais donc encore une fois devoir parler de chiffres. Oui, de chiffres ! Beaucoup de mes subordonnés me reprochent le fait que l’un des plus grands stratèges des Confins en soit réduit à la bureaucratie. Pourquoi, me demandent-ils toujours ? Et je leur réponds qu’il vaut mieux être bureaucrate de quelque chose que stratège du vide ! Au lieu de consacrer mon temps à faire de la flotte un instrument de guerre propre à mettre à genoux n’importe quel ennemi, je dois me battre chaque jour pied à pied pour justifier le moindre mark que je dépense, et je dois systématiquement louvoyer entre les restrictions budgétaires.

A cause de cela, la flotte n’est pas à son plein potentiel : les capitaines sont devenus des administrateurs, car ils savent que toute dépense non prévue avant le départ leur sera personnellement décomptée. Comment voulez-vous entraîner vos hommes avec trois canons légers et une batterie qui n’a droit qu’à cinq coups par jour ? C’est impossible. La flotte n’est pas prête à une guerre. (brouhaha dans l’assemblée) Oui, la flotte n’est pas prête. Et je vais le répéter encore une fois pour que ça s’imprime bien dans vos cerveaux : la flotte n’est pas prête !! Donnez moi un an voire deux, doublez mes crédits, et je fais de la flotte un instrument de conquête invincible !



L’Assemblée explosa en récriminations : la plupart demandaient la démission de Silvestri alors que certains en étaient encore à se remettre du choc de ses demandes ahurissantes. Les plus enragés voulaient sa tête au bout d’une pique, et l’Etat-major décida sagement et prudemment qu’il valait mieux attendre de savoir qui sortirait vainqueur. Il fallut toute l’autorité du Princeps pour remettre de l’ordre dans la salle. Le représentant Caldan se leva et reprit la parole :


- Des paroles bien défaitistes pour quelqu’un qui s’intitule stratège. Êtes-vous en train de nous dire que sous votre commandement, la flotte est entrée en déliquescence parce que vous n’avez pas su la garder ?

- Caldan, vous savez très bien que je ne peux pas faire mieux avec moins de crédits, et vous étiez d’ailleurs l’un des premiers…

- Il suffit, amiral Silvestri. Répondez à la question qui vous est posée, dit le Caldan d’une voix mortellement froide. La flotte peut-elle ou non vaincre la République d’Ehlermann ?

Nul ne parla durant plusieurs minutes. Silvestri fusillait du regard son ennemi qui lui répondait de la même façon, et les autres Représentants étaient trop intéressés par le résultat de l’affrontement pour oser proposer une idée personnelle. Sans détourner les yeux, Silvestri soupira.

- Oui, la flotte peut vaincre.

- Merci, amiral, répondit le Caldan en souriant de toutes ses dents. Quels seraient alors vos besoins pour préparer cette guerre ?

Il se savait vainqueur sans conditions et pouvait se permettre une légère indulgence.

- On ne peut plus simple, honorable Représentant. Donnez moi l’objectif final, et laissez moi toute latitude pour agir. Je veux une autonomie complète pour la conduite de cette guerre. Et je veux un accès illimité aux fonds et aux chantiers spatiaux en attendant que la guerre commence.

Caldan hocha la tête

- Je n’ai rien à ajouter. Princeps, pouvons-nous passer au vote ?

- Tout à fait, Représentant. Messieurs, dit-il en élevant la voix. Vous êtes Représentants de vos planètes et avez le pouvoir de la lier. Jugez en votre âme et conscience et dans son intérêt : faut-il déclarer la guerre à la République d’Ehlermann, et ce en respectant les demandes posées par l’amiral Silvestri ? Le vote se fera à main levée. Qui y est favorable ?


En un instant, la moitié de l’Assemblée se leva et brandit son bras droit, principalement les plus grandes familles. Les Häuser mineures, après un instant d’hésitation, firent de même pour ne pas encourir le courroux des premières. Bientôt, toute l’Assemblé levait le bras au ciel. Aux derniers rangs, un des Représentants commença à crier.

- La guerre ! La guerre !

Le cri gagna d’abord ses voisins, se répandit comme un feu de forêt sur les côtés parmi les Häuser affiliées aux plus grandes familles, sauta par-dessus quelques vieillards trop cacochymes pour élever la voix et arriva finalement aux premiers rangs où l’on trouvait tous les véritables maîtres du Protectorat. Ceux-ci s’autorisèrent un bref sourire avant de commencer à crier comme tous les autres. Silvestri regarda effaré la foule devant lui qui scandait, en transe.

- La guerre ! La guerre ! La guerre !

Il secoua la tête et jeta aux Représentants un regard assassin. Puis il descendit du podium, attendit que son Etat-major le rejoigne et sortit de la salle des Réunions d’un pas rageur.


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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeSam 12 Sep - 16:47

La guerre des Confins Sombresprparatifspz6





Il est des signes qui ne trompent pas : la colère et la rage couvaient dans l’esprit de l’amiral Silvestri. Portes claquées avec fracas, ordres lancés à la volée, insultes imagées et inventives résultant d’une longue pratique puis, le trajet aidant, désertification progressive des couloirs se trouvant entre lui et sa destination, tout cela montrait que l’Amirauté faisait face une fois de plus à l’une de ces colères mémorables qui avaient pour conséquence première l’explosion de la consommation d’anxiolytiques et d’anti-dépresseurs chez les personnes amenées à travailler avec lui dans ces heures sombres. Arrivé à son bureau, il passa devant son officier d’ordonnance figé dans un garde à vous parfait sans lui prêter la moindre attention et s’assit dans un fauteuil. Il s’en releva immédiatement, alla se servir une tasse de café brûlant « spécial marine » qu’il but d’un seul trait et se rassit. Après quelques instants, alors que le lieutenant croyait le plus gros de la crise passée, Silvestri donna un grand coup de poing sur son bureau, le genre de ceux qui fracassent les murailles et transforment les plus épais blindages en confettis. Fort heureusement, le bois massif en avait vu d’autres dans ses nombreuses années d’existence, et il ne daigna même pas émettre un crissement de planches torturées.

- Je me suis fait avoir ! hurla Silvestri. Je me suis fait avoir par cette raclure qui a embrigadé la bande de moutons qui nous servent de Représentants. Mais comment veulent-ils ? La guerre n’est-elle donc qu’un jeu pour eux ?

Le lieutenant ne se donna même pas la peine de répondre aux interrogations rhétoriques qui pleuvaient et préféra rester stoïque sous l’avalanche d’éructations où se mêlaient protestations, haine, incompréhension (notamment du fait que le Représentant Silvestri avait également voté la guerre) et promesses de vengeance. Vint un moment où même l’amiral tomba à court de jurons et, calmé, il se tourna vers son ordonnance.

- Vous, cessez donc de jouer au portemanteau et amenez-moi les dernières estimations de la flotte d’Ehlermann ainsi que les dossiers des agents du Renseignement de la flotte.

Le lieutenant partit au pas de course, soulagé d’avoir échappé à la majorité des éclairs. Silvestri, resté seul, se resservit du café et se mit cette fois-ci à le siroter doucement, les termes d’une équation complexe se mettant lentement en forme dans son esprit… La flotte des Confins bénéficiait d’une réputation de puissance sans égale dans ce secteur de la galaxie, mais des années de restrictions budgétaires avaient grignoté son potentiel à tel point que les constructions de nouveaux vaisseaux étaient devenues une rareté. Certains ne tenaient plus en un seul morceau que par quelques bouts de ficelles, l’obstination de leurs plaques de blindages et l’opération du Saint Esprit. De l’autre côté, tous les rapports montraient qu’Ehlermann s’armait tranquillement depuis des années, dans un but certes inconnu mais qui donnait des sueurs froides aux stratèges des Confins. En effet, la puissance des deux flottes était devenue quasiment égale et le statu quo n’était maintenu que par la supériorité stratégique des Confins qui compensait la vétusté de ses vaisseaux. Les seuls qui échappaient à ce triste état des lieux étaient les cuirassés : dans un sursaut humain venu du fond des âges, les Représentants de la Commission navale avaient estimé que leur force de frappe importante rendait nécessaire l’allocation de fonds nécessaires à leur entretien. Soit traduit en basique : c’est gros, ça tape fort, donc ça s’entretient avec amour.
Quoiqu’il en soit, la complexe équation avait une solution évidente : la bataille devait être gagnée avant de commencer, ainsi que l’avait professé Sun Tzu des siècles auparavant alors que, selon la légende, l’Humanité ne vivait que sur une seule planète. Les éléments de la solution devaient donc s’apprécier ainsi : stratégie, préparation, alliances et en dernier lieu une tactique efficace et de préférence inédite. Bref, se dit Silvestri, le programme parfait pour avaler des litres de cafés pendant des jours en compagnie de la moitié des amiraux de la flotte. A cette idée, une vague de soulagement l’envahit : malgré la difficulté de la tâche, il allait enfin sortir de son rôle d’administrateur en chef de la flotte pour reprendre réellement son titre d’amiral.

Comme par une réaction de pur sadisme, le lieutenant revint à point nommé pour couper court à ces pensées réconfortantes et déposa sur le bureau deux disquettes estampillées d’un joli sceau rouge représentant le symbole de la flotte, un faucon en piqué, agrémenté de quelques mots : « secret défense absolu. » Silvestri jeta un coup d’œil étonné au lieutenant.


- Déjà revenu des archives ? La dernière fois, j’avais du vous appeler pour savoir si vous ne vous étiez pas perdu.

- J’ai pris au plus court cette fois-ci, amiral. J’ai dit aux gardes que j’étais votre ordonnance, que j’avais un besoin urgent de dossiers et que vous n’étiez pas dans un bon jour, dit le lieutenant d’un air de sainte nitouche.

Silvestri ricana et engagea la disquette des Renseignements dans son lecteur. Une liste de noms qui paraissait interminable se mit à défiler devant ses yeux, chacun d’eux étant accompagné de courts commentaires : « agent peu sûr, à éviter », « bon élément, mais manque d’expérience », « trop vieux pour les missions à haut risque », etc. L’amiral fit afficher la liste des agents pouvant fournir des informations sur Ehlermann et se mit à l’étudier. Après un certain temps d’étude pendant lequel son énième tasse de café avait refroidi, il sourit soudainement, nota un numéro sur un calepin auquel il adjoignit un court message. Il arracha la feuille et rappela le lieutenant.

- Pour une fois, servez à quelque chose, et envoyez ce message à l’agent 49. Passez par le centre de cryptographie pour l’encoder au niveau maximal et faites le envoyer par faisceau d’ondes étroit. Si j’apprends que le message a été intercepté par qui que ce soit, je m’arrange pour vous faire muter à la coordination des satellites ou un quelconque autre placard dont vous ne sortirez pas vivant. C’est clair ?

Le lieutenant acquiesça, prit le papier des mains de l’amiral et se dirigea vers la porte. Il s’arrêta brusquement lorsque Silvestri le rappela.

- J’allais oublier. Convoquez tous les amiraux d’escadres ici, sur Valcyria, dans trois jours sans faute. Prévenez les que je serais très déçu de leur retard.

Le lieutenant le regarda d’un air soupçonneux.

- Dois-je réellement mettre ça dans les messages, amiral ?

- Certainement pas, jeune homme, répondit l’amiral en riant. N’oubliez pas que plusieurs d’entre eux lèchent les bottes des Caldan et seraient prêts à me tuer pour leur faire plaisir. Je ne peux pas encore me permettre de les braquer. Seule la commodore Richeau prendrait cette remarque comme la plaisanterie qu’elle est, et encore, elle pourrait se sentir vexée que je ne lui fasse pas confiance. Et la dernière des choses dont nous ayons envie, lieutenant, c’est bien qu’elle soit vexée, n’est-ce pas ?

Le lieutenant, qui connaissait la réputation que Richeau s’était forgée dans toute la flotte, acquiesça avec difficulté. Il attendit quelques instants, puis, voyant que Silvestri avait fini de lui parler, prit congé.


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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeSam 12 Sep - 16:49

***

Deux personnes avançaient silencieusement dans la nuit, séparées par des milliers de parsecs. La première était sur Ehlermann : équipé d’une tenue de camouflage et de cuissardes qui lui arrivaient jusqu'à la taille, l’agent 49 se déplaçait quasi-silencieusement dans les égouts de la planète-capitale de la République. Quasi, car il ne pouvait s’empêcher de maugréer sur les ordres ridicules que l’amiral Silvestri lui avait envoyés, et il se promettait de lui faire passer un sale quart d’heure quand le hasard des affectations les feraient se retrouver face à face.
Au même moment sur Valcyria, la deuxième personne éternua bruyamment. Habillée d’un manteau sombre qui ne payait pas de mine, elle avançait dans les venelles désertes d’un des quartiers les plus mal famés de tous les Confins. L’amiral Silvestri s’arrêta un instant pour se moucher puis reprit sa marche. Il n’avait pas fait dix pas lorsqu’un groupe d’hommes lui barra le chemin. Il les regarda et dit d’un ton hargneux :


- Je n’ai pas d’argent ni de carte de crédit ni aucun autre objet qui vous intéresse. Laissez moi passer, gamins.

- Du calme, grand-père, dit celui qui paraissait être le chef. L’argent n’était qu’un bonus pour nous. Ne t’inquiète pas, on trouvera toujours quelque chose d’utile à utiliser sur ton cadavre.

Silvestri se maudit silencieusement. Il n’avait pas affaire à de simples voleurs en maraude comme il le croyait initialement, mais à un groupe de trafiquants d’organe en pleine session de chasse dans une zone où les incursions de la police étaient encore plus rares que celles du Père Noël.
Il fut tiré de son auto flagellation lorsque le chef sortit un couteau de sa poche. Silvestri fut un instant désorienté puis se rappela que les trafiquants n’utilisaient pas de pistolet de peur de trop abîmer la future marchandise. Le chef sourit puis s’élança. Son visage passa à l’étonnement lorsqu’il vit l’amiral sortir un objet de sa poche puis le braquer devant lui. Il eut tout juste le temps de reconnaître le museau camus d’un blaster de service modèle SIR-25 avant que le pistolet n’aboie en emportant sa tête dans une pluie d’esquilles d’os et de cervelle.
Les autres trafiquants se figèrent et regardèrent le cadavre de leur chef d’un air horrifié : il avaient l’habitude de vivre sur leur réputation qui faisait que leurs cibles perdaient tous leurs moyens dès qu’ils apparaissaient, et ils étaient effarés de voir quelqu’un leur tenir tête. Silvestri recula d’un pas.


- Vous vouliez un cadavre ? Prenez donc celui-là. A votre place, je ne récupérerais pas son foie, il a le teint bilieux.

Sous la menace de son pistolet, les autres récupérèrent la dépouille de leur défunt chef et s’éclipsèrent dans une allée transversale. Après avoir vérifié qu’aucune autre mauvaise surprise ne l’attendait, Silvestri continua son chemin, le blaster bien visible.

*
* *

Quant à lui, l’agent 49 aurait été bien en peine de donner un coup de botte à un rat un peu trop entreprenant, bien trop occupé qu’il était à essayer, avec un succès tout relatif, de garder son dîner à la place qui était la sienne. Il avait la douloureuse impression d’avaler la puanteur qui se dégageait de la fange qu’il foulait aux pieds, et même le tissu placé devant son nez ne lui était d’aucun secours. Il continuait néanmoins bravement, méritant de ce fait la médaille d’honneur et d’abnégation.
Ses yeux surmontés de lunettes de vision nocturne finirent par accrocher un panneau de rue qui l’intéressait. Il se débarrassa de ses cuissardes, grimpa à une échelle et jeta un coup d’œil discret dehors. Il ne vit personne, ce qui n’était pas pour lui déplaire : les autorités avaient déclaré depuis longtemps un couvre feu dans ce quartier, et les seules personnes autorisées à circuler étaient des patrouilles de soldats qui avaient ordre de tirer à vue. L’espion s’extirpa complètement des égouts sans faire le moindre bruit et il s’avança vers la forme sombre de la tour abritant le Centre de galactographie.
La tour, comme toutes celles du quartier, était gigantesque, plusieurs centaines de mètres de hauteur. Du fait du couvre-feu, des patrouilles passaient devant l’entrée, mais personne n’avait pensé à poster des gardes à l’entrée du parking des véhicules antigrav. C’était la seule issue possible à moins d’un assaut frontal, mais encore faillait-il y arriver. L’espion estima la hauteur : un peu plus d’une heure d’escalade sans compter les inévitables contretemps et en omettant le risque non négligeable de retrouver son cadavre à l’état de galette sanguinolente quelques centaines de mètres plus bas. Heureusement, l’aspect gothico-rococo de la tour offrait assez de prises pour parer à ce genre d’éventualité désagréable.
Après deux heures montre en main, dont une à chercher un chemin plus sûr lorsqu’il avait jugé que sa première idée l’emmenait sur une partie de la façade qui n’avait pas été rénovée depuis bien trop longtemps, il put enfin reposer ses membres endoloris sur une surface certes métallique mais néanmoins plane et accueillante. Comme prévu, personne à cet endroit. Il attendit donc une dizaine de minutes le temps de calmer ses crampes puis se mit en route à l’intérieur du bâtiment.


*
* *

L’amiral Silvestri avait fini sa courte et instructive plongée dans les bas-fonds de Valcyria et était arrivé dans la cour d’un petit immeuble qui ne payait pas de mine, si ce n’était la porte blindée digne d’un coffre fort qui en interdisait l’entrée. L’amiral avisa un digicode, tapa quelques chiffres et entra lorsque la porte s’effaça silencieusement devant lui. Il descendit quelques marches et arriva dans un long tunnel creusé à même le roc. A son extrémité, une autre porte était défendue par un garde à l’air revêche. D’au moins deux têtes plus grand que Silvestri, il prit son blaster et étudia son vis à vis pendant un moment, puis se décida et ouvrit la porte derrière lui.
C’était en réalité une porte dérobée qui donnait dans une large pièce décorée richement, mais apparemment par un architecte dont le bon goût avait été pris d’une crise d’hystérie. Au centre de la pièce, déplacé dans cet environnement aveuglant, un petit homme sec et voûté regardait le nouveau venu avec un sourire que celui-ci lui retourna.


- Je constate que vous avez toujours autant d’argent mais peu d’endroits où le dépenser.

- La décoration est parfaite ! Asseyez-vous donc, amiral, vous me donnez mal à la tête à rester debout, et j’ai bien autre chose à faire que de vous écouter déblatérer sur mes goûts artistiques.

L’amiral enleva son manteau, chercha un endroit où le mettre et, n’en trouvant pas, le jeta sur le dossier de son siège où il s’assit négligemment.

- Je suis bien trop vieux pour ce genre de mise en scène, Maître Albaréos. La prochaine fois, donnez moi rendez-vous au siège de la Guilde, grogna-t-il.

- Vous savez comme moi que c’est impossible, dit Albaréos en haussant les épaules. Je refuse d’être vu en votre compagnie. Imaginez un instant le scandale si quelqu’un voyant le plus grand marchand des Confins à discuter avec l’amiral de la flotte… Les familles voudraient ma tête, et mes actionnaires aussi. Quant à vous, vous finiriez dans un croiseur en route pour une destination inconnue… Bref, dit-il en voyant que Silvestri n’avait pas envie d’engager la polémique, qu’est-ce qui vous amène ici ? Votre message n’était pas des plus clairs.

- Mon message l’était parfaitement, ne faites pas la sainte-nitouche, dit Silvestri d’un air dégagé. Vous me décevriez si cette liasse de feuilles à votre gauche n’était justement pas le compte-rendu de la séance secrète de l’Assemblée des Représentants. Me trompé-je ?

- Si peu… Vous savez, on vivote comme on peut. Quand on est en charge d’une petite entreprise familiale comme la mienne, il faut se tenir informé.

Les deux hommes échangèrent alors un sourire qu’on pourrait qualifier de parfaitement hypocrite.

*
* *

L’agent 49 jeta un regard dans le couloir mal éclairé et rentra précipitamment la tête. Encore une patrouille de gardes. Ce qui aurait dû être une mission facile mais longue commençait à tourner au casse-tête chinois. La tour était infestée de gardes, mais aucun signe extérieur ne l’avait laissé présumer. Résultat, la salle qu’il cherchait était devant lui, il pouvait l’atteindre sans trop de problèmes, mais ce serait l’enfer pour ressortir. Hors de question d’envisager une sortie frontale seul contre un bataillon de garde. Ne restait que le bluff, et si l’espion détestait bien une chose, c’était les bluff à la va-vite qui se terminaient toujours par un désastre. Enfin, d’abord la salle.
Il attendit que la patrouille passe et soit assez loin pour s’avancer vers la porte. Par chance, celle-ci n’était protégée par aucun code. Il l’ouvrit à moitié, ne vit personne à l’intérieur et entra complètement. La salle était apparemment une salle de programmation, remplie d’ordinateurs et de disquettes de données. Il s’assit devant l’un d’eux et y injecta une disquette qu’il avait amenée avec lui.
Le programme contenu dans celle-ci se mit à l’œuvre, craquant sans difficultés les maigres protections que possédait le réseau interne de la tour. Ceci fait, l’espion téléchargea tous les dossiers géographiques de l’institut sur l’espace d’Ehlermann le plus proche des Confins. Le transfert allait prendre un certain temps et il éteignit l’écran pour plus de sûreté.
Il fit bien, car peu de temps après, il entendit des voix qui se rapprochèrent, et il n’eut que le temps de se jeter derrière un meuble avant que la porte ne s’ouvre. L’une d’elles avait un timbre arrogant, et on sentait que son propriétaire avait l’habitude de commander. L’agent 49 la reconnut immédiatement : c’était celle du président de la République d’Ehlermann. L’autre, plus obséquieuse, devait appartenir à un obscur fonctionnaire.


- Alors, avez-vous ce que je vous ai demandé ? demanda la première.

- Tout à fait, cela vient de finir, monsieur le Président. Mais vous auriez pu faire une demande officielle, vous avez quand même le droit de consulter la géographie précise de la République.

- Pas question. Son utilisation est militaire, et je dois faire ça discrètement si je veux berner les Confins. La guerre ne va pas tarder à éclater et il me faudra un champ de bataille parfait pour les affronter le moment venu.

- Bien sûr, monsieur le Président, dit la deuxième d’un ton manifestement peu intéressé. Voici votre disquette.

L’espion entendit les voix s’éloigner et quitter la salle. Il attendit encore une vingtaine de minutes, le cœur battant follement. C’était une information de première importance qu’il était vital de faire parvenir à bon port. Pendant ce temps, le téléchargement s’était accompli et le programme pirate avait effacé de la mémoire de l’ordinateur l’intrusion qui venait d’avoir lieu. Il récupéra la disquette et repartit en direction de la sortie principale.
L’une des principales failles des systèmes de sécurité était, à part dans les prisons, d’empêcher les gens d’entrer, mais non de sortir. Dès lors, ce fut facile pour lui de provoquer un léger court-circuit de la porte et des alarmes, et il put sortir de la tour avec quelques regards précautionneux. L’imminente perspective de retrouver les égouts ne l’enchantait pas, et il en eut un haut-le-cœur anticipatif.
Ce long calvaire prit fin dans le parc de l’ambassade du protectorat des Confins à Ehlermann, où plusieurs autres agents des Renseignements de la flotte l’attendaient. Ils se pressèrent autour de lui dès qu’il sortit du cloaque.


- Vous allez bien, monsieur ? demanda l’un d’eux.

- Parfaitement, capitaine, répondit l’ambassadeur –alias l’agent 49- avec un sourire. Rappelez moi juste de refuser la prochaine fois ce type de missions. Tenez, dit-il en sortant la disquette, que cela parte avec la valise diplomatique dans les plus brefs délais pour l’amiral Silvestri. Faites lui également savoir que le Président d’Ehlermann prépare la guerre.

*
* *

- Vous voulez quoi ? dit Albaréos dans un souffle. Mais… Vous êtes complètement fou ! C’est le meilleur moyen pour couler l’Organisation des Libres Marchands. J’ai bien peur d’avoir mal compris…

Silvestri, très occupé à faire tourner le brandy qui restait dans son verre, décroisa les jambes et leva les yeux vers son interlocuteur pour le regarder d’un œil glacé.

- Non, Maître de la Guilde, vous m’avez parfaitement compris. Vous savez comme moi que les chances de gagner cette guerre se rapprochent dangereusement du pile ou face. Vous savez également puisque vous avez, je n’en doute pas, accès aux archives de l’armée, que la victoire dans cette guerre ne pourra se décider que par une bataille de grande ampleur, comme dans l’ancien temps. Vous savez que je déteste ce genre d’engagements et que je crois plus en des frappes localisées qu’en ce genre de boucherie coûteuse en hommes et en matériel. Enfin, vous savez par-dessus tout puisque vous êtes bien informé que pour avoir la victoire, il faudra détruire la flotte ennemie dans son intégralité. Pas de merci : des prisonniers peut-être, mais pas d’échappatoire. Et pour réussir ce tour de force, j’ai besoin de plus de vaisseaux que je n’en ai sous mes ordres.

Sous le coup de l’excitation, il s’était levé et avait approché son visage de celui d’Albaréos par-dessus le bureau ouvragé, de façon à le regarder dans les yeux.

- J’ai besoin de vos vaisseaux. La Guilde est la seule à en avoir assez et d’assez gros tonnage. Ce que je sais, moi, c’est que la Guilde a acheté en sous main les cuirassés de classe Résistance promis à la casse. Vous les avez transformés en cargos, mais leurs blindages sont toujours là, avec la majeure partie de leur armement que vous avez remonté. Je me trompe ?

L’autre se tortilla dans son siège, mal à l’aise.

- Vous voulez beaucoup. Vous allez mettre en péril les opérations de l’Association pendant la durée de la guerre. Quelles seraient nos garanties ? dit-il alors que son visage prenait un air rusé. Quel serait notre salaire ? Quelle serait notre récompense ?

- Si un Guildien parle d’argent, sourit Silvestri, c’est qu’il est intéressé. Parlons affaires alors. Je joue cartes sur table. Vous me direz après ce que vous en pensez. D’abord, j’ai conscience que vos finances et vos vaisseaux en prendront un coup. La Guilde sera donc indemnisée : j’avais en tête l’équivalent de la moyenne des bénéfices engrangés durant les douze deniers mois.

- Six. L’année dernière a été mauvaise pour les affaires.

Silvestri fit mine de réfléchir un instant.

- Soit, six. Deuxième chose, la Guilde sera indemnisée de toutes les pertes en matériel qu’elle aurait eu à subir durant les opérations. Ce qui signifierait en l’espèce que les réparations seraient à nos frais et que les vaisseaux perdus seront progressivement remplacés par des vaisseaux déclassés issus de la flotte. Pas de reconstruction.

- Cela me paraît honnête. J’espère par contre que ce n’est pas tout. Où serait le bénéfice pour l’Association des Libres Marchands ? Nous sommes patriotes, mais montrez pourquoi nous devrions l’être. Aiguillonnez mon intérêt, amiral.

- J’y arrivais. En ma qualité d’amiral de la flotte, j’ai tout pouvoir pour signer les contrats permettant de la garder sur le pied de guerre. Par exemple, les contrats de réparation si les chantiers militaires sont débordés. Par exemple, les contrats d’approvisionnements en nourriture et en armement. Par exemple encore, tout l’entretien des bureaux de l’amirauté.

Albaréos avait pali tout au long de l’exposé de Silvestri. En effet, ce n’était pas un contrat qu’il proposait, c’était la poule aux œufs d’or. Rien que les contrats habituels avec l’amirauté représentaient plusieurs milliards de marks de bénéfices nets. Quant aux réparations des vaisseaux, il était impossible de le chiffrer de tête.

- Un contrat d’exclusivité avec l’Association sur tous les contrats signés par l’amirauté et la flotte pour les douze prochains mois ?

- Exact. N’est-ce pas avantageux ?

- C’est surtout illégal, dit Albaréos. Attribution illégale de marchés publics, corruption… la liste est longue. Mais surtout, que voulez-vous que mes vaisseaux fassent ?

- L’illégalité n’est pas un problème. Nous trouverons un moyen de la contourner.Il y a toujours un moyen d'interpéter les Codes de Justice.

- Ma flotte, amiral, que doit faire ma flotte ? dit Albaréos, de plus en plus agité.

- Je veux attirer la flotte d’Ehlermann dans une nasse dont elle ne pourra pas se tirer. Vos vaisseaux auront juste à la refermer et empêcher quiconque d’en ressortir en la repoussant vers mes vaisseaux. Ce sera pour vous simple et a priori sans grand danger.

- C’est tout ? Vous proposez tous ces contrats pour un rôle de garde ? Cela cache quelque chose amiral, n’essayez pas de me leurrer.

- Je ne cache rien du tout, Maître Albaréos, dit Silvestri en retournant tranquillement s’asseoir. Je vous avais dit que je jouais cartes sur table. Vous aurez en réalité le rôle le plus essentiel. Si Ehlermann s’échappe, c’en sera fini de la victoire totale et je ne veux pas d’une victoire tactique. Je veux finir la boucherie qui s’annonce d’un seul coup, en décapitant le serpent. Voulez-vous m’y aider ?

Albaréos réfléchit longtemps, temps pendant lequel Silvestri essaya de ne pas regarder la décoration hideuse qui l’entourait. Il savait ses arguments irrésistibles : peu de risques pour un gain potentiel faramineux. Les scrupules de conscience étaient une qualité, l’appel du profit une religion. Et les Guildiens étaient extrêmement religieux. Quand le Maître de la Guilde répondit, l’amiral soupira secrètement de soulagement.

- Je vais commencer à rassembler les vaisseaux qui vous seront nécessaires dans le nuage d’Oort du système de Richèse, où l’Association a ses chantiers. Vous me ferez savoir quels sont vos besoins, et quand.

Comme mû par une arrière pensée, il étendit sa main par dessus le bureau. Silvestri la serra.

- Ce sera une association très profitable, je n’en doute pas.
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De Vaanne
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeMer 16 Sep - 23:50

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Le poids de l’histoire est sensible dans toutes les décisions présentes, et le Protectorat des Confins n’échappait pas à la règle. Cette région de l’espace, ainsi que toutes les autres attenantes, avait fait, en un temps qui relève maintenant des limbes de la mémoire plutôt que l’exactitude des historiens, partie du mythique Saint Empire universel. Valcyria que l’on connaîtrait plus tard sous le nom de planète au Million de dômes, avait alors, par le plus grand des hasards, été choisie lors de la conquête de la région comme siège du Gouverneur militaire du secteur. A ce titre, les industries lourdes avaient connu une croissance effrénée, et l’une des nombreuses flottes impériales en avait fait son port d’attache. La suite est connue : les agissements du Boucher d’Ornograd contre une opposition pacifique avaient soulevé les populations de l’Empire entier, et celui-ci s’était effondré sur lui-même lorsque la rébellion, soutenue par les armées du Culte Vordite avaient assiégé et réduit la capitale, Joyau, à l’état de souvenirs. Les Marches avaient bien entendu sauté sur l’occasion de lâcher du lest et les Confins n’avaient pas échappé à la règle. La population avait d’abord été soumise aux officiers impériaux tous venus du Centre galactique et qui avaient tourné casaque, mais, les mariages aidant, les nobles des Confins avaient fini par accéder aux plus hauts échelons militaires et avaient, lors du coup d’état de la journée des Destroyers, renvoyé les impériaux survivants manu militari vers leurs planètes d’origine.
Les Confins supportaient donc pleinement leur passé de région militaire des plus active. Les usines avaient détruit méthodiquement l’atmosphère et l’écosystème de Valcyria, jusqu’à ce que les plupart des centres urbains soient obligés de se doter de dômes de protection. A la chute de l’Empire, regardant pleinement l’étendue du désastre, les habitants avaient tiré un trait sur l’extérieur et fini de recouvrir la surface de dômes. L’atmosphère s’avalait désormais plus qu’elle ne se respirait, et était de toute façon tellement corrosive et acide qu’elle s’attaquait même aux matériaux spéciaux des dômes. Les hommes chargés de les entretenir étaient des fonctionnaires bien mieux payés que les autres et bénéficiaient d’une reconnaissance générale parmi la population. Le travail était dangereux, et lors du temps des pluies, il fallait courir vite pour s’abriter quelque part si l’on ne voulait pas que les averses d’acide presque pur transpercent la combinaison en quelques courtes minutes.
Ce n’était pas le seul héritage de l’Empire : outre la flotte et l’administration conséquente qui allait avec, les Confins avaient hérité d’une tendance prononcée à la paranoïa institutionnelle, ce qui se traduisait dans les actes par une centralisme forcené. Tous les pouvoirs n’étaient certes plus dans les mains de la flotte : après le coup d’état, de nombreux mécanismes avaient été mis en place par les révolutionnaires nobles pour éviter qu’une troïka d’amiraux se prenne d’une envie de menacer de percer les dômes de Valcyria. Pour ne citer que les plus visibles, les vaisseaux devaient obligatoirement comporter un prêtre du Culte pour veiller à la pureté des âmes des soldats (les prêtres veillaient ainsi à éviter trop d’attachement aux commandants) et les capitaines voyaient une fois par mois leurs actes vérifiés par une commission qui avait tout pouvoir pour les casser ou les condamner à l’exil.
Les nobles, qui étaient en fait sinon en droit les propriétaires des planètes dont ils portaient le nom, avaient compris l’intérêt de la centralisation dans l’optique d’une aristocratie où chacun souhaitait faire ses petites affaires dans son coin mais ne tolérait pas celles des autres. Le système était donc détesté par tout le monde, et c’était son principal avantage : les Maisons avaient tout pouvoir sur la vie économique, mais la politique était chasse gardée de l’Assemblée. A l’inverse, la bureaucratie avait atteint des niveaux de complexité impressionnants que chacun s’efforçait dès lors de contourner par tous les moyens.
Pour preuve, le siège du gouvernement du Protectorat. Anciennement le siège du commandement de la flotte impériale, il avait grossi autour de ce noyau dur jusqu’à atteindre la taille d’une ville moyenne d’une planète comme Baldréon. Ce siège était divisé en quartiers : le plus ancien, au centre, appartenait à la flotte. Les autres revenaient à l’Assemblée, aux services du Princeps qui composaient le gouvernement chargé d’appliquer les décisions de l’Assemblée, et la part du lion revenait à l’Administration, machine labyrinthique remplie de départements chargés de compter on ne savait trop quoi. Heureusement, malgré la complexité, l’attente pour l’Assemblée entre ses ordres et leur mise en œuvre n’était pas trop longue : après tout, on avait beau faire partie de l’Administration, on n’en restait pas moins affilié de façon plus ou moins lointaine à une Maison, n’est-ce pas ?

