Réminiscence [Rôle Play sur la digue de Saint-Adobe en Ter Aelis]

Au fond de tous les êtres nait l’ombre et la lumière, fragment d’essence de toute Création. Dans l’antithèse claire obscure du Monde, se hisse le souffle de Dieu et embrase la Matière. Et c’est de cette loi mystérieuse que se forma dans les paysages glacées l’esquisse d’une forme.

Apparût comme une image hésitante les formes d’un dragon, qui s’évanouit aussitôt formulée pour laisser place au corps d’une jeune femme au regard bleu-nuit. Ses longs cheveux noirs couvrent ses épaules et à son visages des arabesques blanches décorent ses pommettes et le contour de ses yeux. Ses pas ne laissent aucune trace sur la glace et dans l’air et ses gestes semblent être rêvés plus que faits. A son front une étoile scintille ainsi qu’Orion au front des Constellations. Au fond de ses pupilles un unique iris semble briller tel des feux éternels aux reflets purpurins. Elle se penche en avant et ses genoux se plient pour la laisser toucher de ses mains diaphanes le sol glacé. Au loin les fils ténus de l’Existence se délient un peu dans le corps de Cassiopée. Autour figés en des Statues silencieuses, Nahis, Grendelor, Tara et Kyara dorment au fond de leur gangue de glace.

L’Image pressa ses mains contre la glace et débuta une longue mélopée. Ses cheveux volaient au rythme de bourrasques invisibles et des vapeurs légères recouvraient son corps.

A l’Hiver naissent les fleurs d’Automnes, jeunes et rêveuses, qui s’élèvent aux cieux telles des promesses ivres, quelque étoile échappée d’un sein divin. Et nous, ouvrage du temps et de l’espoir, recevons en nos cœurs tout l’Amour qu’un Dieu bienveillant à laissé fuir vers nous…

Au fil de chaque mot les vapeurs s’épaississaient et les déserts de glace semblaient devenir plus fragiles. Peu à peu plusieurs cassures se firent entendre. Le paysage se modifiait encore dans une progression lente de la température. L’essence de l’Etrangère perçait les murailles et l’esprit Shyonnesque, Lumière sacrée d’une Race divine, ébranla l’ouvrage de Sang. Des filets d’airs embrasèrent à nouveau toutes les poitrines et la vie refleurissait en chaque fibre, en chaque âme glacée. C’était le jour sorti des profondeurs qui venait briser le silence mortifère. Les craquements de la glace offraient les symphonies des Mondes Obscurs qui reculent en gémissant sous chaque astre éveillé.

Puis dans une ultime révolte, l’onde envahit la digue et inonda l’espace. Le flot libéré couvrait les corps et de sa chaleur bénie rallumait les membres. Les langues d’eaux infiltraient les corps ainsi qu’un appel ressassé de la Vie dans la Matière.

Il y eut des étouffements et des crispations, des cris natifs ; l’eau avait purifié le Monde de Saint Adobe.
Dans un dernier regard, l’Etrangère releva ses mains et son corps, et offrant un regard comme une vague lueur sourit à Smirtnoff. Tout près de Cassiopée poussait des fleurs de cristal que l’onde effleurait avec délicatesse.

Ne nous suivez pas… et prenez soin d’Elle…

Sa voix fut une mélodie d’ange et de sagesse entremêlée.

Ne nous suivez pas… .

L’être étrange dans les vapeurs légères s’effaça peu à peu et il ne resta plus de l’endroit qu’un havre de paix et de Réminiscence. Un Ilot ou l’eau venait embrasser la digue, jeté ainsi qu’un pont vers l’infini. Et le temps reprenait son droit sur la Digue de Saint Adobe.

Égarée entre les mailles d’un monde en construction, Cassiopée se disperse, insaisissable lueur d’un esprit qui se meurt tout en tentant l’impossible.
Son âme, infime parcelle de vie, vagabonde vers les sommets, attirée par la lumière offerte par Smirtnoff. Bribes de souvenirs, éclats dérisoires de savoirs s’enflamment au contact de la moindre étincelle. Mais l’âme éparpillée peine à s’assembler. La peur l’empêche de se retrouver.

