Trois noms d'invasion

Je tousse, il y a dans ma gorge comme une poussière qui refuse de partir. C'est insupportable d'être roi et de toujours devoir souffrir des bas maux. Je jure dans ma barbe en me raclant les poumons bruyamment, à côté de moi les valets restent aux aguets, guettant ma moindre demande. Agacé par ma toux, j'agite énergiquement la main.

- Qu'on m'apporte ma potion. Et qu'on fasse rentrer le prêtre aussi.

Deux des domestiques partent en direction de la porte en face de moi et j'entends leur pas parcourir frénétiquement le couloir. Petites abeilles bourdonnantes. Je repose les yeux sur les rapports placés sur mon bureau et relis les quelques lignes qui m'intéressent. Il s'agit des effectifs de mon armée, j'apprécie beaucoup les chiffres que l'on m'a donné, depuis douze ans que feu mon père m'a laissé le trône le nombre des soldats de Terre Franche est passé de moins de cent mille à près d'un million. Ce fut très couteux et a demandé de profonds changements dans l'économie du pays mais le résultat est là et il serait trop stupide de ne pas exploiter un tel avantage au profit d'un glorieux avenir.

La porte s'ouvre et une voix annonce ma potion, on me l'apporte promptement. Tandis que j'ingurgite le breuvage sucré, c'est le prêtre qui est annoncé. Ma gorge et ma patience vont mieux. Les affaires de Terre Franche vont enfin pouvoir retenir toute mon attention.

Habillé tout de blanc, d'une robe simple et digne, l'ecclésiastique s'approche avec révérence de mon bureau pour s'arrêter à cinq pas de celui-ci, comme le veut la tradition. Il me salue avec respect et attend patiemment que je lui parle. C'est un moment important lorsque j'invite un subordonné dans ma salle de travail, jauger consciencieusement l'individu qui se trouve en face de moi, estimer sa prestance et sa patience. Je reste plusieurs longues minutes à le regarder, il s'agit d'un homme fort, haut d'un bon mètre quatre vingt dix, le regard droit et la pose assurée. J'aime bien.

- Bonjour. Je détache soigneusement mes mots pour marquer ma souveraineté. Nous sommes heureux que vous soyez venu.

- Votre Majesté est trop bonne de m'inviter. J'espère convenir à vos attentes.

- Nous l'espérons aussi. Je lui souris. Il est une mission que nous désirons vous confier. La Romanie se fait très présomptueuse vis à vis de nos territoires, ses troupes se multiplient et pullulent désormais sur les routes commerciales. Cela bloque nos pèlerins ainsi que nos transports, nous sommes donc très fâchés. En accord avec l'Ecclésiastie, nous avons donc décidé de mener la justice de Dieu apporter bonheur et réconfort aux gens de ces terres.

- En effet Votre Majesté, mes fidèles m'ont rapporté l'impossibilité d'accéder aux basiliques. Votre action me semble être à la fois honorable et juste, votre illustre personne sait comment satisfaire le Divin.

- C'est pourquoi nous avons besoin d'une voix proche du Seigneur pour diriger l'assaut. Grégoire de Bauvrais m'a conté votre engouement et votre ferveur et nous désirons donc que ce soit vous qui suiviez la Sainte Armée. Nous comptons bien que vous accédiez à notre requête.

- Je comprends bien, Votre Majesté. C'est avec joie que j'accepte ce grand honneur que vous me faites. Il s'incline très bas, chose que même les membres de l'Ecclésiastie font rarement. Je me ferais votre voix lorsque le Seigneur s'adressera à moi.

- Bien. Des appartements ont été libérés pour vous dans l'enceinte du palais. Nous vous reverrons demain pour vous renseigner sur votre fonction au sein de la Sainte Croisade. Je hoche légèrement de la tête pour signifier que l'entrevue se termine, j'ai une toux terrible qui se prépare déjà et je veux être seul.

Une fois parti, je tape sur mon bureau.

- Que l'on m'apporte ma potion.