-Oui, mon cher ami, je suis bien fatigué,
C’est qu’hier, je suis allé diner chez Clélié.
-Assurément, d’un grand malheur tu fus frappé !
-Et encor, laisse-moi conter toute l’histoire :
Hier donc, quand la lune amenait la nuit noire,
Que le soir déployait ses ténèbres, sereins,
Je songeais déjà au repos, quand le destin ;
Sur ordre des sœurs homicides, m’envoya
Clélié. Je tentais en vain d’éviter ses pas,
Il parvint à me rattraper : « -Ah, mon ami !
Dit-il niaisement, que faites vous ici ?
Vous êtes loin de vos pénates ! Venez dîner.
-J’ai encore quelque urgente affaire à régler.
-Au milieu de la nuit, qui vous y peut forcer ?
-Ma famille dans mon sort va s’inquiéter.
-Ils comprendront qu’avec moi vous venez manger.
-Ma maison sans moi va se désorganiser.
-La belle affaire que d’une heure la laisser !
-Soit, soupirais-je enfin. » -Allons, j’en ai trop dit ;
Ma plus grande peur, t’ennuyer dans mes écrits,
Cela te lassera. -Non ! Non ! Raconte-moi !
-Et bien donc, jusque chez lui, je suivis ses pas,
Je vis les laquais enivrés du vin du maitre,
Et le couloir de l’entrée souillé sur cent mètres.
Et devine qui je trouve dans le salon ?
Philis, qui se grisant des vapeurs de l’Hélicon.
« Je ne pense qu’à toi,
J’aime à la folie,
Je suis fou d’amour,
Et l’amour me rend fou. »
Et, à ces vers mal comptés, qui ne rimaient point,
Tous battaient des mains, comme aux œuvres de Lucain.
Mais, cela, de l’horreur n’était que le début !
L’autre nous dit des vers qui semblaient avoir bu.
« Sauve-moi de ma solitude, Aurore merveilleuse,
Emmène-moi très loin, vers des amours plus heureuses !
Porte-moi vers ces horizons où brille le matin,
Je n’ai rien de semblable au reste des humains ! »
Ce prétendu poète glousse niaisement,
Sur de son effet, de son verbe languissant.
« Eh ! dit-il en se tournant vers moi, critiquez,
Vous qui, infatué, osez nous attaquer »
A ces mots, l’idiot ne se sent plus de joie,
Mais de mon coté, je sais garder mon sang-froid :
« Monsieur, vous pensez certes être grand artiste,
Mais je ne vois en vous qu’un mauvais essayiste,
Qui déclamer votre vie d’amoureux transi :
Pensez-vous écrire une saine poésie ? »
Tous ces méchants scribouillards se lient contre moi :
« Que viens-tu te vanter, toi qui pendant des mois
Murit une longue épître en alexandrin,
Quand nous faisons nos poèmes d’un tournemain ? »
Sur ces faits, vient Horace, nouvel invité,
Il s’instruit, coupe court au débat entamé,
« Tous à table, déclare-t-il en hoquetant,
Nous nous divertirons et rirons en mangeant. »
Nous sommes six, la table à dîner est carrée,
Chacun pour se nourrir, se tourne de côté ;
Je m’assois à l’angle, un coin rentrer dans le ventre.
Pour le service, un bonhomme bizarre rentre,
Il apporte d’abord une chiche salade,
Qui semble avoir été bombardée. Son goût fade
Me la fait repousser. Cet étrange serveur
Nous porte des poulets trop cuits, sans saveur,
Qui surnagent dans une sauce jaunissante ;
Les pommes qui l’entourent semblent menaçantes,
Après l’avoir gouté, mon voisin pousse un cri,
Tombe en gémissant, on le porte au dernier lit.
Pour ne pas boire d’autres fleuves que les nôtres,
Je mande un peu de vins, du domaine le Nôtre.
Le serveur m’apporte un verre plein à ras bord :
Le chien en lape une goutte, en tombe mort.
Je jette discrètement le mortel breuvage,
Dans une plante, qui vieillit de vingt ans d’âge :
Je crains la Parque et son fil. « Voilà le dessert ! »
Ces maigres glaces semblent tirer d’un désert,
Aucun de nous, d’abord méfiant, n’ose y toucher
De peur à l’instant, d’horriblement trépasser.
Puis l’un de nous, impatient de voir le Tartare,
Y goute enfin. Le résultat est sans retard :
Il va, sans coup férir, banqueter chez Pluton,
Quelques parasites de moins sur l’Hélicon.
-Je ne sais qui d'entre eux est le plus malotru !
-A manger chez lui, l’on ne m’y reprendra plus !