En complément du cours d'Aillas sur l'imagination, voici une méthode d'exploitation des émotions.
En préambule, une mienne vision des émotions humaines. Elles sont comme les couleurs primaires, trois et nuançables à l'infini. Joie, tristesse et colère sont les émotions pures, que l'on peut mélanger à loisir. Par exemple, joie et tristesse mêlées engendrent la mélancolie.
L'art en général, et l'écriture en particulier, implique de faire sortir ces émotions de la tripe où elles se trouvent pour les canaliser et les réutiliser dans un acte de création. Ce qui sera nommé dès à présent "sortir ses tripes sur la table".
A présent, vous avez la matière de l'écriture. Elle peut être réutilisée telle quelle, lorsque le souvenir est vif, pour cautériser par catharsis. Mais ce n'est pas encore exactement de l'art. S'il y a enfermement dans l'immédiat, vous vous répèterez ad nauseam, et sortirez de la démarche de recherche. Le but, à présent, est d'utiliser la matière brute pour en sortir une création. Un peu comme, avec des tripes, on peut faire du haggis, des merguez, du pâté ou des tripes à la mode de Caen.
On peut commencer par le plus évident : le transfert d'émotion vers un sujet de même type. On peut transformer une colère personnelle en colère sociale, comme ceux qui écrivent sur le racisme sans l'avoir jamais vécu, mais seulement en y transférant leurs propres colères ou chagrins, fussent-ils d'amour. Ensuite, il suffit de déborder progressivement : utiliser la colère pour décrire l'amertume en extrapolant le devenir de leur émotion du moment, par exemple. Le plus intéressant reste bien entendu d'utiliser une émotion pour décrire un fait totalement inverse : la colère pour un souvenir mélancolique, la tristesse pour la rage. De là naît un mélange des énergies original.
On entre dans le vif de la mosaïque : hacher la tripe, briser le miroir de l'histoire, et associer chaque morceau de chair à chaque bris de verre. De là naissent les images, les métaphores incongrues, l'absurde ou l'empathie la plus totale du lecteur avec le narrateur. C'est dans la surprise que beaucoup de l'effet réside. L'autre partie de l'effet se traduit par l'indétectabilité des références utilisées ; tant pour le miroir brisé qui peut être un conglomérat d'œuvres déjà lues, que par l'énergie hachée dont on ne doit plus déceler l'origine autobiographique.
Dissociation et recomposition sont les maîtres mots de cette méthode de création, de laquelle aboutit en général les œuvres les plus créatives, les moins réalistes et les plus marquantes de la littérature. On décèle ce procédé chez Lautréamont, Vian, Gary, ou encore Whitman, le plus extrémiste de la démarche, qui savait réécrire Leaves of grass selon le changement de son miroir et de sa tripe. Assurément des auteurs sachant marquer au fer rouge.
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Lun 7 Avr - 12:20
