L'obscurité. L'ennui. Les borborygmes intestinaux de ma très chère mère sont maintenant ma seule musique depuis près de neuf mois. A travers cette enveloppe molle et élastique, je distingue un peu de lumière tamisée. Le monde extérieur. Si proche, mais si lointain.
Soudainement, j'étouffe. Je n'en peux plus de cet endroit sordide et tiède. Pourquoi les autres fœtus tiennent ils tant à rester calés dans cet inconfort? Peut-être suis-je différent, mais je veux sortir d'ici. Maintenant.
Feu vert, je commence le travail. Je pousse, me trémousse, sollicite tout la force de mes frêles membres. Et ce n'est pas simple, ce canal est si étroit que j'ai l'impression que ma tête ne passera jamais, mais j'insiste. Un cri m'interrompt dans mon dur labeur. La voix de ma mère. La panique qui a pris son cœur provoque une diffusion de l'adrénaline dans son sang. Dans le mien. Ça bouge à l'extérieur, je me sens balancé dans tous les sens, soulevé sous le rythme d'une course effrénée dans les escaliers. Une fois le calme plus ou moins revenu, les muscles tonifiés, je continue à progresser vers l'issue, lentement, mais surement.
Nouveau mouvement brusque, nouveau cri de ma mère. Cette fois-ci, il y a beaucoup plus de monde à l'extérieur, je peux même les entendre, leur voix étouffées par les barrières de chair. Ne peut-on jamais me laisser tranquille? J'aimerais sortir d'ici.
J'attends jusqu'à la prochaine accalmie pour continuer à avancer, encore et encore. Cette fois, je tiens le bon bout, j'en suis convaincu. Le passage se fait moins étroit, et je sens que ma mère m'aide à coup de muscles. Courage môman, c'est bientôt fini... Encore un peu de patience...
La lumière violente de la salle d'accouchement me prend aux yeux. Il fait si froid ici... On me tire par le crâne et on me retourne, la tête en bas. Mon premier mauvais souvenir fut celui dans la grande claque qui s'en est suivit, m'arrachant un cri puissant. Puis l'exclamation : c'est un garçon! Je me sens déjà mal. Ni une, ni deux, je me retrouve en face d'une tête d'abruti qui n'est autre que mon père. Alors c'est ça le Monde? Un endroit froid et aveuglant, peuplé de visages à l'expression ahurie? Je prend ma seule arme à disposition et je braille, me tortillant pour tenter de revenir vers l'orifice vaginal, là d'où je viens. Mais que faire contre ses mains puissantes qui m'ont déjà coupé du cordon ombilical, pesé et habillé?
A l'heure qu'il est, je me trouve toujours dans cette couveuse, à méditer sur les conséquences de mon geste...