Le quartier de la flotte, ordinairement calme, bruissait d’activité : en réponse à la convocation de Silvestri, les principaux amiraux d’escadre avaient répondu présent et s’étaient hâtés de rejoindre Valcyria par le plus rapide transporteur-courrier avec leurs aides de camp et une partie de leurs secrétaires. Ils avaient été avertis du vote de l’Assemblée et pressentaient que Silvestri ne les avait pas appelés pour leur parler de l’évolution (exécrable) des conditions atmosphériques sur Valcyria. Tous ces amiraux s’étaient sans perdre de temps enfermés dans une des nombreuses salles de réunion du quartier. Les officiers d’ordonnance avaient été exclus des débats jusqu’à ce que des décisions soient prises par un Silvestri particulièrement mal luné à ce moment là. Les discussions pouvaient durer longtemps : prévoyants, ils avaient exigé un montagne d’aliments tous plus mauvais pour la santé les uns que les autres, ainsi qu’assez de café pour noyer un cuirassé. Ils étaient présentement assis, au nombre de cinq, autour d’une table qui aurait pu laisser assez de place à une armée pour y banqueter. Tous les cinq en uniforme bardé de décorations, avec pour trois d’entre eux, tous des hommes, sur leurs épaulettes les six chevrons d’or représentant leur grade d’amiral d’escadre. Silvestri avait une simple étoile d’or pour son rang d’amiral en chef de la flotte, et la dernière personne, une femme, six chevrons d’argent signalant qu’elle était commodore.
Silvestri étudia ses vis-à-vis tour à tour. Lui-même était leur supérieur hiérarchique à tous, ce qui ne signifiait pas grand chose du point de vue des ordres qu’il pouvait donner hors temps de bataille mais, dans l’organigramme, il avait sous ses ordres l’intégralité des vaisseaux de ligne. Les vaisseaux les plus lourds de la flotte, et les mieux entretenus : il bénéficiait d’un ascendant décisif dans le débat à venir.
A sa gauche, la commodore Richeau, en charge des canonnières, ces énormes barges destinées à pilonner des cibles terrestres. Traditionnellement, le poste, considéré comme peu enviable, n’était pas donné à un amiral, ce qui permettait à un jeune de faire ses preuves aux commandes d’une escadre ou à un amiral, cassé mais dont on ne pouvait se débarrasser ostensiblement, de finir sa carrière dans un placard. Richeau n’appartenait à aucune de ses catégories : aux commandes des canonnières depuis quinze ans, elle avait refusé plusieurs fois le grade d’amiral pour garder le poste sur lequel elle faisait merveille. Avec ses longs cheveux blancs, ses yeux de glace et son perfectionnisme, elle était surnommée Notre Dame des Punitions dans toute la flotte. Elle demandait beaucoup de ses équipages, mais rien de plus que ce qu’ils pouvaient supporter, et ils étaient cités en exemple d’entraînement par les quatre autres amiraux. Silvestri la considérait comme une alliée loyale, non seulement parce que les Richeau, maison très mineure, étaient politiquement affiliés aux Silvestri, mais aussi parce qu’il avait eu le bon sens de ne pas insister quand il lui avait proposé des changements de poste.
A sa droite, l’amiral Von Raukov, dont les fonctions l’amenaient à contrôler la chasse. Par un effet de mimétisme impressionnant, d’un caractère réservé, il s’était identifié à ses subordonnés et était devenu aussi flambeur que ceux-ci. Pour la chasse, l’immobilisme est la mort : Von Raukov se rangeait toujours derrière la proposition la plus osée, du moment qu’il y avait un gain. Courageux, mais pas suicidaire, il s’opposait catégoriquement à toutes les missions qui amenaient à considérer la chasse comme un part sacrifiable du dispositif. De par son poste, il était à l’écart des querelles de clocher qui agitaient le Haut Commandement, et le sourire qu’il arborait à demeure semblait montrer son dédain amusé de toutes ces manœuvres.
Un peu plus loin, Silvestri voyait les deux derniers amiraux en grande discussion, et cela ne lui plaisait pas. Aelfwidh, commandant des frégates, ces agiles petits vaisseaux qui, en groupes, pouvaient s'attaquer à presque toutes les cibles, et Delervis, des destroyers, qui servaient généralement d'escorte aux croiseurs plus imposants, faisaient de notoriété publique partie de la coterie des Caldan et étaient également renommés dans la flotte pour leur traditionalisme pur et dur. Silvestri espérait qu’ils sauraient faire abstraction de l’inimitié qu’ils lui portaient, mais rien n’aurait pu les empêcher de s’opposer à toute innovation d’où qu’elle vienne. Aelfwidh, un homme très mince avec des manières de dandy et un uniforme parfait même dans un milieu où être tiré à quatre épingles était une obligation, avait commencé sa carrière comme capitaine d’une frégate d’assaut, et il en avait gardé la réputation d’un homme cruel et sans cœur. Delervis, au contraire, aurait pu passer inaperçu au milieu de n’importe quelle foule. Seuls ses galons d’amiral faisaient qu’on lui accordait une quelconque attention. On disait de lui qu'il était particulièrement laxiste sur la discipline et préférait laisser à ses capitaines le soin de s’occuper totalement de ce sujet.
Il se racla brièvement la gorge pour attirer l’attention de tous. Certains obtempérèrent avec moins de bonne volonté que les autres, mais ils se turent néanmoins.


- Je vous remercie tout d’abord d’avoir pu vous déplacer, même s’il est vrai que celui qui m’aurait opposé une mauvaise excuse aurait eu de mes nouvelles. Vous avez été mis au courant de la splendide décision de notre Glorieuse Assemblée qui avait en l’occurrence comme conscience la personne du révéré Représentant Caldan.

Aelfwidh et Delervis eurent le bon goût de détourner légèrement les yeux. Avant d’être des animaux politiques affiliés à la frange la plus dure de l’Assemblée, ils étaient avant tout des soldats, et ils avaient en main tous les éléments en main pour se rendre compte que cette décision de guerre était une aberration.

- J’ai reçu l’ordre collectif correspondant à cette décision, et il compte également pour vous. Vous ne recevrez aucune consigne personnelle, car ces informations doivent circuler le moins possible. Je vais vous la lire, cela suffira, dit-il en amenant une mince feuille de papier devant ses yeux.
« Amiral Silvestri, de l’Assemblée des Représentants, Vale ! Vous êtes requis par la présente, au nom des Confins, et j’en passe et des meilleures, de rassembler sous vos ordres l’intégralité de la flotte militaire du Protectorat afin de, dans le cadre d’actions militaires qui… (encore des pages de déblatérations administratives), prendre, couler ou détruire la flotte de la République d’Ehlermann et d’amener ladite République à offrir une reddition sans conditions dans les plus brefs délais. Pour ce faire, il vous est accordé la possibilité de faire appel à toute personne dont vous jugerez les services utiles et tout moyen que vous jugerez bon pour arriver aux fins précitées. L’assemblée reste, amiral Silvestri, votre… et ça se termine dans les formules oiseuses habituelles. »
Vous l’aurez compris, j’ai réussi à arracher un chèque en blanc à leurs doigts de rapaces et une absolution par avance. En gros, « c’est par mon ordre et pour le bien de l’Etat que le porteur de cette lettre a fait ce qu’il avait à faire. » J’ai d’ailleurs commencé à en profiter. Des opinions, constructives je précise ?


- Sur quoi porte exactement l’absolution ? demanda Aelfwidh qui avait sans doute quelque chose à faire oublier.

- Sur tout ce qui pourra amener Ehlermann à se rendre malgré la vétusté de nos vaisseaux. Donc si ça vous amuse, vous pouvez même prier l’hérésie Erveniste, pour autant que ça ait un effet. Mais je préfère prendre des mesures plus concrètes.

- Vous nous faites peur quand vous dites cela, amiral, répliqua Richeau avec un sourire. Quelles manœuvres éminemment illégales avez-vous bien pu entamer en notre absence ?

- Je me suis creusé la tête, commodore, car je sais que ça n’arrive pas à tout le monde. D’une, j’ai loué la flotte de la Guilde pour une et une seule bataille. A nous de bien nous débrouiller.

- La flotte de la Guilde ? s’écria Aelfwidh. Mais la flotte n’a pas le droit d’engager de mercenaires ! Vous avez commis un acte de trahison. Dès que l’Assemblée le saura, elle demandera votre tête !

- Il n’y aucune raison qu’elle le sache, amiral Aelfwidh, tant les agissements de la Guilde nous sont cachés. J’entends que cette manœuvre le reste également, avez-vous compris ? La Guilde nous offrira sans nous en aviser une aide bénévole, et elle se verra offrir plusieurs contrats militaires par le plus grand des hasards. Si cela ne vous plait pas, vous pouvez me rendre vos galons.

Silvestri passa son regard d’un personnage à l’autre. Leur réaction était éloquente : Richeau acquiesça silencieusement, Von Raukov se contenta de soutenir calmement son regard, Delervis préféra le détourner et Aelfwidh haussa les épaules après l’avoir fusillé du regard, comme pour montrer que ce n’était pas son problème.

- Deuxième chose, nos espions ont réussi à obtenir toutes les cartes précises des territoires d’Ehlermann. Or, étant donné l’état de nos vaisseaux, il faut détruire l’ennemi d’un seul coup.

- Et comment ? le coupa Von Raukov. Mes chasseurs volent à grand peine, et les frégates qui nous transportent ne valent pas mieux.

- Justement, ils tiendront une bataille, mais ils ne tiendront pas une campagne. Il faut donc attirer la flotte ennemie dans un piège imparable et l’empêcher de s’en sortir.

- avec une flotte d’égale importance à celle d’Ehlermann ? s’étonna Richeau, puis son visage s’éclaira. Ah oui, bien sûr, la Guilde.

- La Guilde, exactement. Elle servira à refermer le double piège dans lequel la flotte des Confins se sera laisser enfermer par la clairvoyance des amiraux d’Ehlermann, ceux-ci n’ayant pas grand mérite vu que lesdits Confins ne connaissaient pas bien les environs.

- Je n’aime pas cela, dit Von Raukov. Si quelque chose ne marche pas, nous serons coincés. Et où serait ce piège ? D’ailleurs, qui nous dit qu’ils vont livrer bataille ?

Silvestri appuya sur un bouton devant lui, et les consoles placées devant les cinq personnages se mirent à luire. Elles indiquaient avec une netteté impressionnante les territoires d’Ehlermann, les systèmes solaires étant indiqués en surbrillance.

- Ils veulent la guerre, cela m'a été rapporté par un espion digne de foi qui en a été avisé dans des circonstances permettant d'écarter toute tentative de désinformation. Nous n’avons plus qu’à chercher le lieu du champ de bataille. Il faut que ce choix ait l’air de faire partie d’un plan d’ensemble d’invasion d’Ehlermann, et qu’il n’ait pas l’air trop évident. Par exemple, le trou noir d’Orérian serait trop simple, vu que la tactique y a déjà été utilisée.

Durant plusieurs heures, ils épluchèrent les données, proposant des systèmes qu’ils rejetaient tout de suite après. Certains étaient trop éloignés, d’autres trop proches pour paraître sûrs à la flotte ennemie, certains offraient trop de portes de sortie, d’autres encore n’étaient qu’un goulot d’étranglement et tourneraient trop vite à la boucherie. Puis, alors que tous se décourageaient, ils se mirent d’accord sur le système d’Altéris : assez profondément placé dans la République, il ne serait que la troisième ou quatrième cible de la flotte d’invasion, ce qui permettrait aux défenseurs de se préparer à tendre leur piège. Il s’approchait également des conditions idéales pour tout le monde : entre les champs gravifiques des deux géantes bleues du système, la planète colonisée et un champ de d’astéroïdes qui devait être à l’origine une petite lune, il n’existait qu’un seul vecteur d’entrée dans le système.

- Parfait, vous n’avez plus qu’à rameuter vos escadres sur Valcyria pour les faire réparer d’urgence si besoin. La campagne commencera dans un mois, après la parade de la fête nationale. Quelqu’un a encore une idée à proposer ?

- Oui, moi, dit Von Raukov. Si j’ai bien compris, tout porte sur notre capacité à coincer la flotte d’Ehlermann ? Après cela, on en viendra à un corps à corps où personne n’aura la place de manœuvrer. Cela va nous poser problème : nous n’aurons pas le temps de nous concerter pour mettre en place des soutiens entre escadres.

- Voyons le bon côté des choses, ils n’auront pas le temps non plus en face.

- Mais il faut que nous ayons le temps ! Nous devons avoir des escadres autonomes capables de penser à des offensives et de les mettre en œuvre seules sans avoir à repasser par quatre amiraux. Il faut améliorer la chaîne de commandement et la façon dont nous concevons la flotte.

- C'est-à-dire ? Que proposez-vous exactement, qu’on sache à quoi s’en tenir ?

- Je propose que chaque amiral ait sous ses ordres une partie de chaque escadre de façon à ce qu’il puisse compter sous ses ordres un échantillon représentatif de la flotte et qu’il puisse faire face seul à n’importe quelle menace.

Tous les autres le regardèrent, interloqués. Von Raukov proposait une réorganisation complète de la flotte, en un temps record, avec les conflits de commandement que cela impliquait. Ils commencèrent à soupeser le pour et au contre. Richeau prit la parole presque immédiatement, suivie par Delervis.

- Je refuse qu’on touche à mes canonnières.

- Et moi à mes destroyers.

- Je ne pensais pas aux canonnières, commodore. Ce sont des vaisseaux tellement spéciaux qu’ils ne serviraient à rien dispersés entre plusieurs groupes. Par contre, mon idée inclut tous les autres vaisseaux, dit-il en regardant Delervis de façon appuyée.

- Je trouve que c’est une idée parfaite, Von Raukov. Elle nous permettra de nous battre indépendamment les uns des autres sans avoir peur de voir nos communications interceptées.. Il faudra nous y habituer le plus vite possible.

- Je refuse, cria Delervis. Ce serait fragmenter les avantages et les particularités de nos vaisseaux. Et ce serait une trahison vu l’interdiction qui nous est faite de commander directement plusieurs types de vaisseaux ! L’Assemblée ne l’acceptera jamais. Les Caldan vous feront exécuter.

- Ils n’ont pas besoin de le savoir, Delervis, avant d’être mis devant le fait accompli. J’ai l’impression de me répéter et je déteste ça. Ehlermann se débat avec les mêmes limitations que nous et n’ose pas les dépasser. C’est une chance. Si vous persistez dans votre attitude, c’est vous qui commettez un acte d’insubordination envers votre le commandant suprême de la flotte qui possède, je vous le rappelle, les pleins pouvoirs. C’est un ordre, Delervis : abandonnez une partie de votre escadre. Cela vaut aussi pour vous, Aelfwidh.

- Oui, amiral, dirent-ils à contrecoeur.

Silvestri soupira : il avait réussi à imposer sa volonté et sa vision des choses une fois de plus, mais il savait que cela ne durerait pas. Il ne pouvait qu’espérer que des scrupules de conscience ne les prendraient pas pendant l’invasion : il pourrait s’avérer difficile à expliquer aux marins que deux amiraux devaient être placés aux arrêts de rigueur. Mais d’abord, il fallait remettre la flotte sur le pied de guerre, ce qui n’était pas une mince affaire.
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeMer 23 Sep - 20:14

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Le mois de répit accordé à la flotte avait été bien utilisé, en actes comme en paroles. La réorganisation complète avait fait grincer des dents à tous les échelons, et tous s’étaient tués à la tâche pour changer les mentalités et amener les différents corps à constituer un esprit de groupe au lieu du chacun pour soi qui prévalait originellement. Les chantiers navals avaient affiché complet alors que les ports spatiaux s’étaient au contraire inexorablement vidés de leurs vaisseaux pour ce qui fut officiellement appelé des « manœuvres générales d’une particulière ampleur. » Tous les vaisseaux avaient donc participé aux dites manœuvres et avaient navigué plus qu’en une année entière. La Guilde, comme par hasard, avait décroché le contrat d’approvisionnement et s’était frotté les mains en vendant ses stocks de carburant lourd patiemment amassés en prévision d’une telle éventualité.
Qui dit réorganisation dit également pour les amiraux transfert de leur marque vers des vaisseaux plus adaptés. On atteignait là ce qui faisait réellement un amiral : plus qu’un homme, il était, pour le commun des soldats, représenté par le vaisseau qui portait sa marque. Si on l’en séparait, il n’était plus rien, rien qu’un nom sans autorité, sans pouvoir et sans charisme. C’est donc non sans appréhension et grincement de dents qu’ils avaient abandonné les vaisseaux qui les accueillaient depuis des années pour se partager les touts nouveaux cuirassés sortis des chantiers. Silvestri, en charge de ces vaisseaux, avait tout bonnement gardé son Jotunheim. Delervis avait jeté son dévolu sur le Coriolan et Von Raukov sur l’Incarnadine. Aelfwidh avait préféré le Jormundgand. Quant à la commodore Richeau, elle avait catégoriquement refusé de prendre un cuirassé sous ses ordres, arguant qu’il ne lui servirait à rien. Silvestri avait stratégiquement évité d’insister, non seulement parce qu’elle avait raison, mais surtout par ce que c’était mieux de ne jamais discuter devant elle, et lui avait laissé le bénéfice de son bien aimé Ravageur.
Bref, tout ce petit monde s’était joyeusement enguirlandé pendant quatre semaines assez actives : les pilotes de chasseurs se plaignaient du manque de soutien des unités lourdes, les capitaines de frégate du manque de maniabilité d’une formation comportant des vaisseaux de ligne et les capitaines de vaisseaux de ligne de la tendance des unités légères à faire le coup de feu en les laissant en plan. Les amiraux, quant à eux, tapaient sur tout le monde en maudissant l’urgence dans laquelle ils se trouvaient. Von Raukov et Aelfwidh en étaient quasiment venus aux mains lorsque, durant un engagement simulé, le Jormundgand avait manqué d’éperonner l’Incarnadine à la suite d’une manœuvre audacieuse du premier.
Après cet entraînement, la flotte s’était regroupée dans l’espace profond derrière la ceinture de Kuiper de Valcyria, en attente de l’ordre de départ. Pour l’heure, les destroyers avaient fait mouvement vers l’orbite de la 5è planète du système (Valcyria elle-même) accompagnés du Jotunheim en sa qualité de vaisseau de pavillon de Silvestri. Ils faisaient partie de la parade prévue tous les ans pour commémorer la Journée des Destroyers.
Cette journée rappelait la fuite des officiers impériaux et le retour des nobles locaux au pouvoir : c’était un jour chômé pendant lequel banquets et amusements étaient offerts par la noblesse à ses travailleurs. Durant vingt-quatre heures, tout était gratuit, et les hôpitaux avaient fort à faire pour soigner les nombreux petits problèmes inhérents à cette célébration. Chaque planète, au fil des années, s’était spécialisée dans un type spécialisé de festivités : Verdennyi avait les plus beaux concerts du Protectorat, Baldréon se faisait gloire de ses combats d’arène, Richèse devenait une foire quasi planétaire et ainsi de suite… Mais surtout, le clou du spectacle, l’apothéose qui pourtant marquait le début de la journée, c’était le Grand Défilé qui se tenait sous le Dôme Vert, sur Valcyria.

Ce dôme était unique et faisait la fierté des habitants : d’abord par sa taille inégalée, plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre. Ensuite, il représentait ce qu’on appelait par dérision le « poison vert de Valcyria ». Il protégeait en effet le dernier et le plus grand conservatoire botanique planétaire, et on y venait des quatre coins de la planète pour flâner une journée sous les frondaisons ruisselantes de l’arbre-à-pluie. Mais surtout, au beau milieu du dôme, on avait laissé dégagée une longue avenue qui reliait le dôme des casernes à l’un des dômes gouvernemental. C’est là que s’effectuait le défilé : le départ était donné sur le parvis du quartier du Princeps. Les troupes marchaient alors sur toute la longueur du Dôme Vert où des millions de citoyens venaient les acclamer et rentraient directement dans leur caserne.
On avait placé environ au milieu du parcours une immense tribune pour les officiels : tous les Représentants, soit un grand millier, les dirigeants de l’Association des Libres Marchands, le Haut Commandement de l’armée, les ambassadeurs gracieusement conviés en cette journée particulière et quelques invités triés sur le volet. Tous étaient arrivés longtemps en avance, par l’évènement alléchés, et les discussions allaient bon train. Traditionnellement, cette journée était faite pour la célébration et la détente, et les magouilles politiques étaient officiellement proscrites. Chacun affichait donc un sourire à s’en faire mal aux joues, déblatérait les pires platitudes polies en face des ennemis de toujours, mais ne se privait pas pour déverser son fiel dès que ladite personne et les caméras avaient le dos tourné. Tout ceci bien entendu avec un sourire et dans la bonne humeur. Après des années de batailles acharnées avec les responsables du protocole, on avait fini par abandonner l’idée de places réservées, ce qui avait eu pour résultat de voir se reformer les groupes de l’Assemblée tandis que les invités jouaient le rôle de force d’interposition. Par accord tacite, le centre était réservé au princeps et à ceux qu’il jugeait bon de l’accompagner. Ce rôle, aujourd’hui, revenait au Caldan et à Silvestri qui en profitaient pour se fusiller du regard tout en se souriant, résultat d’une longue pratique de la vie politique. On les regardait, on glosait sur leurs possibles discussions, mais on ne les enviait pas : on savait très bien qu’à la fin de la journée, vu la haine qu’ils se portaient, l’un d’eux aurait perdu des plumes. Potentiellement, beaucoup de plumes. Il était maintes fois arrivé à un Représentant assis à droite du Princeps au début de la journée de devoir céder son siège en toute hâte à un autre membre de sa famille. Aucune explication n’était jamais donnée, vu qu’officiellement personne n’avait parlé politique.

Le contrôle climatique avait choisi pour l’occasion un temps « estival » et en conséquence avait augmenté la température de quelques degrés. Les civils s’étaient vêtus en conséquence d’étoffes légères et lâches, mais les militaires comme Silvestri n’avaient eu d’autre choix que de s’engoncer dans leur magnifique mais néanmoins très serré uniforme de parade. Assis sur son siège, il dégoulinait littéralement en regardant les premiers régiments défiler devant lui. On avait convié des éléments de tous les Confins : milices civiles, régiments d’active, troupes d’assaut et équipages de vaisseaux. Pour ne froisser personne, chaque planète, et ainsi chaque famille noble, se devait d’être représentée. C’est pourquoi chaque délégation portait fièrement l’uniforme bariolé localement à l’honneur, et le tout donnait un patchwork de couleurs assez agressif pour l’œil. Silvestri s’éventa légèrement avec son chapeau et chercha du regard un régiment particulier : celui des cadets de l’école de guerre, que son uniforme blanc comme neige rendait éminemment repérable dans la cohue et qui, grâces en soient rendues au directeur, portait encore le bicorne sur la ligne des épaules comme il se devait.
En effet, il avait défilé parmi eux voilà près de quarante ans maintenant, au début d’un brillante carrière militaire qui avait culminé lorsque la flotte des confins avec lui, tout jeune amiral fraîchement promu à sa tête, s’était débarrassé avec aisance des pirates qui encombraient les vecteurs commerciaux en direction du centre galactique. L’éclat de ladite carrière avait par la suite pali : il avait consolidé sa position à la tête de la flotte grâce aux appuis qu’il avait dans sa Gens et dans la Guilde (Albaréos ayant défilé la même année que lui…) mais l’Assemblée n’avait plus jugé bon d’accorder autant de crédits qu’auparavant à une flotte dont on murmurait hors de sa présence (si l’on était prudent) qu’elle ne servait plus à rien. Il s’était donc cantonné par nécessité à un rôle d’administrateur, lui dont on disait qu’il était un stratège émérite.
On avait également installé le long de la voie de nombreux écrans géants qui montraient les destroyers qui avaient accompagné Silvestri en pleine démonstration. Les boucliers levés au maximum de leurs capacités, ils s’étaient profondément avancés dans l’atmosphère, et la friction des particules d’air sur les boucliers les faisait ressembler à des comètes d’or, magnifiques et mortelles. Ils s’étaient mis en formation de façon à dessiner une rose qui traversait le ciel du levant vers le couchant. Malgré toute sa beauté, c’est une manœuvre extrêmement dangereuse car, si jamais les boucliers lâchaient, les destroyers n’auraient pas le temps de rejoindre l’espace avant d’être détruits. Le public le savait et appréciait le spectacle à sa juste valeur.

Silvestri regardait le défilé d’un air absent, bien trop occupé qu’il était à chercher une faille dans les préparatifs du départ de la flotte, départ qui serait donné à la fin de la journée. A sa gauche, le Caldan et le Princeps devisaient gaiement sur la journée qui s’annonçait excellente. Le premier ne pouvait qu’être heureux : sa milice planétaire avait cette année eu l’honneur de mener la parade. A un moment, il se tourna vers Silvestri, un sourire au coin des lèvres :


- Amiral, je suis déçu de ne pas avoir l’occasion de présenter mes compliments à votre si charmante épouse. Serait-elle souffrante le jour de ces réjouissances ?

Silvestri le regarda d’un œil glacé.

- Dame Domitia Silvestri est seule maîtresse de son destin et de ses actes. Elle a préféré se rendre sur Kasr Gareth pour assister à la première d’une nouvelle version de ce marivaudage sirupeux, la Servante et l’Empereur. De toute façon, certains préparatifs de notre connaissance m’auraient empêché de lui accorder toute l’attention qu’elle méritait. J’ose espérer que vous l’excuserez donc, ajouta-t-il en laissant traîner la fin de sa phrase.

- Bien entendu, se hâta de dire le Princeps, sa venue ici n’était en aucun cas un sommation, tout juste une invitation. Parlant d’ailleurs de vos préparatifs, êtes-vous tout à fait prêt ?

- Faites confiance à l’amiral, intervint le Caldan. Il remuera ciel et terre pour tenir les délais : il suffit juste d’espérer qu’il n’aura pas été jusqu’à mettre en gage mon siège à l’Assemblée…

- Une idée intéressante, Représentant. Je ne manquerai pas d’y penser pour la prochaine guerre que vous déclencherez.

Le Princeps, sentant que la conversation allait vite dégénérer entre les deux hommes si rien n’était immédiatement fait, choisit ce moment pour se lever et avancer jusqu’à un micro placé devant lui.

- Taisez-vous maintenant, dit-il, je dois faire ce satané discours.

Il se racla discrètement la gorge. La tribune à son niveau était à deux mètres au-dessus de l’avenue où les troupes défilaient encore, et il pouvait voir la foule applaudir de l’autre côté. Sur un geste, les fanfares s’arrêtèrent, ne laissant que le bruit de millions de souffles en attente de son discours et de milliers de pieds bottés s’abattant en cadence sur le béton de l’avenue. Même derrière lui, les conversations s’étaient tues.

- Chers citoyens, nobles et roturiers, à vous tous qui m’écoutez, je vous souhaite tout d’abord de passer une aussi bonne journée que moi qui ait la joie de m’adresser à vous. Une grande joie, car, en vérité, cette année a vu l’aboutissement de plusieurs grandes mesures de mon principat : la sécurité a été renforcée dans les quartiers défavorisés par de nouveaux moyens de lutte contre les trafiquants d’organes, le taux d’imposition censitaire a été ramené à des limites raisonnables…

Après quelques phrases, Silvestri n’écoutait déjà plus. Il savait de première main que peu de promesses avaient effectivement été tenues : il ne s’agissait pour l’instant que d’une préparation à un futur discours électoral devant la Chambre, dont seuls les membres désignaient le Princeps. Il laissa le flot de paroles l’envelopper, le bruit des bottes le bercer, jusqu’à ce qu’il sente un changement d’intonation dans le discours. Le Princeps était arrivé à sa péroraison, où il étalait les griefs que le Protectorat avait à l’encontre de la République d’Ehlermann, le prélude à une déclaration de guerre en bonne et due forme. Puis le silence se fit. Etonné, Silvestri se focalisa sur le Princeps, ou plutôt sur la forme inanimée du Princeps s’abattant au sol. Le craquement d’un fusil laser flottait encore discrètement dans l’air.

- Sniper ! hurla quelqu’un, et puis ce fut le chaos.

Chacun sur la tribune se jeta derrière son siège ou n’importe quoi qui puisse le cacher à la vue d’un tireur. La panique s’empara de la foule qui chercha à fuir le dôme le plus rapidement possible. De nombreuses personnes furent piétinées dans la cohue. Les soldats du défilé et les gardes de faction, ébahis par ce problème nouveau, firent mouvement vers la position approximative du tireur. Un commandant perdit alors les pédales et ordonna à son unité de tirer dans la foule qui s’enfuyait. Grâce à l’intervention rapide d’un autre bataillon dont le chef avait gardé la tête froide, cette erreur dramatique ne fit que quelques dizaines de morts dans la population civile.
Après plusieurs minutes, les officiels eurent la confirmation que le tireur avait pris la fuite et entreprirent de se relever. Silvestri et Caldan s’approchèrent du Princeps : sa tête avait été carbonisé par la chaleur du laser. L’amiral évalua le résultat d’un œil admiratif, car une telle diffusion de chaleur n’était possible qu’avec un véritable fusil de sniper de l’armée. L’assassin avait donc accès à un véritable arsenal.


- C’est inutile, dit-il à l’équipe médicale qui se pressait vers le cadavre. Il est mort sur le coup. Mais qui a bien pu réaliser cette boucherie ? ajouta-t-il sans s’adresser à personne en particulier.

- Cela peut être n’importe qui, répondit le Caldan. Les trafiquants d’organe, Ehlermann, des terroristes quelconques…

Silvestri haussa les épaules et se retourna, commençant à lancer des ordres à tout va : il fallait sécuriser le dôme, empêcher la population d’en sortir, restreindre l’impact médiatique de l’évènement (même si l’assassinat avait été filmé en direct) et vérifier toutes les identités.

- Arrêtez, ce n’est pas votre travail. Vous devez prendre le commandement de votre flotte avant qu’ils en apprennent trop et commencer votre route vers Ehlermann. C’est à moi de m’occuper de tout ici. Ce n’est pas aux militaires de tremper leurs mains dans un assassinat, même terroriste.

L’amiral jaugea Caldan durant un long moment. Puis il hocha la tête.

- J’ai l’impression que je fais une terrible erreur en vous laissant aux commandes ici. Dépêchez-vous de faire aboutir l’enquête, dit-il en s’éloignant en courant.

Accompagné de son aide de camp et après avoir montré patte blanche à l’occasion d’un nombre assez impressionnant de barrages, il arriva au spatioport, où ne l’attendait nulle navette. Les galons de son uniforme l’aidèrent grandement à en réquisitionner une pour rentrer sur le Jotunheim où l’attendaient quelques officiers surexcités qui avaient été mis au courant.

- Que fait-on, maintenant, amiral ? demanda l’un d’eux.

- On appareille dans la minute pour la ceinture de Kuiper. On n’attend pas les destroyers, ils nous rejoindront en route. Ce soir, il nous faut avoir quitté la zone.

- Mais pourquoi tant de hâte ?

Silvestri soupira.

- Imaginez seulement que ce soit le fait d’Ehlermann. Ils doivent savoir alors l’heure du départ et il faut les prendre de vitesse. Je vais enregistrer un message pour la flotte, ils doivent savoir que l’ennemi est prêt à tout.

Quelques minutes plus tard, alors que le vaisseau commençait à résonner sourdement des trépidations du moteur hyperspatial, il se trouvait devant un enregistreur holographique et, plus loin, devant ses officiers d’état-major.

- Soldats, officiers, je m’adresse à vous pour vous faire part d’une mauvaise nouvelle. Notre Princeps a été assassiné ce matin lors de son traditionnel discours. Tout ce que l’on peut dire pour l’instant, c’est que l’assassin avait accès à du matériel militaire de haute technologie. Il apparaît donc probable que cet acte ait été commandité par l’ennemi que nous allons affronter, la République d’Ehlermann. Je vous demande donc à tous de redoubler d’efforts et de discipline, car notre adversaire sera plus fort et fourbe que de simples pirates. Ce sera tout.

Un silence suivit cette déclaration. Puis quelqu’un se décida à prendre la parole.

- Ehlermann, amiral ? demanda l’archevêque de la flotte. Ce sont pourtant comme nous de fidèles serviteurs de la Foi. L’archimandrite du Culte ne verra pas cette agression d’un très bon œil, et vos soldats non plus, s’ils sont de vrais fidèles.

Silvestri renifla dédaigneusement.

- Occupez vous d’abord des âmes, Monseigneur. La flotte obéit à mes ordres, et j’ai les miens. Je ne tolérerai pas d’insubordination sous mon commandement.

- Je comprends parfaitement votre position et je la soutiens, amiral, dit l’archevêque en s’inclinant. Je ne faisais qu’évoquer les inévitables retombées politiques que subiront les Confins, même si ce n’est pas notre problème.

- Exact, nous avons d’abord une flotte à détruire.
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De Vaanne
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeLun 12 Oct - 0:42

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La première cible de la flotte était le système d’Haalgsgard, composé d’une géante bleue et d’une unique planète si proche de son étoile que même les machines les plus résistantes ne supportaient que quelques jours l’avalanche de radiations dures crachées par le soleil. Les premiers explorateurs du système furent horrifiés par cet enfer radioactif et seul leur professionnalisme les poussa à accomplir le scan de routine avant de sauter en hyperespace vers des cieux plus accueillants.
Quelques mois plus tard, Haalgsgard recevait à nouveau la visite d’humains en la personne de dizaines de vaisseaux cargos dont la mission était de déposer les matériaux nécessaires à l’exploitation de mines de grande ampleur. Le scan si anodin avait en effet révélé que la planète était composée à plus de 95% de métaux lourds et exotiques comme l’amalathium. Ce métal, utilisé en infimes quantités pour le revêtement extérieur des moteurs hyperspatiaux des vaisseaux de ligne, avait la propriété de faire obstacles aux ondes hyperspatiales. Sans lui, ces splendides machines auraient eu toutes les chances de caler au démarrage.
En bref, l’Ancien Empire venait de mettre la main sur de l’or en barre, or qu’il exploita sans vergogne durant des décennies. Cela n’allait pourtant pas de soi tant les conditions de travail posaient problème. Pour alimenter les machines, on en était arrivé à la conclusion qu’il était impossible d’utiliser des centrales à énergie solaire : sans bouclier pour les protéger des radiations, elles cessaient rapidement de fonctionner. Avec, leur rendement chutait de façon si dramatique qu’il aurait quasiment fallu une centrale pour alimenter le bouclier de protection de la précédente. Les ingénieurs finirent par trancher la question en les remplaçant par des satellites solaires : ils auraient à alimenter moins de bâtiments au sol, et il revenait en réalité moins cher de venir les réparer dans l’espace que de bichonner une centrale, et ce malgré leur manque de protections.
Lors de la chute de l’Empire, la République nouvellement créée d’Ehlermann n’avait pas tardé à revendiquer sa souveraineté sur le magot représenté par ce bout de roches et de métaux désolé : alliée des Confins, ceux-ci n’avaient pas jugé utile de chercher à lui disputer malgré la proximité dudit caillou avec ses frontières.

On l’aura compris, ce complexe minier était d’une importance vitale pour la mise en œuvre des capacités militaires d’Ehlermann. Il fut donc très tôt classé comme site stratégique et à ce titre eut droit à la protection de vaisseaux réguliers de la flotte. Mais le temps passant, la frontière avec les Confins ne bougeait pas et la vigilance diminua : la défense effective, alors que la flotte des Confins se rapprochait, le montrait très bien. Elle était constituée de trois cuirassés hors d’âge, le Camporellon, le Valenvaryon et l’Azon, dont les équipements lourds avaient été remplacés par des batteries anti-unités légères destinées surtout à s’occuper des pirates qui s’en prenaient aux convois. Ces vaisseaux étaient en service depuis près cinquante ans et auraient du être vendus à la casse voilà vingt ans. Ils ne devaient leur survie qu’au fait qu’ils étaient devenus lors de leur carrière les idoles de la population, et celle-ci avait refusé des les voir disparaître. On leur avait donc tant bien que mal fabriqué un placard sur-mesure pour qu’ils y finissent leur vie sans faire de dégâts.
Ces données, l’amiral Silvestri les connaissait par cœur et les regardait machinalement pour tromper l’attente de la sortie hyperspatiale. Il ne s’attendait à aucune difficulté : trois cuirassés surclassés contre une flotte entière, quiconque ayant misé contre lui devrait réserver une chambre à l’hôpital le plus proche, et en urgence. Il releva la tête lorsqu’un officier s’approcha de lui.


