Qui donc laisse trainer de splendides vers, qui, après une bonne semaine d'impatience, mérite enfin d'être traité? C'est Cassie. L'envie de le tronçonner rôdait, puis a finalement pris le dessus. C'est nécessaire.
Premier point, la forme. 14 vers découpés en trois parties, avec une joyeuse symétrie (4-6-4 / je dirais même 4-3-3-4) puisque une réelle coupure intervient par l'"instant figé". Puis tout repart, après une courte pause, pour finir en miroir de la première moitié.
La rime est pour le moins étrange. cette succession de rimes plates, puis 'plates embrassées' et enfin croisées. Une homéotéleute assez osée. Après analyse, c'est un peu pour démontrer l'état d'esprit de la demoiselle, d'abord ordonnée, puis entourée de bras cajoleurs (pour la scène torride du milieu - on pourrait même voir l'amour à sens unique que Jouvencelle donne puisque ce sont deux rimes féminines qui entourent quatre rimes masculines), et enfin toute déboussolée, ivre, errant jusqu'aux croisements de sa vie.
Les mots. Jouvencelle est tellement ambiguë qu'elle marche sur deux allures en simultané. Trainailler/musarder/flâner/baguenauder d'un côté et Trottiner (qui dénote un petit pas accéléré) de l'autre. Le voyage aussi est largement présent (route, chemin, sente, pas, piste, trace; route encore, passage, partance, passage, voie).
Le coeur du poème, avec cette rupture (rompt, instant figé) puis le nouveau départ (élan) dans la tristesse (chagrin, larmes). Finalement, c'est une scène d'amour associée à un élan passionné (divague et déraisonne (éblouissement de l'amour, petits picotements bizarres et émission d'hormones) amant, rire, complice, badiner, Amour donné). Puis le prince repart, délaissant Jouvencelle avec ses espérances. Un caprice douloureux qui ne laisse que des blessures. Jouvencelle a cessé de rêver, bienvenue dans l'immorale réalité (songe, illusion, mirage, chimère). Je crois qu'on peut parler d'amas lexicaux pour ce poème, où comment exprimer un ressenti avec autant de nuances que de synonymes.
Quelques libertés par rapport à la rigueur mathématique en font un poème somme toute vivant, avec des variations syllabiques. Je trouve le travail du vocabulaire très intéressant, avec le voyage (parfois virtuel - Jouvencelle se drogue : elle s'injecte les résidus d'Amour de cet amant passager pour soupirer encore) et les directions. Cet amour unilatéral détermine un cap unique même si Jouvencelle franchit de nombreux croisements. Son allure nonchalante relève de nombreuses hésitations, quelques regrets. Pourtant, la nuit, elle chemine avec un pas décidé (le seul 'trottiner' face à tous ces verbes aux allures de promenade digestive).
J'aime particulièrement le dernier paragraphe et ces deux derniers vers qui se veulent consolants ('ses larmes' irait peut-être mieux d'ailleurs), notre héroïne contemple la barque de ses regrets quitter son point d'ancrage.