Elle sent son corps, durci sous la glace, tenter de ne pas se vider. Mais un flux lent s’insinue hors d’elle et sa chair blanche mute doucement vers le marbre, statufiant peu à peu son corps encore chargé de lueurs, pâles opalescences de survie.

De son âme en lambeaux un long fil est à présent tiré, le long lien d’or d’une âme déchue. L’ombre d’un ange émanant de l’âme shyonnesque l’appelle. L’essence double a laissé son empreinte de cendre et de poussière, scories fertiles aux étincelles du hasard, et Cassiopée sent la chaleur d’Orion venir soutenir les efforts du vampire. Orion le protecteur ne l’a pas abandonnée et combat l’effroi dans l’esprit émietté.

L’âme disloquée peu à peu se ressoude, prend de l’assurance et soutient la pensée. Une colère terrible voudrait y prendre part pour nettoyer, laisser la place vide là où demeurent les traces d’une infâme traitresse. L’incompréhension se mêle à la bataille et veut arracher le lien qui luit des mille connaissances qui défient l’obscurité perlée de lueurs de vérités.

Mais l’essence divine, ondoyante, rayonne de velours et prononce les mots salvateurs, les mots d’amour capables de réchauffer les vies que l’ange noir avait durcit.
Et Cassiopée sent son corps submergé, alors que tout près d’elle Smirtnoff la tient toujours, la chargeant de beauté. Les flots les plongent dans l’instant ancestral où la Terre naissait, dépouille d’eau vêtue, avant de naître et révéler la vie.
Quand s’assèchent les eaux, Cassiopée, l’âme en sursis mais le corps démoli sent lentement s’enfuir son sang qui coule des plaies encore béante laissées par Koran le brumeux.

Elle pleure. La glace rétractée s'est insinuée en son cœur et les larmes brûlantes creusent en son âme un fleuve d'espoirs incohérents. Ses mains se perdent sur son instrument inutile à présent. Agenouillée, tombée là comme un tissus envolé, ses yeux fixés sur le rouge dégoulinant, ses lèvres dans un murmure laissent échapper des mots inexistants. Sa main doucement relevée, tendue là devant elle, ne cherche qu'à saisir la douleur évaporée.
Les étoiles de ses yeux grandissent, couvrant ses iris d'un doré lumineux. Ses pupilles s'affinent, et son esprit n'est plus.

Et là, entre la main tendue de l'elfe et les plaies de la dame des étoiles apparaît un mince filet doré qui pénètre les chairs. Comme un crépitement sur le sang coulé, et la voie s'élève, les mots deviennent existants et s'emmêlent au filet venu aider l'amour.

Les plaie, lentement se referment, et tandis que la vie reprend ses droits en cet être, les yeux de l'autre se ferment. La voie s'éteint alors, comme la fin d'un étoile. Le filet d'or quitte la main pour finir en Cassiopée et, vidée, épuisée, Tàranis s'écroule sur le côté.

Au fond de sa fuite, comme un oiseau rageur porté par le vent, Sang manqua un battement. Il sentit dans les confus éveils de la digue comme les échos de douleurs échappées. La poussière d’étoile se suspendit dans l’air. Elle sembla attendre un peu, puis murmurer :

Ooh Dieu..

D’une vive réaction, elle fit demi-tour, laissant filer le monstre qu’elle pourchassait. Revenant sur les contrées apaisées elle découvrit un spectacle étrange ou certains semblaient respirer à nouveau, d’autres non. Les poussières s’approchèrent des corps étendues et frôlant la flutiste sentit la vie hésiter. Une vague de tristesse et de remord perfora l’être. Sang se métamorphosa une image de lui, vague, incertaine. Il n’était qu’une esquisse de lui-même à défaut d’avoir un corps quelque part. Ses mains glacées se posèrent sur le front de Taranis et il tenta vainement de rallumer en lui ses essences. Le déchirement l’avait fatigué, et ses facultés étaient amoindries par le climat. Il s’agenouilla, l’air dépité.

Que sont ces hommes que le Destin pousse à les rendre criminel… Reviens nous Etrangère… Il y a encore des Espoirs au fond des cœurs… .