- Nous sortirons de l’hyperespace dans quelques minutes, amiral. Quelles seront les règles d’engagement à transmettre ?

- Préparez une salve de torpilles à disruption de phase. Vous la lancerez à mon ordre. Ne devront par la suite intervenir que les vaisseaux lourds en opposition aux cuirassés et les frégates sur les satellites solaires.

-Quel sera le taux de pertes acceptables ?

Silvestri le fusilla du regard.

- Aucune perte n’est acceptable, et surtout pas dans un engagement aussi couru d’avance. Je ne tolérerai aucun raté de votre part, je le répète, car les vaisseaux de la flotte ne sont pas des pions.

- Bien sûr amiral, veuillez m’excuser, répondit l’officier tremblant.

Sans même daigner répondre, l’amiral reporta son regard vers les données qui défilaient sur l’écran de sa console.


Quelques petites minutes plus tard, comme prévu, la flotte des Confins sortait de l’hyperespace dans un déchaînement de fin du monde de particules exotiques, instables et hautement dangereuses échappées de l’hyperespace lui-même. Pour les défenseurs, c’était comme si l’apocalypse venait de toquer à la porte : les cuirassés levèrent l’ancre en catastrophe pour s’interposer de façon courageuse certes, mais suicidaire. En catastrophe, mais déjà trop tard : poussant leur vitesse au maximum, les frégates s’élancèrent vers les satellites laissés sans défense. Voyant cette tactique, l’ennemi hésita brièvement entre les poursuivre et présenter sa poupe au reste de la flotte ou faire front. Silvestri ne lui laissa pas le temps de se décider.


- Propulsion, passez en vitesse d’attaque. Menez nous bord à bord avec le Camporellon. Et faites passer le message, toutes les torpilles en direction du vaisseau central.

Un instant plus tard, le Jotunheim tout entier trembla lorsque les immenses torpilles furent violemment éjectées de leur logement pour se diriger vers leur cible. Les capitaines virent le danger et ordonnèrent à toutes leurs batteries de tirer sur les engins en approche. Bien leur en prit, certes, mais leurs artilleurs n’étaient pas assez nombreux pour contrer toute la menace. Les premières torpilles furent systématiquement détruites mais, au fur et à mesure de leur arrivée, ils étaient obligés d’en laisser passer, soit qu’ils n’avaient pas eu le temps de s’en occuper, soit qu’ils les avaient raté. Arrivées à leur objectif, elles détonnèrent. Rien de dantesque ou d’apocalyptique, rien qu’une petite déflagration invisible à l’œil nu depuis les vaisseaux. L’effet de la déflagration fut par contre bien visibles sur les boucliers des cuirassés : de grands arcs violacés commencèrent à courir dessus, mettant les générateurs à rude épreuve. En effet, ces torpilles généraient des champs capables de gêner gravement leur fonctionnement en accroissant l’activité qui leur était demandée pour maintenir les boucliers à leur niveau optimal. A plusieurs, les interférences étaient telles que l’intégrité du générateur était compromise. Curieusement, le dernier de la file, l’Azon, semblait résister le moins bien aux champs disrupteurs. Puis ce fut la torpille de trop : une explosion déchira son projecteur de champ de force et le bouclier, dans un dernier scintillement, s’effondra.

- Avons-nous la portée pour une deuxième salve ?

- Négatif, amiral, nous serions pris dans le rayon d’action du champ disrupteur.

- Le corps à corps, alors. A tous les cuirassés, engagement libre.

Silvestri jeta un coup d’œil à l’hologramme représentant sa flotte. Tout le monde avait bien compris le message et restait plus ou moins à sa place, sauf les cuirassés qui se déplaçaient pour engager le combat.

Manifestement, Von Raukov avait anticipé son ordre et son Incarnadine avait désormais une longueur d’avance sur les autres. En bon (et ancien) pilote, il se jetait sur le point faible du dispositif, la proie la plus faible et la plus accessible, l’Azon. Silvestri en aurait presque plaint le capitaine qui aurait à se coltiner un Von Raukov manoeuvrant son cuirassé comme un chasseur, toutes choses étant bien entendu égales par ailleurs.
L’espace entre les vaisseaux se remplit bien vite d’une multitude de faisceaux lumineux et de corps en mouvement, tout cela se faisant plus dense à mesure que l’espace diminuait. Après quelques minutes d’avancée, chaque camp s’était mis en ligne face à l’autre : l’avantage était nettement donné aux Confins : l’Incarnadine pilonnait méthodiquement l’Azon qui, avec ses tourelles légères et son bouclier en rideau, n’avait que l’excuse de sa masse pour n’avoir pas été d’ores et déjà démantibulé. Bref la bataille tournait pour le mieux.


- Amiral, les frégates rapportent une activité satellitaire suspecte.

- Précisez « activité satellitaire suspecte », lieutenant. Vous prenez de drôles d’habitudes à l’Ecole de guerre avec ce parler sibyllin, grommela Silvestri.

- Eh bien, il semblerait qu’ils se désynchronisent.

- Pardon ?

- Ils quittent leur orbite géostationnaire pour se rassembler en un même point après avoir coupé leur émission de micro-ondes à destination de la planète.

L’amiral se massa les yeux. Ce comportement était aberrant. Complètement illogique et dénué d’intérêt. Tellement d’ailleurs que cela cachait quelque chose. A moins que le gouverneur de la planète soit sorti du manuel du parfait incompétent, mais… non tout de même pas. Se couper volontairement de sa source d’énergie ? Et la… rassembler ?

- Combien de temps avant l’ouverture du tir par les frégates ?

- Quelques minutes encore, amiral.

Quelque chose clochait, Silvestri le sentait mais il ne pouvait pas dire quoi. Il fit afficher sur sa console les plans des satellites (tous construits en série selon quasiment le même plan d’un bout à l’autre de la galaxie) : des cellules photovoltaïques, des moteurs (au cas où), la chambre d’accumulation de photons, et… le canon à micro-ondes ?

- Armement, effectuez une simulation de projection de micro-ondes par des satellites sur des boucliers de frégate, immédiatement !

- impossible, amiral, nous n’avons pas de modèle qui corresponde.

- Amiral, les satellites positionnent leur canon à micro-ondes face aux frégates !

- Par l’enfer, rappelez les frégates, vite !

Bien vite, les frégates réagirent à l’ordre de Silvestri et la belle formation partie comme à la parade détruire quelques pauvres satellites éclata comme un fruit trop mûr : l’escadre complexe se désolidarisa en ses composants primaires, des petites formations de quelques vaisseaux qui avaient ordre de toujours combattre ensemble. Juste devant cette débandade, les satellites ouvrirent le feu : les flux d’onde réglés sur une forte dispersion s’abattirent sur un groupe précis de frégates et surchargèrent rapidement leurs boucliers non conçus pour résister à des attaques de souffle. Après les boucliers, les rayons s’attaquèrent ensuite aux coques et les firent fondre. Sous l’œil horrifié des officiers de la passerelle du Jotunheim, le 607ème groupe de frégates, soit cinq vaisseaux, fut rayé de la carte par une explosion après deux petites minutes de martelage intensif.

- Je savais que les boucliers de frégate étaient assez faibles, mais à ce point… Envoyez les croiseurs à leur place, ils vont moins faire les malins ! hurla-t-il. Bouclier à pleine puissance, je ne veux pas d’autres mauvaises surprises.

Puis il se tourna vers le groupe d’officiers qui manoeuvraient le Jotunheim.

- et vous, il explose, ce Camporellon ou il faut que j’appelle des renforts ?

- Leurs boucliers sont plus résistants que la fiche technique récupérée ne le laissait penser, amiral. Apparemment ils ont été trafiqués.

- Je ne veux pas d’excuse mais des résultats ! Débrouillez vous, vous avez toutes les ressources d’un cuirassé à votre disposition.

Il grimaça. Un deuxième groupe en pleine fuite venait d’être purement et simplement rayé de la carte. Décidément, ce gouverneur avait eu une bien trop bonne idée : qui aurait pu penser que de simples satellites solaires puissent être aussi dangereux une fois leurs systèmes informatiques détournés pour que le « canon » à micro-ondes puisse être tourné ailleurs que vers le récepteur ? Ils cessèrent soudain de tirer : les frégates venaient de passer hors de leur portée, remplacés par des croiseurs ivres de rage, des vaisseaux qui ne cédaient aux cuirassés que de quelques mètres et de quelques canons en moins. Les satellites n’eurent cette fois-ci aucune chance : ils eurent beau essayer, il leur était impossible de surcharger assez les boucliers pour faire de véritables dégâts. A l’inverse, chaque tir de leur adversaire en réduisait un en poussières cristallines. La bataille de ce côté se termina très vite.
Au niveau des cuirassés, l’Azon avait vu ses moteurs exploser dès les premiers instants : sans rien pour le propulser, il était lentement attiré par la gravité de la planète et irait s’écraser sous peu sur celle-ci. Le Camporellon et le Valenvaryon résistaient tant bien que mal, et plutôt mal que bien, aux trois autres cuirassés des Confins, le Jormundgand, le Jotunheim et le Coriolan. Après un bon quart d’heure d’échanges polis entre eux, le Valenvaryon préféra baisser pavillon. Resté seul, le Camporellon chercha à s’échapper de la nasse dans laquelle il s’était fourré. Il n’y arriva pas : un tir mieux placé que les autres détruisit la passerelle de commandement, et, profitant de la désorganisation, les autres le frappèrent à coups redoublés. Une explosion se produisit dans un entrepôt de munitions solides, gagna les ponts proches et se propagea jusqu’à la section qui faisait la liaison entre les quartiers habitables et la propulsion. Il se sépara alors en deux parties qui suivirent le chemin de l’Azon.


- Récupérez nos capsules de sauvetage, et repassez en hyperespace. Notre mission sur Haalgsgard est terminée.

- Que fait-on du dernier cuirassé, amiral ?

- attendez qu’il soit évacué et détruisez le.

- Bien, amiral. Et les mineurs sur la planète ?

- J’espère qu’ils ont autre chose pour se protéger des radiations qu’un bouclier qui n’a plus d’énergie. Ce n’est plus notre problème : ils ont voulu se battre avec les armes à leur disposition, grand bien leur fasse. Mais ils seront logés à la même enseigne que les équipages qui vont s’échouer avec eux.


Quelques minutes plus tard, la flotte rentrait de nouveau dans l’hyperespace en direction de sa prochaine cible, le complexe scientifique d’études génétiques sylvestres de la bien nommée planète Sylvemer, recouverte dans sa quasi-totalité d’une vaste et unique forêt. Il s’agissait cette fois ci, selon un but avoué et assumé, d’arriver comme des rhinocéros en pleine charge, de tout casser par un bombardement orbital et non nécessairement chirurgical puis de repartir aussi vite que l’on était venu. Le complexe, détenu par une entreprise publique d’Ehlermann, faisait des recherches sur la création de matériaux vivants et à haut pouvoir régénératif, pour l’instant totalement dénuées de succès, si ce n’était quelques arbres génétiquement modifiés pour plaire à une clientèle de luxe (il fallait bien remplir les caisses).
Les Renseignements n’avaient fait état d’aucune défense de quelque sorte que ce soit : pour une fois, Silvestri était raisonnablement confiant sur les capacités de sa flotte qu’il avait toujours tendance à rabaisser par pur esprit de contradiction. Par mesure de précaution, il était néanmoins resté sur la passerelle au moment du retour en espace réel.


- Nos senseurs ne relèvent aucune différence avec le rapport des renseignements, amiral. Le complexe est sans défense.

- Parfait, répondit Silvestri en pianotant sur quelques touches de sa console.

Après un court instant, la silhouette holographique de la commodore Richeau se matérialisa devant lui. Elle souriait.

- Je vous laisse le soin de l’attaque, à vous et vos canonnières. Cela ne devrait pas poser de problèmes.

- C’est un honneur, amiral.

Quelques secondes plus tard, Silvestri quittait sa passerelle alors que l’escadre de Richeau faisait route vers une orbite de bombardement optimale. L’amiral était retourné dans sa cabine, en réalité une suite composée d’un bureau, d’une chambre et d’une salle de réception, trois pièces accessibles de l’extérieur chacune par une porte différente pour ne pas tout mélanger. Il s’assit à son bureau, laissant glisser son regard sur les rares objets personnels posés dessus : l’holographe de sa femme, le sien lors de sa promotion au rang d’amiral et quelques souvenirs ramenés de ses différents lieux d’affectation. Derrière lui, le mur, en réalité un écran holovid, laissait apercevoir une perspective impressionnante sur les grandes Chutes d’Aberon, sur Silvestri : le fleuve se déversait de plus d’un kilomètre de hauteur jusqu’à l’océan en contrebas, séquelle d’une secousse terrestre particulièrement violente quelques centaines d’années auparavant. A l’échelle de l’Univers, ce paysage magnifique était voué à disparaître par l’effet de l’érosion. Il représentait pourtant Silvestri aux yeux de tous les Confins, et était même son emblème.
Il n’aurait su dire combien de temps avait passé lorsque son communicateur bipa furieusement.


- Quoi encore ? grogna-t-il, excédé.

- Il y a un problème, amiral. On a besoin de vous sur la passerelle.

Le lieutenant n’avait pas fini sa phrase que Silvestri bondissait déjà de son fauteuil comme s’il était monté sur ressorts et s’élançait vers la passerelle sur laquelle il déboucha comme un obus et manqua rentrer dans l’holo de la commodore, cette fois tout penaud.

- Qu’est-ce que c’est que ce bazar ? Personne dans cette satanée flotte n’est donc capable de détruire un bâtiment scientifique de seconde zone perdu sur une planète paumée sans un manuel ?

- Ce n’est pas tout à fait ça, amiral, répondit l’hologramme.

- Quoi alors ?

- Apparemment, une mutinerie a éclaté sur la canonnière Démolisseur. Elle s’éloigne de mon escadre avec l’intention de passer dans l’hyperespace.

Silvestri lâcha un juron particulièrement imagé et techniquement impossible.

- Communications, émettez en direction du Démolisseur.

Le lieutenant en question manipula quelques commandes avant de hocher la tête en direction de son amiral.

- Démolisseur, ici l’amiral Silvestri. Je veux parler au capitaine.

Personne ne répondit. Un silence de mort planait sur la passerelle.

- Faites préparer des torpilles de classe 10. Ce vaisseau ne s’en tirera pas intact.

Soudain, une voix rogue se fit entendre.

- Le capitaine est indisponible.

- Qui est en charge, dans ce cas ?

- Moi. Diacre Del’tarvis, fidèle serviteur du Culte et de la Foi.

- Vous êtes donc le meneur de cette mutinerie ?

- Ce n’est pas une mutinerie, amiral. Vous êtes par cette attaque de vos frères de culte un parjure de la Foi, et cela nul fidèle ne peut le tolérer. En vous abandonnant, je réponds à mon devoir.

- Ralentissez immédiatement et j’appellerai peut-être à la clémence pendant votre jugement, répondit un Silvestri blême de rage.

- L’équipage en est d’accord avec moi. Nous ne reconnaissons pas la justice des Hommes car elle n’est pas en accord avec les préceptes de la Foi.

Silvestri se tourna vers un lieutenant.

- Lancez les torpilles. Ordonnez aux chasseurs de les surveiller, qu’ils ne puissent pas s’échapper par navette. Exécution !

Les hologrammes des trois autres amiraux se matérialisèrent à cet instant.

- Autant de torpilles de type 10, c’est du gaspillage, remarqua Von Raukov.

- Cela va faire un joli feu d’artifice, aime ça, répondit Aelfwidh, enthousiaste.

La voix du diacre, paniquée, se fit à nouveau entendre.

- Vous venez de nous tirer dessus ! Quel genre de monstre êtes-vous ?

- Je suis un amiral qui veille à l’intégrité de sa flotte, car c’est un de mes devoirs. Et notamment, je dois me débarrasser des traîtres.

- Nous ne sommes pas traîtres : nous suivons les préceptes de la Foi !

- Peu importe, vous serez bientôt des traîtres morts.

- Alors, nous serons des martyrs.

- Grand bien vous fasse. J’espère que vous aurez assez de prières pour les… deux minutes et trente-neuf secondes qu’il vous reste à vivre.

Dans les secondes qui suivirent, les personnes sur la passerelle grimacèrent devant la bordée d’injures tandis qu’un Silvestri impavide égrenait les secondes avant impact. Le canal de communications laissa entendre des éclats de voix : quelques mutins n’étaient apparemment pas enthousiastes sur leur future martyrisation. Alors qu’il ne restait qu'une quinzaine de secondes, le camp de ceux qui préféraient se rendre fit valoir ses arguments et le diacre, d’une voix quelque peu pressée, offrit sa reddition.

- Faites arrêter votre torpille ! nous nous remettons entre vos mains !

Silvestri fit un geste.

- Mettez les torpilles en attente. Et vous, diacre, désactivez votre armement léger, abaissez vos boucliers et préparez-vous à être abordé.

Il coupa la communication.

- Que quelqu’un s’occupe de les mettre au secret sur des bâtiments différents. Navigation, indiquez à la flotte un rendez-vous dans l’espace profond entre ici et Altéris, que nous puissions y tenir une cour martiale sans être dérangés. Richeau, occupez vous-en, le Démolisseur était de votre escadre.
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De Vaanne
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeLun 19 Oct - 0:34

La guerre des Confins 091018111519362173




Conformément aux ordres de Silvestri, la flotte des Confins sortit de l’hyperespace dans son immensité et son intégralité à mi chemin entre Sylvemer et Alteris, en plein milieu de l’espace profond. Jamais portion de l’espace n’avait mieux mérité ce nom : il n’y avait positivement rien ici, si ce n’étaient quelques particules de gaz qui s’étaient retrouvées ici on ne savait trop comment, et des quantités faramineuses de matière sombre, que par définition les scientifiques n’arrivaient toujours pas à quantifier et à localiser. L’étoile la plus proche se situait à près de 6 années-lumière d’ici et ne possédait de toute façon aucune installation humaine. Le signe de civilisation le plus proche d’ici était en réalité le système double d’Altéris et son gigantesque chantier spatial à la fois civil et militaire. Bref, rien qui a priori ne puisse intéresser une flotte dont le but avoué était le pillage et la destruction des moyens de production et de la flotte ennemis. Sauf si la flotte en question avait une bonne raison de se faire discrète, pour se livrer au règlement de ses propres affaires internes.
Tout avait d’ailleurs été prévu dans les moindres détails : dès l’arrivée de la flotte, les vaisseaux prirent une position défensive pour pallier toute éventualité certes improbable mais hautement désagréable, tandis que de leurs flancs sortaient des nuées de navettes qui avaient pour seule direction le Jotunheim, où se tiendrait la cour martiale. Parmi elles, la quasi-totalité se trouvait être les navettes personnelles des capitaines de la flotte. Les exceptions, bien plus volumineuses, décollèrent de différents vaisseaux pour converger aussi vers le cuirassé : portant les marques de la police militaire, elles amenaient vers leur tribunal les mutins du Démolisseur.
Au grand dam des régulateurs de docks et des hangars, tous les capitaines semblaient s’être donné le mot pour arriver chacun de leur côté sans concertation d’aucune sorte : les cieux entourant le vaisseau amiral étaient encombrés comme jamais et il fallut une petite heure pour résoudre cet embouteillage monstrueux, tout en ménageant à la fois l’ordre d’arrivée, les priorités et les préséance. La cohue s’était poursuivie jusqu’à la grande salle de réception du Jotunheim où aurait lieu l’audience : les discussions allaient bon train dans ce lieu où le volume sonore dépassait celui d’un marché aux poissons. L’ambiance était bon enfant, avec beaucoup d’éclats de rire et de pronostics confiants sur l’issue de la guerre : le plan de Silvestri avait déjà la réputation d’être imparable. Tous les corps étaient représentés : le bleu amiral, en nette infériorité, le vert bouteille des destroyers, le gris des bombardiers dont la plupart étaient légèrement mal à l’aise au vu des récents évènements dont ils ne savaient de quel côté se ranger, le noir des frégates et le rouge de la chasse qui ne ratait aucune occasion de se faire remarquer. Il faut noter sur ce point une légère particularité : tous les présents étaient au minimum commandant d’un vaisseau et avaient à ce titre le grade de capitaine. La chasse, quant à elle, avait dépêché ses propres capitaines qui ne l’étaient pas au sens propre car ne commandant pas un vaisseau mais une escadrille. Leurs collègues en profitaient pour les regarder un peu d’en haut. On considérait principalement qu’ils ne servaient qu’à la discipline et pas à la tactique comme le devait tout «véritable » capitaine de vaisseau. Moyennant quoi ces mêmes capitaines étaient bien contents de voir une escadrille défendre leurs flancs lors d’une bataille, ce qui faisait que les insultes voilées restaient le plus souvent dans les limites du raisonnable.
La salle avait été aménagée de façon à répondre aux antiques coutumes régissant une cour martiale, avec quelques concessions à la modernité : vers le fond de la salle une large table avec trois micros pour les juges, juste derrière elle le projecteur holographique de la passerelle avait été transféré ici pour afficher la Rose des Confins. Devant la grande table et perpendiculaire à elle, une autre plus petite pour l’accusation. Les accusés étaient au milieu de la salle, avec également leur table, de bien plus petites dimensions. Le public, fort nombreux, était cantonné sur des gradins sur les côtés et sur toute la longueur de la salle, de la porte à la place des juges.
Le bruit des conversations s’éteignit très vite lorsqu’au fond de la salle, une porte s’ouvrit pour laisser entrer quatre personnes qui vinrent prendre place, trois ensemble et la dernière près d’eux mais séparée. Silvestri s’éclaircit la gorge.


- Nous sommes ici pour régler une désagréable tâche, mais néanmoins indispensable pour le bien des Confins. Conformément aux dispositions du Code de justice militaire, les trois officiers les plus gradés tiennent lieu de juge, savoir moi, amiral Silvestri, accompagné des amiraux Von Raukov et Delervis. La Voix de la flotte sera représentée par la supérieure hiérarchique des accusés, la commodore Richeau. La Cour rappelle au public qu’il n’est ici que toléré et qu’il serait bel et bon qu’elle n’ait pas à faire usage de la force pour maintenir l’ordre. Que l’on fasse maintenant entrer les accusés.

A l’autre bout de la salle, la grande porte s’ouvrit et laissa passer deux personnes : dans son uniforme gris, le capitaine Salcroit du Démolisseur, hagard. L’autre silhouette n’était autre que le diacre Del’tarvis, l’homme qui semblait avoir pris la tête de la mutinerie.


* * *


A des centaines d’années-lumière de là, une autre réunion officielle se tenait sur Valcyria, et plus précisément dans le temple de la politique, des magouilles et des maîtres des Confins, la Salle des Réunions. Les honorables Représentants étaient en ce jour convoqués pour une session ordinaire où ils auraient le droit de présenter librement leurs projets et d’en discuter à leur guise. Une grande minorité avait pris cette convocation pour une incitation à quelques jours de vacances dans leurs résidences de fonction luxueuses des dômes les plus côtés de Valcyria., ce qui faisait qu’à peine plus de la moitié des Représentants étaient présents et s’ennuyaient comme des rats morts. Le Silvestri détaché ici, lointain cousin de l’amiral et Représentant de sa planète qui portait le même nom selon la coutume, n’était pas loin de penser que les déserteurs avaient eu raison : il en était réduit à faire une partie d’échecs sur informatique avec la Saveuze assise juste à côté de lui, laquelle était d’une faiblesse à faire peur. D’un geste négligent, il ordonna à un de ses fous d’aller prendre la dernière tour ennemie tout en regardant distraitement la tribune du Princeps. Celle-ci, jusqu’à la prochaine élection prévue dans quelques jours était occupée chaque jour par un Représentant différent. Aujourd’hui était le tour du Représentant Baldréon, l’air un brin fatigué… après tout, sa Gens venait de sauver les meubles dans l’OPA qu’avaient lancé les Verdennyi contre elle, et ceci grâce à un courageux combat d’arrière garde sans doute pas totalement légal. La Gens y avait laissé la moitié de ses actifs mais le résultat restait positif : la planète n’avait pas changé de mains, ce qui n’aurait manqué d’inquiéter la grande majorité des Représentants devant le doublement de la puissance politique Verdennyi. Le conseil dirigeant Baldréon, une fois l’alerte et la crise de nerf passées, venait de lancer une vaste enquête interne pour découvrir comment leur faille financière avait pu venir aussi vite aux oreilles de leurs ennemis. Les Verdennyi riaient à s’en tenir les côtes et certains Baldréon commençaient à trembler dans leurs bottes, de peur qu’une enquête poussée ne mette au jour quelques affaires de famille pas claires. En bref, des têtes allaient tomber et les pronostics allaient bon train sur le premier à faire ses valises pour un avant poste éloigné.

Le Silvestri dressa l’oreille, intéressé. Le Princeps venait d’appeler un nouvel orateur à la tribune.


- Dites, Saveuze, l’orateur qui arrive, l’Essèney, c’est bien un affilié Caldan ?

- Complètement. Pour un peu leurs Représentants seraient livrés sous garantie. Illimitée, ajouta-t-elle ave une moue de mépris.

- N’oubliez pas que vous êtes dans la même situation par rapport à ma Gens, sourit son interlocuteur. Ce que je vous demande de voter, vous le faites.

- Nul besoin de me le rappeler. Mais les Essèney ne sont qu’une maison mineure, sans aucun poids politique d’importance. Ils ont décidé de s’attacher aux basques des Caldan pour survivre. Ils ne prennent jamais aucune initiative, car ils ont peur des conséquences. Bref, des lèches bottes et des lâches. Nous, nous avons, et c’est l’évidence même, une communauté d’intérêts, n’est-ce pas Représentant Silvestri ?

- Bien sûr, bien sûr… Attendez, répétez ce que vous avez dit ! dit-il en se tournant d’un bloc vers son interlocutrice.

- Qu’ils sont des lâches ? C’est une évidence, il suffit d’éplucher un tant soit peu la gestion de leurs titres pour voir la frilosité de leurs placements. Aucune Maison un tant soit peu ambitieuse agirait d’une toute autre façon.

- Non, juste avant. Est-ce véridique qu’ils ne prennent jamais d’initiatives lors des séances des Représentants ?

- véridique et prouvé, vous dis-je, répondit Saveuze en jetant un œil sur sa console. Depuis que leur planète a été intégrée aux Confins, aucune proposition de loi, aucune participation aux services du Princeps, quelques rares propositions de mesures, et… ah, je vois le problème.

Silvestri regardait maintenant fixement l’Essèney qui triait ses papiers sur le pupitre. Il serrait convulsivement son stylet comme si c’était la dernière chose qui le retenait à cette terre.

- Oui. Ce qu’il va nous proposer ici ne vient pas de lui, mais des Caldan…

- Ca sent le roussi. Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir proposer ?

- Pas la moindre idée, il va falloir attendre. Mais je serais prêt à parier mon siège sur un coup en traître comme ils savent si bien les faire de ce côté de la salle…

- Ne comptez même pas sur moi pour tenir le pari, je me ferais lyncher par ma Maison…

Entre temps l’orateur avait fini de ranger ses notes en un petit tas bien ordonné devant lui et s’éclaircissait la gorge. On sentait très bien, même du haut la salle des Réunion, qu’il n’était pas du tout habitué à prendre la parole devant si auguste Assemblée.

- Honorables Représentants, vénérés collègues, vous n’imaginez pas le plaisir que j’ai à prendre la parole devant vous.

Cependant le premier rang des auditeurs, s’il ne percevait pas les trémolos de stress que l’Essèney essayait de cacher de son mieux, il voyait parfaitement ses mains trembler et les feuillets bouger comme animés d’une vie propre.

- Malheureusement, mon passage sur ce pupitre à d’autres objectifs que de vous faire part de mes sentiments. Non, de ce sentiment serait plus exact. En effet je voudrais vous dire ma déception, vous montrer ma colère devant un parjure. La trahison de la parole donnée, une des choses les plus haïssables qui soient dans cet univers rempli de cruauté, le retournement de veste, l’oubli de l’honneur, bref, la mise à l’écart de tout ce que les peuples civilisés chérissent.
Cela est inadmissible, vous le conviendrez vous-même. Si l’on ne peut se confier à la parole, à la foi jurée de nos interlocuteurs pourtant honorables, à qui pourrions nous nous adresser ? Aux espèces autochtones qui peuplent nos planètes, peut-être ? Ces espèces qui ne comprennent pas l’idée de la promesse ? Impossible, ce qui nous caractérise, nous humains responsables, c’est notre capacité à nous engager et à honorer nos engagements. Et pourtant il semble que ce ne soit pas toujours le cas, même parmi nous. Oui nous ! C’est parmi cette Assemblée que se trouve la cible de ma colère, la cible de la diatribe que je vous assène. Elle devrait se reconnaître, d’ailleurs.
Pour en connaître la cause, revenons quelques mois en arrière lorsque le Représentant Valcyrian proposa un plan d’aide aux Planètes Extrêmes, plus connues pour la faiblesse de leur développement économique que pour leur poids politique. Geste altruiste de sa part que d’aider les faibles, lui dont la planète concentre les principales industries lourdes des Confins et la quasi-totalité des institutions politiques. Geste altruiste et geste suivi : jamais les Planètes Extrêmes dont je suis l’un des Représentants n’auraient pu penser qu’un tel débordement de solidarité se ferait jour pour nous aider. La mesure fut donc adoptée à la quasi-unanimité.
Nous pensions que notre faiblesse ne serait dès lors plus qu’un mauvais souvenir, et pourtant… la guerre fut déclarée. Je ne critiquerai pas les motifs ni la volonté résolument perverse de certains, à commencer par le Représentant Caldan, à vouloir nous engager dans les liens de la guerre et du sang, j’en critiquerai seulement le moment, la précipitation dans laquelle cette décision fut entérinée à l'unanimité par l’Assemblée. Je ne puis en effet comprendre pourquoi cela fut décidé en une simple journée, contre l’avis de la flotte elle-même…


L’idée traversa au même moment les esprits du Silvesti et de la Saveuze : refermer leur bouché bée d’étonnement et de désarroi. Après un instant pour se remettre de leur émotion, ils échangèrent un regard :

- Mais qu’est-ce que cette histoire ?

- Je n’en sais absolument rien ! Un esclave Caldan qui tape sur son maître… c’est tout à fait nouveau. Le Caldan se fait-il vieux pour ne plus les tenir ?

- Même sur son lit de mort il continuerait à intriguer. Non, il y a forcément une explication… regardez, dit soudain le Silvestri en tirant la manche de son interlocutrice.

Il désignait le Représentant Caldan qui avait peint sur son visage un air d’innocence blessée. Or, les deux autres avaient amassé assez de renseignements sur lui pour prédire avec une certaine précision ses réactions. Devant un tel tissu d’insultes, il aurait du exploser de rage depuis plusieurs minutes. Dès lors, ne restait qu’une seule explication.

- Tout est téléguidé par le Caldan, ça ne fait pas un pli. Il vient de se faire traiter de va-t-en guerre sans cœur, de parjure, presque de traître à la noblesse, et il donne l’air de s’être fait reprendre sur les projections financières de sa Maison. C’est totalement hypocrite.

- D’accord, mais pourquoi ? Ca n’a pas de sens de juste permettre à un sous fifre de vous insulter en public. Si j’étais à sa place, l’autre aurait déjà son nom sur liste noire.

- Je crois qu’on va le savoir très vite. Ecoutez le.

- En conséquence de quoi, et pour que cette Auguste Assemblée ne soit pas parjure à sa promesse, je recommande l’adoption d’une mesure d’urgence visant à acheminer l’aide promise aux Planètes Extrêmes. Pour ce faire, je propose que le Protectorat des Confns émette un ordre de réquisition de la flotte de l’Organisation des Libres Marchands, à charge pour lesdits Confins de les dédommager ultérieurement à hauteur du préjudice subi. Au vu de l’urgence de la mesure, je demande également en tant qu’auteur que son avenir soit décidé dans la journée, ce qui nous laisse quelque sept heures avant le vote.

- De quoi ? Réquisitionner la Guilde ? hurla le Silvestri avant de se rendre compte de son mauvais réflexe.

- Représentant Silvestri, s’indigna le Princeps, je vous rappelle que vous n’avez pas encore droit à la parole. Au prochain scandale, je vous fais évacuer manu militari de la salle.

Il se tourna vers l’Essèney alors que le Silvestri s’inclinait pour platement s’excuser.

- Orateur, veuillez poursuivre je vous prie.

- Mais qu’est-ce qui vous a pris, enfin ? murmura la Saveuze. Cette mesure n’est pas si grave, et ce n’est que justice. Ils l’attendent depuis si longtemps.

- Si, c’est grave, dit le Silvestri, blanc comme un linge. Pour preuve, ça vient de Caldan.

- Et alors, ça ne vous concerne pas ?

- Si, justement. Pour le bien de Silvestri et des Confins, cette mesure ne doit pas passer. Faites le savoir à tout le groupe, qu’il vote contre quoi qu’il arrive. Et vous, dit-il en foudroyant du regard le Représentant Tharin assis devant lui et qui le regardait d’un air goguenard, faites une projection du vote, organisé immédiatement.

La Saveuze le regarda d’un air dubitatif. En proie à la nervosité, elle triturait mécaniquement ses bagues à s’en irriter les jointures.

- Le groupe entier a fait savoir qu’il obéirait. Mais les Représentants des Extrêmes m’ont indiqué qu’en votant contre leurs intérêts ils mettaient leur carrière politique en danger…

- Ils auront une récompense, mais d’abord parons au plus pressé. De toute façon, rien que le plaisir de mettre de bâtons dans les roues des honorables Représentants du bord d’en face sera suffisant.

Il fut interrompu par le représentant Tharin qui avait pris sa tête des mauvais jours, celle d’un bouledogue à qui on venait de marcher sur la queue.

- A cette séance sont présents 609 Représentants de tous bords confondus. 278 de notre côté, 265 du côté Caldan et 66 non alignés. Nous avons donc treize voix d’avance, Caldan a mal calculé son coup, sachant que les non alignés se scindent généralement en parties à peu près égales.

- Ça ne marchera pas cette fois-ci. Qui sont-ils ces non alignés ? Beaucoup d’Extrêmes ?

- 32, grimaça le Tharin. Excusez moi, il en reste donc 34 qui suivront le schéma de vote habituel.

- Ce qui fera au final… 295 voix contre, et 314 pour, et nous perdons de 19 voix dans l’affaire.

- Cela semble mal parti.

- Pas nécessairement. Ah, il a fini de discourir, répondit le Silvestri en se levant d’un air digne et en regardant le Princeps dans les yeux.

- Vous souhaitez intervenir, Représentant Silvestri ?

