Je pose ici, deux nouvelles. Sur le moment, j'étais contente de la forme de la première nouvelle, puis en me relisant, je me dit que j'ai vraiment des progrès à faire.
Marcher Droit Dans le Noir.
I.Je pense que, pendant presque dix ans, je n'ai fait que ressentir. L'enfance est un moment merveilleux par le fait que vos actions ne sont plus intuitives que réfléchies. Des tics un peu sauvages et pourtant humains. Les souvenirs flous de l'enfance, les brides de sensations. Un goût de glace à la fraise, une vive douleur pour avoir trop approché une flamme. Tout est une découverte, tout est étrange ,mais les seuls obstacles sont une clôture trop haute ou une porte fermée à clé. Et tout se réglera lorsqu'on sera grand, pense-t-on.
La maturité est une hache à double tranchant. Elle apporte intelligence et ce que nous appellerons la quatrième vue. La première est celle des couleurs, puis celle des formes, la troisième définissant l'esthétisme. Il y a donc cette quatrième vue que l'on acquiert à l'adolescence. Celle des relations et des sentiments... Son apparition n'est pas un tour de magie, c'est une évolution qui se fait peu à peu. Je pense même que ce n'est rien d'autre que l'évolution du “filtre”. Ce filtre qui permet à un enfant de pouvoir s'isoler dans son propre monde et de rêver les yeux ouverts. La quatrième vue est quelque chose d'horrible chez certains, elle oblige à la réalité, c'est un bulldozer destiné à briser l'âme de l'enfance. Elle nous rappelle ce qui se passe autour de nous, montre les hypocrites, nous hurle que nos rêves sont impossibles. Avec cette vue, viens le pessimisme et le découragement, je la pense responsable de presque tous les suicides. A-t-on déjà vu un enfant se tuer ? Aucun animal n'a de quatrième vue. L'homme ne se sent que plus seul.
Remarquez, certains vivent très bien avec et s'y sont totalement habitués. Moi, je ne pourrais pas.
J'ai à présent treize ans. Je commence à prendre conscience de la réalité, peu à peu mes filtres se transforment. Alors j'ai décidé de tout perdre. C'est pour ça que je me suis crevée les yeux, pour marcher dans le noir.
II.“Crever.” On entend déjà le pneu se dégonfler dans un sifflement. Mais il n'y eut aucun bruit, j'entends hurler à l'intérieur mais rien ne s'échappe de mes lèvres entrouvertes. Le gout du sang qui s'écoule me rappelle qu'autour de mon âme, il y a un corps.Un truc qui nécessite ma présence. Je ne l'avais jamais remarqué avant. Nous sommes deux ? Je me suis attaquée à un inconnu alors ou à une chose sans vie ? La douleur apporte à mon esprit un flot d'idées étranges, pourtant je n'ai pas l'impression d'avoir mal. Ma soeur arrive et crie. Dix minutes plus tard, je suis sur une table d'opération.Pour tout vous avouer, je n'ai réussi qu'à me rendre borgne. La lame du ciseau à couture n'a fait que m'érafler l'iris de l'oeil droit. Le gauche était irréparable. Après l'opération, un bandeau fut posé devant mes deux yeux. Pendant un mois entier, j'ai perdu toute mes vues. Pour tous, j'étais devenu folle. Le chirurgien m'expliqua comment il a sauvé mon oeil droit sous mon air désappointé et me qualifia d'inconsciente. Etait-ce inconscient ?J'ai juste fait un sacrifice pour fuir la réalité. Mathématiquement, sacrifice égal courage et fuir égal lâcheté. Je suis donc d'une courageuse lâcheté. Logique, cela me va comme définition.
La perte de la vue est quelque chose d'étrange pour moi autant que pour les autres, j'ai l'impression d'avoir, pour une fois, réussi à m'extraire de mon destin préfabriqué. Jamais, je ne serais confrontée aux regards des autres, jamais je n'aurais une vie bien rangée et bourrée de stéréotypes, jamais je ne ferais partie d'une masse compacte. Cette masse d'ailleurs, n'existe plus. Tant que je l'aurais décidée. Je suis devenue Dieu de mon monde. Celui que je projette à l'arrière de mes paupières. Peu m'importe le réel et le concret !Et si, pour une fois, c'était moi qui avait raison ?
III."Crever." Crever comme un chien. Malgré son absence, l'œil gauche est le plus présent dans mon esprit, sans doute à cause de la douleur lancinantes qu'il m'inflige. M'habituer ne fut pas aussi facile que de me faire plonger dans le noir. Car premièrement, ce n'est que du noir, un sombre écrin de velours, et parfois un peu de gris. Une semaine après mon opération, j'ai du mal à faire fleurir quelques couleurs derrière mes paupières closes. Vivre et contrôler son monde n'est pas une tâche aisée. Je m'entraine avec mon esprit, à m'en froisser la cervelle et les sentiments. A chaque fin de journées, j'ai des papillons d'incompréhensions plein le crâne, des bourdons d'abattement, quelques libellules d'idées moroses. Cette vague de sentiments qui battaient de l'aile, un soir, s'écoula en larme.