Sa main s’embrasa. C’était là peut être ses dernières forces. Sang la déposa sur le front de Taranis en laissant une vapeur légère atténuer la morsure du feu. Ses yeux se voilaient peu à peu. La haine qu’il éprouvait était un vague souvenir, une désagréable pression au fond de ses entrailles. Elle l’appelait encore. Mais cette force surprenante, ce cri d’humanité né des plaies qui se refermaient un peu, l’avaient éveillé. Son regard chercha vaguement un autre regard et il ne trouva rien. Son enfer était de ne retrouver ni compassion ni pardon en tout endroit.

Tout près gisait une flute brisée. Tendant son autre main l’objet brisé vint à lui. Il remodela l’instrument. Et retirant sa main enflammée du front de Taranis se mit à murmurer une douce mélopée. Elle était un air mélancolique, une dérive lente vers des Suppliques d’Amour et de tristesse. Une à une les notes s’égrenaient et envahissaient le paysage, tel des éclats d’étoiles dispersés en tout vent.

Congelée alors qu'elle voyait Cassiopée s'effondrer, Grendelor n'avait pu esquisser un mouvement, sombrant dans le néant. L'éternité qui l'avait avalée, la recracha, pauvre chose sans force. La glace ne la retenant plus, la jeune femme s'affaissa, se retrouvant à genoux face à Smirtnoff serrant sa dame sur son coeur. Un peu plus loin, Tàranis elle aussi était à terre, un fantôme de Sang près d'elle jouant doucement de sa flûte. L'air était impregné d'une atmosphère lourd, apocalyptique.

La dame turquoise ferme les yeux et se laisse bercer, dérivant dans les limbes de son esprit, prenant la mesure des dégâts. Kyara allait aussi bien que possible suite à ses soins. Nahïs ne semblait pas avoir souffert de l'effet de la glace et était celle qui était le plus en forme. Avec Smirtnoff. Son esprit était étrangement ouvert et se mêlait à l'essence de Cassiopée. La nymphe avait été soignée et ne semblait pas en danger immédiat.

L'esprit de Grendelor sauta alors jusqu'à celui de Tàranis. L'elfe était faible, vidée de toute énergie malgré les efforts de Sang. Souriant en pensant qu'il était revenu, la jeune femme rouvrit les yeux, rassénérée par l'état des lieux qu'elle venait de faire. Rassemblant ses forces, elle se leva, rejoignit l'ombre de l'ange et l'elfe. Posant une main sur le bras de Tàranis, l'autre sur le genou du fantôme de Sang, elle accompagna les notes de la flûte. A l'Amour et la Tristesse, elle ajouta son propre amour et sa joie de vivre, rallumant les flammes vacillantes de la vie. Flottant dans les airs, Chaleur et Espoir, Vie et Délice, Joie et Pardon.

Souffrance. Elle avait hurlé. Puis, son visage s'était durci, ses prunelles avaient étincelé, incandescentes. Seule une part infime de son iris gardait une once de ciel bleu. Elle se dressait face aux éléments, faisant fi des bourrasques qui cinglaient ses cheveux. Elle avait été deux. Puis trois. Cassiopée.

Bredouillement de Nahïs :

-Cassi... Cassi, je…

Figée. Emprisonnée dans une gangue de glace, sa langue resta collée au palais, et ses lèvres ouvertes semblèrent hurler un désespoir sans nom. Nahïs ne bougeait plus. Seule sa main, que la nymphe serrait encore, gardait de sa chaleur. L'enveloppe polaire la coupait du monde. Impuissante, sa main glissa... laissant Cassiopée seule. Puis plus rien. Blanc, du blanc. Rien que du blanc et le temps qui passe.

***

Quand l’eau brisa la glace, quand la digue fut lavée du combat de Koran et de Sang Zoltan, c'est la vie qui reprit ses droits.
Trempée, de larmes et de sueur, Nahïs s’ébroua l’esprit, que le carcan de glace avait engourdi. L’air se réchauffa peu à peu, grâce à l’impulsion de la dame turquoise qui réveillait en chacun les parcelles de vie. A ses pieds, un tapis rouge, tissé de sang et de sève. Et Cassiopée dans les bras d’un vampire. Pas le temps de se demander pourquoi, ni comment. Si les notes de chaleur n’avaient pas adouci sa peine, Nahïs n’aurait pu proférer un son, ni même bouger d’un pouce. Ses larmes se mêlaient au sang, le drame avait brisé ses sens. Et pourtant sa voix cristalline s'éleva sur la digue :

-Comment avez-vous osé?