- Tout à fait, Princeps. Je conçois parfaitement l’urgence que l’intervenant Essèney souhaite imposer dans l’adoption ou le rejet de sa mesure, mais il ne peut également manquer de comprendre l’importance et la gravité de ce qu’il propose. Moi, Représentant de ma Famille, n’ai pas le pouvoir de l’engager de telle façon et je pense que peu de Représentants le peuvent ici. Je demande donc une interruption de séance d’une trentaine de minutes, de façon à ce que nous puissions tous nous entretenir avec nos Conseils familiaux.

- Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre une demi heure en bavardages inutiles ! s’insurgea l’Essèney.

Le Princeps soupira.

- La requête du Silvestri est compréhensible : la séance est suspendue pour une demi-heure.

Dans un vacarme qui évoquait l’envol d’une nuée de moineaux, les Représentants sortirent de la Salle, la plupart pour aller discuter tranquillement dans les salons attenants et certains pour suivre la proposition du Silvestri. Ils se verraient pour la plupart répondre plus ou moins aimablement (suivant l’heure de réception de l’appel) de suivre simplement la position du groupe auquel la famille était affiliée. Le Silvestri, quant à lui, ne prit pas la peine de contacter son Conseil : d’une, ils étaient généralement en complet accord et de deux, il connaissait d’ores et déjà sa réponse : « Laissez la Guilde tranquille ! ». Il s’attela donc à distribuer des ordres à son groupe :

- Saveuze, préparez-vous un discours rapide pour vous opposer à la motion. Ce sera vous qui partirez en première ligne, trop dangereux de voir un Silvestri s’opposer frontalement. Tharin, contactez tous nos Représentants qui ne sont pas venus et dites leur rappliquer ici avant minuit s’ils tiennent aux subventions pour leur planète. Quant à vous, ajouta-t-il en se tournant vers le Représentant Lellida, contactez discrètement quelques Représentants des Extrêmes et offrez leur jusqu’au double de ce qu’ils auraient reçu avec cette motion pour voter contre.

- Et vous donc ?

- Moi ? Je vais discuter avec le Caldan. Toute cette histoire n’est que trop louche.


* * *


Dans la grande salle du Jotunheim, un silence absolu s’était fait à la déclaration de Silvestri et on n’entendait plus que quelques toussotements et bruits de botte raclant le parquet. Sa voix semblait avoir réveillé le capitaine Salcroit qui le chercha du regard comme pour le défier de l’accuser d’un quelconque crime. Silvestri préféra ne pas rechercher la confrontation tout de suite et enchaîna.

- Nous allons maintenant tous, accusés et membres de la Cour, prêter serment aux Confins. Si des membres de l’assistance souhaitent faire de même, qu’ils y soient autorisés. Capitaine Salcroit, je suppose n’avoir pas besoin de vous rappeler les formes du serment ?

Pour toute réponse, le capitaine dégrafa son ceinturon et en enleva son sabre de commandement dans son fourreau qu’il tint devant lui horizontalement. Les autres firent de même.

- Nous amiraux, commodores ou capitaines, nous soldats des Confins, réaffirmons ici solennellement notre foi jurée, le serment qui fut et est le nôtre de chérir, protéger et défendre le Protectorat, notre nation. Nous n’oublions pas les responsabilités que cela implique, et que si nous avons été nommés au poste que nous occupons, c’est que nous avons été jugés dignes de les supporter. A ce titre, ce serment qui est le nôtre n’engage pas seulement nos actes mais également ceux de nos subordonnés, pilote ou technicien, officier ou marin, effectués dans l’exercice de leur fonction.
Loyauté, Honneur, Victoire, nous jurons d’apporter tout cela aux Confins. En cas d’échec, nous ne demandons que la mort, car seule la mort met fin au devoir.


Après ce serment, tous rattachèrent leur sabre et s’assirent, sauf Salcroit qui le laissa bien en évidence devant lui, posé sur sa table.

- Nous allons maintenant procéder à la lecture de l’acte d’accusation, dit Delervis en regardant un papier posé devant lui. L’équipage de la canonnière Démolisseur s’étant scindé en deux groupes dont l’un a pris les commandes du vaisseau pour s’éloigner du champ de bataille, celui-ci est chargé de trahison, collusion avec l’ennemi, mutinerie, abandon de poste, fuite devant l’ennemi, mise en balance de la réussite d’une opération militaire en territoire ennemi et mise en danger d’une partie de la flotte. Est compté dans ce groupe le diacre Del’tarvis détaché sur le Démolisseur par le Culte Vordite pour prendre soin des âmes de nos marins.
Le capitaine Salcroit, en charge de la canonnière Démolisseur, est quant à lui accusé de trahison passive au motif de n’avoir pas pris toutes les précautions nécessaires destinées à prévenir une telle regrettable occurrence.
Les accusés ont-ils quelconque remarque préalable à l’audience à nous faire part ?


Salcroit et Del’tarvis se levèrent d’un même mouvement. Ils se regardèrent un bref instant avant que le second n’abandonne la partie et ne se rassoie.

- Je suis le capitaine de canonnière Tossin Salcroit, fils du Représentant Salcroit. Notre planète est renommée pour ses soldats, forgées par les rudes conditions de notre mère planète. La Haus Salcroit est honorable et ancienne, et l’un de ses membres joua un certain rôle lors de la Journée des Destroyers. En conséquence de quoi, je ne considère pas que cette Cour soit en droit de me juger pour le crime qui m’est imputé. J’estime que seul le tribunal des Représentants a la compétence pour juger un noble d’aussi importante lignée.

- Nous allons en juger immédiatement, capitaine. Et vous, diacre, que souhaitiez vous dire ?

- Ma remarque aura le même effet que celle du capitaine à mes côtés. Je suis un fidèle serviteur de la Foi, détaché dans cette flotte pour des motifs d’ordre cultuel. Lorsque j’ai pris les ordres, j’ai juré d’abjurer ma nationalité pour ne plus me consacrer qu’à la Foi. Une Cour martiale ne pourrait juger un Ehlermannien ; elle ne peut donc me juger : seul le tribunal d’Inquisition le peut.

Silvestri grogna d’exaspération et appuya d’un geste rapide sur le bouton qui éteignait son micro. Ses collègues firent de même et entrèrent aussitôt en grand conciliabule. La salle retenait son souffle, Salcroit restait stoïque, mais le diacre ne pouvait retenir sa nervosité et n’arrêtait pas de croiser et décroiser les mains. La discussion entre les juges semblait animée avec ce qui semblait être une prise de bec entre Silvestri et Delervis. Puis le conflit sembla se résoudre, le premier marqua quelques mots sur un calepin et ralluma son micro.

- La Cour a jugé souverainement que les exceptions invoquées par les accusés étaient irrecevables. Elle comprend leurs arguments qu’en d’autres circonstances elle aurait accueilli, mais à situation particulière conséquences particulières. Au capitaine Salcroit nous répondrons que la flotte ne peut se permettre d’attendre aussi longtemps pour que soit jugée une affaire qui pourrait avoir de graves conséquences sur le moral de ses équipages. Au diacre Del’tarvis, nous répondrons que les accusations portées contre lui sont d’une telle gravité qu’elles touchent à sa probité même et à la nature de son engagement envers les Confins. Qu’à ce titre, seul une Cour des Confins peut en juger. La parole est maintenant à la Voix de la flotte, pour entendre ses arguments.

- Merci amiral. Je rappellerai tout d’abord les faits, de peur que certains ne les aient oubliés. Avant-hier 25ème jour du mois d’argentée, la flotte est entrée dans le système de Sylvemer pour y conduire une opération militaire d’importance stratégique. Ladite opération ne fut réalisée que par des canonnières placées sous mon commandement direct. L’ordre d’engagement fut donné à 1703 heure de la flotte et les premiers tirs ont commencé à 1705 et 20 secondes. A 1712 et 34 secondes, mon PC stratégique a relevé une irrégularité dans la trajectoire du Démolisseur, irrégularité qui a pris de l’ampleur pour conduire à un retrait pur et simple de la canonnière du lieu de la bataille vers un cap de retrait hyperespace, et ce en totale violation de mes ordres directs et de ceux de l’amiral Silvestri. Les équipes de police militaire dépêchées sur place une fois le vaisseau stoppé ont relevé des traces de lutte, l’enfermement de divers officiers dans leurs cabines ainsi que du capitaine et ont constaté plusieurs décès dont l’autopsie révèle qu’ils ont été provoqués par des armes contondantes utilisées par certains marins lors de ces évènements.
Sous la foi des témoignages de ces policiers militaires et des aveux libres de plusieurs des marins impliqués, il est notoire que ceux-ci, du moins ceux qui ont été pris les armes à la main ou aux commandes du vaisseau, sont au minimum coupables de mutinerie. Rien n’indique venant d’eux quelconque trahison. Le témoignage du capitaine Salcroit corrobore ces informations.


- Tout cela est-il vrai, capitaine ? demanda Von Raukov.

- Entièrement vrai, amiral. J’ai moi-même vu cette bande de mutins conduite par mon diacre faire irruption sur la passerelle et battre à mort plusieurs opérateurs qui essayaient de s’interposer.

- Le but n’était pas de les tuer, s’insurgea Del’tarvis, dans le feu de l’action, leurs actes ont dépassé leur volonté.

- Voilà qui est fort regrettable pour des marins surentraînés, fit remarquer Von Raukov. Nos procédés d’entraînement psychologiques seraient-ils à ce point déficients ?

- Ce n’est pas mon problème. J’avais bien précisé que toute mort pèserait dans la balance lors de la pesée de leur âme.

- Vous avez ? releva Richeau. Intéressant, vous avouez donc être l’instigateur et le meneur de cette mutinerie ?

- Ce que vous appelez mutinerie, je l’appelle un acte de foi. Ehlermanniens et gens des Confins sont tous frères, adeptes de la Foi. C’est péché que de déclencher une guerre fratricide comme vous l’avez, vous amiraux mécréants.

- Evitez d’insulter la Cour, rugit Von Raukov, ou votre procès se déroulera sans vous.

- Je dis que l’on ne peut juger ce que l’on ne connaît pas. Cela signifie que vous ne pouvez pas me condamner selon votre mode militaire de pensée, moi qui agis en fonction des intérêts de la Foi, et de la foi seule. Si je juge que les actions des hommes dont j’ai la charge des âmes s’oppose à la grandeur de la Foi, j’ai le devoir de les remettre dans le droit chemin.

- Au prix de leur engagement temporel et de leur serment de fidélité envers leur Nation ? Vous leur dites de faire le bien, d’éviter la mort des Ehlermanniens, alors que pour eux, seule la mort les attend au bout du chemin ? C’est d’une rare hypocrisie.

- Faites attention, commodore, remarqua Delervis, nous n’avons pas encore jugé ni défini de peine pour lesdits marins.

- Oui amiral. En vérité, diacre, vous avez bien poussé à la rébellion envers l’autorité supérieure ?

- J’ai obéi à l’autorité spirituelle, la seule qui compte.

- Pour ce faire, vous avez effectivement pris le contrôle de la mutinerie et l’avez menée jusqu’à sa fin ? Ne niez pas, vous avez répondu lorsque l’amiral Silvestri demanda à parler avec un responsable.

- Je ne nie rien. De votre point de vue, vous avez sans doute raison. Du mien, j’ai louablement rempli mon obligation de préserver la grandeur de la Foi. Repentez-vous de vos péchés, ajouta-t-il une lueur de folie dans le regard, et vous parviendrez peut-être à sauver votre âme, mécréants. Abandonnez cette folle idée de faire du mal à vos frères, et lancez une croisade contre l’hérésie Erveniste, pur gagner le pardon du Culte Vordite et de la Foi.

- Taisez-vous ! hurla Silvestri. Cessez ces paroles séditieuses si vous tenez à votre langue ! Richeau, continuez votre travail.

- Je m’intéresserai désormais au cas du capitaine Salcroit, répondit-elle en s’emparant d’un autre feuillet sur sa table. Capitaine, je pense n’être pas la seule personne étonnée de voir qu’une mutinerie organisée par un non soldat puisse aussi facilement aboutir.

- Un non soldat, certes, mais disposant des accès les plus hauts à part moi et rejoint par plus de la moitié de mon équipage.

- Ce qui m’amène à un autre point. Comment la moitié de votre équipage peut-elle avoir été engagée dans une action séditieuse sans que vous en soyez le moins du monde informé ?

- Ce qui se passe dans le lieu saint de la chapelle, commodore, est hors de ma compétence, selon les termes du synode de Nephilim, qui stipule qu’un lieu réservé doit être tenu à disposition des hommes d’Eglise.

- Et le Code de Justice militaire dispose que vous devez réprimer avant sa mise en œuvre toute tentative de trahison.

- Depuis quand un Code des Confins peut-il victorieusement s’opposer à un accord intergalactique ? Le Protectorat s’est engagé à respecter ce Synode, et cela passe par le respect par le Code de Justice de ces obligations.

- Même un accord entre les Confins et d’autres entités politiques ne peut vous conduire à trahir les Confins. Vous avez obligation d’assurer la sécurité sur l’intégralité de votre canonnière, chapelle incluse. De plus, au déclenchement de la mutinerie, pourquoi n’avoir pas isolé la chapelle qui servait de point de départ ? Pourquoi n’avoir pas ordonné à la sécurité du vaisseau de prendre les mesures qui s’imposaient ?

- Parce que je pensais pouvoir les ramener à la raison sans avoir besoin d’utiliser la force, et accessoirement de faire des trous de grenaille dans les parois de mon vaisseau…

- On ne discute pas avec des mutins !

Richeau semblait choquée qu’une telle éventualité ait traversé l’esprit de son capitaine.

- De plus, il entrait dans les règlements secrets envoyés à chaque capitaine lors que leur prise de commandement que, lors d’une telle éventualité, vous auriez du condamner les sections touchées et effectuer une décompression totale.

- Pour tuer une majeure partie de mon équipage, dont une grande partie d’innocents ? Ces règlements ne sont qu’incitatifs et n’ont pas à être pris au pied de la lettre.

- Ils portent pourtant bien la mention « obligatoire » sur la première page.

Salcroit ne daigna pas répondre. Richeau sourit et se tourna vers la Cour.

Je n’ai rien de plus à ajouter.

- Fort bien, commodore. Vos réquisitions, dans ce cas ?

- Pour les mutins, la mort. Pour le diacre Del’tarvis, la mort. Et pour le capitaine Salcroit, la privation de commandement avec mise en demi solde ou la radiation de la flotte.

- Voilà qui est fort sévère, fit remarquer Delervis. La Cour va maintenant délibérer. Veuillez passer dans les pièces à côté le temps que nous étudiions les cas qui nous ont été soumis.
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De Vaanne
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeMar 27 Oct - 17:10

La guerre des Confins 091027030907448456



L’appréhension tombait graduellement pour peser telle une chape de plomb sur les épaules du Silvestri tandis qu’il avançait dans les couloirs en direction de l’endroit où il avait pour la dernière fois aperçu le Caldan. Ce personnage était une véritable légende vivante dans les rangs de l’Assemblée, en bien ou en mal suivant le camp auquel le Représentant qui en parlait appartenait. Néanmoins, on en parlait avec respect, et à voix basse, de peur de trop l’attirer. Car son esprit, vif et agile, saisissait les moindres parcelles d’information dans les propos de son interlocuteur et les retournait à son profit. Discuter avec lui, que l’on soit son allié ou non, c’était discuter avec un serpent, prêt à vous mordre à la moindre contrariété et selon son intérêt car c’était là sa façon de penser : son intérêt, qui était également celui de sa Maison. En ce sens, il était scrupuleusement honnête, car nulle somme ou vice ou luxure nouveau ne l’aurait fait dévier de la voie qu’il s’était tracé mais paradoxalement, il ne reculait devant rien, aucune entreprise illégale à part peut-être l’assassinat pour parvenir à son objectif : la grandeur et la puissance de la Haus Caldan.
Le Silvestri respira profondément et tourna au détour d’un couloir pour tomber sur le Caldan, accompagné de deux Représentants sycophantes. Ceux-ci le regardèrent comme l’on fixe une mouche que l’on s’apprête à écraser. Le Caldan se contenta de lever un sourcil intéressé.


- Représentant, me feriez–vous l’honneur de m’accorder une discussion privée ? demanda le Silvestri dans les formes.

- Avec plaisir, Représentant, répondit l’autre en inclinant rapidement ses quelques kilos en trop.

Il fit un geste désinvolte de la main et ses deux faire valoir déguerpirent en murmurant.

- S’il est une question à laquelle mon humble personne peut répondre, ce sera avec plaisir.

Le Silvestri eut un sourire tendu et attaqua de front.

- J’ai été très étonné d’une telle trahison, il y a moins d’une heure par le Représentant Essèney. Une telle déclaration est mauvaise pour les affaires de nos deux groupes, par les conséquences qu’elle pourrait impliquer dans la discipline parlementaire.

- Hélas, que puis-je vous répondre ? La politique est la politique, et le Représentant Essèney a fait son choix… Mais soyez assuré que lui et sa planète supporteront toutes les conséquences de ses actes lorsque le temps en sera venu.

- Je vois. Aurez-vous besoin de notre aide pour instaurer des sanctions totales ?

- Nenni. Cela est une affaire interne à la Haus Caldan, et seule la Haus Caldan doit prendre part à son règlement, de quelque façon que ce soit.

Dans l’esprit du Silvestri, la lumière se fit enfin : tout était effectivement trop simple, cette apparence de trahison, tout ce battage, cela n’était pas politique, surtout venant d’une Maison aussi faible que les Essèney ! L’apparence était toujours trompeuse, surtout venant de chez le Caldan, car tout était admirablement réfléchi. En effet tous connaissaient sa roublardise et les manœuvres secrètes derrière ses actions visibles. Donc, pour ne pas que les Représentants neutres des Extrêmes ne se méfient trop, il fallait donner l’impression que le Caldan lui aussi était pris au dépourvu par la mesure. En se mettant en pleine lumière, il détournait paradoxalement les soupçons de lui. Mais pourquoi ? Il avait donc forcément quelque chose à cacher.

- Vous voterez donc pour le rejet de la mesure ?

L’autre le regarda, légèrement étonné.

- Non, bien sûr. Si les formes sont répréhensibles, l’intention en est louable, et ce serait folie que de punir tous les Extrêmes pour l’agissement d’un seul d’entre eux. Ne croyez donc point la réputation de cruauté que certains simples d’esprit me font.

- Cela ne me viendrait pas à l’esprit. De même, si l’on devait croire toutes les rumeurs que le Représentant Winceslis fait courir sur mes neveux, nous ne sortirions pas des querelles sordides, quoique certaines allégations me donnent l’envie d’un défi en place publique.

- Je lui en toucherai deux mots, car croyez bien que je considère comme fort désagréable cette méthode de s’attaquer à un ennemi politique par sa famille, si honorable d’ailleurs dans votre cas.

- Je vous en remercie, Représentant. Si je puis me permettre, avez-vous bien envisagé toutes les conséquences que pourrait entraîner l’adoption d’une telle mesure ?

- Tout à fait. Le développement économique rapide des Extrêmes que certains réclament à cor et à cris depuis des années.

- certes, et la Gens Silvestri défend aussi cet objectif. Malheureusement, le moment est mal choisi : nous sommes en guerre et ne pouvons nous permettre de distraire des ressources qui seraient bien mieux utilisées à l’effort de guerre.

- Cet argument est non pertinent, car il n’a jamais été prévu que les sommes et les matériels dont nous parlons soient engagés pour l’armée, et nous avions été fort clairs avec l’amiral Silvestri à ce sujet.

- Soit, pour l’amour de l’hypothèse. Mais que dire alors de la flotte de la Guilde ? Eloignée pour des semaines aux marches des Confins, ce serait une perte sèche pour nos défenses.

- Mais il n’a au grand jamais été question d’inclure la Guilde dans nos défenses militaires. La Guilde doit s’occuper du commerce et non de politique, Représentant. L’envisager ainsi est une trahison. A moins que vous soyez en train de me dire que l’amiral Silvestri a scellé une alliance contre nature avec le Maître Albaréos ?

Le Silvestri accusa le coup. Cela ne faisait aucun doute. Il savait !

- Je m’étonne même que vous puissiez vous montrer assez insultant pour ne serait-ce qu’envisager une telle éventualité. L’amiral a promis que sa flotte vaincrait, et il ne peut en être réduit à cette alternative qui condamnerait son honneur et sa Maison avec lui dans l’opprobre.

- Que voilà une belle déclaration. Si tous pouvaient en être aussi convaincus que vous, l’univers serait bien plus fréquentable qu’il ne l’est actuellement. Si je puis me permettre, ajouta-t-il avant que l’autre ne puisse répondre, le temps de concertation est terminé, et nous devons regagner nos places. Vous comprendrez que je ne vous souhaite pas que toutes vos attentes soient comblées, car nous ne sommes pas du même bord. J’ai néanmoins eu un plaisir immense à deviser avec vous.

- Moi de même, Représentant Caldan. Moi de même…

***

- Alors, demanda-t-il une fois revenu à sa place, est-il prêt ce discours ?

- Il aurait du l’être si l’on ne me dérangeait pas tout le temps, répondit la Saveuze.

- Et vous autres ?

- Je les ai tous contactés, et votre menace semble avoir porté ses fruits : ils sont en route, plus ou moins de bonne humeur.

- Je saurai m’en contenter. Et vous Lellida ? demanda-t-il au Représentant d'une jeunesse incongrue (une des rares bonnes décisions de la Famille Lellida ces dernières années).

- Sur les 32, sept ont accepté de suivre la voix de la raison, mais leurs tarifs sont prohibitifs, ayant mis en exergue le risque qu’ils prenaient. Tous ont eu besoin du double pour me prêter une oreille attentive, sauf l’Oriandri qui a accepté 150%. Cela fait que nous ne perdons plus que de 12 voix. L’écart se resserre.

- Mais à quel prix ? La caisse noire de Silvestri va en prendre un sale coup.

- Tu parles, grommela la Saveuze, avec ce qu’elle contient…

- Pardon ?

- Je dis que j’ai fini.

- Juste à temps, c’est votre tour de parole qui arrive.

- Joie et bonheur. Ce qu’il faut pas faire pour mériter son cadeau à la fin du mois…

Elle se dirigea vers l’estrade d’un pas assez peu enthousiaste. Une fois arrivée, elle resta un instant à regarder la salle, comme pour sentir l’atmosphère. Et ce qu’elle y vit ne lui plut pas : à part son groupe qui la regardait au pire avec désintérêt (de toute façon, elle prêchait, en ce qui les concernait, des convaincus), les autres, neutres ou adversaires, la regardaient avec une hostilité non dissimulée. Les Représentants des Extrêmes, particulièrement, semblaient très remontés.

- Si j’ai tenu à prendre la parole, c’est principalement pour vous mettre en garde, et non pour écouter mon propre son de voix comme certains. Car je me soucie de vous. Car je me soucie de tous. En effet, si je prends position à contre courant de notre estimé collègue, le Représentant Essèney, c’est pour vous avertir des dangers que comporte sa proposition. Croyez bien que je souffre de dire ce que je vous dis, mais j‘ai l’intime conviction ainsi d’éviter un plus grand dommage encore aux Confins que de différer pendant quelques mois cette aide que vous attendez depuis si longtemps.
Car en vérité, il ne s’agit bien entendu pas d’annuler cette aide, ce n’est pas ce que je vous demande, et ce serait contraire à mes engagements, moi l’une des premières à avoir défendu ce projet d’aide au développement. Je dis que vous attendez une marque de solidarité depuis des années, des dizaines d’années même. Et voilà qu’il y a un mois, le Représentant Valcyrian, appuyé par nombre d’autres dont ma propre personne, rendit tangible cette solidarité. Elle fut marquée noir sur blanc, inscrite sur les feuillets à en tête du protectorat et mise en haut de la liste des priorités. Cette solidarité est maintenant du droit positif ! Vous pouvez l’attendre deux jours comme vous pouvez l’attendre un an, elle arrivera ! Ce n’est plus une simple éventualité.
Malheureusement, une autre inconnue s’est greffée à l’équation alors simple que nous avions : la guerre avec Ehlermann. Que l’on soit belliciste, que l’on soit pacifiste, l’heure n’est plus aux discussions. Notre flotte est en ce moment même en plein territoire d’Ehlermann, en grand danger. Nous ne pouvons nous permettre de disperser notre effort de guerre dans des directions différentes. Il ne sera pas dit que le peuple des Confins aura laissé ses marins sans appui ! Il ne sera pas dit que nous les aurons abandonnés dans un temps de besoin à cause de notre incurie !
Je comprends votre impatience, Représentants. Je comprends les responsabilités que vous avez envers vos planètes. Je comprends même votre colère envers moi à l’écoute de mon discours. Mais je le dis et le répète : la voix de la raison doit prévaloir. Pour le bien des Confins, je ne vous demande qu’un chose, ce que vous avez si bien su faire durant des années, en abusant de votre infinie patience : je vous demande d’attendre. La honte soit sur moi, car je ne saurais vous dire combien de temps, mais connaissant l’amiral Silvestri et ses compétences, lui qui mata les pirates durant une campagne éclair, je dirais que la victoire viendra bien assez tôt.
Et à ce moment précis, toutes mes objections tomberont, et c’est avec joie que je demanderai à mon Conseil de famille de débloquer les fonds à vous destinés depuis le vote de la loi d’aide aux planètes Extrêmes, votée en Assemblée voilà trente-cinq jours exactement.


Puis la Saveuze se tut et quitta l’estrade sous des applaudissements et des sifflets. En regagnant son siège, elle jeta un regard interrogateur au Silvestri qui lui répondit :

- Beau discours, mais il n’a servi à rien, j’en ai bien peur…

Durant les heures qui suivirent, le débat prit de l’ampleur et l’atmosphère commença à s’échauffer, la fatigue aidant. Le Princeps veillait à maintenir une certaine neutralité dans son choix des orateurs, mais il ne pouvait empêcher certaines attaques ad hominem qui détérioraient rapidement le climat ambiant. Les affiliés Caldan voyaient également d’un très mauvais œil l’arrivée par petits groupes des Représentants dont le Silvestri avait battu le rappel. Ledit Silvestri commençait à respirer un peu plus librement, au grand dam de ses collègues Saveuze, Tharin et Lellida qui ne comprenaient toujours pas pourquoi ce vote revêtait une importance aussi cruciale. Ils se contentaient dès lors de faire l’appel des nouveaux arrivants et de les mettre succinctement au courant. Cela ne fut pour certains qu’une formalité, mais pour d’autres, comme dans le cas du Représentant Ruvarian arrivé avec les prunelles aussi dilatées que celles d’un chat, il fallut plusieurs fois reprendre du début. Vint enfin le moment où tous les absents eurent regagné leur siège, instaurant un net déséquilibre entre les deux extrémités de la Salle. Pourtant, le Caldan ne se départait pas de son sourire bonhomme.

- Mais pourquoi sourit-il donc ? Nous avons deux cents voix de plus que lui et il sourit comme un demeuré !

- Il doit avoir encore une carte dans sa manche et nous avons perdu l’initiative. Il n’y a plus qu’à attendre.

- Je déteste ça…

- Je sais. Ca vous perd aux échecs, d’ailleurs, fit remarquer le Silvestri. Ah ça y est, le Baldréon lance enfin le vote.

- Représentants, vous avez eu durant plusieurs heures l’occasion de débattre sur le sujet de la réquisition de la flotte de la Guilde pour le projet d’aide aux Extrêmes. Vous avez eu le temps de vous forger une opinion par vous-même et pour le bien des Confins. Je vous demande maintenant de voter pour ou contre, et ainsi d’engager votre conscience et votre planète. Et n’oubliez pas : toujours pour le bien des Confins !

Un mouvement dans les rangs Caldan attira soudain l’attention du Silvestri qui vit, horrifié, tous les absents de l’autre parti arriver en rangs serrés pour déposer symboliquement leur vote dans l’urne électronique. Il croisa le regard du Caldan qui lui adressa un hochement de tête moqueur.


***


La conversation allait bon train entre les capitaines relégués hors de la salle d’audience : la plupart discutait stratégie autour d’un verre de champagne d’Arthérion accompagné de quelques apéritifs : le principal sujet était bien entendu de décortiquer en long et en large les actions et résultats obtenus lors des précédents engagements. Le capitaine Salcroit, tant que le jugement n’avait pas été rendu, gardait toutes ses prérogatives et déambulait librement entre les groupes. On l’accueillait avec une politesse exquise mais aussi froide qu’un glaçon : nul n’aurait voulu prendre le risque de se faire remarquer en grande conversation avec un condamné en sursis. Le diacre, quant à lui, avait également accès au buffet, mais il était gardé par deux soldats à l’air patibulaire et nul ne daignait ne serait-ce que lui accorder un regard. A un moment il vit , au milieu de tous ces galons resplendissants un simple uniforme d’enseigne, le plus bas des grades d'officier de la flotte, se faire intercepter par Salcroit et il se rapprocha pour entendre la conversation.

- Il faut que je parle à l’amiral Silvestri, c’est très urgent.

- Il est complètement indisponible pour l’instant, lâcha Salcroit, amer. Attendez deux heures environ.

- C’est le genre de message dont il doit être informé dans la minute, capitaine.

- Impossible, vous dis-je, enseigne ! Aucun des présents ne peut le déranger. A moins que… suivez moi.

Et Salcroit de le conduire devant le dernier amiral non membre de la cour martiale, le redouté Aelfwidh, qui regarda le duo approcher d’une façon rien moins qu’amène.

- Capitaine Salcroit, que puis-je pour vous ? demanda-t-il en accentuant le premier mot.

- Cet enseigne a un message urgent pour l’amiral Silvestri.

- Vous devez savoir mieux que les autres qu’il est occupé en ce moment.

- On me l’a déjà précisé amiral, mais ce message est en réalité destiné à tout accrédité de niveau magenta si l’amiral Silvestri n’est pas joignable. Tenez, dit l'enseigne en brandissant un mince feuillet de papier.

Aelfwidh le lui arracha des mains et le parcourut rapidement. Un mince sourire se dessina sur ses lèvres et, toujours en possession du papier, il retourna dans la salle d’audience.

- Je croyais que c’était interdit, capitaine.

- Le message devait être réellement urgent…


Deux heures plus tard, la Cour rendit son verdict par la voix d’un Delervis assez renfrogné. Devant lui, Salcroit et Del’tarvis, stoïques, attendaient le verdict avec résignation.

- La Cour a tout d’abord pris acte des évènements qui se sont déroulés durant l’opération organisée contre le complexe de Sylvemer. Elle a considéré que le Démolisseur lui-même, n’ayant ni fui par hyperespace ni utilisé ses armes contre des alliés, n’est aucunement coupable des actes qui se sont déroulés en son sein. En conséquence de quoi, son nom ne sera pas porté au livre d’infamie et pourra être réutilisé. Il fera néanmoins immédiatement route vers Valcyria avec son équipage loyaliste pour y être radoubé et embarquer de nouveaux marins. Cela est la décision de la Cour, exempte d’appel.
Deuxième décision, au sujet de l’équipage impliqué : des faits non contestés et des expertises médicales montrent sans doute possible qu’il s’est rendu coupable de meurtre sur quatre officiers de passerelle alors même que leur seul rang aurait du les mettre à l’abri d’une telle action de leurs subordonnés. Ils se sont également rendus coupables du chef de mutinerie mais non d’abandon de poste, leur rôle n’étant pas assez direct pour mettre en balance la réussite de l’opération. La Cour juge également improbable la collusion avec des Ehlermanniens. La Cour les ayant jugés coupables de meurtre et mutinerie, elle les condamne à la peine de mort par décompression. Ceci est la décision de la Cour, exempte d’appel.
Troisième décision, au sujet du diacre Del’tarvis qui a fait justement état de sa non soumission à la discipline en vigueur à bord d’un vaisseau de la flotte des Confins. Cela est notoire et non remise en cause. Il sera remarqué que le Code de Justice militaire, qui transpose les conclusions du synode de Nephilim, dispose dans son article 36 que « seront dispensés de se conformer aux dispositions du présent Code les diacres détachés auprès de la flotte agissant dans l’exercice normal de leurs fonctions ecclésiastiques ». Cependant, fomenter et prendre la tête d’une rébellion n’est aucunement de l’exercice normal des fonctions du diacre Del’tarvis dont la neutralité est ainsi prise en défaut. S’intéressant de ce fait aux affaires terrestres, il a implicitement accepté de se conformer à toutes les dispositions du Code de Justice militaire, obligatoire pour toute personne active à bord d’un vaisseau des Confins. Le diacre Del’tarvis est jugé coupable de trahison et mutinerie, et subséquemment condamné à la peine de mort par décompression. Cela est la décision de la Cour, exempte d’appel.
Quatrième décision, le cas du capitaine Salcroit, commandant de la canonnière Démolisseur. La Cour comprend ses protestations d’innocence mais fait remarquer que le niveau de discipline requis sur son bâtiment était sans commune mesure avec le standard appliqué dans la quasi-totalité de la flotte. Cette vision, tolérable en temps de paix, est inenvisageable en cas de guerre et plus encore lors d’opérations en territoire ennemi où les capitaines doivent pouvoir compter sur l’obéissance totale et le professionnalisme de leurs équipages. Le capitaine Salcroit ne peut donc être jugé coupable de trahison passive car la vision de la discipline est propre et souveraine aux prérogatives des capitaines. Il lui sera cependant reproché son laxisme en temps de guerre, dommageable pour le moral et l’efficacité de la flotte. En conséquence de quoi, la Cour décide de lui laisser le commandement du Démolisseur pour qu’il le ramène aux chantiers de Valcyria. Il sera dès ce moment rayé des rôles d’équipage et mis en demi-solde inactive pour six ans, à charge pour l’Etat-major de lui proposer par la suite tout commandement jugé convenable. Ceci est la décision de la Cour, sujette à appel devant le tribunal des Représentants sur Valcyria.


- Je ferai appel, dit Salcroit.

- Grand bien vous fasse, répondit Silvestri qui n’avait pour l’instant pas encore ouvert la bouche. Messieurs, je viens de recevoir un rapport d’un de nos agents basés sur Ehlermann. Il m’annonce que toute la flotte ennemie vient d’appareiller avec ses cargos dans la direction approximative du système d’Alteris. Notre plan fonctionne donc à merveille. Dès que la sentence sera exécutée, la flotte sautera dans l’hyperespace, direction Alteris, pour notre victoire totale sur Ehlermann.

Une dizaine de minutes plus tard, la flotte quittait les lieux, un bout d’espace qu’elle avait trouvé vide à son arrivée et qu’elle laissait désormais encombré de cadavres figés par le froid, bouche ouverte sur un dernier cri silencieux.


***


Malgré tous ses efforts, le Silvestri vit clairement que la partie était jouée d’avance. La motion fut au final approuvée avec plus d’une trentaine de voix d’avance et son contenu immédiatement signifié au maître Albaréos qui en resta sans voix. Dès que la séance fut levée, le Silvestri se leva précipitamment de son siège.

- Où allez-vous ? demanda la Saveuze.

- Envoyer un message urgent. En espérant qu’il ne soit pas trop tard.
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De Vaanne
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeVen 6 Nov - 21:49

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Le pont du Jotunheim bruissait d’activité. Les ordres se succédaient par rafales, requérant la plus grande diligence de la part de leurs destinataires. Les officiers regardaient anxieusement les consoles qui leur indiquaient la situation de leurs subordonnés. Peu à peu, un certain ordre sembla se dégager du chaos ambiant. Durant toute cette période, un îlot de calme avait entouré le fauteuil de commandement où trônait l’amiral Silvestri qui regardait, l’œil critique, les efforts de ses hommes pour s’organiser le plus rapidement possible. Lorsque chacun eut gagné sa place, un officier se rapprocha de Silvestri.


