Le bilan de la Beauté

Cordélia, mon cœur rouspète un peu : le premier vers est plus long que je le pensais. Je n'ai aucune envie de le rectifier, d'une part parce que je ne trouve pas de substitue adéquat, et de l'autre, parce que j'aime bien sa tournure ; remplacer le mot "vélin" par autre chose gâcherait le vers et la sonorité. Justement, tu apprécies ce mot ? Ça tombe bien, moi aussi. Je vais te donner sa définition.

Vélin est un substantif masculin qui désigne un type de papier de grande qualité, un papier de luxe en somme, sur lequel l'on n'écrit pas n'importe quoi. Un bilan avant la mort, puisqu'il s'agit de cela dans le poème, est assez important pour l'écrire sur ce papier ? Sans vouloir parler trop sérieusement, on a tous un recto et un verso, une apparence et une face cachée. A l'origine, le vélin désignait la peau de mouton sur laquelle il y a eu un traitement. Au Moyen Age, on l'utilisait pour la fabrication de parchemins. Je trouve qu'écrire sur de la peau a quelque chose de sensuel. Enfin seulement si l'on pense à la peau d'une femme. En ce sens, et toujours dans un contexte imaginaire, l'écriture est corporelle ; écrire sur de la peau de bête, c'est comme écrire sur la mienne. L'écriture est ici métaphore de la sensualité féminine, et cette écriture-corps se courbe l'échine pour mieux se relire, regarde ses ratures, ses commentaires, etc. Après tout, la partie "in vivo" (qui désigne l'observation sur le vivant lui-même, contrairement à in vitro) développe ces références du corps de la femme. Je trouve que l'écriture, en général, a quelque chose en rapport au corps, et à l'érotisme : elle a un sex-appeal calligraphique. Concrètement, c'est l'histoire d'une vieille femme, très belle dans sa jeunesse, qui fait le bilan de sa vie. Je sais, je manque de simplicité.

Sinon, as-tu lu verticalement le poème en ne prenant que la première lettre de chaque vers ? Il s'agit d'un acrostiche pour une amie. J'aime bien l'idée d'enfermer une féminité dans sa propre contrainte textuelle, celle de son prénom et de son nom.

Raconte ce que t'avais interprété, s'il te plaît.

J'y ai lu l'histoire d'un homme qui se sait (ou qui se pense) laid et qui maudit le règne de la beauté.

Ah j'aime bien, ça sonne bien, j'aime beaucoup les introductions de chaque mini- strophe, tu fais le tour du vélin! ^^
mais moi aussi je ne l'avais pas pris ainsi
enfin au début je me laissais juste noyé dans les sonorité
puis ensuite j'aurai plutôt vu quelqu'un de vieux qui regarde derrière lui.
Mas très bonne explication Quest'! ^^

Ton texte m’évoque un extrait de film qui m’est resté en mémoire tant il m’avait paru fort dans sa magie de création. C’est dans le film de Kieslowski « Bleu » des trois couleurs : Bleu, Blanc, Rouge. Dans cet extrait Juliette Binoche (Julie) compose un concerto et place les instruments sur la musique de fond qu’est le concerto. Elle ajoute les instruments les uns après les autres, les changent… et nous entendons les changements qu’elle opère. J’ai adoré ce passage où la voix de Juliette Binoche ponctue le concerto et les chœurs.
J’entends dans ton poème, la voix de Juliette Binoche qui dit : Verso, Recto…. Et au fond, le concerto qui se met en place.

C’est exactement cela. Les mêmes hésitations pour finir avec les chœurs.