La stature de la lutine semblait maintenant avoir triplé. Tour d’Innocence, les yeux braqués tels des feux sur le fantôme de Sang, elle ne comprenait pas. Comment avait-il osé violer une âme? Quelle cause justifiait les dégâts de la digue, de Kyara allongée sur les rocs, au sable devenu rouge par les différentes effusions, en passant par le corps de pantin de la dame Cassiopée?
Non, Nahïs ne savait plus. Et ses yeux purs, d’une sagesse sans fond, se fissuraient à présent devant le sacrilège accompli.
S’accroupissant, Nahïs reprit la main de la nymphe qu’elle avait perdu tout à l’heure. Face à face, le vampire de l’Amour et l’être pur, tentaient de restaurer l’équilibre entre le corps et l’âme de la nymphe. Un vampire amoureux… Quoi de mieux pour ramener la belle? Ramassant une fleur de cristal, que l’eau n’avait pas totalement désagrégé, elle la posa délicatement sur la poitrine de Cassiopée, et murmura tout bas, dans un flot d’amour convulsif :

-reviens, Cassi reviens…

L'âme de l'elfe s'était terrée au fin fond de son être. Faible, fragile, presque évaporée, mais accrochée encore à la chair et au cœur. Soudain, une chaleur l'attira vers la surface, doucement, dilatant son essence qui reprenait peu à peu possession de ce corps inconscient. L'âme luttait, tentant de reprendre consistance.

La chaleur s'en alla, remplacée par une douce et triste musique venant s'emmêler à elle, l'attirant encore et toujours vers la surface. Le cœur de l'elfe n'avait pas cessé de battre mais son cerveau en léthargie avait du mal à relancer les connexions nécessaires à la pensée. Une à une, les pensées naissaient, légères et fragiles comme la flamme d'une bougie à l'agonie. Petit à petit, elles devenaient cohérentes, reformaient les souvenirs, les sentiments.

Une colère soudaine, brutale et violente anima l'âme, puis le corps enfin éveillé. Cette colère n'avait qu'un objet, qu'un unique but à atteindre.

Sang!

Ce nom résonna dans l'esprit meurtrit de Tàranis tel un gong douloureux. Elle ouvrit soudain les yeux et, à la vue de l'être agenouillé à ses côtés, sauta sur ses pieds et s'éloigna subitement, avant de retomber à genoux, encore trop faible pour soutenir tant d'énergie. Haletante, sa main s'était posée sur la garde d'une dague qu'elle portait dans son dos et ses yeux noirs de rages fixaient Sang, l'instrument à la main. Derrière lui, Cassiopée était toujours inconsciente dans les bras du vampire, bien qu'hors de danger. Mais cela, Tàranis ne le savait pas. Les souvenirs de son acte ne s'étaient pas écrit dans sa mémoire.

Elle ne quittait pas des yeux cet être qu'elle haïssait à présent.

Comment osez-vous... Comment osez-vous revenir ici...

Sa voix n'était qu'un murmure. Elle se jeta soudain sur lui en hurlant, lacérant de sa dague son corps presque inconsistant.

Allez vous en! Retournez dans votre enfer! Laissez notre mondre en paix!

Un fot de rage sans nom s'était emparé d'elle, elle ne voyait plus rien d'autre que cette âme à détruire.

Cassiopée était si loin… Elle rejoignait peu à peu les étoiles… Elle sentait son âme la tirer vers les cieux, prête à reprendre son trône.
Elle ne savait pas que sa vie était piégée dans un filet d’or, un filet dont les mailles tissées d’amour et de tendresse la retenait et l’appelait. Elle ne comprenait pas pourquoi tout à coup, son âme venait se lier à ce corps fatigué et soudain si usé.

Elle sentait la peine autour d’elle, elle écoutait Smirtnoff qui sans cesse l’inondait de cristaux, elle percevait Tàranis vidée et exténuée…
Puis vint Nahis…
Il émanait du cristal déposé par la jeune elfe sur le sein de Cassiopée une douce lueur. Il formait comme un feu tendre et tranquille près de son cœur. La Dame des étoiles perçut la chaleur qui paisiblement s’insinuait dans son sang. Elle reconnut les rayons bienfaiteurs du feu d’Orion…
Et elle ouvrit les yeux. Elle se sentait étrangement lasse, comme étrangère au monde. Mais elle vivait et son âme pouvait sourire.