- Rapports de tout le navire, amiral. L’équipage est entré aux postes de combat en neuf minutes et quarante-deux secondes, soit…

- Quatre secondes de moins que le précédent record, capitaine. Mes félicitations à tout l’équipage. coupa Silvestri en se tournant vers l’hologramme de ses quatre vis-à-vis installés comme lui dans leur fauteuil. Qu’en est-il du reste de la flotte ?

- Mes hommes terminent les derniers préparatifs. Quelques légers problèmes avec la baie de chasseurs trois, dit Aelfwidh. L’appareillage magnétique du champ de contention. Ce Jormundgand est une bête bien plus fragile qu’une frégate d’assaut, amiral…

- Frégate qui n’a jamais été connue pour sa finesse et sa subtilité. Une plaque de blindage monstrueuse et des moteurs surpuissants. Ne comparez pas une bête de race comme ce cuirassé à vos vaisseaux utiles, certes, mais utilitaires, rétorqua Silvestri. Et pour vous autres ?

- Rien à signaler amiral, nos hommes ont fait des scores tout à fait honorables.

- Je l’espère bien. Maintenez-les en état d’alerte maximal. Les ennuis sont pour très bientôt. Navigation, heure d’arrivée estimée ?

- Sept minutes amiral.

- Parfait. Communications, ouvrez un canal vers tous les vaisseaux de la flotte.

Le lieutenant visé par l’ordre trifouilla hâtivement quelques boutons sur sa console, parla quelques secondes dans son micro avant de faire signe à l’amiral que les antennes hyperspatiales du vaisseau avaient trouvé leurs interlocutrices dans la flotte. Au vu de la difficulté qu’il y avait à communiquer durant les transits, chaque vaisseau n’avait qu’un nombre réduit de vaisseaux alliés sur qui il était focalisé, les messages étant par la suite relayés par le destinataire. Cela demandait une certaine coordination qui rendait les messages communs de ce genre extrêmement rares.

- A tous les officiers et soldats de la flotte, citoyens des Confins. Ici, l’amiral Silvestri, votre commandant en chef. Nous faisons en ce moment même route vers le système binaire d’Alteris où nous nous attendons à rencontrer une flotte d’Ehlermann d’à peu près égale importance. L’issue de la bataille n’est donc pas assurée, d’autant plus que l’ennemi a pris soin d’allouer ces dernières années un budget conséquent à son armement.
Cependant, j’ai confiance. Oui, confiance, pour la simple et bonne raison que si le simple fait d’avoir des vaisseaux flambants neufs suffisait pour gagner une guerre, voilà beau temps que nous aurions obtenu les crédits qui nous font tant défaut. Si cela ne suffit pas, que faut-il alors ? Voilà longtemps que je me pose la question et je pense pouvoir y répondre : il faut des hommes, des chefs, des tactiques.
Et nous avons tout cela : forts de notre tradition militaire issue des âges les plus anciens du Saint Empire Universel, je suis certain que, poste à poste, vous valez n’importe quel Ehlermannien. Je vous conjure cependant de prendre garde, car l’issue de la bataille sera critique : dans cet engagement flotte contre flotte, une défaite aurait des conséquences catastrophiques, incalculables pour les Confins. A l’inverse, une victoire nous ouvrirait tout droit les portes de leur capitale. Vous l’aurez sans doute compris : vous êtes notre force, ce qui fait des Confins la grande puissance militaire du secteur, et je compte sur vous. Je n’attends de vous que le meilleur.
D’ici là tenez vous prêts, notre arrivée est estimée dans deux minutes, ajouta-t-il en faisant signe de couper la transmission.


- N’était-ce pas un tantinet alarmiste ? demanda l’hologramme de Von Raukov.

- Je veux qu’ils sachent que s’ils se ratent, la galaxie sera trop petite pour se cacher de moi.

- Comme c’est gentil de penser à eux.

- Ma bonté me perdra.

Une voix plus jeune fit alors irruption dans ce duel de galonnés.

- Transfert dans l’espace réel imminent !

Le vaisseau gronda comme si le moindre boulon de ce gigantesque tas de ferraille avait décidé de jouer la fille de l’air.

- Transfert effectué.

- On s’en doutait à peine…

- Sans dommages amiral.

- Vous faites bien de l’ajouter, je me posais des questions. Qu’indiquent les senseurs ?

- Le chantier naval est rempli à 35%. Aucune flotte dangereuse ne croise dans le système.

- Définissez dangereuse.

- Composée de vaisseaux dont le tonnage est moyen ou lourd, amiral. Les scanners ne détectent que des marchands.

- Parfait. Navigation, avancez dans le corridor. Suivez-moi, ajouta Silvestri à l’intention des hologrammes galonnés qui l’observaient. Richeau, auriez-vous l’obligeance d’effectuer votre partie de la mission ?

- Je réduis en esquilles de métal tout ce qui, de près ou de loin, est connecté au chantier naval, ceci incluant les vaisseaux de commerce ? demanda-t-elle, très détachée.

- Voilà, si cela ne vous dérange pas trop. Et, commodore, ajouta-t-il après un instant, en aucun cas votre attaque ne devra vous amener à bout portant du chantier.

- Cela va diminuer de façon non négligeable ma force de frappe.

- Vous vous en contenterez. En effet, si mon plan est correct, et il a toutes les chances de l’être, les Ehlermanniens ont choisi ce système pour nous tendre un piège. Ce qui signifie qu’ils ont tiré un trait sur els installations dudit système puisque nous serons pris en tenaille entre eux et lui. N’ayant dès lors rien à perdre, il ne faut pas exclure la possibilité qu’ils l’aient piégé.

- Bien compris, répondit Richeau. Je passe devant.

Quelques instants plus tard, le grand écran qui rappelait les positions des vaisseaux des Confins montra un groupe d’icônes bleues se porter en avant de la flotte vers la grande masse d’Alteris et de ses chantiers spatiaux. Silvestri jeta un coup d’œil derrière son fauteuil de commandement.

- Ordonnance ! dit-il d’un ton rien moins qu’amène.

Le jeune lieutenant, qui avait senti une humeur de dogue chez son supérieur, se hâta de passer de l’autre côté du fauteuil et exécuta consciencieusement son salut.

- Oui amiral ?

- Pour des raisons qui me sont miennes, je crains que le signal adressé à la Guilde ne puisse être envoyé d’ici. Prenez donc une escouade, une navette avec émetteur inter-systèmes et partez stationner quelque part dans le champ d’astéroïdes, prêts à envoyer le message dès que je vous le demanderai.

- Amiral, il n’existe sur le Jotunheim aucune navette disposant d’un tel équipement.

- Quatre mois que vous êtes à mon service, lieutenant, et vous ne savez toujours pas comment je fonctionne ? Ma navette personnelle est équipée alors prenez là et faites vous oublier tant que moi, je ne vous fais pas signe.

- Mais…

- Taisez vous donc pour une fois ! Si votre émetteur foire, je vous charge d’aller prévenir les renforts le plus vite possible, quand bien même vous seriez à pied. Alors prenez cette navette, c’est un ordre ! Compris ?

- Oui amiral.

- parfait… Silvestri hésita. Et si la bataille tourne mal, ajouta-t-il un ton plus bas, quelqu’un devra aller témoigner de ce qui s’est passé.

L’enseigne se figea au garde à vous.

- Très bien amiral. Bonne chance, ajouta-il en s’éloignant.

***

Au même moment sur la passerelle du Coriolan de Delervis.

- Je n’aime pas ça, mais alors pas du tout, disait-il à son premier lieutenant. Silvestri prend trop de risques pour une hypothétique victoire éclair.

- C’est un plan audacieux.

- Et auquel je rends hommage. Mais la flotte n’est pas de taille à relever ce défi, quoiqu’il puisse en dire. En attendant, préparez vous au pire, je crains que nous ne soyons pas déçus.

***

Sur l’Incarnadine et le Jormundgand, Von Raukov et Aelfwidh, les deux amiraux « rapides » étaient en pleine discussion.

- Je n’aime pas Silvestri, et il le sait, disait le second. Cependant son plan me plait : maximum de risques pour maximum de gains.

- Je ne connais pas encore très bien les caractéristiques des frégates mais s’agissant de la chasse, ceux-ci ne seront pas de taille dans une bataille prolongée. De trop longues périodes d’inactivité sont excessivement dommageables à l’entraînement des pilotes comme à l’entretien de leurs appareils.

- Mais ce plan, mon cher, ce plan ! s’enthousiasma Aelfwidh. Il réchauffe mon cœur de capitaine de frégate. Mes petites protégées, même délabrées, vont pouvoir s’en donner à cœur joie.

- N’oubliez tout de même pas que vous n’avez plus sous vos ordres qu’une frégate sur quatre. Je serais excessivement vexé que vous tentiez de subtiliser els miennes durant la bataille par des ordres contradictoires.

- Moi ? dit-il d’un air parfaitement innocent. Qu’avez-vous donc en tête ? Déjà bien assez de mal à faire entrer du plomb dans la tête de vos pilotes.

- Surtout ne me les corrompez pas. Et d’ici là, ajouta Von Raukov en faisant le geste de lever un verre, faisons du mieux que nous pouvons avec les vieilles barcasses à notre disposition pour donner des migraines à Ehlermann en attendant que la cavalerie arrive.

- Normalement, suis la cavalerie, grimaça Aelfwidh. Pas sûr d’apprécier l’autre rôle.

- Vous vous y ferez. N’en déplaise à Silvestri, les Rapides ont une grande capacité d’adaptation.

***

Sur le Ravageur, une toute autre ambiance.

- Artillerie, concentrez vos tirs sur le secteur 4, disait Richeau à la ronde. Comme notre armement courte portée est inutilisable, tout artilleur qui rate sa cible fera dix jours d’arrêts de rigueur sans contestation possible. Feu à volonté, réduisez moi ce chantier en cendres.

Un déluge de projectiles s’envola du Ravageur pour frapper et transpercer de part en part un cargo amarré sur la ligne de tir. Un bref instant, le navire sembla s’ouvrir en deux parties plus ou moins égales avant d’exploser avec l’intensité d’une petite nova.

- Soit c’était un tanker, soit il était bourré d’explosifs jusqu’à la gueule, fit remarquer un marin.

- Dans les deux cas, le conseil de l’amiral Silvestri était bon. Continuez de pilonner et restez à distance raisonnable. S’il y a le moindre accroc au revêtement de ce vaisseau, la Navigation en sera tenue pour responsable.

- Oui commodore.

***

Quelques minutes plus tard, les canonnières s’en donnaient à cœur joie sur le chantier naval incapable de se défendre à l’exception de quelques pièces légères qui n’avaient aucune chance de pénétrer les lourds boucliers des vaisseaux. Les équipages étaient si enthousiastes que Silvestri avait du sermonner Richeau pour lui faire ralentir la cadence de tir : les apparences devaient être respectées. Laquelle lui avait répliqué vertement qu’à la vitesse qu’il préconisait, toutes les flottes de la galaxie auraient le temps de s’inviter à la fête avant que le chantier ne soit totalement détruit. L’amiral avait alors pris son air de dignité blessée le plus convaincant et coupé la communication avant d’endurer une autre salve de commentaires acides. Depuis lors, il rongeait son frein.

- Ils devraient déjà être là, par l’Enfer ! Ont-ils flairé le piège ?

- Peu de chances, répondit Aelfwidh en examinant soigneusement ses ongles. Plus probable qu’ils soient passés totalement à côté de l’hameçon.

- J’ai déjà eu des ennemis crétins mais à ce point ! tempêta Silvestri. Je leur ai ouvert un boulevard, l’occasion du siècle de se débarrasser définitivement de nous et ils ne la remarqueraient même pas ?

- De quoi se sentir vexé, n’est-ce pas ?

- Je me sens plus que vexé. Cette absence est une insulte à mon intelligence. J’aurais peut-être du leur envoyer deux épées comme on le faisait dans l’Ancien Temps pour demander le combat.

- N’auraient pas compris. Ehlermann, après tout, n’est qu’une République provinciale, dit Aelfwidh en passant à l’autre main. Déteste l’attente…

Silvestri cherchait une réponse lorsqu’il perçut du coin de l’œil un mouvement dans la fosse d’équipage. Un marin montait les marches rapidement pour se porter à sa rencontre, l’air excessivement sérieux.

- Avec un peu de chance, elle ne durera plus longtemps, dit-il à l’hologramme qui lui faisait face.

- Je sais. Ai le même message. Ils arrivent.

- Enfin… Oui ? dit-il en s’adressant au marin quand bien même il connaissait déjà le contenu du message.

- un front d’ondes hyperspatiales a été détecté par nos unités avancées, amiral.

- Leur statut ?

- De très grande ampleur et en approche rapide. Tout porte à croire qu’il s’agit de la flotte d’Ehlermann.

- Merci du renseignement. Maintenant, retournez à votre poste et attendez les ordres.

Quelques instants après, une voix synthétique retentit dans l’ensemble du vaisseau, signalant qu’une flotte hostile venait de sortir de l’hyperespace et que tout l’équipage devait se tenir prêt à engager le combat immédiatement.

La baie d’observation de la passerelle fut alors illuminée des flashs de sortie d’hyperespace de centaines de vaisseaux ehlermanniens allant du modeste escorteur au titanesque cuirassé de ligne. Un instant désorientée par sa sortie, la flotte reprit très vite sa ligne de bataille et s’avança jusqu’à l’entrée du goulet d’étranglement créé par les masses gravitationnelles et les champs d’astéroïdes du système. Sembla hésiter un instant. Puis s’y engouffra.


- Pas standard du tout cette flotte, fit remarquer Aelfwidh. Dirais même que leur amiral est d’une incompétence crasse.

- A ce niveau là c’est plus de la trahison qu’autre chose. Ce qui serait trop beau pour être vrai, donc nous oublions une partie du problème.

- Brillante démonstration, Von Raukov, releva Silvestri. Poussez donc l’intelligence à nous dire pourquoi il a fait ralentir sa flotte à ce point.

- Vous savez, moi et les gros vaisseaux…

- Soit, postulons qu’il les a emportés pour une raison spéciale, dit pensivement Delervis. Mais alors pourquoi les placer aussi haut dans sa ligne de bataille ?

- Je veux connaître la raison spéciale, moi ! Les Renseignements ne m’avaient pas prévenu sur ce point.

- Cela n’a pas du les interpeller.

- Cela aurait du.

- Des brûlots peut-être ?

- Ils ne passeraient jamais nos défenses.

- Bref, pas d’idées. Alors laissons ça en plan, nous comprendrons très vite.

- Quand même… Des cargos non armés dans une ligne de bataille !

- Ce n’est plus le moment d’en discuter, coupa Silvestri. A toute la flotte, reculez jusqu’au chantier spatial. Pas question de leur laisser la moindre chance de s’échapper.

Et au fur et à mesure que les Ehlermanniens avançaient, la flotte de Silvestri reculait d’autant dans un ordre parfait. Un lent ballet magnifiquement exécuté qui ne laissait pas supposer que les vaisseaux qui se mouvaient ainsi étaient les machines de guerre ultimes, les armes les plus destructrices jamais conçues par l’humanité. Acculée à Alteris, la flotte des Confins dut faire halte, imitée par celle d’Ehlermann. Les deux se regardèrent en chiens de faïence. C’était l’œil du cyclone, le calme avant la tempête.
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De Vaanne
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeJeu 19 Nov - 1:30

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- Vraiment, me répète, mais le pire dans ce métier est bien l’attente, affirma Aelfwidh.

- Je ne peux que confirmer, répondit Silvestri. On sait que le bain de sang est proche et il n’y a rien à faire pour l’en empêcher. J’aimerais d’ailleurs sincèrement que ceux d’en face se dépêchent un peu, histoire que nous en ayons vite fini.

Tous les hologrammes hochèrent la tête avec la dernière énergie. Silvestri vit Delervis étendre son bras hors du champ de capture et eut un sourire condescendant : Delervis était parmi les plus traditionnalistes d’une flotte des Confins elle-même très conservatrice. Dans son cas, il allait jusqu’à faire siennes les superstitions des marins de l’Ancien Temps et avait notamment exigé que, lors de sa prise de commandement sur le Coriolan, soit apposé sur son fauteuil de commandement un plaquage de bois venu de sa planète natale, afin qu’il puisse, soi-disant, « toucher du bois ». Ce qu’il ne se privait pas de faire.

- J’approuve également, dit Von Raukov, même si je considère que la paperasserie n’est distancée que d’une courte tête. Surtout lorsqu’il s’agit les lettres de condoléances.

- Je ne fais que les signer. Cela m’évite d’avoir des scrupules de conscience.

- Ignoreriez-vous que la politesse et la décence ne sont pas des mythes ?

- Cessez vos insultes, Von Raukov ! Il ne sera pas dit qu’un pouilleux de la Chasse aura l’autorité nécessaire pour me sermonner.

- Delervis, dit Silvestri d’un ton dangereusement doux et qui laissa sans voix un Von Raukov furieux et prêt à répliquer vertement, nous savons tous que vos méthodes de commandement font honte à tout bon soldat des Confins. Vous vous souciez aussi peu qu’il est possible de la discipline et du bien-être de vos hommes, jusqu’à être plus dangereux pour eux qu’Aelfwidh qui a pourtant une réputation méritée de brise-fer.

Lequel en profita pour adresser un salut moqueur à ses interlocuteurs.

- Si l’affectation des postes ne dépendait que de moi, je puis vous jurer, Delervis, que vous finiriez dans le placard le plus sordide qui puisse se trouver dans l’Amirauté.

- Seulement, vous ne pouvez pas, rétorqua l’autre.

- N’ayez pas la présomption de croire que vous êtes indispensable au Caldan. Il n’est pas sentimental et je trouverai bien une monnaie d’échange.

Les deux amiraux échangèrent un regard noir sous les yeux de leurs collègues inquiets que la dispute puisse dégénérer juste avant un affrontement majeur.

- Ils sont toujours juste hors de la portée effective de tir, dit Aelfwidh pour changer de sujet. Pourquoi n’avancent-ils pas ? Ils n’ont pas de renforts en chemin, rien qui nécessite une telle attente.

- Si seulement je le savais… Le fait est malheureusement que cela joue en notre défaveur. La Guilde ne pourra pas rester en attente trop longtemps et si cela s’éternise nous aurons un gros problème.

- Nous pourrions attaquer les premiers ?

- Hors de question. Ils doivent avancer encore plus loin dans le corridor pour qu’Albaréos leur coupe toute voie de sortie. De plus, si jamais avant leur arrivée nous ouvrions une brèche dans leur ligne de bataille, comment faire en sorte de ne pas saisir cette chance sans éveiller les soupçons ?

- M’excuse d’avoir parlé inconsidérément, dans ce cas.

- Pas la peine, vous aidez à soulever les options.

- Que vous rejetez immédiatement après.

- Ce que vous proposez est certes intéressant, mais irréalisable au vu de notre objectif. Mettre en œuvre votre idée serait mettre la flotte plus en danger qu’elle ne l’est.

- Tâcherai de m’en souvenir, dit Aelfwidh de mauvaise grâce.

Après cette capitulation, un lourd silence tomba entre les cinq personnages. Ceux-ci se regardèrent tous l’un après l’autre : ils étaient en proie à cette malédiction qui est le lot de tout soldat : l’attente. C’était la seule option envisageable, même si elle les faisait bouillir d’impatience et d’énervement. La comparaison la plus juste qui vint à l’esprit de Silvestri était celle de mâles dominants enragés, évaluant les rapports de force, prêts à s’entre-égorger à la première présomption d’insulte. Il aurait donné beaucoup à cet instant précis pour avoir la possibilité de donner un ordre, rien qu’un seul, pour avoir, au moins de façon fugace l’impression de pouvoir influer sur les évènements.
Un petit bip rouge clignotant s’afficha alors sur son écran stratégique, en surimpression de l’icône du Ravennes, un des croiseurs légers de son escadre. Il se jeta sur son communicateur.


- Ravennes, de l’amiral Silvestri, je veux un rapport circonstancié du problème.

Le capitaine répondit quasi immédiatement.

- Notre générateur de bouclier chauffe de façon anormale, amiral. Nous essayons de déterminer la cause de l’incident et d’y appliquer les mesures prévues sans le couper. D’après les données qui me sont transmises, une simple utilisation de la procédure standard devrait réussir à résoudre le problème.

- Très bien capitaine. Je veux être informé de tous les détails.

- On dirait que la maintenance n’est pas au point dans votre groupe de combat, persifla Delervis.

Silvestri préféra ne pas relever. Regardant l’affichage stratégique il vit, un instant plus tard, la rougeur du Ravennes s’intensifier. Au même instant son capitaine le rappela, horrifié.

- Amiral, c’est à n’y rien comprendre ! La surchauffe du générateur n’est pas, comme on peut s’y attendre, arithmétique mais exponentielle.

- Vous êtes sérieux ?

- Nous allons devoir coup…

Le capitaine ne put finir sa phrase : le générateur de bouclier venait d’exploser avec pertes et fracas, jetant à terre tous les membres d’équipage non sanglés à leur siège par une embardée impressionnante du vaisseau.

- Au rapport, capitaine ! hurla Silvestri.

Lequel se releva, manifestement sonné, une grosse balafre sur le front, et étudia quelques instants les écrans devant lui.

- Le… générateur a explosé, amiral, et a emporté avec lui plusieurs ponts techniques. J’ai perdu le contact avec 1300 hommes d’équipage et je suis désormais sans boucliers.

- Par les Enfers, qu’est-ce que c’est que ce fou…

Il fut interrompu par un trille de l’affichage stratégique qui lui apprit qu’une icône bleue du groupe de Von Raukov venait de s’éteindre.

- Que s’est-il passé ?

- J’ai reçu des débuts de rapports d’un groupe complet de frégates selon lesquels les boucliers chauffaient anormalement. Les générateurs ont explosé à cinq secondes d’intervalles, faisant détonner en chaîne le reste du vaisseau. Le groupe entier est perdu et cela m’énerve prodigieusement. Ce n’est pas une coïncidence, Silvestri…

- En ajoutant mon croiseur à l’équation, c’est effectivement fort peu probable. Messieurs, veillez avec une attention toute particulière aux boucliers de votre groupe. Rapportez-nous tout signe de surchauffe anormale et faites couper les boucliers de tous les vaisseaux atteints.

Tous scrutèrent avec angoisse leur affichage stratégique alors que les signes d’échauffement se faisaient de plus en plus nombreux au fil des minutes. Bientôt, près d’un quart de la flotte se retrouva sans boucliers, à l’exception notable des croiseurs lourds et des cuirassés.

***


- La coïncidence étant exclue d’office, je ne pense pas que cela soit l’œuvre de saboteurs. Ces générateurs sont bouclés à quadruple tour et il faudrait une armée pour y accéder. Ils pourraient réussir sur un vaisseau, mais sur le quart de la flotte, et ce sans se faire remarquer ?

- Que nous reste-t-il comme option ? Si nous attaquons sans bouclier, le résultat sera pire que lors du désastre de Kovenhafn.

- Vous n’avez pas encore plus désagréable, comme référence ?

- Il reste la possibilité « arme secrète », dit Aelfwidh du ton de celui qui n’y croit pas lui-même.

- Nous serions donc tombés si bas pour envisager cela ? Procédons plutôt avec méthode : nous connaissons les effets mais, dans le cas d’une arme, nous ignorons le vecteur. Quel engin peut obtenir de tels résultats ?

- La torpille à disruption de champ, répondirent en chœur les trois autres.

- Pourtant aucune torpille n’a jamais été détectée ni aucun impact ou explosion enregistré.

- Un projecteur disruptif alors, ricana Delervis.

- Bien sûr ! Et je suis le meilleur ami du Caldan.

- L’amour-haine n’est pas à exclure.

- A l’inverse du projecteur disruptif. Ce projet casse les dents de tous nos laboratoires de recherches depuis des années.

- D’autant que l‘Institut de Recherche Militaire le croit tout bonnement irréalisable.

Delervis eut un geste méprisant de la main.

- Ces gens là sont des incompétents. De plus, qui nous dit qu’Ehlermann n’a pas réalisé une avancée inespérée puisqu’eux aussi doivent avoir leur propre groupe de recherche sur le sujet ?

- Soit, pour l’amour de l’hypothèse. Second difficulté pour eux à résoudre, la taille. Déjà que la torpille elle-même est monstrueusement surdimensionnée, le projecteur qu’ils auraient mis au point devrait prendre une place folle. Aucun vaisseau de guerre ne peut se le permettre.

- Aucun vaisseau de guerre effectivement, répondit Aelfwidh. C’est donc à cela que doivent servir les cargos dispersés au milieu de leur ligne.

- En effet… donc ils ont un projecteur, ou plus… Maintenant que nous avons a priori brillamment cerné le problème, quelqu’un a-t-il une idée lumineuse pour le résoudre ?

- Le seul moyen d’éviter les effets d’une torpille est de ne pas être dans son aire d’effet lorsque celle-ci détonne, récita Von Raukov. Tiré du Manuel. Magnifiquement inefficace dans le cas d’un projecteur, ce qui explique pourquoi nous voulons tant en mettre un au point. Il va donc falloir innover.

- Tout ce que j’aime, grogna Delervis.

- Réfléchissez donc, au lieu de vous montrer aussi bête !

- Amiral, j’ose croire qu’un jour votre arrogance vous restera en travers de la gorge. Et je boirai alors avec plaisir au dessus de votre tombe.

Silvestri soupira longuement. Puis il abattit son poing sur son accoudoir et rugit :

- Je vous remercie de conforter l’opinion que j’avais de vous, Delervis : un abruti sans aucune imagination ni compétence pour diriger une quelconque navette et encore moins une flotte de cette ampleur ! Vous ne devez votre nomination qu’aux poussées des Caldan et à la faiblesse de mon prédécesseur. Vous êtes tout bonnement un inutile, alors à moins qu’une idée germe dans le néant que renferme votre boîte crânienne, je vous demanderai dorénavant de vous taire !

- C’est outrageant ! Mon grade d’am…

- Je vous ai dit de la fermer ! Si je dois encore me répéter, je demanderai votre destitution publique. Alors, la paix !

Delervis devint blême de rage et serra les poings, mais ne dit rien. Il jeta un coup d’œil alentours pour chercher du soutien : Von Raukov tout comme Richeau le regardaient comme on l’eut fait d’un animal en cage, vestige d’une époque révolue. Aelfwidh quant à lui préféra détourner les yeux : ils faisaient certes tous deux partie de la coterie Caldan, mais Delervis avait outrageusement dépassé les bornes du raisonnable et il ne se sentait aucune espèce de loyauté envers lui. Il existait des priorités, et s’opposer frontalement à Silvestri n’en faisait pas partie. Abandonné, humilié, Delervis s’avachit dans son fauteuil sans plus s’intéresser à la conférence.

- Sans vouloir interrompre cette grande scène, vous n’avez pas à régler des problèmes d’une échelle légèrement plus importante ? intervint Richeau qui commençait à perdre sérieusement patience.

- On ne peut pas avancer, on ne peut plus reculer, fit remarquer Von Raukov. Cela limite les options.

- Vous enfoncez des portes ouvertes. Mais je suis persuadé qu’il y a une voie médiane… Toute nouvelle arme a une parade.

- Ce qui m’exaspère justement, c’est ce titre de nouvelle arme. Les renseignements ne sont quand même idiots, et toute information de cette ampleur finit immanquablement par se savoir.

- A moins, justement, qu’ils n’en aient pas eu le temps, parce que ce sont encore des prototypes.

- Même ainsi, nous aurions du connaître l’existence de leur programme, tempêta Silvestri si énervé qu’il se leva de son fauteuil pour arpenter la passerelle.

- Si les Beldassi, connus pour leurs services secrets, avaient eu vent de la moitié de nos programmes militaires ouverts malgré notre baisse de crédits, voilà longtemps qu’ils auraient grimpé aux rideaux. Les renseignements ne sont pas la panacée, amiral.

- Encore une illusion qui s’envole. Richeau, quel serait notre intérêt d’avoir en face de nous des prototypes et non des modèles de série ?

- Mon expérience m’a maintes fois confirmé que la stabilité chez un prototype est illusoire. Leurs projecteurs doivent ressembler à une coupe de porcelaine : une manipulation de travers et le tout disjoncte, dans le meilleur des cas.

- Mais ici, la manipulation peut se jouer à deux, dit Von Raukov qui commençait à comprendre. Si le projecteur agit sur nous, par feedback nous agissons également sur lui. Ergo, ils nous ont donné le moyen de tout faire sauter.

- il suffit… Mais comment ?

- Que quelqu’un nous repasse les données enregistrées. Regardez tout ! Et vite, avant que ceux d’en face ne décident que c’est maintenant l’heure de la curée.

Et tous de se mettre au travail, amiraux comme membres des Etats-majors, épluchant et ré-épluchant les enregistrements, pressés par le temps et par l’ampleur de la tâche.

- Ce qui me surprend, c’est qu’avec leur vingtaine de projecteurs, il ne nous aient pas encore mis à genoux.

Tous les visages sur la passerelle du Jotunheim, physiques comme holographiques, se tournèrent vers l’enseigne qui venait d’ouvrir la bouche. Celui-ci, gêné d’être ainsi le centre de l’attention générale et surtout de celle de Silvestri, fit un pas en arrière.

- De laquelle de vos manches pouvez-vous bien sortir ce chiffre ?

- Amiral, j’ai compté une vingtaine de transporteurs dans leur ligne de bataille, dit-il avec un geste vague de la main.

- Je pense quant à moi que vous êtes tombé dans le panneau. Le mot « leurre » vous dit quelque chose ?

- En êtes-vous certain, amiral ?

- Comme vous le disiez si bien, soupira Silvestri, s’ils étaient vingt, nous chercherions désespérément le moindre bouclier encore actif.

En entendant cela, Aelfwidh pianota fiévreusement sur l’ordinateur placé à côté de lui.

- Si l’on observe attentivement les relevés, on remarque que jamais plus de quatre vaisseaux ou groupe de vaisseaux légers ne sont touchés au même instant. On peut donc en déduire sans trop de risque d’erreur qu’il n’y a que quatre « véritables » projecteurs.

- Ce qui nous amène où ? rétorqua Silvestri.

- C’est déjà un début ! Pensez-vous vraiment que nous trouvions la solution miracle en cinq minutes alors qu’ils ont mis des années à développer cet armement ?

- C’est pour cela que nous sommes payés, avoir toujours une longueur d’avance.

Aelfwidh préféra ne pas répondre. On entendit en lieu et place un vague grommellement ressemblant à quelque chose comme « pas payé pour faire des miracles ». Dans le silence qui suivit une seule voix se fit entendre, celle de l’enseigne, qui s’attira un nouveau coup d’œil furibond de Silvestri.

- J’ai peut-être quelque chose, dit-il sans oser aller plus loin.

Silvestri attendit quelques instants avant de répondre.

- Alors quoi ? Vous attendez qu’un Ehlermannien vienne vérifier si c’est la bonne solution ?

- Non amiral, bredouilla le jeune enseigne. J’ai remarqué qu’excepté au début de l’attaque où seule le Ravennes était touché, le nombre de vaisseaux touchés est très rarement inférieur à quatre.

- Je ne vois pas le rapport…

- Amiral, le temps de latence est de l’ordre de quelques secondes, or il faut constater l’effondrement des boucliers, reporter l’ordre au capitaine qui donne la nouvelle cible, entrer ses coordonnées dans le projecteur et attendre les premiers effets. C’est extrêmement court.

- Anormal… ils veulent impressionner l’Etat-major ?

- Je ne pense pas, amiral : lorsqu’on veut impressionner les gradés sur une nouvelle arme, on le fait sur l’efficacité et non sur la rapidité de réaction, sujette à aléas. A mon avis, cette rapidité leur est nécessaire.

- Et pourquoi donc ? demanda railleusement un des tacticiens de la passerelle.

- Selon moi, monsieur, ils évitent à dessein de trop faire fonctionner leurs projecteurs dans le vide. La raison est simple à deviner. Pour contrer définitivement cette arme, il faut donc les y forcer.

- Alors que c’est ce qu’ils évitent comme la peste ? Amiral, cet enseigne craque sous la pression, il ne sait plus ce qu’il dit !

- Je vous assure, amiral, qu’il existe un moyen de réussir à mettre ce projecteurs hors de combat, plaida désespérément l’enseigne.

- J’écoute…

- Mais, amiral…

- La ferme, vous, dit Silvestri. Vous n’avez toujours pas mis au point de stratégie, il me semble. Alors écoutons ce que lui a à nous dire, cela ne peut pas nous faire de mal.

- Ma proposition est simple, amiral. Pour faire disjoncter les projecteurs, il faut les faire travailler dans le vide sans que leurs opérateurs ne s’en rendent compte. Et le seul moyen d’y arriver est de lever et d’abaisser rapidement nos boucliers.

Dans la seconde qui suivit, la plupart des tacticiens se mirent à rugir, verts de rage : les autres étaient trop congestionnés pour exprimer un son. L’un d’eux, menaçant, avança jusqu’à l’enseigne terrifié. Celui-ci regarda vers Silvestri qui dominait impassiblement la scène.

- En voilà assez ! Vous ne proposez ni plus ni moins que de faire griller nos rares bouclier restants ! Alors, soit vous êtes suicidaire et il faut vous faire interner, soit vous êtes un traître et il faut vous flanquer par le sas. Je penche personnellement pour la seconde solution.

- Calmez-vous, Biota. Que voulez-vous dire ?

- Ce que tout enseigne qui sort de l’Ecole de Guerre devrait savoir amiral. L’accumulation de surcharges électriques de grande importance dues à l’allumage des boucliers, et ce dans un bref laps de temps, fera plus pour nous faire disjoncter que tout ce qu’Ehlermann pourrait nous envoyer. Nous allons véritablement nous retrouver sans boucliers si nous suivons cette idée.

- Je vois, dit pensivement Silvestri. Et après combien de ces allumages les plombs vont-ils sauter ?

- Nous n’en savons rien amiral, mais très peu.

- Et vous, enseigne, votre analyse ?

Celui-ci hésita un bref instant avant de répondre.

- Amiral, j’appartiens à la Gens Ramilia, dont les usines sont chargées de concevoir et construire ces boucliers. J’ai confiance en elles et je suis prêt à mettre mon honneur en jeu pour vous convaincre.

Silvestri regarda longuement l’enseigne qui commença à basculer nerveusement d’un pied sur l’autre.

- En ce cas, je vous prends au mot. Communications, faites passer l’ordre à la flotte. Et fasse le ciel que ça marche, car l’alternative ne nous plaira pas.

Quelques instants plus tard, les vaisseaux des Confins furent englobés par la lueur bleue ténue de leurs boucliers qui se levaient et s’abaissaient rapidement. Le manège continua un certain temps pendant que tous guettaient anxieusement une réaction de la flotte d’Ehlermann. Des rapports alarmants commencèrent à affluer en provenance de toute la flotte : le Mazov et le K’enss’iil avaient fait disjoncter leur circuit d’allumage, le Caernarfon avait subi une surcharge catastrophique… et ce n’était que le début. La situation était si désastreuse que Silvestri donna l’ordre de tout stopper.

