Lundi, 3 juillet. Fin alternativeUn jour passe. 8h30, le réveil se met en marche et une voix monocorde signifie aux auditeurs qu’il règne au dehors un temps splendide. La Voix, celle du dedans mais qui vient d’infiniment loin, se fait de nouveau entendre par l’intermédiaire du commentateur.
Lorsqu'il meurt d’être seul, inutile, la Voix le rappelle toujours à l’ordre : Elle sonne, Elle frappe à la porte, Elle résonne depuis la radio… En toute occasion elle trouve le moyen de se faire entendre, les autres ne s’expriment qu’à travers Elle.
Demain, dit-Elle, ce sera le 3 juillet : un jour exceptionnel. Attention tout de même à la chaleur.
Allongé sur son lit il attend patiemment qu’Elle se taise pour éteindre le réveil. Il ne voudrait pas l’interrompre, ça ne se fait pas. Il ferme les yeux, jouissant de la chaleur sèche que produisent les couvertures.
Et puis… quelque chose survient.
Tout à coup il ne l’entend plus bien, ou pour mieux dire, il ne la comprend plus. C’est comme si Elle parlait subitement un autre langage. « Demain, ce sera le 3 juillet », il se raccroche désespérément à cette idée mais qu’en sait-il finalement si Elle n’est pas là pour le lui dire chaque matin? Comment saura-t-il à présent quel temps il fait derrière les fenêtres closes ? Fort heureusement il a confiance et il pressent qu’il y a une morale, un principe éminemment supérieur derrière tout cela, il comprendra en temps voulu. Aussi sans plus y penser il fait le nécessaire pour ne pas être en retard aujourd’hui.
Obéissant à une routine qui lui échappe, il met en marche la cafetière et prend place sur une chaise, près de la table. Encore une fois, il sent son regard dévier malgré lui. De nouveau il se laisse aller quelque peu honteux pour découvrir, à sa plus grande surprise, qu’il reste un couteau sur l’étalage. Comment est-il arrivé là ? Il ne s’en souvient plus, le fait est que sa vue le rend perplexe. Même le bruit hypnotique produit par la cafetière ne parvient à l'en distraire.
Il le fixe intensément, cherchant à s’assurer qu’il est bien là, ou plutôt, attendant qu’il disparaisse : après tout il n’a rien à faire ici, ce couteau à l’allure menaçante, plein de promesses.
Il se sert une tasse de café brûlant mais dans sa distraction il en laisse échapper un peu, et le liquide marque irrémédiablement sa chemise ; à croire que ce n’est pas son jour.
Tout en buvant rapidement, il tend l’oreille s’attendant à ce que le téléphone sonne d’une minute à l’autre. Quand la Voix reviendrait il comprendrait tout, et les choses rentreraient enfin dans l’ordre.
Pourtant cette fois-ci le réveil a sonné et il n’est pas en retard. Il n’y a aucune raison pour que la Voix l’appelle. Certes il pourrait attendre un peu et se mettre en retard volontairement, Elle le contacterait certainement…malheureusement c’est impossible car les gens bien, les gens normaux ne font jamais exprès de ne pas respecter leurs horaires. Ca ne se fait pas.
Comment doit-il réagir ? Cette question l’obsède, la situation est sans pareil. Il a peur de se tromper en commettant une erreur irréparable. Pour la première fois depuis bien longtemps il hésite, il se tient immobile. N’osant esquisser le moindre geste. Il semble paralysé par l’infinité des possibilités qui s’offrent à lui, car jusqu’ici il n’avait toujours connu qu’une seule route, qu’un seul chemin : la Voix.
Dans le couloir derrière la porte de son petit appartement, il n’y a pas un bruit. Personne. Comme si tout à coup le monde venait de voler en éclat sous le coup d'une pression invisible. C'est comme si. Et lui, dont toute la pesanteur se situe au niveau de la cravate, aurait-été tragiquement épargné par le cataclysme.
Son regard va de la tache sur son vêtement au téléphone qui refuse toujours de sonner puis revient au couteau. Dans le même temps l’air vibre toujours des mots insaisissables. C’est une nouvelle illumination qui vient répondre à toutes ses questions.
Il se dit que le monde est beau, outrageusement beau. Que chaque chose est à sa place et qu’en l’occurrence, ce couteau serait bien plus à sa place dans sa chair, soigneusement glissé entre deux côtes. Il en va, somme toute, de l’ordre naturel des choses. Sans autres formes de procès il s’exécute.
Un impact.
Il ouvre la bouche et pousse un petit cris strident. Ses yeux sont exorbités autant par la surprise que par la douleur. La promesse, se dit-il, la promesse extermine. Le temps se fige et l’espace d’un instant seulement, il a l’étrange impression d’entrapercevoir la véritable signification du mot « éternité ». Il s'affaissera moins bête qu'il s'est levé.
Il aurait bien une réflexion intelligente à sortir, pour l'occasion, mais ce qui s’agite dans son ventre lui interdit tout mouvement. La liqueur glougloutante qu’il ne peut boire toute entière lui sort par la bouche et se répand en larges flaques sur le sol - elle éclabousse - ce qui rend toute possibilité de communication un peu ardue.
Bonhomme, il chancelle, il vacille comme un stéréotype, et le silence opportuniste vient immortaliser son dernier souffle. Pas un bruit. La Voix se tait.
« Reconnaissez Satan à son rire vainqueur
Enorme et laid comme le monde ! »