Je n'y peux rien. Je n'y arrive pas. Je suis déjà trop grande ? Ma tête se penche en avant, l'eau salée coule le long de mes bras. Je fixe l'emplacement de mes mains un long moment, les mèches de mes cheveux me frôlent et me rappellent leurs présence dans un jeu cruel. Je ne peux pas, pourquoi ? Ce n'est pas de l'eau salée mais de la peinture qui coule de mes yeux. Ma peau est devenue jaune, bleu, noir et rouge. La gouache goutte de mes doigts multicolores...Ces formes. Ce fut un déclic, je ne vois que mes mains, mes avants bras mais...Je pleure pourtant. Noir, rouge, bleu. Jaune. Le jaune pétille derrière mes paupières. Je place mes mains contre mes draps, pour compléter le tableau. Ils apparurent, eux aussi tout tâchés de couleurs. Il n'y a même pas besoin à ce que je me force.
« Je vois. »
Mes lèvres sèches se décollent pour former ces deux syllabes. Puis un triste sourire s'étend, les même mots plus fort. Puis encore plus fort. Les infirmières arrivent en courant. Elle répètent ne pas comprendre,mais qui peux comprendre à présent ?
Personne.
Je les vois me montrer du doigt, en chuchotant. Je lèche la gouache sur mes lèvres et sourit. Je vois tout.
IV.Un mois plus tard, le chirugien m'enlevait mes bandages. Le déroulement du pansement ne présenta aucun problème, ni même une seule douleur. Mon oeil gauche était ouvert sur l'infini, il était entièrement blanc selon le chirurgien.
« Ouvre l'oeil droit.
-Je n'y arrive pas. »
L'image qui apparu sur mes paupières, montrait un homme perplexe devant mon refus. Car ce n'était rien de plus qu'un refus. On l'avait pourtant prévenu,non ? Je suis folle.
« Je n'y arrive pas. »
Je pouvais à peine apercevoir une source de lumière derrière le médecin. Pendant trois jours, je refusa d'entrouvrir l'oeil, on me déplaça d'endroit et me donna une canne pour me repérer. Autrement dit : me défendre des meubles.
Contrairement au reste, j'ai plus de mal à imaginer les pièces dans leurs intégralités. Le fait que les meubles soient silencieux font d'eux mes ennemis les plus fourbes ! Le pire est sans doute lorsque qu'ils me sourient de façon narquoise. J'irais bien déchirer mes paupières dans ses moments où mon imagination me fait vivre un cauchemar. Dans la cantine, je me fis attaquer par une chaise, je pense même qu'elle m'a mordue vu ma douleur et le bleu. Quelques minutes après cet incident, elle revint à la charge, me projetant deux fois à terre. Je n'y remettrai plus jamais les pieds, c'est un repaire de chaises sadiques. Car, étant Dieu, j'ai décrété qu'elles avaient le droit à une vie, comme tout objet.
Car, moi, je suis aveugle. Une de ces vraie aveugle aux valeurs sûres. Handicapée handicapante. On m'apprend le braille et ma nouvelle vie. On m'apprend à manger comme à une enfant,à ressentir, à vouloir prendre, à savoir marcher. Alors j'ai réussi.
Marcher droit dans le noir.
Mon noir, mon encre, ma création. Tout droit. Il n'y pas de frontières, ni de murs dans cet endroit. Je n'ai pas peur.
V.Je redécouvre. Je regrette. Je n’ai plus faim. Je n’ai plus besoin de rien.
Il fait beau, le soleil me caresse le visage avec ses voiles chauds. En avant tout ! Le vent souffle. En avant tout ! Enroulée dans les draps du soleil, je me laisse emporter. Vers, un pays lointain, peuplé de Djinn et de princesse, l’été apporte derrière mes paupières un peu de noir des milles et une nuits. Je connais ces moment sans lune, ni étoiles, les paroles de la conteuse sont là pour les accrocher une à une. Je serais ma propre conteuse et en premier, j’accrocherais la lune. Immense rond blanc aux cratères gris, seule réalité que j’aimais.
En avant tout ! Les nuits d’été n’auront plus à souffrir mon regard et mes paroles. Elles seront par-dessus mon épaule, silencieuses et invisibles. Alors, avec classe et distinction, passerons les Dames Lune.
La première que j’ai aperçue dévorait une étoile. Elle portait une robe blanche légèrement rosé qui se confondait avec sa peau. J’entendais distinctement les branches poudrées claquer entre ses dents. Mais qu’elle était grosse !Peut être mangeait-elle trop ?Elle ressemblait à une boule de Noël, aussi haute que large. Elle me vit, son visage rond et bouffi se fondis en un sourire aimable.
« Tu t'es perdu ? Viens, je vais te ramener dans ta chambre. »
Elle rangea les étoiles dans un tiroir et me reconduisit, sa main potelée enserrant mon bras.
« Tu devrais dormir.
-Je voulais... »
Elle ferma mon œil gauche et Morphée m'accueillit comme une vieille connaissance.