- Quelqu’un sait-il pourquoi cela n’a pas fonctionné ?

- Parce que cette idée es totalementt irréalisable, amiral, et que ce méprisable Ramilia est de mèche avec Ehlermann depuis le début. Il a abusé de votre confiance !

- Que ? Comment osez-vous, tacticien ? rugit l’autre en jaillissant comme un diable hors de sa boîte. Retirez vos paroles immédiatement, car c’est votre ressentiment d’Extrême envers nous, les Installés, qui vous fait parler.

- Vous allez voir ce que va vous dire mon ressentiment, espèce de traître !

- Taisez-vous tous les deux, ou je demande à vous faire goûter au vide spatial.

La menace proférée sur un ton mortellement sérieux, figea les deux hommes sur place. Après un dernier regard haineux, ils retournèrent tous deux à leur place respective.

- Merci, Aelfwidh… Croyez bien, messieurs, que je veillerai à ce que vous soyez punis comme le mérite votre attitude une fois tout ceci terminé. Cependant, nous n’en somme pas là et un autre problème l’attention immédiate de tous… Pourquoi ça foire, nom de nom ?

- Nous croyons avoir compris, amiral. En réalité, il semble que le programme d’acquisition de cible détecte rapidement nos fluctuations d’énergie, ce qui fait qu’il se focalise immédiatement sur un autre vaisseau.

Silvestri se surprit à soupirer. N’y avait-il donc aucun moyen de se sortir de cette situation autrement que la tête basse, obligé de signer une ignominieuse reddition, ou avec une flotte sans doute réduite à l’état d’épave avant même de sortir de la nasse dans laquelle elle s’était elle-même jetée ?

- J’ai la solution à ce problème, amiral.

Celui-ci releva immédiatement la tête et étrécit les yeux quand il vit celui qui avait parlé.

- Enseigne… Qu’est-ce qui vous fait croire que cette idée a de meilleures chances de fonctionner que la précédente, au nom de laquelle je devrais vous faire mettre en cellule ?

- Si le programme d’acquisition de cible ennemi arrive à repérer nos fluctuations de puissance, c’est que les opérateurs humains ne vont pas assez rapidement dans leur tâche. En demandant aux ordinateurs des vaisseaux de s’en occuper après avoir débranché les sécurités, nous devrions arriver à des périodes inférieures à la seconde. Celles-ci ne seraient pas détectées, le projecteur ne changerait pas de cible, mais les périodes accumulées auraient l’effet dévastateur que nous attendons.

- Autant dire adieu à nos boucliers…

- C’est déjà le cas si rien n’est fait très rapidement.

Silvestri se tourna vers sa passerelle et éleva la voix.

- Tacticiens, vos avis je vous prie.

Ceux-ci discutèrent âprement durant quelques instants que Silvestri passa à pianoter nerveusement sur son siège.

- En vérité, amiral, dit l’un d’eux, ce plan nous apparait suicidaire, mais c’est le seul que nous ayons. Au point où nous en sommes, il ne fait, selon nous, rien de plus que préconiser la destruction de boucliers qui le seront de toute façon par l’ennemi si nous les laissons levés. A contrecœur, nous préconisons donc de le mettre en œuvre.

- Alors faites-le.
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De Vaanne
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeMar 1 Déc - 21:22

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Et la tension montait alors que les secondes s’écoulaient, lentes, trop lentes… Plus personne sur aucun vaisseau amiral ne cherchait à maintenir l’illusion d’activité, tous restaient les yeux vissés sur les affichages stratégiques et sur les amiraux, espérant quelque chose, un signe, un miracle. L’enseigne Ramilia sentit un ruisselet de sueur lui descendre le long de l’échine. Il jeta un coup d’œil mal à l’aise vers l’amiral Silvestri qui lui répondit d’un rictus bestial. Promesses de conséquences déplaisantes si son plan ne fonctionnait pas ou amusement teinté de désespoir, l’enseigne n’aurait pu le dire.

Il promena son regard sur la passerelle : plus un mouvement, plus un bruit ne se faisait entendre. Les tacticiens, rassemblés autour d’une table des cartes, respiraient lourdement et l’enseigne voyait des gouttes de sueur leur couler dans les yeux. Les autres opérateurs attendaient sans bouger, et l’espoir qu’ils portaient en Silvestri se voyait nettement dans leurs regards.

L’un d’eux fit volte face pour lire quelque chose qui s’inscrivait rapidement sur son écran. Il se racla la gorge et annonça d’une voix blanche :


- Amiral, de nombreux vaisseaux nous rapportent que leurs boucliers surchauffent. Ils sont obligés de cesser la manœuvre pour les sauvegarder.

- Surement pas, tonna Silvestri dont la voix fit sursauter dans le monde dans le silence quasi saint qui l’entourait. Je veux qu’ils continuent jusqu’à ce que leur bouclier explose, s’il le faut. Cela doit fonctionner !

- Mais… la situation est critique, amiral, osa ajouter un tacticien. Il est clair maintenant que cela ne fonctionnera pas. Pour notre bien à tous, nous vous supplions de cesser cette folie !

- Nos boucliers sont condamnés de toute façon, alors mieux vaut qu’ils sautent de notre main ! Je n’accepterai aucune récrimination sur ce point, est-ce bien clair, tacticien Biota ?

- Vous nous conduisez à la mort, vieux fou ! Des années derrière un bureau vous ont engourdi l’esprit. Nous sommes condamnés à cause de vous, vous entendez ? hurla Biota, hors d’haleine.

Silvestri, très calme en apparence, fit un geste à un des gardes à l’entrée de la passerelle.

- Je crois que vous n’allez pas bien, tacticien… laissez un de ces hommes vous raccompagner à vos quartiers le temps de vous calmer.

Biota sortit son arme de service et la braqua sur Silvestri. Tous les hommes sur la passerelle se figèrent, en regardant avec stupéfaction cet acte de folie. Les soldats le mirent immédiatement en joue, mais n’osèrent pas tirer.

- Une mutinerie, maintenant ? Ne dépasseriez-vous pas les bornes, surtout durant une bataille d’une telle importance ?

- Je n’en serais pas arrivé à cette extrémité si vous aviez été un peu plus compétent. Donnez l’ordre à la flotte de cesser de jouer avec ses boucliers.

- Je ne le ferai pas, et vous le savez très bien, car c’est notre meilleur moyen de nous en sortir.

- Je vais vous tirer dessus.

- Privant du même coup la flotte de son amiral, alors que vous n’aurez aucun moyen de concrétiser cet avantage vu que dès que vous aurez tiré, vous serez transformé en sac de viande avariée par toutes les personnes ici présentes possédant une arme.

La situation resta figée durant plusieurs secondes quand un cri provint de la fosse des opérateurs :

- Il se passe quelque chose dans la flotte d’Ehlermann !

Par réflexe, tout le monde tourna la tête vers lui, même Biota, dont le geste fit dévier légèrement la mire. Profitant de l’inattention, Silvestri se jeta hors de son siège pour s’écarter. Pris de court, le tacticien visa hâtivement et fit feu, touchant l’amiral à l’épaule. Un instant plus tard, il fut transpercé par plusieurs volées de grenaille qui le transformèrent en une pulpe sanglante. Plusieurs personnes coururent aider un Silvestri livide à se relever.

- Belle diversion, dit-il à l’opérateur.

- Ce n’en était pas une, amiral. Nous avons réussi, les quatre cargos modifiés ont subi des explosions importantes et sont hors d’usage.

- Quel gâchis, par l’Enfer, quel gâchis… Signalez l’ordre de cesser aux vaisseaux qui ont encore un bouclier.

- Oui, amiral. Je voulais dire aussi que la flotte d’Ehlermann a décidé d’avancer.

Silvestri lâcha quelques jurons et s’appuya sur l’un des soldats qui se tenait à côté de lui pour se relever. La douleur le fit grimacer et retomber au sol.

- Aidez-moi à me rasseoir, dit-il à la ronde. Il faut que je voie ça.

- Amiral, il faut vous emmener à l’infirmerie, dit l’hologramme de Richeau. Vous semblez perdre beaucoup de sang.

- Alors que les ennuis commencent vraiment ? Jamais. Faites plutôt venir un médecin avec des bandages et des piqûres d’antidouleur. Je refuse de bouger un tant soit peu de la passerelle. Exécution ! hurla-t-il avec une grimace.

Avec le maximum de douceur possible, les quelques personnes déjà aux côtés de Silvestri le ramenèrent sur son fauteuil et l’y installèrent tant bien que mal. Le temps que le médecin arrive au pas de course, l’amiral était devenu livide et ses traits s’étaient creusés, accusant désormais bien plus que son âge. Le médecin fit un rapide bandage et injecta une dose d’antidouleur, ce qui eut pour effet d’enlever quelques rides du visage de Silvestri, qui refusa fermement la deuxième qu’on lui proposait.

- Je dois avoir l’esprit clair, et cela me serait impossible avec tout ça dans mes veines.

- Amiral, je devrais rester auprès de vous, en cas de problème, osa ajouter le médecin, un jeune homme terrifié par l’image et la réputation de Silvestri.

Lequel le regarda un instant avant de faire le geste de hausser les épaules et de se mordre les lèvres un instant plus tard.

- Tant que vous ne restez pas en travers du chemin…

- Oui amiral, répondit l’autre en se plaçant derrière le fauteuil de commandement pour ne pas gêner, du moins l’espérait-il, la communication entre l’amiral et les tacticiens.

- Quelle est la situation ?

- La ligne ennemie avance, et elle entrera bien tôt en limite de portée. Vitesse d’attaque standard, mais ils se tiennent prêts à piler pour nous bloquer le passage. Formation croissante : les cuirassés avancent protégés par les unités légères.

- A toute la flotte : formation inversée. Les frégates doivent rester sous couvert des boucliers des unités lourdes. Propulsion, donnez-moi de l’inertie ! Je veux pouvoir effectuer une manœuvre rapide.

- Vitesse en avant un dixième, bien amiral.

- Communications, quel est le statut longue distance ?

- Complètement brouillé, répondit un tacticien, et ce depuis l’arrivée d’Ehlermann dans le système. Seule notre navette cachée dans le champ d’astéroïdes peut espérer lancer le signal.

- Vous les avez prévenus, j’imagine ?

- Oui amiral, cependant il n’ont reçu aucune réponse, et ce depuis près d’un quart d’heure. Cela commence à m’inquiéter… La Guilde devrait déjà être en route à pleine vitesse.

- Le Maître de la Guilde, s’il sait ce qui est bon pour lui, ne devrait pas me laisser tomber… Par acquis de conscience, demandez quand même à la navette de quitter son emplacement et de se rendre au point d’attente de leur flotte, puis de revenir nous faire un rapport fissa. En attendant, parons au plus pressé. Je veux une solution de tir sur la cible la plus proche, et une autre sur une de leurs unités lourdes qui nous fait face.

- Il appert, dit l’hologramme d’Aelfwidh, que les chasseurs doivent rester dans leurs hangars jusqu’aux engagements rapprochés. Voilà qui va encore les mettre de mauvaise humeur.

- En effet. Mais les faire sortir maintenant ne vaudrait qu’à les considérer comme un écran de mauvaise qualité et sacrifiable, en plus de limiter leur autonomie opérationnelle pour un résultat nul.

- Je vous confirme tous les deux, intervint Von Raukov. Comme tous les pilotes, je déteste positivement rester parqué comme du bétail dans les baies de lancement, et pourtant j’ai toujours eu du mal à intercepter un tir laser de cuirassé large comme trois fois un chasseur.

- Etrange… Bien, maintenant que tout est dit, nous allons passer en communications de combat. Restons-en au strict minimum pour coordonner nos actions, messieurs. Et madame bien sûr, ajouta Silvestri en souriant à l’hologramme de Richeau, très occupée à parler hors du champ.

L’amiral appuya sur une touche de la console de ses accoudoirs et les hologrammes se dématérialisèrent pour être remplacés par une icône indiquant que seul le contact vocal était maintenu avec les autres amiraux. De plus pour ne pas se gêner, tous coupaient l’enregistrement de voix sauf dans les cas nécessaires, auquel cas les autres étaient prévenus par une légère variation du motif.

- Les Confins s’attendent à ce que chacun fasse son devoir, murmura-t-il pour lui-même. A titre personnel, j’espère qu’ils en feront plus car le devoir seul ne suffira pas… Maudit soit le Caldan, sa clique et ses manigances ! Maudit soit ce mégalomane assoiffé de pouvoir.

Un appel le rappela à la réalité.

- Amiral, la solution de tir est prête. Nous attendons votre ordre pour les salves.

- Cible la plus proche ?

- Une frégate de flak, classe Avalanche.

- Une pleine salve devrait suffire, dans ce cas. Et l’autre ?

- Un croiseur lourd entré dans nos bases de données comme l’Equinoxe.

- Un vaisseau et un capitaine réputés. Ordre de tir à volonté, il ne mérite pas moins. En attendant, feu sur la frégate.

- Oui amiral, dit l’enseigne responsable de l’artillerie, qui s’affaira à transmettre les coordonnées de la cible à toutes les batteries à portée.

Quelques instants plus, on vit de la baie d’observation de la passerelle les énormes tourelles laser du Jotunheim pivoter pour fixer un point de l’espace apparemment vide de toute présence, d’autres plus petites les imitant comme des enfants prendraient leurs parents pour modèle. Le vaisseau entier se mit alors à trembler comme les générateurs déchargeaient leur puissance dans les canons. Les tubes s’illuminèrent un bref instant et le tremblement mourut, remplacé par un léger bourdonnement : toujours les générateurs qui cherchaient à récupérer de la puissance auprès du réacteur du vaisseau.

Comme des musiciens qui attendaient le chef d’orchestre, les vaisseaux des Confins avaient attendu que le Jotunheim prenne l’initiative. Une fois qu’ils eurent repéré les tirs, il firent de même et l’espace s’illumina de traits de feu qui se dirigeaient à vive allure vers la ligne d’Ehlermann. A l’impact, les boucliers ennemis prirent de profondes couleurs chaudes pour essayer de dissiper l’afflux massif d’énergie. Ce ne fut pas suffisant pour quelques uns qui cédèrent. Plusieurs vaisseaux furent gravement endommagés mais la plupart ne souffrirent que d’impacts mineurs. La frégate ciblée par le Jotunheim, par contre, avait pris sur elle la fureur entière d’un cuirassé, et sa punition fut incommensurable. Les boucliers furent surchargés en un instant et des impacts monumentaux déchirèrent sa coque comme du papier. A la fin de la salve, la frégate, ou ce qu’il en restait, était devenue une épave totalement désemparée, sans moteur opérationnel, sans réelle ressemblance avec le fier vaisseau qu’elle était quelques secondes auparavant et fut rapidement laissée sur place par ses alliés.
Sur le Jotunheim, un timide hourra salua le premier coup au but de la bataille, mais il se tut rapidement : Ehlermann venait de riposter.

Le ballet se répercuta en sens inverse, à la différence notable que Silvestri avait pris sur lui de risquer se unités lourdes en première ligne dès le début de l’engagement. Non pas qu’il ait d’ailleurs eu beaucoup de choix, et ses collègues avaient approuvé cette idée dans les réunions tactiques avant le départ pour Ehlermann malgré leur répugnance à tout risquer dès le départ, mais seuls les cuirassés avaient vu leur coques et leurs boucliers suffisamment bien entretenus pour supporter des tirs durant la longue période de temps où les deux flottes se feraient face, s’avançant l’une vers l’autres, sans pouvoir manœuvrer.


- Amiral, le Ravennes signale qu’il est pris pour cibles par plusieurs hostiles. Les dégâts semblent importants et son capitaine requiert une assistance.

Silvestri poussa un juron et étudia quelques instants la carte qui représentait sa ligne de bataille.

- J’avais oublié de tenir compte de ça, par l’Enfer… Il faut que les vaisseaux de moindre taille tirent profit de leur proximité avec leurs semblables pour se protéger derrière des boucliers actifs. Peu importe que la ligne présente, à ce stade, une légère brisure.

- Et pour le Ravennes, amiral ?

- Satanés croiseurs légers et leur taille non standard… Des espèces de crayons hérissés de tourelles… Tant pis, faites le échanger de place avec notre ailier, le croiseur lourd Margdanz, et qu’il vienne se planquer derrière nous, ou peu s’en faut. Prévenez les capitaines, et qu’ils manoeuvrent rapidement. Pas besoin de leur rappeler qu’ils vont présenter leur flanc à tous les tirs.

- Bien reçu, je transmets l’ordre. Nul doute que le capitaine va en être soulagé.

- Peu importe qu’il le soit tant qu’il se débrouille avec les moyens du bord. Il a intérêt à doubler son quota de chasseurs détruits.

Les tacticiens ricanèrent nerveusement à la plaisanterie de Silvestri.

- Il va être étonné de savoir qu’il avait un quota.

- Je devrais mettre ça en place, ça motiverait un peu les capitaines…

- Permettez-moi de donner ma démission juste avant, dans ce cas. Les mutineries seraient légions...

Un chiffre sur l’écran tactique attira l’œil du tacticien qui fit quelques calculs.

- Nous sommes arrivés en limite de portée des torpilles conventionnelles et des batteries légères, amiral. Je recommanderais de lancer une salve explosive, de façon, principalement, à soulager nos boucliers.

- Transmettez l’ordre à la flotte. Quant à nous, rechargez les tubes avec des torpilles disruptives. Je veux leur faire payer. Lancez la chasse à la suite des torpilles, qu’ils essayent de passer sans se faire remarquer au travers des explosions, mais gardez quelques escadrons en défense rapprochée.

***

Et les deux flottes continuèrent de se canonner tout en se rapprochant l’une de l’autre, par tous les moyens imaginables. Du bombardier, agile vaisseau biplace qui transporte des bombes à haut pouvoir disruptif, capable, en grand nombre, de causer des dommages irréparables à n’importe quel vaisseau aux tirs laser issus de canons aussi gros que des immeubles, en passant par les innombrables classes de torpilles, différenciées suivant leurs effets et leur puissance, tout était mis en œuvre pour transformer l’autre en un agrégat de ses composants principaux, à savoir quelques atomes perdus l’espace. Les frégates, légers et agiles vaisseaux, payaient un lourd tribut au rapprochement des deux flottes de Léviathans, mais n’étaient pas les dernières à concentrer leurs tirs sur une proie laissée sans défense par un tir précédent. Dans le silence de l’espace, tout ceci laissait croire à une pantomime macabre, un spectacle destiné à apaiser la soif d’un jeune dieu sanguinaire. Poussés par une volonté supérieure, les vaisseaux avançaient sans se soucier de leurs semblables qui tombaient par poignées. Un seul objectif, un seul but : prendre l’adversaire à la gorge et le mordre jusqu’à ce que les chairs se déchirent ou que l’ennemi s’étouffe.

Indifférente à ce déchaînement de fureur et de violence, une petite sonde portant le blason de la gens Silvestri, à savoir la chute d’eau sur sable plain, émergea de l’hyperespace en bordure du système, à distance suffisante de tout ce qui pourrait lui causer préjudice, à elle et son message.. L’ordinateur prit quelques instants pour analyser la situation quelque peu confuse qui se présentait à lui. Ayant trouvé le vaisseau qu’il cherchait, le Jotunheim, il émit une brève impulsion dans sa direction et attendit la réponse.

***

Sur la passerelle du Jotunheim, un officier de communications remarqua la transmission, qui ne correspondait à aucun format de données utilisé par la flotte et l’isola sur son terminal. Estimant qu’il s’agissait d’un message civil provenu d’une quelconque barcasse commerciale aux limbes du système, il essaya de le décoder et échoua plusieurs fois. En désespoir de cause, il appela son supérieur, qui devina immédiatement l’expéditeur du message.


- Normal que tu n'aies pas réussi. Il s’agit d’un format de cryptage spécial utilisé par les Silvestri. Même la flotte n’en a pas de semblables. Transfère ça immédiatement sur le fauteuil de l’amiral et efface le de ton terminal, pas question que nous mettions notre nez là dedans.

L’amiral fronça les sourcils à l’annoncé de ce bref message et détourna quelques instants son attention de la bataille qui se déroulait, laissant toute latitude à ses tacticiens. Il mit en marche un logiciel de décryptage spécial sur sa console, y fit passer la transmission et se pencha légèrement en avant, soucieux, lorsque le message entier lui apparut. Le message comportait le nom de l’expéditeur, le blason de sa Maison (le Représentant Silvestri) et invitait à fournir un autre code confidentiel à l’expéditeur pour qu’il envoie la totalité du message.

- C’est pas vrai, que donc me veut ce cousinet politicard ? murmura Silvestri en répondant à la demande formulée. Avec un peu de chance, ce sera pour m’annoncer que le Caldan est malencontreusement décédé d’un infarctus foudroyant.

Quelques secondes plus tard lui arriva le véritable message sous forme holographique, qu’il fallut encore une fois faire passer à travers un décodage spécifique, détenu uniquement par les plus hauts échelons Silvestri. Le Représentant, lointain cousin de l’amiral, apparut et se mit aussitôt à déclamer son message.

- Bonjour cousin. Tu m’excuseras de sauter les formules de politesse, je n’ai pas le temps, et toi non plus. J’espère que ma sonde t’a précédé sur Alteris. En effet, le Caldan, mille fois maudit soit-il, avait été tenu au courant de tes plans. Il en a profité pour faire voter à l’Assemblée la réquisition immédiate de la flotte de la Guilde pour qu’elle serve au transport de l’aide aux planètes Extrêmes. Albaréos a les mains liées, cousin ! Il ne peut plus venir t’aider, s’il tient à son monopole ! Tout ceci m’a l’air d’un coup monté : le Caldan ne doit chercher que ta défaite ! Tu es seul, maintenant, évite le combat à tout prix !

L’amiral resta quelques instants à fixer le vide une fois le message terminé, hagard : tout son plan venait de tomber à l’eau. Une rage indicible contre celui qui en était à l’origine l’emplit et il se mit à hurler si fort que sur la passerelle du Jotunheim nulle conversation ne pouvait plus avoir lieu. Il se tut une fois ses poumons vidés, haletant de la douleur que cela lui avait causé, puis rétablit le contact avec les autres amiraux.

- Le plan est tombé à l’eau et nous sommes dans une situation difficile, maintenant. La Guilde ne viendra pas.

Von Raukov jura entre ses dents.

- Que s’est-il passé ?

- Il se passe que l’honorable Caldan, cet immonde salopard, ce bâtard issu des bordels de Valcyria, a réquisitionné la flotte de la Guilde en nous condamnant de ce fait au massacre. Si je rentre, je vous jure que c’est pour lui planter mon épée dans le gras.

- Il n’aurait pas osé, quand même ? Nous sacrifier, tous ? Même nous deux ? demanda Delervis, horrifié.

- A croire que vous ne lui êtes plus indispensables.

- Non, c’est impossible ! Je ne peux pas croire que cela soit de son fait. Il doit y avoir autre chose.

- Pour ce qu’on s’en fiche, maintenant… soupira Aelfwidh. Si nous revenons, il y a aura tout le temps, comme le dit Silvestri, d’interroger le Représentant Caldan sur ses agissements. Entre temps, il faudrait s’arranger pour se sortir de ce pétrin en vainquant.

- Tentons une percée pour nous échapper ! Il faut fuir cette nasse.

- Nous nous ferions massacrer à passer au travers de la ligne d’Ehlermann. Sans compte que Richeau et ses canonnières sont trop loin pour nous suivre.

- Peu importent les canonnières !

- Merci de cette intéressante observation, Delervis. Je la note… grinça Richeau.

- Je crois que nous n’avons pas le choix… il faut continuer le plan comme prévu.

- Si l’Unique et nos canons le veulent, répondit Silvestri. Bonne chasse, messieurs. Et restez vivants.
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De Vaanne
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeJeu 17 Déc - 0:48

La guerre des Confins Chap11lesmeutessz0





Les deux lignes de vaisseaux étaient désormais presque arrivées au contact, et les amiraux avaient fort à faire pour maintenir la cohésion de la formation, entre les vaisseaux endommagés et incapables de manœuvrer, ceux purement et simplement détruits (le plus souvent des frégates qui n’avaient rien demandé à personne mais qui s’étaient retrouvées sans crier gare la cible privilégiée d’un des mastodontes qui approchaient) et quelques autres dont la responsabilité des errements incombait hélas en tout ou partie à leur capitaine. Ceux-là, Silvestri les avait repérés durant l’entraînement préalable et leur avait asséné ses quatre vérités. Certains s’étaient pliés à sa vision des choses et avaient fait des efforts louables en point d’en paraître presque professionnels à ses yeux (qualificatifs qu’il ne décernait en réalité qu’aux capitaines qui avaient servi sous ses ordres durant une longue période) alors que d’autres persistaient dans leur vision des choses. Pour ceux là, du moins ceux qui étaient sous son commandement direct, Silvestri n’avait pas de mots assez durs, et ils se voyaient reprendre en main de façon assez cavalière.
Cependant, même Silvestri n’avait pas de temps à perdre à remonter les bretelles de quelques uns, et avec la douleur qui pulsait malgré les injections et les soins que le pauvre médecin s’acharnait à administrer à intervalles réguliers, il avait du mal à garder une vision claire de l’incroyable sac de nœud qui était en train de se densifier à une vitesse plus qu’honorable.
Sa hantise, comme celles de toutes les personnes en charge de la tactique, était de voir la ligne de la flotte fracturée en plusieurs endroits, puis celle-ci encerclée par petits groupes incapables de se défendre et réduits à néant sans avoir pu se réorganiser. Cette leçon avait été régulièrement rappelée à des stratèges imprudents. Même l’ancien Empire Universel l’avait appris à ses dépens lorsqu’une de ses flottes de rèmes s’était fait encercler par des vaisseaux plus rapides et réduire bâtiment par bâtiment alors que ceux-ci essayaient péniblement de se traîner l’un vers l’autre. Depuis cette défaite retentissante, la maniabilité et la vitesse des vaisseaux lourds avait été drastiquement améliorée au point que, lors de la mise en service des nouvelles unités rapides, les amiraux tenants de l’ancienne doctrine les avaient qualifiés « d’écureuils surdimensionnés ».


- Une brèche est entrain de s’ouvrir ici, amiral, remarqua l’un des tacticiens. Je suggère que l’on fasse légèrement déporter sur sa droite le Rikhaard pour qu’il occupe la place.

- Exact. Faites passer le message et dites lui de tenir à l’œil le cuirassé en face de lui, son capitaine m’a l’air d’être un vicieux. Et faites également passer au capitaine du Vor’halas de mieux tenir sa ligne s’il ne veut pas que je lui fasse manger ses galons ! Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à considérer leurs navires comme de simples plates-formes d’artillerie ?

- Je crains que ce soit ce qu’on leur a toujours appris, amiral. Le plus important dans un vaisseau, ce sont les canons.

- Et bien, je disconviens respectueusement. Et comme je suis aux commandes, je vais les faire changer d’avis de gré ou de force. Au Munditia, qu’il prête assistance à son ailier qui se fait pilonner, ils doivent se débarrasser de leur opposant au plus vite. Qu’en est-il des dégâts ?

- Les boucliers tiennent, amiral. Ils souffrent, mais ils tiennent. Les seules unités lourdes à subir des dégâts importants sont les K’enss’iil et consorts. Même le Ravennes n’est pas entièrement protégé par notre masse et avec son blindage assez léger, il ne faudra pas longtemps avant qu’un tir touche quelque chose d’important. Concernant les frégates, elles sont assez éloignées, les pertes sont faibles.

- Dès que nous serons en combat rapproché, j’apprécierais qu’elles s’occupent de leurs congénères afin de nous laisser le champ libre pour le gros œuvre. Qu’elles s’estiment heureuses, nous leur déblayons le chemin. En parlant de frégates, quelqu’un peut me dire où sont passées leurs frégates d’assaut ?

- Aucune trace dans leur formation, amiral. Ils ne les ont peut-être pas emportées avec eux…

- Peu probable, ils en usent et abusent. Les nôtres sont bien au milieu de la formation des frégates, prêtes à intervenir partout ?

- Les capitaines attendent vos ordres avec… impatience.

- Je n’en attendais pas moins de ces fous furieux. Dites leur de patienter encore, ajouta-t-il en hésitant après un léger tremblement du vaisseau. C’était quoi ça ?

- Une légère fluctuation des boucliers, amiral, répondit un enseigne. Nous diminuons la puissance des boucliers arrière pour renforcer l’avant.

- Et le croiseur en face, j’espère qu’il subit plus que nous, quand même ? Surtout que nous sommes maintenant quasiment à bout portant !

- La punition est sévère, et ses boucliers ont déjà lâché. Regardez d’ailleurs, le voilà qui explose, dit le tacticien en montrant un hologramme grossi de la cible.

- Magnifique… Passons à la cible suivante. Déportez-vous légèrement à gauche pour éviter le champ de débris et… attendez, ils n’agissent pas normalement ces débris ! Augmentez encore le grossissement… Comme on parlait du loup, jura-t-il après un instant d’étude. Ils avaient planqué leurs frégates dans leurs sillages ! Avertissez la flotte qu’ils sont assez fous pour avoir tenté ça.

- Fous, amiral ?

- Je sais que les frégates d’assaut ne sont que des plaques de blindage, un bouclier parmi les plus puissants et des moteurs honteusement trafiqués, mais pour supporter autant de temps et d’aussi près l’enfer de la corolle dégagée par une unité lourde, oui il faut être suicidaire. Et oui, c’est brillant. Ouvrez l’œil et détruisez toutes les unités qui pointent leur nez. Elles deviennent désormais les objectifs principaux des tourelles moyennes.

- Nous n’allons pas avoir beaucoup de temps, amiral.

- A toutes les unités, feu à volonté ! Par mesure de sécurité, faites mettre les troupes de sécurité du Jotunheim en alerte rouge et déployez les partout.

- Nous avons embarqué également des milliers de fusiliers de Ladermon pour servir de troupes au sol durant l’invasion, doit-on les déployer également ?

- Faites, si vous le souhaitez, mais bonne chance pour leur expliquer la situation.

***

L’espace, déjà largement encombré, commençait désormais à ressembler à une fête foraine : aux explosions et aux tirs lourds qui avaient jusqu’ici prévalu s’ajoutèrent soudainement des milliers de petits traits de couleur qui filaient vers leurs cibles, ces frégates sans aucune grâce ni intérêt autre que celui d’amener leur cargaison de troupes de choc le plus rapidement possible et dans un confort tout relatif vers un vaisseau dont c’était le dernier des souhaits. Cependant, si la vitesse était primordiale, la protection l’était aussi : malgré leur conception assez rustique, les frégates d’assaut comptaient donc toutes proportions gardées parmi les unités les plus chères d’une flotte, le coût des alliages étant, même pour un Aelfwidh fanatique de ces vaisseaux, atrocement prohibitif. Au milieu de tout cela virevoltaient les appareils mono et biplaces de la Chasse qui s’efforçaient de tenir leur alter ego en respect tout en infligeant le plus de dégâts possibles aux vaisseaux qui se présentaient.

- Il est temps de faire donner les frégates. Droit devant, tout ce qui est à leur portée. Quant à nous, engagez également droit devant : pour l’instant, la ligne doit encore tenir et tant pis si nous manquons relativement de cibles. Quand la mêlée sera bien engagée, il sera temps de leur montrer la puissance du Jotunheim. J’aimerais que les artilleurs et leurs princeps démontrent que nous n’avons pas gâché notre mois à nous entraîner notamment au tir à longue portée.

- Ils en seront ravis, mais ils vont manquer rapidement de cibles, amiral.

- J’en doute, il y en a bien assez pour l’instant. Autant de frégates d’assaut… c’est ahurissant, murmura pensivement Silvestri.

Il s’absorba dans la contemplation de l’hologramme stratégique qui lui faisait face, ne relevant la tête que pour donner un ordre, demander un agrandissement d’un vaisseau spécial pour en constater les dégâts par lui-même ou pour regarder à travers la grande baie d’observation l’espace devant le Jotunheim qui s’éclaircissait progressivement. D’un geste il fit afficher les icônes affichés comme frégates d’assaut en surbrillance pour pouvoir les repérer plus facilement car elles étaient sa principale priorité. Quelque chose lui fit plisser le front. Changeant la vue, il réduisit le rayon de l’affichage stratégique pour ne garder que son groupe, changea de vue et les fit tous défiler avant de revenir à une vue d’ensemble.

- Passez-moi le commodore Sajima, en bout de groupe.

- Un problème ? demanda un tacticien en relevant la tête de son propre affichage.

- Ils chassent en meutes, on dirait… En grosses meutes.

- Le commodore est en ligne, amiral.

- Merci, répondit Silvestri en activant l’hologramme de son communicateur.

Le buste de Sajima, celui d’un homme relativement jeune aux yeux fatigués chargé de maintenir le contact à gauche entre le groupe de Silvestri et celui d’Aelfwidh, sembla sortir de l’appareil. Bien qu’il restât sous les ordres directs de Silvestri, il avait le commandement d’un petit groupe de vaisseaux dont les plus grosses unités ne dépassaient pas le croiseur léger.

- J’aimerais un rapport sur l’activité des frégates d’assaut d’Ehlermann dans votre zone, commodore. Ce que m’indique l’affichage me semble erroné.

- Il y en a fort peu dans notre zone, amiral, répondit Sajima par saccades. Quelques unes esseulées. Pas de gros rassemblement. Elles sont surtout à gauche dans le groupe de l’amiral Aelfwidh ou vers vous.

- Confirmez-moi ça ?

Avant que Sajima puisse confirmer ou infirmer quoi que ce soit, l’attention de Silvestri fut attirée par un enseigne qui essayait désespérément d’attirer son attention, allant jusqu’à faire de grands signes dans sa direction. Son supérieur se préparait à le tancer vertement quand l’amiral se dirigea vers lui.

- Qu’est-ce qu’il y a ? Ce n’est pas vraiment le moment de jouer au guignol !

- Une flotte se dirige par ici, amiral. A cause de la bataille et des interférences dues au système solaire, nous n’avons pas pu la détecter très tôt. Ils seront arrivés sous peu.

- Aucun message pour l’instant ?

- Rien du tout pour l’instant, je continue de vérifier de possibles échos.

- Très bien. Beau travail, dit Silvestri en donnant une tape sur l’épaule de son interlocuteur.

En retournant vers son siège, il adressa quelques mots aux tacticiens :

- Une flotte arrive. Jusqu’à nouvel ordre, considérez-là comme hostile. Je ne me souviens pas que nous ayons des alliés dans la région.

- Plus important, amiral, le coupa un des tacticiens. Le principal groupe de frégates ennemies nous a pris pour cible et se dirige droit vers notre petit groupe.

- Donc nous allons nous faire submerger de cibles ? Rameutez la Chasse par ici, vite.

- Ils sont déjà engagés pour la plupart. Il n’y a rien que nous puissions faire de plus.

- Alors faisons confiance à nos chers artilleurs, et à nos forces de sécurité s’il y a un quelconque problème. Et si ni l’un ni l’autre ne réussissent, ils apprendront que je peux parfois me montrer souverainement désagréable.

***

Le Jotunheim commença à tisser autour de lui une véritable corolle protectrice de lasers de tailles différentes, en cela aidé généreusement par le Ravennes qui se tenait toujours dans l’ombre protectrice de son vaisseau-amiral. Les frégates attaquantes entouraient le groupe, cherchant un passage sûr parmi cet enfer et évitant grâce à leurs impressionnants moteurs les tirs les plus dangereux qui les visaient. Nombreux étaient les coups au but, mais seuls quelques-uns d’entre eux pouvaient pour l’instant se montrer incapacitants. L’une des frégates, touchée par un coup direct d’une batterie principale, se scinda en plusieurs morceaux qui continuèrent leur course et évitèrent de peu le Jotunheim. Silvestri grimaça devant l’impact évité de justesse et tança les artilleurs pour ne pas avoir éliminé les débris dangereux.
L’étau se resserra encore un peu plus : la scène faisait instinctivement penser à de paisibles herbivores attaqués sans relâche par de petits prédateurs. Il en allait certes différemment ici où les herbivores avaient des dents, mais ils n’en restaient pas moins, de par leur taille même, vulnérables. Quelques unes des frégates explosèrent ou se retirèrent, trop endommagées, mais le plus grande part atteignit son but : se positionner à quelques mètres de la coque du vaisseau cible pour dégorger des dizaines de modules transportant les troupes de choc d’Ehlermann.
Malgré toute la bonne volonté des artilleurs, il était dès lors difficile de décrocher ces sangsues d’un genre nouveau sans risquer de toucher la coque elle-même. Quelques-uns prirent cependant d’heureuses initiatives, comme un princeps d’une batterie principale qui préféra viser les frégates qui menaçaient les autres vaisseaux, l’angle de visée étant légèrement meilleur. Une des frégates qui pensait avoir fait le plus gros du travail en s’accolant au Margdanz eut la désagréable surprise de se voir traverser de part en part par un rayon qui frôla le croiseur lourd, ce qui arracha un sifflement d’admiration même à un Silvestri habituellement blasé. La même chose arriva à une frégate près du Jotunheim et quelques débris de moyenne importance heurtèrent violemment le lourd cuirassé, ce qui enfonça quelques plaques de blindage et détruisit plusieurs tourelles.
Petit à petit, les capsules s’agglutinaient sur la coque près des sas : l’assaut allait commencer.


- Les invités sont à la porte, remarqua Silvestri. Tout le monde est prêt à les accueillir ?

- Autant que faire se peut : forces de sécurité, les Ladermon, pièges, poches de résistance… A vrai dire, il ne nous manque plus que la possibilité d’employer les lance-flammes.

Silvestri ricana : un lance-flammes dans un espace confiné pouvait faire d’énormes dégâts, mais des flammes sur un vaisseau… il en frissonna d’horreur. Trop dangereux, bien trop dangereux.

- Amiral, la flotte inconnue est arrivée, signala l’enseigne qui l’avait précédemment averti de son existence. Nous n’arrivons pas à déterminer à qui elle appartient.

- C'est-à-dire ?

- Eh bien… Cela ressemble à des navires déclassés, mais ils auraient été anormalement modifiés. De plus, les transpondeurs ne sont pas clairs. Attendez, nous recevons une transmission ! Je la fais passer….

- Ce cher amiral Silvestri ! Un plaisir, n’est-il pas ?

L’hologramme éclata de rire en voyant la bouche béante de son interlocuteur. La situation avait l’air de l’amuser au-delà de toute mesure. Trop peut-être alors qu’une bataille spatiale d’envergure se déroulait juste à côté.

- Même pas un mot gentil pour m’accueillir ? Je suis déçu, vexé, même…

- Mais que… bégaya Silvestri en retrouvant sa voix. Albaréos, qu’est-ce que vous foutez là, par tous les Enfers ?

Le Maître de la Guilde reprit son sérieux, même si un léger sourire flottait sur ses lèvres alors qu’il entendait en arrière-fond les remous qu’avait provoqués l’annonce de Silvestri sur sa passerelle.

- Nous avions un accord, n’est-ce pas ? Je vous amenais la Flotte de la Guilde. Pour ne pas trop hérisser ces messieurs de l’Assemblée, j’ai du la scinder en deux, ce qui fait que le transfert d’aide aux Extrêmes va être considérablement ralenti. Certains vont en grimper aux rideaux mais tant pis pour eux. J’ai donc rameuté tous les anciens vaisseaux de la Flotte que la Guilde a racheté, et nous voici, sous-équipés, mal entraînés pour ce genre de sauterie, mais prêts à taper de l’Ehlermannien.

- Mais comment avez-vous été prévenus aussi rapidement ?

- Par votre aide de camp bien entendu. Il s’est rendu directement au point de rendez-vous, en voyant que le brouillage ennemi était trop puissant et que ses messages ne nous atteignaient pas. Il est à mes côtés en ce moment, je l’ai d’ailleurs bombardé officier de liaison.

- Je l’avais oublié, lui… Trop occupé à penser à déchiqueter le Caldan de cent façons possibles.

- Je vous aiderai avec joie… En attendant, vos ordres ? Sous mes ordres, quatre cuirassés ancien modèle, le double de vieux croiseurs-torpilleurs sans torpilles, la Flotte ne les vendait pas, et un bon compte de frégates et autres cargos modifiés.

- Je prends. Avec-ça, avancez au centre et écrasez ce que vous pouvez. Etalez-vous sur l’équivalent de mon groupe et de celui de Von Raukov à ma droite. Empêchez-les surtout de se réorganiser et de desserrer l’étau. Gardez un canal ouvert avec ma passerelle pour recevoir vos instructions.

Silvestri fit signe de couper la retransmission holographique, et écarta le médecin qui lui demandait de se calmer.

- Prévenez les autres amiraux de ces renforts. Maintenant, nous avons toutes les cartes en mains, dit-il avant que son regard se porte sur les modules d’assaut qui parsemaient la coque du Jotunheim. Juste quelques petits contretemps mineurs, ajouta-t-il, son humeur redevenue sombre.
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeLun 28 Déc - 21:32

La guerre des Confins Chapitre121





Silvestri pianotait impatiemment sur le dossier de son siège pendant que ses artilleurs s’échinaient à rayer de la carte le plus de frégates possible. Dans le même temps, de nombreux rapports lui parvenaient sur l’irruption de nombreuses troupes ennemies dans la quasi-totalité des ponts du vaisseau. Les forces de sécurité semblaient se tirer avec honneur de ces engagements, mais les fusiliers, qui n’étaient que de simples passagers, avaient beaucoup de mal à s’acclimater à l’environnement. Les coursives mal éclairées se transformaient en pièges mortels pour quiconque avait le malheur de pointer son nez, et les soldats avaient ordre de n’utiliser aucun explosif de peur d’endommager un système important. Les Ehlermanniens n’avaient pas ces scrupules et grenadaient à tout va.

- Bien. Avez-vous fini de vous dépenser sur les frégates ? demanda Silvestri.

Personne ne répondit : la question était, de toute évidence, purement rhétorique.

- Parfait. Navigation, la barre à tribord. Dirigez-vous vers ce groupe ennemi composé d’un croiseur de bataille et d’un croiseur léger, et plus particulièrement vers le premier. Machines en avant, vitesse de combat. Que le Ravennes nous suive.

- Oui amiral, vitesse à 70% de la puissance.

- Le Ravennes signale qu’il va obéir avec du retard. Il est pour l’instant occupé à repousser les abordages.

- Très bien, répondit Silvestri. Il est plus rapide que nous, j’espère donc sa présence lorsque cela deviendra nécessaire.

Prenant graduellement de la vitesse, l’immense Jotunheim pivota en évitant le Ravennes mal en point et qui continuait sur sa lancée, trop empêtré dans ses soucis internes pour s’occuper de ce qui se passait dans ses environs immédiats. Silvestri, devant ce spectacle qui apparaissait par la baie d’observation, porta une main à sa bouche pour se mordiller pensivement un ongle. Il la laissa retomber immédiatement en étouffant un cri de douleur et saisissant son épaule blessée. Le médecin s’approcha d’un air inquiet et avant même que l’amiral puisse protester, lui injecta une nouvelle dose d’antidouleurs.

- Vous vous agitez tellement que j’y suis obligé, dit-il pour toutes excuses. Et avant de me flanquer aux arrêts, n’oubliez pas que le corps médical est à part dans la structure de commandement. Je pourrais même vous ordonner de rejoindre l’infirmerie.

Silvestri, lui jeta un long regard venimeux que le jeune médecin soutint sans ciller.

- Vous n’étiez pas terrifié voilà cinq minutes ?

- Je me suis fait à l’idée que vous n’étiez qu’un blessé parmi d’autres… amiral, dit-il en souriant légèrement.

Lequel eut un petit rire.

- Vous êtes un exemple à suivre, jeune homme. Quelqu’un qui ne me craint pas… Pourrais-je vous persuader de vous laisser débaucher à mon service à l’Amirauté, quand ceci sera terminé ?

- Navré amiral. Vous savez ce qu’on dit : « le Vaisseau avant la Carrière ». Maintenant, restez calme, s’il vous plait, le temps que la piqûre fasse effet.

Le rire de Silvestri s’accentua pour mourir lorsque le vaisseau se mit à trembler. Soudainement rappelé à la dure réalité tactique, il déplaça son regard sur l’écran en face de lui pour découvrir qui était l’importun, le vaisseau ennemi qui avait réussi à s’approcher assez près pour décharger ses batteries sur le Jotunheim.
Il y n’en avait pas. Le rugissement qui aurait eu pour but une demande d’explication fut coupé par l’enseigne chargé de la propulsion (et donc incidemment des boucliers), hystérique, qui hurlait que le Ravennes venait d’ouvrir le feu sur eux.


- Les moteurs ont souffert ? demanda Silvestri.

- Non amiral. J’augmente la puissance du bouclier arrière pour éviter qu’il ne tombe, répondit l’enseigne paniqué.

- Bon réflexe. Communications, qui vous a averti du retard du Ravennes ?

- J’ai reconnu mon homologue amiral. Vous pensez que…

- C’est la solution la plus logique. Tout se contrôle de la passerelle, sur ces croiseurs. C’est donc là qu’il faut frapper. Qui a une solution de tir sur le Ravennes ?

- A cette vitesse, seul le princeps de batterie lourde Niebuhr l’a encore pour un temps limité. Dois-je l’avertir d’ouvrir le feu ?

- Dites lui de détruire la passerelle, dit Silvestri en hochant la tête.

- La passerelle, amiral ? s’indigna l’enseigne. Mais des officiers des Confins…

- y sont retenus, je sais ! rugit Silvestri. Obéissez au lieu de vous soucier d’hommes dont la moitié sont sans doute déjà morts !

L’enseigne s’exécuta de mauvaise grâce. Après quelques instants, il annonça que le princeps Niebuhr rapportait un coup au but et se tut. Un silence expectatif était tombé sur la passerelle.

- Ah, cessez avec vos solidarités de classe, bande de nobliaux ridicules. Nous sommes en guerre, rien d’autre ne compte. Il fallait empêcher le Ravennes de nuire le plus vite possible et le plus longtemps possible. Si la passerelle est détruite, la bataille sera terminée le temps qu’ils en mettent une autre en service et qu’ils contraignent assez de personnel pour les aider efficacement. Vous comprenez maintenant, Messieurs ? ajouta l’amiral d’un ton parfaitement insultant et en faisant passer son regard d’une personne à l’autre.

Un vague grognement d’assentiment et des yeux baissés lui apprirent que si la manœuvre n’était toujours pas appréciée, elle était comprise. Et cette honte qu’ils ressentaient du fait qu’on ait dû leur rappeler leur devoir premier pourrait être utile.

- La trajectoire est dégagée jusqu’à notre cible, amiral, dit quelqu’un pour couper court au remontage de bretelles. Une partie non négligeable des forces d’Ehlermann s’est détournée pour faire face aux Guildiens. J’en connais qui vont avoir du pain sur la planche.

- Je me fiche de vos sentiments personnels, lieutenant ! Si un Guildien est en péril, j’attends de tout vaisseau des Confins qu’il lui prête assistance comme il le ferait à un de ses alliés. Ce n’est pas parce qu’ils sont payés que nous devons les considérer comme des soldats de deuxième classe. En revanche, avec le prix qu’on les paye, j’aurais préféré une flotte un peu plus moderne, ajouta Silvestri mi-figue mi-raisin.

Seul un ricanement nerveux lui répondit.
Il mit à profit les quelques minutes de calme pour retrouver une vue d’ensemble sur la bataille, et demanda quelques rapports à ses collègues amiraux. Leur réponse était unanime : ce n’était pas tant la flotte conventionnelle d’Ehlermann qui leur posait problème que l’infestation de frégates d’assaut contre lesquelles ils avaient bien du mal à se prémunir. Aelfwidh en avait même perdu un bref instant son flegme et sa morgue légendaires pour lancer quelques qualificatifs qui n’eurent pas déparé dans la bouche de Silvestri. La réflexion la moins conventionnelle était, comme de bien entendu, venue de Von Raukov qui avait lancé un provocant « J’aime ces cuirassés. Vous n’imaginez pas à quel point ils peuvent virer sec » qui avait glacé le dos de son interlocuteur. Quant à Richeau, son rapport avait été des plus laconique, mais Silvestri voyait à l’œil nu monter d’éclatantes corolles de sa position, signe d’explosion de tout ce qui était inflammable dans ces chantiers navals et qu’elle avait réussi à trouver (ce qui éliminait en réalité bien peu de choses).


- Amiral, j’ai un appel urgent du poste de contrôle de la propulsion. Je le transmets sur le projecteur holo de la passerelle, annonça l’enseigne des communications.

Apparut sur la passerelle l’image d’un capitaine portant les galons particuliers des officiers des ponts techniques, l’air catastrophé, son blaster à la main. On voyait derrière lui se profiler les formes du poste de contrôle propulsion, qui avait pour fonction de vérifier l’adéquation entre les ordres de la passerelle et ce qui était tiré du réacteur. Par-dessus tout, les hommes affectés à ce poste devaient prendre les choses en main si quelque chose arrivait au dit réacteur, car la passerelle n’aurait pas la possibilité de s’en charger.

- Amiral, la situation est problématique ! Les intrus ont réussi à bousculer les équipes venues les intercepter. Ils sont à la porte avec de l’équipement lourd et je n’ai que quelques hommes pour me défendre.

- Vous n’êtes pas sérieux ! éructa Silvestri.

- Je suis mortellement sérieux, amiral. Sauf votre respect, mes hommes et moi sommes dans une merde noire. Je ne nous donne pas cinq minutes de résistance avant qu’ils fassent sauter tous les relais et transforment le Jotunheim en une carcasse incapable de se déplacer.

Un concert de désolations se fit entendre sur la passerelle. Tous étaient horrifiés par la nouvelle. Un tacticien prit la parole.

- Vous n’avez pas de renforts à proximité ?

- Rien d’assez proche qui puisse se dégager facilement des combats dans lesquels ils sont impliqués.

- Vous êtes un incompétent, capitaine ! Vous deviez bien savoir que ce poste de contrôle était un objectif vital et qu’il devait être particulièrement défendu !

- Sauf le respect que je ne vous dois pas, tacticien, vu que ma mort est proche, je le savais. Seulement, je n’ai pas autorité sur ces salopards de fusiliers, les forces de défense du Jotunheim sont trop peu nombreuses et ce n’est pas avec ce blaster de poche, hurla le capitaine en levant la main, que je vais arrêter une bande de types en armure absorbante complète !

Le tacticien, penaud, préféra se taire. Silvestri, quant à lui, vit une idée poindre dans son esprit. Une idée qui ne lui inspirait que dégoût, mais qui fonctionnerait parfaitement, il en était certain.

- Capitaine, vous dites qu’ils sont en armure absorbante ?

- oui, amiral.

- Donc, pas de combinaison 0G ni de masque respiratoire ?

- Non, amiral, juste des purificateurs. Par les Dieux, si vous avez une idée derrière la tête, dépêchez vous avant que leurs troupes d’assaut ne s’invitent et que…

Il se tut brusquement et pâlit tellement que Silvestri pensa qu’il allait défaillir.

- Oh, merde, murmura-t-il.

- Je crains que ce soit la seule possibilité que nous ayons de sauver le poste, capitaine… Je suis désolé.

- Je le sais, amiral, mais surtout faites le vite, dit le capitaine en commençant à s’éloigner du champ de prise de vue.

- Attendez un instant capitaine, dit doucement Silvestri. Quel est votre nom, qu’il soit inscrit en bonne place parmi les Héros de cet engagement ?

- Je suis le capitaine Miskerthy. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, je dois vous gagner un peu de temps…

Silvestri fit signe à l’enseigne de couper la transmission et se tourna vers un capitaine qui n’avait que peu ouvert la bouche jusqu’à présent, chargé de la sécurité du vaisseau.

- Si je me souviens bien, le relais est au pont 4 ?

- Oui, amiral. Pont 4, sections O3 et P3 .

- Dans ce cas, scellez les sections… de M3 à R3, et purgez leur air jusqu’à ce qu’on vous avertisse que les renforts et des techniciens supplémentaires soient aux portes puis repressurisez. Il n’y aura a priori plus qu’à dégager les corps, dit-il avec un goût de cendre dans la bouche.

Le capitaine, pourtant un vieux grognard blanchi sous le harnois, réagit à l’annonce comme s’il avait reçu un coup de poing dans le ventre. Puis il sembla reprendre ses esprit et, très raide, s’attela à la tâche. Silvestri préféra ne pas relancer le sujet et tourna son regarde droit devant lui, à travers la grande baie de la passerelle. Il devinait au loin les deux croiseurs cibles par les décharges de laser qui ne cessaient de s’en échapper.
A une centaine de mètres, juste au-dessus la coque du monstrueux cuirassé, deux chasseurs se livraient à un ballet élaboré pour débarrasser l’espace l’un de l’autre. A virevolter ainsi entre les multiples excroissances qui parsemaient le Jotunheim comme autant de barbillons, il ne faisait aucun doute que les pilotes étaient de véritables virtuoses. L’un d’eux cependant fut trop large dans une de ses manœuvres et rencontra droit devant lui une tourelle légère. Braquant tout ce qu’il savait, le pilote réussit à éviter d’emplafonner le décor mais derrière, son ennemi n’avait pas eu tant de difficultés et l’abattit d’une rafale bien placée. Le chasseur survivant fit demi-tour et passa tout près de la passerelle du vaisseau. Silvestri put clairement voir qu’il portait les couleurs des Confins et que le pilote brandissait le poing dans un geste de victoire. L’amiral sourit et se promit de rechercher le nom de ce pilote, pour le féliciter et le réprimander de s’asseoir aussi cavalièrement sur les procédures de sécurité.
Les croiseurs apparaissaient maintenant distinctement.


- Légère correction de cap, annonça-t-il. Passez maintenant entre les deux ennemis. Propulsion, les moteurs sont toujours en service ?

- Tous les moteurs au vert, amiral.

- Nous allons voir ce qu’ils ont dans le ventre. Augmentez la vitesse à 120% du nominal et maintenez la.

Le vaisseau bondit en avant comme si un invisible cavalier lui avait laissé la bride sur le cou. Les deux croiseurs furent pris complètement au dépourvu : estimant que le Jotunheim était encore loin, ils se présentaient encore par le travers et commencèrent à virer pour présenter leur avant plus blindé. Le croiseur léger, placé en avant de son collègue, devait donc parcourir un demi-tour quasi entier. Silvestri s’y attendait et un sourire carnassier dévoila ses dents.

- Barre à tribord, 3°.

L’enseigne commença à exécuter la manœuvre puis le regarda comme si sa blessure, au lieu d’être circonscrite à son épaule, avait atteint le cerveau. Une expression méfiante se peignit sur son visage.

- Nous nous dirigeons droit sur leur croiseur léger, amiral…

- Oui, je sais. Veillez à toucher à peu près au centre. C’est là qu’est leur point faible.

- Les dégâts vont être effroyables ! Nous allons les couper en deux mais notre étrave va être réduite en allumettes.

- Pensez-vous ! J’ai moi-même supervisé la mise au point de cette nouvelle classe de cuirassés et j’en ai profité pour faire augmenter discrètement la taille du blindage de proue de quelques mètres. Cela tiendra, dit-il d’un ton désinvolte, car c’est ainsi qu’un vaisseau des Confins doit se battre : proche de ses ennemis !

Toute la passerelle le regarda des airs de bêtes blessées.

- Dites-vous que si vous êtes surpris, l’ennemi va l’être également, et de façon fort désagréable. En attendant, je vous propose de vous couler dans vos sièges et de vous accrocher à quelque chose de fermement attaché au sol.

Le soudain changement de cap acheva de paniquer l’équipage du croiseur léger. Ses moteurs laissèrent échapper une longue corolle bleutée lorsqu’ils furent sollicités à plein régime pour s’échapper de la trajectoire du Jotunheim. Ce fut sa dernière erreur. Ce faisant, ils présentaient toujours leur flanc, et donc une cible facile. Le navigateur du cuirassé effectua d’infimes corrections de trajectoire : celui-ci plongea inexorablement vers le flanc du croiseur. A l’intérieur des deux vaisseaux, une lugubre plainte retentit partout, suivie d’une voix désincarnée, d’autant plus terrifiante qu’elle annonçait avec calme une catastrophe majeure, prononçant les mots « Alerte impact. Alerte impact. » Au dernier instant, l’amiral ordonna de désactiver les boucliers car ils seraient inutiles devant un tel choc.
Et de l’impact, la violence dépassa l’imagination : sur le Jotunheim, les hommes eurent l’impression qu’un géant avait saisi le cuirassé à pleines mains pour le secouer violemment en tous sens. Les lumières vacillèrent fortement et plusieurs alarmes se déclenchèrent. Sur la passerelle, un bloc de données non arrimé fusa de l’endroit où il était posé et vola en éclats en heurtant la baie d’observation, projetant des éclats et des étincelles sur toutes les personnes proches.
Mais cela n’était rien en comparaison à ce que le croiseur léger avait enduré : pris complètement par le travers, la proue blindée du cuirassé l’avait enfoncé, tordu, mutilé. Des explosions et des incendies couraient librement le long de sa surface, consumant l’oxygène qui s’échappait de la structure. Ses batteries de laser s’étaient tues, les relais, les conduites d’approvisionnement détruits par la violence du choc.


- Barre à bâbord, avance lente, ordonna Silvestri qui avait rapidement repris ses esprits même si le sang coulait de nouveau librement sous le bandage de son épaule. Laissons l’épave dériver et concentrons nous sur le croiseur lourd.

- Le capitaine du Munditia, avec d’autres vaisseaux, requiert l’autorisation de briser la ligne et d’engager l’ennemi où il se trouve, amiral.

- Autorisation accordée, dit Silvestri après un instant de réflexion, à tout le groupe. Faites transmettre l’ordre à toutes les unités par les commodores respectifs. Quel est le statut opérationnel du groupe ?

- Deux croiseurs lourds sont détruits ou incapables de se battre, comme une dizaine de croiseurs légers. Les destroyers et les frégates tournent à peu près aux deux tiers de leurs effectifs, et la Chasse est réduite de moitié.

- Logique… Passer près d’une unité lourde ne pardonne pas. C’est à peu près ce que je redoutais à ce stade. Il est temps de retourner aux bonnes vieilles méthodes : les destroyers et frégates peuvent se regrouper de façon plus importante, tout en veillant à garder un espace assez mince entre les groupes pour prévenir toute tentative de fuite. La taille des regroupements est laissée à leur jugement.

L’amiral prit soudain conscience d’un bruit de fond nouveau, étranger, que son esprit avait rejeté jusqu’ici. Un bruit aigu, saccadé, accompagné de grondements plus sourds et de quelques cris humains. Le bruit de fusils laser accompagnés de lance-grenades… Le capitaine d’armes, qui avait remarqué la mimique de Silvestri, s’avança.

- Oui, amiral, les intrus ont bénéficié du choc pour enfoncer nos lignes. Ils se dirigent par ici en suivant les grands couloirs pour déboucher ici par l’entrée des officiers.

- Juste dans mon dos, en réalité, grinça Silvestri. Vous avez installé une autre ligne de défense à peu près tenable ?

- Ils sont en train de s’y attaquer. J’espère de tout cœur qu’elle va tenir, amiral. Nous avons cependant de la chance dans notre malheur : c’est la dernière poche de résistance. Il n’y a eu aucun survivant dans le poste de contrôle propulsion. Je crois, amiral, que je me dois d’insister sur notre extrême vulnérabilité en cas d’attaque de ce genre : si nous avons réussi à tenir, ce n’est que grâce à l’aide des fusiliers que nous avons embarqués. Il serait bon que vous demandiez dès que possible à la Commission Navale de l’Assemblée des Représentants une rallonge budgétaire.

- Même moi, je n’ai pas le pouvoir de faire entendre raison à la Commission Navale, où sont rassemblés les Représentants les plus rapiats et antimilitaristes ! Dites vous qu’aujourd’hui était un cas particulier… Jamais un ennemi n’a utilisé à ce point le potentiel des frégates d’assaut.

- Justement. Cela pourrait donner de mauvaises idées. Excusez-moi, dit-il en portant par réflexe la main à l’oreille où était glissé son communicateur. Bande de sombres crétins ! cracha-t-il quelques instants après. Rattrapez-les à n’importe quel prix, ils ne doivent pas arriver sur la passerelle ! Je m’occuperai de votre cas après, lieutenant.

Il releva les yeux vers Silvestri qui le regardait, résigné.

- Ainsi donc ils sont passés ?

- Je m’en excuse platement, amiral. Ces Ehlermanniens commencent à me taper sérieusement sur le système. Je dois vous demander à tous d’évacuer la passerelle immédiatement, dit-il en élevant la voix. Passez par les sorties réservées à l’équipage, et dépêchez-vous ! Des troupes d’assaut ne sont qu’à quelques couloirs !

Il fit signe aux soldats qui gardaient la passerelle et ils prirent position derrière tout ce qui pouvait servir de couvert : sièges, consoles, projecteur holographique. A ces mots, les tacticiens bondirent de leurs sièges et se dirigèrent rapidement vers la sortie pour se mettre à l’abri. Les enseignes s’attardèrent plus longtemps, car il leur fallait transférer les systèmes vers la passerelle secondaire située à l’intérieur du navire quelques ponts plus bas. Silvestri, soutenu par son médecin, se déplaçait lentement.

- Amiral, un message urgent du groupe de l’amiral Aelfwidh vient d’arriver !

- Pas le temps pour l’instant. Lisez-le et vous m’en parlerez sur le chemin.

Il y eut un bref silence pendant que l’enseigne obéissait. Celui-ci reprit ensuite la parole, d’une voix rendue aiguë par l’horreur.

- C’est impossible... Amiral, le vaiss…

- La ferme et cours, imbécile ! hurla le capitaine d’armes. Les voilà !

L’amiral sortit de la passerelle au moment où les premiers coups s’abattaient sur le sas ornementé qui servait de porte à l’entrée des officiers. Elle n’était là que pour le décorum et ne tiendrait pas longtemps. Quelques secondes plus tard, les assaillants perdirent patience et une grenade fit céder le sas. Les défenseurs ouvrirent alors le feu avec leurs armes de poing et la fusillade s’engagea.
Silvestri titubait le plus qu’il avançait, à moitié soutenu, à moitié poussé par le médecin paniqué. Il ne pouvait lui en vouloir : ce devait être la première fois qu’il se retrouvait sous le feu. Son épaule le faisait atrocement souffrir malgré les piqûres répétées : des ondes de douleur irradiaient dans tout son corps, une brume rouge obscurcissait sa vision.
Au-dessus des tirs, une voix se fit soudain entendre.


- Abattez-le ! Abattez-le, putain !

Le feu s’intensifia durant quelques instants sans conséquence notable jusqu’à une grande explosion qui se transforma presqu’immédiatement en un gigantesque tourbillon ayant pour source la passerelle. Silvestri, sentant le vent hurler à ses oreilles, eut le temps de penser que les assaillants avaient fait sauter la baie d'observation avant de se sentir partir en arrière à grande vitesse, aspiré par le vide spatial. Il essaya de se raccrocher à quelque chose avec son bras valide mais aucune prise ne dépassait dans la coursive. Derrière lui, un cri d’horreur se fit entendre, brusquement interrompu par le claquement sourd du sas anti-décompression qui se mettait en place. Emporté par son élan, il alla s’écraser contre lui, son épaule blessé absorbant l’essentiel du choc, et perdit connaissance quelques instants. Lorsqu’il se réveilla, plusieurs personnes se tenaient à ses côtés et lui demandaient s’il allait bien. Il ne put, pour toute réponse, que se tordre de douleur sur le sol et secouer la tête. Quelqu’un d’un peu dégourdi prit alors une décision.

- Il est intransportable comme ça ! Il faut le calmer d’abord. Quelqu’un sait où trouver des doses d’antidouleur ?

- Le médecin qui était à ses côtés en avait dans son kit médical. Où est-il passé ?

- Si vous cherchez le médecin, dit une troisième voix dégoûtée, il n’y a que la moitié inférieure de ce côté. Je vérifie… Oui ! Voilà le kit !

- Double dose, il va en avoir besoin.

Silvestri sentit à peine la piqûre de l’injecteur manié de façon un peu aléatoire par quelqu’un qui n’en avait pas l’habitude : dans son esprit, la brume rouge de douleur laissa peu à peu la place à une noirceur moelleuse, accueillante. Seule une voix qui semblait s’éloigner venait le troubler.

- Amiral ? Amiral, vous m’entendez ? Restez conscient, bon sang !
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De Vaanne
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MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins Icon_minitimeMar 5 Jan - 18:47

The end. Enjoy (pour ceux qui auront supporté jusqu'au bout :p)





La guerre des Confins Chapitre13forslhonneur






- Vaïry, tu es sûr que tu ne l’as pas tué ? Il ne semble pas en forme. Enfin, je veux dire… Avant l’injection, il se tordait de douleur, mais au moins il bougeait…

- J’en suis sûr. Même s’il mourait, il ne résisterait pas à l’envie de nous le faire savoir.

Au travers de l’épaisseur ouatée qui l’isolait et dans laquelle il flottait, oublieux du monde extérieur, l’amiral Silvestri entendit quelque chose qu’il interpréta comme étant un fou rire inextinguible, sans doute le contrecoup de l’intense stress qui les avait tous saisis. Il s’accrocha à ce son et le suivit jusqu’à sa source, jusqu’à une réalité fort peu accueillante et dans laquelle son épaule droite était réduite à l’état de charpie sanguinolente.
Il ne la sentait plus, heureusement. Il ne sentait plus grand chose, d’ailleurs. Il sentait qu’il devait avoir abominablement mal, mais cette sensation ne parvenait pas à s’infiltrer jusqu’à son cerveau. Tout son esprit était tendu vers ce rire qui ne semblait pouvoir s’arrêter. Il ouvrit finalement des yeux embrumés de larmes et aperçut autour de lui ce qui restait des tacticiens et du personnel de la passerelle. Ceux-ci avaient l’air tour à tour inquiets pour lui et réprobateurs envers le jeune enseigne qui se tenait les côtes, adossé au mur.
Il émit un vague grommellement qui braqua tous les regards sur lui et fit taire le jeune impertinent aussi sûrement qu’un coup de poing en pleine figure. Celui-ci se redressa, l’air gêné, et réajusta son uniforme. Silvestri le foudroya du regard, pour autant que faire se pouvait dans son état.


- Je devrais vous crucifier pour vous montrer dans un état indigne d’un officier, haleta-t-il, mais au vu des circonstances, je pense pouvoir faire une exception.

- Merci amiral.

- Nous allons vous transporter à l’infirmerie du vaisseau. Pensez-vous pouvoir supporter le transport ?

- Pas… question ! Foncez à la passerelle secondaire et emmenez-moi avec vous. Exécution ! gronda Silvestri quand il vit que ses subordonnés hésitaient. Je n’abandonnerai pas mon poste avant d’être mort et enterré !

- Dans votre état, ce serait plus qu’imprudent… osa quelqu’un.

Un nouveau regard noir le dissuada de continuer. Comme aucune civière n’était disponible dans les environs immédiats, les officiers firent de leurs vestes un brancard artisanal et transportèrent l’amiral de la superstructure qui abritait le poste de commandement principal vers l’intérieur du vaisseau où l’on avait lors de la construction ajouté une passerelle secondaire, « au cas où ».
Autant la passerelle principale était pratique, vaste et accueillante, autant la passerelle secondaire n’était qu’une tumeur maligne, une excroissance qui s’était développée entre plusieurs réseaux de conduites diverses, en bref une petite salle mal fichue dans laquelle il était impossible de faire un mouvement sans gêner son voisin. Seul le fauteuil de commandement disposait de son petit no man’s land personnel, au grand soulagement de Silvestri. Les hommes l’y installèrent précautionneusement avant de se jeter à leur poste, avides de retrouver une certaine prise sur les évènements extérieurs. L’air s’emplit bientôt d’informations prononcées par des visages concentrés.


- On a un peu dérivé. Je replace la baille dans la ligne.

- Les groupes de destroyers demandent des ordres. Qu’est-ce que je leur dis ?

- Je n’ai aucune cible à bonne portée. Vaïry, tu ne pourrais pas plutôt te déplacer de quelques degrés vers tribord ?

- Amiral, je nous déporte vers tribord ?

- Faites. Aux destroyers, dites leur de patienter encore un moment et qu’ils restent sur leurs positions. Passez moi Sajima.

Par manque de place, aucun dispositif holographique n’avait été installé sur cette passerelle. Seule la voix hachée du commodore permit donc de dire qu’il était à l’écoute.

- Qu’y a-t-il, amiral ? Que s’est-il passé ?

- La passerelle a été prise d’assaut. Taisez-vous et écoutez-moi attentivement, ajouta Silvestri en coupant court à une exclamation. J’ai été blessé et je ne suis plus ni mentalement ni physiquement en état de diriger tout mon groupe. Vous prenez le commandement, je garde mes unités proches. Vous m’entendez, Sajima ?

- Je digérais l’information. Très bien amiral. Y a-t-il autre chose ?

- Oui. Que s’est-il passé avec Aelfwidh ? J’ai cru entendre qu’il avait un problème.

- Plus qu’un problème, amiral. Son vaisseau a subi les mêmes assauts que vous, mais les agresseurs ont eu le temps de faire surchauffer la propulsion. Le Jormundgand s’est désintégré.

- Misère… Qui a pris les rênes du groupe ?

- Le contre-amiral Varésian, du Berwick. Vous le connaissez je crois.

- En effet. Un enquiquineur de première catégorie mais diablement bon officier. Il sauvera les meubles. Enfin, j’espère, ajouta Silvestri in petto.

- Amiral, vous avez un amas d’Ehlermanniens droit devant vous. Vos unités pourraient-elles les contourner par la droite pour tenter un encerclement ? dit Sajima, visiblement mal à l’aise dans son rôle de supérieur d’un amiral à étoile d’or.

Silvestri fit signe à ses hommes d’obtempérer. Il se sentait soudainement très, très las. Le Jormundgand était un cuirassé neuf et il avait coûté une somme astronomique qui avait avec, celle de ses sister-ships gravement amputé le budget de la marine durant les cinq années de sa construction. C’était une perte irréparable pour les Confins.

- La situation générale ? demanda-t-il faiblement.

- On a vu pire, amiral. Le centre tient. Et, bonne nouvelle, Notre Dame des Punitions a fini de ravager sa cible, ou peu s’en faut.

- La diversion, vous voulez dire ? Décidément, toute cette opération n’aura été qu’une vaste plaisanterie. J’aimerais quelques destroyers en écran en face de moi, avec des groupes de frégates en bouche-trou, s’il nous en reste.