La deuxième Lune trainait dans les couloirs, très tôt. Elle était encore plus pâle que la précédente, il y avait comme un halo de brouillard blanc autour d'elle. C'était une brume matinale peut être. Ses membres était fin, couverts de bijoux argentés. Bracelets et chaines tintaient à chacun de ses pas. Un mélodie d'étrange bruits. Je la suivais, a pas de loup, fascinée par sa beauté fragile et immense, c'était comme une girafe argentée. Aux pas réfléchis et lents, elle passa une grande porte. Alors qu'on m'interdit de la suivre, deux bras m'ont ceinturés et me ramènes en arrière. Je me débats. La lune se tourne vers moi tandis qu'on m'éloigne. Je hurle. Je sens une aiguille s'enfoncer sous ma peau. Pourquoi encore dormir ?
VI.Vous avez tord.
Vous êtes fous.
Vous me rendez folle.
Vous, Nous, tu, il, elle, Je.
Je ne mange plus depuis trois jours. Ils se disent inquiets sur mon état. J'ai compris où je me trouvais, dans un hôpital psychiatrique. Moi qui croyais sortir bientôt, ça ne sera pas le cas. Je les déteste. J'ai perdu la notion du temps, depuis combien de temps suis-je ici ?J'ai sentit tant de saisons passer près de ma peau avec douceur. On m'a donc placé entre ceux que l'on veux oublier ? On veux me soigner ? C'est VOUS qu'il faut soigner !Mais vous ne voyez donc pas vos vies fades et immondes ? Vous enfermez les anges en cage ! Vous êtes les monstres ! L'humanité c'est toujours trompée, et a exclus les minoritées. Qu'on me laisse ma vie, je ne cracherais pas sur les vôtres. Taisez vous ! Taisez vous ! Je veux être sourde, muette, sans respiration. Un légume. Je ne veux plus vous comprendre. Un oiseau. Quelque chose. Pas quelqu'un.
Je me suis pris un mur.
Taisez vous.
Vous l'avez construit.
Taisez vous.
Vous, Nous, Tu, Elle, Il, Je.
Surtout Je.
VII.On l'a retrouvée dehors un quinze décembre, un oeil grand ouvert sur le ciel de coton blanc. Elle était sortie ce jours là, par hasard. Il neigeait, sentant les piques froids sur sa peau, elle ouvrit l'oeil droit. Et tout changea. Plus rien à l'extrémité de ses doigts, sourde, muette. Des 5 sens plus rien de marchait sinon celui qu'elle avait rejeté. Alors elle avança, indifférente, dans ce blanc qu'elle n'avait pas revu depuis des années. C'était du coton ? Elle s'y allongea et porta son regard loin. Très loin derrière les apparences.
Peut être regardait-elle ce que personne ne voit ?
Ce corps n'était pas elle de toute façon.
Et le froid a fait son office, sur ce corps tandis que son esprit brillait.
Sa mort avait été douce, comme le velour.
Elle n'était plus qu'un bloc de marbre et un numéro classé.
Tombée dans un autre noir.
~*_*~
Deuxième nouvelle très courte. Sans lien aucun, mais qui ressemble beaucoup à la première.
Mon ami rouge.
Cinq jours que l’ont discute sur le temps et sur son sort aussi.
Je saute par la fenêtre et je lui tourne autour en chantonnant. Désolé vieux frère. Et je tourne sur moi, je chantonne, j’attrape un de ses bras, je tourne encore et toujours. C’est une danse muette, qui doit l’énerver. Que je tourne autour de lui comme un insecte. Je suis la mouche de son malheur…Tourne, sur les pas d'une danse, écorche toi les chevilles sur les ronces, cheveux trempés, jupe lourde, Tourne.
Dans un murmure, tombe et ris.
Relève toi.
Mon père passe des coups de téléphones partout, demain matin. Je le fredonne contre toi,
demain matin.
La nuit est mauvaise conseillère, surtout lorsqu’on ne dort pas. Les yeux fixés sur une poignée grise, les bras croisés, j’essaye d’éviter son regard. Ses doigts charnus et longs se frottent contre mon carreau de fenêtre. A chacun de ses doigts, un ongle terriblement rouge, comme ses lèvres, comme ses yeux, comme un rouge de meurtre. Il veut ma mort. Il se sait condamner, Il veut se venger de moi avant son dernier moment.
Il m’avait pourtant protégée si longtemps, je grimpais dans ses bras, je cueillais ce rouge qui ne me faisait pas peur.
Je me cache sous ma couverture et toute la nuit durant je tremble, car il m’observe.
Ses mains veulent m’attraper, m’enserrer, il veut se pencher sur moi pour m’étouffer. Ses longs doigts qui m’effleuraient auparavant me blesseraient et arracherait ma chair.
Lorsque le matin, je me réveille, j’ouvre ma fenêtre. Devant moi, le ciel. Qui, hier, était caché. Par un énorme arbre malade. Ce cerisier qui gît à mes pieds et qui n’a jamais su m’attraper.