- Nous avons perdu quelques groupes, mais il devrait en rester assez. Leurs ordres ?

- Encerclement par la droite du groupe ennemi, avancée, pas de quartiers, pas d’arrêts. Autorisation de venir s’abriter derrière nous ou un croiseur en cas d’avarie lourde. Il nous en reste, au fait ?

- Dans notre groupe restreint, avec la perte du Ravennes, et le K’enss’iil qui a du baisser pavillon, il ne nous reste que le Rhéan.

- Cela suffira. Notre rôle, à nous du Jotunheim, est de trouver un cuirassé ennemi et de s’y accrocher jusqu’à ce que mort s’ensuive. La sienne bien entendu.

Même s’il était affaibli de l’intérieur, même s’il était complètement cabossé, même s’il n’était plus que le reflet du fier vaisseau éclatant de la couleur des armoiries de Silvestri du début de la bataille, le Jotunheim était encore un ennemi mortel, une machine parfaitement entraînée et que même la nouvelle de ce qui était arrivé à son amiral ne pouvait détourner de sa tâche. En cette journée, son équipage mérita tous les honneurs, et plus encore. Partout où l’imposant cuirassé se déplaçait, l’espace se chargeait d’épaves carbonisées. Partout où il se trouvait, l’espace grouillait des petites frégates et des honorables destroyers, qui, en groupes, lui assuraient une protection rapprochée, tels des sycophantes auprès d’un monarque.
Pourtant, aussi majestueux qu’il fût, il n’était pas à l’abri de toutes les injures, et les heures de bataille pesèrent lourdement sur son intégrité physique. Eut-il été humain, on l’aurait qualifié de tavelé : de nombreuses plaques de blindage avaient été perdues et la chaleur des tirs laser qu’il avait endurés avait fait disparaître en grande partie l’immense blason qui recouvrait ses flancs. Il se traînait d’un point à un autre beaucoup plus péniblement : des torpilles chanceuses avaient incapacité une partie de ses tuyères, et il ne pouvait plus faire donner la totalité de la puissance de ses moteurs.
Cela avait cependant payé : au centre de la bataille, la conjonction des talents tactiques de Sajima et de Von Raukov avait rempli toutes les attentes et les Ehlermanniens, débordés, ne savaient plus à quel saint se vouer. L’Incarnadine avait, semblait-il, passé son temps à virevolter d’un point à l’autre de son groupe, toujours là où il fallait, au mépris des règles de sécurité et des nerfs des officiers de propulsion qui voyaient la puissance délivrée par les moteurs rester toujours quelques minuscules mesures d’instruments en deçà de ce que le navire était mécaniquement capable de supporter… Les vaisseaux de la Guilde, s’ils n’étaient pas des foudres de guerre, remplissaient honorablement leur rôle d’enclume. Sur ce théâtre, les Confins semblaient en passe d’emporter la décision.
Ce qui n’était pas le cas sur les flancs : malgré ses indéniables talents de meneur d’hommes, Varésian n’était pas un tacticien et, s’il sauvait la majorité des meubles, il en perdait régulièrement une partie face à un adversaire plus talentueux que lui. Sur la droite, du côté du Coriolan, la situation était beaucoup plus confuse. Delervis, fidèle à son habitude, avait laissé la bride sur le cou de ses capitaines et s’était contenté de se servir de son cuirassé comme d’une plate forme d’artillerie, immobile au milieu de ses unités. Il avait négligé plusieurs occasions de mouvement qui auraient fait pencher la balance en sa faveur pour se contenter d’un spectaculaire pilonnage assez inefficace en pratique.


- Nous nous en sortons mieux que je ne l’aurais pensé, dit Silvestri, désormais plus blanc que son pantalon d’uniforme. Virez légèrement à tribord et élevez-nous de 15°. Un instant, suspendez cet ordre… Qu’y a-t-il, Sajima ?

- Je pense que le temps est venu pour changer de méthode. Le centre est maintenant bien implanté. Nous allons partir côté bâbord et Von Raukov côté tribord pour prendre par l’arrière les forces qui s’opposent à Varésian et Delervis. Abandonnez les actions dirigées sur une cible particulière et commencez immédiatement la manœuvre. Bien entendu, ajouta-t-il, et l’on imaginait aisément le sourire qui devait éclairer son visage, je ne peux en conscience vous interdire de pilonner tout imbécile qui prendrait le risque de passer à votre portée.

- Votre bonté vous perdra, vraiment… Passerelle, annulez l’ordre précédent : demi-tour, aidons Varésian !

- Barre à 180°, passage en avant du Berwick, bien reçu amiral.

- Très en avant, le but est d’envelopper l’ennemi, mais pas trop car il nous faudrait trois jours pour en terminer. Vous voyez ce que je veux dire, j’espère, dit Silvestri, l’air fatigué.

- Bien sûr, amiral. Si nous ne comprenions pas au quart de tour, vous nous auriez débarqués depuis longtemps.

- Combien j’espère que l’on pourra faire effectivement quelque chose de vous. Rien n’est encore perdu…

De son train nouvellement acquis de sénateur, le Jotunheim vira pesamment et entama le long trajet qui l’amènerait à s’encastrer dans l’arrière mal défendu de la formation ennemie. Du moins en théorie, l’adversaire n’étant jamais assez fair play pour se laisser pilonner sans réagir. Celui-ci réagit donc avec une louable promptitude qui ne laissa pas d’exaspérer la plupart des soldats des Confins qui attendaient avec délectation une séance improvisée de tir au pigeon. Silvestri vit, lui, au-delà de l’entraînement et de la rapidité de la réaction de l’amiral d’Ehlermann. Il vit que celui-ci avait formé l’équivalent spatial du dernier carré, rassemblant toutes ses unités dans une petite portion de l’espace de façon à ne laisser aucun angle mort. Son principal défaut, rédhibitoire aux yeux de Silvestri, tenait dans l’issue de l’adoption d’une telle formation : un amiral qui s’y résolvait partait battu. On ne pouvait, de cette façon, vaincre mais seulement s’arc-bouter sur une défense qui finirait tôt ou tard par céder : on était spectateur de sa propre défaite. L’Ehlermannien pensait donc n’avoir aucune chance de gagner, mais il espérait emporter le plus grand nombre possible d’ennemis avec lui.

- Mettez en panne à la limite de portée et attendez les ordres de Sajima. Il serait idiot de nous jeter contre eux en ordre dispersé.

Le personnel de la passerelle lui jeta un coup d’œil discret mais effaré : vu les avaries du Jotunheim, il paraissait évident qu’il serait, et de loin, le dernier à rejoindre son poste. L’ordre leur apparaissait donc superflu et, pour la première fois, ils avaient une preuve que les blessures de Silvestri avaient au moins partiellement affecté son jugement. Celui-ci semblait n’avoir pas remarqué ce que sa remarque pouvait avoir d’inquiétant et fixait intensément les divers affichages qui défilaient devant lui.
De trop longues minutes plus tard, le vaisseau atteignit enfin son poste et Sajima donna immédiatement l’ordre d’assaut général. Il était, comme tous les officiers supérieurs, pressé d’en finir : les vieilles mécaniques des vaisseaux les plus légers des Confins, les premières victimes des baisses continuelles de crédit, n’allaient plus tenir très longtemps à ce rythme. Pour preuve, le nombre d’avaries indépendantes d’un tir ennemi rapporté par les capitaines était de plus en plus nombreux.


- Passerelle, à vous le soin pour l’instant, dit Silvestri. Ne vous souciez pas de manœuvres, attaquez tout droit.

- Oui amiral, le soin aux tacticiens.

- Terminez-en au plus vite, murmura-t-il. Je ne vais plus tenir longtemps à ce rythme.

Un moment plus tard, alors que la formation défensive d’Ehlermann gardait encore sa cohésion envers et contre tout ce que les Confins lui envoyaient, l’équipe chargée des radars attira l’attention de Silvestri.

- Vous attendez encore des renforts, amiral ? demanda l’un d’eux.

- Vos devoirs, lieutenant ! aboya-t-il. Depuis quand a-t-on le droit de poser des questions à son amiral ?

Le lieutenant en question se mit instantanément au garde à vous, le visage de craie.

- Demande pardon, amiral. Nos instruments ont relevé l’arrivée d’une flotte, ETA moins d’une minute. Si nous ne les avons pas découverts avant, tout porte à croire qu’ils ont sauté à peu de distance de nous. Exactement comme la Guilde, osa-t-il ajouter.

Le visage de Silvestri se ferma.

- Je n’attends plus personne.

- La flotte inconnue est arrivée ! Aucune correspondance dans nos bases de données.

- Amiral, nous recevons un signal. On dirait de la statique… Comme si des ondes radios étaient perturbées, alors que nous n’en utilisons pas…

L’enseigne ne comprenait pas ce que cela signifiait. Il ne le pouvait pas : il était trop jeune. Seuls les marins de l’âge de Silvestri pouvaient se rappeler qu’il s’agissait de l’équivalent moderne du Jolly Rogers. Un signal inutilisé dans les Confins depuis la grande victoire de Silvestri plus de vingt ans auparavant.

- Impossible, dit doucement celui-ci. Je les ai détruits. D’où viennent les émissions de statique, ajouta-t-il plus haut ?

- Des deux plus gros vaisseaux. Je vous en fais un agrandissement.

A ce moment, les voix des autres amiraux et de Sajima se manifestèrent sur la passerelle.

- C’est bien ce que nous croyons ? Après vingt ans de discrétion, ils ressortiraient de leurs trous ?

- Oui, je reconnaitrais leurs superstructures entre mille pour les avoir si longtemps traquées. Ils les ont reconstruits à l’identique, car je les ai vus exploser. Le Rex Damnatorum et le Earl Camden… des noms encore capables de terrifier tout marin.

- Sont-ils dangereux ?

- Ils l’étaient immensément à l’époque. Reconstruits, ils doivent toujours l’être, malgré leur air démodé. Et ils ont attendu le moment parfait pour arriver, nous sommes coupés en deux.

- Qui aurait pu penser qu’Ehlermann s’allierait aux pirates spatiaux ?

- Leur président, apparemment. Continuerons-nous sur notre lancée ?

- Non, Delervis. Nous sommes en nette infériorité numérique.

- Passerelle, je reprends le soin. Faites former à vos vaisseaux des groupes rapprochés, dit Silvestri d’une vois métallique. Je déteste ça mais nous allons devoir former la tortue. Essayons ensuite de nous rejoindre au centre. Pendant ce temps, je vais discuter avec Albaréos…

***

- Vous pourriez m’expliquer comment les pirates se sont reformés sans que vous n’en sachiez rien ? Ils n’ont pas pu être totalement subventionnés par Ehlermann et l’Amirauté n’a reçu aucune mise en garde provenant de la Guilde…

Albaréos eut la bonne grâce de paraître gêné.

- Nous avons eu récemment quelques pertes, mais rien de probant. Cela aurait pu n’être que le fait de quelques amateurs, rien qui vaille la peine que l’on dérange la toute puissante Amirauté.

- Je vois… et vous voyez où cela nous mène, sans doute…A partir de maintenant je veux des rapports sur chaque boulon que vous perdez mystérieusement, compris ?

***

Et les rôles s’inversèrent : c’était au tour des Confins de se protéger par une formation lourde et ultradéfensive avec au centre les vaisseaux faiblissants de la Guilde. Les deux formations étaient limitées à la vitesse du plus faible : pour l’aile gauche, le Jotunheim mutilé. Personne n’appréciait cette situation, et Silvestri moins que quiconque : les pirates avaient des vaisseaux et des équipages frais, nombreux et surarmés. Leur tactique, attaque en groupe et retraite immédiate après destruction de la cible, restait assez efficace contre des officiers des Confins plus habitués à des batailles rangées. Mais surtout, les deux formations, isolées, étaient beaucoup moins dangereuses qu’une seule plus importante. D’où l’idée de se regrouper avant que tout ne tombe en pièces, tâche plus difficile qu’il n’y paraissait.

- La 12ème escadre légère vient de perdre son dernier destroyer, et le Melambaton a lancé son code rouge.

- Demandez à Sajima de nous prêter un des croiseurs survivants. En attendant, étirez la formation de la 25ème escadre. Oui, je sais que cela va limiter la protection dont chacun dispose, ajouta Silvestri pour couper court aux objections d’un tacticien, mais leur zone est légèrement plus calme. N’y a-t-il aucun moyen d’avoir un peu plus de puissance ? On se traîne à cette vitesse ! Enseigne ?

- Nous sommes au maximum de ce que les tuyères peuvent supporter, amiral.

- Il doit y avoir un moyen. Qui est en charge de la Propulsion ?

- Jusqu’à peu, le capitaine Miskerthy. (Silvestri jura) J’essaye de contacter son remplaçant.

Quelques instants plus tard, une nouvelle voix se fit entendre, à peine plus âgée que celle de l’enseigne. Silvestri accusa le coup.

- Lieutenant Abriel, amiral. Que puis-je pour vous ?

- Plus de vitesse, à n’importe quel prix. A force de nous traîner ainsi, nous allons rater notre rendez-vous.

- Le réacteur peut nous fournir toute la puissance que nous souhaitons mais nous sommes limités par les tuyères. Nous ne pouvons pas aller plus vite.

- Même pendant, disons, une heure ?

- Elles vont fondre et nous serons dans l’incapacité de nous déplacer.

- Corrigez-moi si je me trompe mais les moteurs hyperspatiaux ne nécessitent pas de tuyères.

- C’est exact, acquiesça le lieutenant.

- Donc de deux choses l’une. Soit elles plantent ici et nous restons coincés, comme nous allons certainement l’être si nous ne pouvons pas avancer plus vite pour faire la jonction, soit elles plantent au retour lorsque nous serons dans un système ami et auquel cas nous pourrons toujours nous faire remorquer. Saisissez vous le dilemme et est-ce matériellement possible ?

- Oui aux deux questions, amiral. Cependant, je ne peux le cautionner, étant également chargé de la sécurité.

- Je prends sur moi. Obéissez et faites moi avancer cette ruine de cuirassé ! Pendant ce temps je préviens Sajima.

Lequel eut l’air beaucoup moins enthousiaste, au grand étonnement de Silvestri. Outre l’inquiétude bien compréhensible qu’il avait pour les tuyères du navire amiral de son supérieur, il ne voulait surtout pas que la flotte change sa vitesse pour le moment.

- En réalité, j’allais moi-même vous demander si vous ne pouviez pas un peu dépasser votre vitesse.

Silvestri ne répondit pas et se contenta de le fixer d’un air mauvais.

- Mais pas tout de suite. Nos ennemis sont intelligents. Ils vont se placer entre nos deux groupes pour interdire notre jonction. En réponse nous allons obliquer vers l’espace libre et augmenter notre vitesse. Ce qui permettra de remplir l’objectif avant qu’ils n’aient le temps de nous rattraper.

- Brillant. Mes félicitations.

- L’idée n’est pas de moi. C’est Von Raukov.

- Et je n’ai pas été mis au courant ?

- Vous alliez l’être. Attendez mon signal pour sonner la charge.

Le terme de charge était peut-être un peu fort, mais lorsque l’occasion se présenta le Jotunheim accéléra de manière fort honorable compte tenu de ses difficultés. Silvestri, qui avait demandé à rester informé, recevait régulièrement des rapports alarmistes d’Abriel qui se tordait les mains et les écartait tout aussi régulièrement. La manœuvre prit Ehlermann et les pirates au dépourvu : ils avaient amassé un grand nombre de vaisseaux au point de convergence et n’avaient laissé qu’une faible arrière-garde, sans prévoir que la vitesse des groupes pourrait changer.
Un seul avait anticipé tout cela. Il se tenait fièrement au milieu des petits vaisseaux ennemis, les éclipsant tous par sa magnifique livrée noir, rouge et or et par sa taille : le Rex Damnatorum. Dès que la manœuvre des Confins apparut clairement, il se jeta en avant, faisant feu de tous côtés, dans la direction du Jotunheim. Pour éviter d’être pris de biais, Silvestri le fit pivoter et les deux monstres se ruèrent dessus à une impressionnante vitesse relative. Le Rex Damnatorum, s’enfonçant comme une dague acérée dans la formation des Confins, fit pleuvoir le feu et la mort sur son passage. Toutes alarmes hurlantes d’une collision probable, les deux vaisseaux se croisèrent en s’envoyant de terribles bordées. Au dernier moment, Silvestri avait fait diminuer la puissance accordée aux moteurs pour renforcer les boucliers : même avec cette aide bienvenue, le vaisseau trembla de toutes ses composantes. Il le pouvait : l’amiral, qui prenait connaissance du rapport des dégâts, voyait que ceux-ci avaient été effroyables. Une bonne partie de l’armement tribord avait été détruit, et on avait perdu le contact avec de nombreuses sections : la probabilité d’y retrouver des survivants était très faible. Le capitaine du Rex Damnatorum n’avait pas eu la même présence d’esprit et les dégâts chez lui étaient bien pires encore : il continuait sur sa lancée en dérivant vers le gauche et perdait visiblement son atmosphère et toutes sortes de débris par des déchirures béantes dans sa coque. Pour le moment, ce n’était plus une menace.

En vérité, il avait parfaitement rempli sa mission. Le temps que le Jotunheim reprenne sa place et que les deux formations se fondent en une seule, le champ apparemment dégagé entre elles et l’espace libre se mit à grouiller de petits bâtiments : tous les vaisseaux ennemis les plus rapides avaient profité de la désorganisation causée par le Rex Damnatorum pour contourner les Confins et les encercler.


- Une bande de jeunes chiots arrogants bloque la porte de sortie, fit remarquer casuellement Von Raukov. Il ne reste plus qu’une bagarre franche et massive pour décider une fois pour toutes de l’issue de la journée, je le crains.

- Si nous cherchons à traverser leurs frégates et destroyers, ils nous retiendront assez longtemps pour que leurs croiseurs nous abattent de loin. Si nous nous retournons contre les croiseurs, les petits en feront de même.

- Nous sommes donc repartis pour une mêlée beaucoup plus indécise. Retroussez-vous les manches, messieurs, dit Sajima.

- La note du boucher va être diablement salée, ce soir, ajouta Silvestri. Jamais je ne le pardonnerai au Caldan…

De nouveau la mêlée s’engagea, sanglante. Par accord tacite, chaque aire de défense avait été initialement confiée à un groupe, mais toute cette organisation n’avait pas tenu plus longtemps que les quelques minute suivant le premier choc entre les flottes. Tous les gradés avaient rapidement abandonné toute idée de contrôle poussé de la tactique et se contentaient de donner de grandes orientations, autrement dit ordonner l’envoi de renforts à un groupe de vaisseaux embarqué dans un combat mal engagé. Par le hasard des manœuvres, le Jotunheim et l’Incarnadine s’étaient retrouvés côte à côte : la vue d’un cuirassé étant déjà assez paralysante pour tout capitaine doté d’un instinct de survie à moitié inférieur à la normale, deux œuvrant de concert était une vision de cauchemar. A vrai dire, le second ici s’était arrogé le rôle de protecteur du premier, beaucoup plus mal en point. La conjonction de leur puissance de feu était cependant venue à bout de plusieurs croiseurs ennemis parmi les plus puissants. Tout cela n’était cependant que temporaire : grâce aux pirates, l’ennemi était plus nombreux. Les mécaniques souffraient, les boucliers souffraient. Et les pertes s’accumulaient. Le Berwick lui-même s’engagea dans un duel contre le Earl Camden. Malgré une belle résistance, il finit par baisser pavillon et être abordé après un coup au but qui détruisit les systèmes de survie. Fidèle à la tradition de sa famille, Varésian préféra se donner la mort plutôt que de connaître l’infamie de voir son nom porté sur la liste des prisonniers.

Vint un moment où même le plus obtus des tacticiens ne put plus se leurrer. Ehlermann avait bien manœuvré. L’encerclement était complet, les attaques venaient de tous côtés. La bataille était perdue. Avec des voix angoissées, les amiraux tinrent un dernier conseil.


- Soyons clairs, même si cela me hérisse le poil, soupira Von Raukov. La fuite est la seule issue possible, la reddition n’étant pas une option. De plus, nous ne pouvons le faire de façon organisée, en escadres. Les formations sont trop lentes.

Tous acquiescèrent sombrement. Cependant, Von Raukov avait encore quelque chose de désagréable à ajouter.

- Que fait-on quant aux canonnières de Richeau ? Elles sont au fond du goulet.

- Pas le choix, dit celle-ci, il faut me laisser derrière. J’essaierai peut-être de passer par les astéroïdes.

- Pas question ! s’indigna Silvestri. Pas avec vos longues barcasses impossible à manœuvrer. Votre seule chance d’échapper au puits de gravité est de contourner le soleil sans vous faire rattraper.

Ce qui était impossible, tout le monde le savait très bien : les canonnières, surchargées d’armement destiné à ravager la surface d’une planète, étaient loin d’être rapides en plus d’être peu manœuvrables. Après tout, on leur demandait seulement de se placer en orbite.

- Je trouverai un moyen. Occupez-vous d’abord de vos hommes, messieurs les amiraux, dit-elle de son ton de Notre Dame des Punitions.

Silvestri coupa la communication et appela ensuite Albaréos.

- Nous allons faire retraite : la situation est devenue intenable, et notamment à cause du Caldan qui nous a fauché vos vaisseaux sous le nez. Je vous préviens car il n’est maintenant plus question de formations. Echappez vous dès que vous le pouvez.

- Un sauve-qui-peut général… quelle perspective terrifiante… Et qu’en est-il de vous, avec votre problème de moteurs ?

- Le Jotunheim a encore des dents, sourit Silvestri. Croyez-moi, ils ne trouveront pas la curée aussi facile qu’ils le pensent.

Aussitôt le signal de retraite générale lancé, les vaisseaux des Confins abandonnèrent leurs manœuvres en cours et s’élancèrent vers l’espace. Malgré les ordres qui étaient de le faire par groupes de vaisseaux de classe similaires, certains parmi les plus rapides cherchèrent à tirer seuls leur épingle du jeu. Mais Ehlermann s’y attendait et l’immense majorité fut détruite avant de sauter ou subit des dommages irréparables. La douloureuse leçon fut retenue et des groupes hâtivement constitués arrivèrent à forcer le verrou.
Parmi les derniers de cette effervescence, le Jotunheim, escorté de l’Incarnadine : Von Raukov avait tenu bon face aux injures fiévreuses de Silvestri et refus de partir seul. Ainsi que, selon toute vraisemblance, de s’échapper facilement. En effet, Delervis, à la tête de son groupe resté plus compact que les autres, avait culbuté comme des quilles les vaisseaux légers qu’il affrontait. Le Jotunheim, qui n’était plus qu’à quelques minutes de la portée maximale de tir des croiseurs poursuivants, risquait de ne pas avoir cette chance : les immenses tuyères commençaient à donner de sérieux signes de fatigue. Il continuait pourtant vaillamment sa route, l’Incarnadine détournant sur lui la plupart des menaces.
Il apparut durant un moment que l’évacuation allait être un succès et les pertes relativement cantonnées. C’était compter sans la hargne des poursuivants. Abandonnant toute idée de protection, ceux-ci coupèrent leurs boucliers et transférèrent toute la puissance libérée dans les moteurs. Les retardataires des Confins, vaisseaux lourds comme légers, furent impitoyablement détruits.
Le bouclier du Jotunheim, quant à lui, fonctionnait à plein régime depuis longtemps : il avait beaucoup à faire. Trop peut-être. Personne ne put jamais affirmer avec certitude quel vaisseau tira ce coup éhontément chanceux. L’atteignant à la jointure de deux « plaques », il profita de leur fatigue pour les transpercer et finit sa course sur une des tuyères encore intactes. Celle-ci, fragilisée par son utilisation intensive se désintégra. Avant que l’ordinateur n’ait le temps de couper le flux se dirigeant vers elle, celui-ci, au lieu d’être projeté dans une longue traînée bleue, se diffusa sur tout l’arrière du Jotunheim et ajouta cette contrainte aux autres tuyères. Mêmes causes, mêmes effets : elles aussi cessèrent de fonctionner peu après et le cuirassé, sans rien pour le propulser, continua doucement sur son erre.
Avant même d’être averti de cette catastrophe, Silvestri la sentit confusément par la façon dont le cuirassé réagit après le tir, et laissa échapper un long soupir de résignation, immédiatement suivi par le cri de désespoir de l’enseigne de propulsion qui venait de voir le résultat. L’enseigne s’affaira frénétiquement sur sa console, se mit à la frapper en hurlant et fondit en larmes. L’amiral fit signe à un garde de l’emmener hors de la passerelle.


La guerre des Confins Talloween02

- Quelqu’un a le rapport des dégâts ?

- Toutes les tuyères sont hors-service. On ne repartira plus, apparemment.

- Qu’en dit la Propulsion ?

- Ils ont la même réaction. A propos d’une réparation, Abriel dit, je le cite : « Valcyria sinon rien ».

***

- Un coup du sort, dit Von Raukov quelques instants plus tard sans avoir apparemment avoir saisi toute l’ampleur de la situation.

- Un désastre, oui, rétorqua Silvestri. Maintenant, vous allez me faire le plaisir de m’écouter et de mettre les voiles avant que je me fâche.

- Pas question ! Je vais vous fournir des techniciens.

- Dans cet espace qui grouille de chasseurs ? Autant les envoyer à la mort, d’autant qu’ils seront inutiles !

- Je vous remorquerai !

- Parce qu’ils vont nous laisser faire en déroulant le tapis rouge ? Ne soyez pas idiot. Partez, et vite !

- Il me reste assez de chasseurs pour assurer le passage de votre navette. S’il vous plait, Silvestri !

- Je reste avec mes hommes. Sans compter que je suis trop mal en point pour bouger. Maintenant, c’est en tant qu’amiral en chef de la flotte des Confins que je vous donne cet ordre. Fuyez !

La passerelle secondaire étant dépourvue de baie d’observation, ce fut par le biais d’une caméra installée sur la coque que Silvestri vit l’Incarnadine virer après un acquiescement de Von Raukov qui trahissait toute la mauvaise volonté dont celui-ci était capable. Une fois libéré du poids de son sister-ship ralenti, le vaisseau put donner toute la mesure de sa puissance (et sans doute un peu plus, les traficotages de Silvestri lors de l’épisode du croiseur lourd n’ayant pas échappé à ses collègues), sa propulsion crachant feu et flammes. Il plongea au travers d’un essaim de frégates, des destroyers et de leur équivalent pirate, les arrosa généreusement de ses canons et passa au travers sans avoir ne serait-ce qu’hésité ou ralenti un instant.
Il ne pouvait pas s’en tirer à si bon compte, cependant, et ce fut le Earl Camden qui vint jouer le trouble-fête. Il avait fini d’arraisonner le Berwick, y avait laissé un équipage de prise et s’était précipité vers les deux cuirassés. Voyant l’un en panne et l’autre bien décidé à s’échapper, il avait décidé de couper la route au second en se mettant sur une route convergente. Silvestri regarda se jouer la terrifiante partie de poker : si l’Incarnadine virait pour échapper au Earl Camden, il serait intercepté par d’autres vaisseaux. S’il ne bougeait pas, il risquait une collision avec toutes les conséquences désagréables que cela impliquait. Von Raukov fit rapidement un choix et ne dévia pas d’un pouce de sa trajectoire. Il espérait sans doute que le capitaine du Earl Camden, navire neuf, n’avait en tête qu’un bluff.
Le capitaine en question remarqua l’obstination de l’amiral des Confins mais n’en modifia pas pour autant ses projets, et les deux navires continuèrent de se ruer vers un choc certain. Sorti de la zone gravifique, l’Incarnadine activa ses moteurs hyperspatiaux mais il fallait laisser le temps à l’ordinateur d’étalonner les systèmes de saut et de déterminer la trajectoire. Tout cela se fit rapidement, mais pas assez pour échapper au Earl Camden. Celui-ci, lancé à une vitesse qui aurait arraché un sifflement d’admiration à un capitaine de frégate, s’encastra dans le flanc de l’Incarnadine. Le vaisseau des Confins, jumeau du Jotunheim, avait vu son blindage renforcé selon les spécifications de Silvestri. Malheureusement, cela ne concernait pas les flancs : la proue du pirate s’enfonça donc assez largement dans l’Incarnadine jusqu’à heurter le réacteur placé en son centre.
Les concepteurs de cette classe de cuirassés savaient que le réacteur en était la pièce maîtresse et l’avaient incroyablement sécurisé : il était inattaquable, bardé de dispositifs anti-incendie et au blindage renforcé en vue d’une toujours probable trahison. Bref, il était l’aboutissement de la technologie militaire des Confins. Mais les ingénieurs n’avaient pas prévu l’impact d’un vaisseau de la taille du Earl Camden à la vitesse qui était la sienne. Et même s’ils l’avaient prévu, comment donc en tenir compte ?
Soumis à une tension insupportable, les revêtements interne, médian et externe du réacteur plièrent et se déchirèrent comme des feuilles de papier en laissant échapper le très réactif combustible à l’intérieur du vaisseau. Extrêmement efficace, extrêmement polluant et extrêmement dangereux, il réagit comme il fallait s’y attendre avec l’atmosphère du vaisseau et explosa. L’ordinateur central réagit immédiatement et ferma toutes les cloisons coupe-feu et anti-décompression dans le but d’enrayer l’onde de choc, condamnant à une mort certaine les membres d’équipage proches du réacteur. Celui-ci, en volume pur, totalisait à peu près un dixième du vaisseau : le potentiel explosif était gigantesque et les cloisons n’avaient aucune chance de résister. Elles furent soufflées les unes après les autres comme des fétus de paille et les hommes cachés derrière carbonisés instantanément. La structure du cuirassé, largement affaiblie par le choc avec le Earl Camden, ne résista pas plus longtemps et se scinda en plusieurs morceaux éjectés de tous côtés.
Le pirate ne s’attendait manifestement pas à un tel résultat et continua sur sa lancée durant de longues secondes avant de faire machine arrière en catastrophe, trop tard pour éviter une pluie de débris de moyenne taille. Ceux-ci ravagèrent ses superstructures, détruisirent sa passerelle, ses tours de bouclier et ses antennes de communication, propageant l’incendie qui les recouvrait encore à des sections entières du vaisseau. Sourd, aveugle et blessé, le Earl Camden réduit à l’état d’épave se mit à dériver lentement en s’éloignant des combats.
Silvestri, même s’il aurait tout donné pour ne plus regarder cette vision apocalyptique, ne pouvait détacher ses yeux de l’écran. De sa main gauche, il serrait convulsivement l’accoudoir de son siège. De la droite, il ne recevait plus aucune sensation. Tout semblait arrêté par le mur de douleur qui avait pris dans son épaule, lui-même plus ou moins tenu en respect par les injections répétées. Il ne réagit pas lorsqu’on l’appela, même de façon insistante, et il fallut qu’un officier plus courageux que les autres prenne l’initiative de se planter devant lui et de le secouer pour qu’il donne un signe de présence.


- Amiral, s’il vous plait… Ehlermann a fini de nous encercler, ils sont prêts à la curée. Nous avons reçu un message texte qui affiche simplement « rendez-vous ». Que fait-on ?

- Le message ne dit que cela ? Quelle économie d’énergie…

Silvestri se tut et son regard se déporta vers l’écran qui continuait à filmer la fin de l’Incarnadine.

- Amiral, vos ordres !

Il secoua la tête, comme pour chasser les dernières bribes de sommeil, et se redressa légèrement.

- Il n’est pas question qu’ils capturent un cuirassé en état de marche, et il n’est pas question de se rendre sans combattre. Répondez leur d’aller se faire voir.

- Textuellement ?

- S’il vous plait. Feu à volonté sur tout ce qui bouge, et transférez le maximum de puissance vers les boucliers.

Le Jotunheim se mit à cracher le feu de toutes ses batteries, attaquant sans aucune distinction tout ce qui portait une bannière pirate ou d’Ehlermann. Il ne s’agissait plus de volées calmes, réfléchies, le fruit d’une réflexion tactique avancée ayant pour but une victoire rapide sur l’ennemi. C’était la réaction d’une bête sauvage, acculée, qui se jetait à la gorge de son tourmenteur dans l’espoir de l’emporter avec lui dans la tombe. Durant un temps qui sembla bien trop court à l’équipage, le Jotunheim rendit coup pour coup, frappant au cœur. Ils avaient entendu parler des fins atroces de l’Incarnadine et du Jormundgand et semblaient décidés à les venger. Pourtant, un navire seul contre une flotte, même profitant pour ses boucliers des économies faites avec la mise en repos forcé des moteurs, ne pouvait espérer damer le pion très longtemps à ses ennemis.
Contre des tirs conventionnels, un cuirassé est quasiment invulnérable : ses plaques de blindage sont créées spécifiquement pour y résister. Mais elles ne sont pas prévues pour résister à un tir nourri et continu. Rien ne le pourrait. Les dommages s’amoncelèrent, les batteries se turent les unes après les autres.
Continuer cette résistance acharnée devint inutile, à moins de vouloir sacrifier l’ensemble de l’équipage. A contrecœur, Silvestri donna l’ordre d’évacuer le vaisseau. Les membres de la passerelle quittèrent leur siège pour se diriger vers une capsule de sauvetage mais pilèrent net quand ils virent que leur amiral ne les suivait pas.


- Vous ne pouvez pas vous déplacer, amiral ?

- Je n’en ai pas envie. En fait, je dois rester ici. L’ennemi ne doit pas me capturer, et surtout pas dans cet état.

Devant l’air d’incompréhension totale de ses subordonnés, il se crut obligé de s’expliquer, de peur qu’ils ne l’évacuent manu militari.

- Que se passera-t-il si j’évacue le vaisseau avec vous ?

- Vous allez être capturé par les vainqueurs et traité en prisonnier de guerre. Lorsqu’une paix sera signée, vous serez libéré et vous passerez devant une Cour martiale.

- Laquelle aura besoin d’un bouc émissaire et je suis parfaitement qualifié pour cela. Deuxième possibilité : si je reste ?

- Vos adversaires politiques vont considérer que vous échappez ainsi à vos responsabilités.

- Cela ne concerne qu’une poignée. Les autres verront d’abord la défaite des Confins et la probable occupation ignominieuse d’Ehlermann. Pour eux, je serai mort honorablement sur le pont de mon navire, devenant ainsi martyr à la cause des Confins et étendard parfait pour l’organisation d’une résistance. Il faut toujours considérer l’intérêt politique d’un décès, messieurs.

Tous s’inclinèrent légèrement pour montrer leur compréhension et leur admiration devant cette marque de courage.

- Mais d’abord… Artillerie, transférez sur ma console les commandes des batteries toujours en état de marche. Je ne peux pas bouger, le sang me colle à mon siège, dit-il en souriant faiblement.

Le lieutenant dont il était question effleura rapidement quelques touches et son écran devint noir.

- C’est fait, amiral. Bonne chance, dit-il en s’éloignant.

- Merci.

Une demi-heure plus tard, alors que les capsules étaient sur le point d’être récupérées par les frégates d’Ehlermann, le Jotunheim tirait toujours. Son équipage n’apprit qu’au moment de sa libération, neuf mois plus tard, que le cuirassé, même moribond, n’avait jamais été abordé et qu’il avait fallu le détruire pièce par pièce pour le faire taire.
Le corps de Silvestri, quant à lui, ne fut jamais retrouvé.
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