Son premier regard fut pour Smirtnoff, étonnée de le trouver sur la digue, si près d’elle. Elle se redressa, laissant tomber le cristal au sol, sur lequel il perdit son éclat. Elle prit, un moment les mains du vampire dans les siennes, ressentant violemment les affres de la mort au travers du courant glacial de ses doigts. Dans les yeux de Cassiopée étaient ancrés tous les éclats d’amour déversés par Smirtnoff.

Un air de flûte enchanta soudain la Digue et Cassiopée, encore surprise de vivre, se tourna vers les sons qui l’embaumaient de paix.

- Sang !

Le choc fut si violent que dans tout son être elle sentit la vie affluer.

De tous côtés, le nom de Sang se répétait comme en échos par les voix des femmes présentes sur la berge.
Soudain, Tàranis se jeta, prête à tuer, sur le semblant de corps qui leur faisait face…

Cassiopée ne put que crier dans un souffle :

- Non, Tàranis ! Non ! Ne le tue pas !

Et dans son propre esprit se formulait la suite de sa pensée que son corps épuisé n’acheva pas :

Nous ne sommes pas là pour combattre, nous avons formé notre union au nom de l’amour…

Les coups de Taranis semblaient fendre l’image qui se reformait imperceptiblement tout de suite après. L’Esprit du Sang fixait son œuvre, toutes les perceptions effrayantes de corps brisés, proches de tous les Infinis que la plupart des races se refusent d’approcher. Lui aimait ces confinements de l’Univers, ces replis obscurs ou l’Éternité embrasse le Rien. Il savait cette différence. Il aimait cette différence. Mais ici elle lui semblait lourde et étouffante. De plus son énergie faiblissait au fur et à mesure. Son feu s’était déjà éteint et il contemplait Taranis revenu au vivant par la morsure du Sang Flamboyant. Il ne put s’esquisser d’afficher un pâle sourire dans les tourments de la jeune fille au renard.

Je ne suis pas d’ici…

Cette phrase lui revint aux lèvres. Les fleurs de cristal se brisèrent dans un choc brusque. Aussitôt les cristaux filèrent vers leur créateur et Sang se retrouva entouré de ces joyaux suspendus de sorte qu’il était devenu inaccessible. Son cœur hanté par les vents ne battait plus. Ses yeux se voilèrent peu à peu. On ne sort jamais indemne d’une rupture dans l’âme, il l’avait presque oublié. Il n’avait plus de corps. Il n’avait plus d’incarnation. Son esprit éthéré pouvait à chaque instant se mêler à l’air et il retournait dans les incertitudes du néant, quand la Nature aura aspiré les souffles de vies qui le maintenaient en ce monde.

Je suis un Ange, ou un Monstre.

Les Cristaux se remirent à briller avec plus d’éclat. Comme dans un réseau ils se connectèrent les uns aux autres. De loin il voyait Cassiopée crier mais il ne voyait rien. Jusqu’au moment où le poignard de Taranis rompa un des cristaux. Le Temps se suspendit. La suite fut irréelle. Toutes les pierres suspendues entrèrent dans une instabilité critique. Et ce fut des implosions sucessives au sein du système. La digue fut prit d’un ébranlement tel qu’on crut sentir un séisme secouer l’endroit. Les flots se soulevèrent et vinrent s’écraser sur les rivages. Quand l’eau se retira une voix faible murmura :

Je suis un… ANGE !!!

Le mot ne fut pas crié, ou hurlé. Il résonna comme un tonnerre. La terre se craquela et il en sortit un feu aveuglant. Au sein de l’orbe solaire une vague impression de forme, d’être, de vie.

Par Orion…

Qu’était Orion pour Un Ange du Néant, pour le déclin d’une puissance oubliée, qu’un Dieu a jeté prophétiquement du ciel ? C’était la Résurrection par le feu, une renaissance fragile et dangereuse. Qui aspirait chaque élément vivant pour se reconstruire. Quand Taranis eut brisé un de cristaux qui aurait du permettre à Sang de retrouver une incarnation, elle avait laissé une trace. Sang l’avait gardé en mémoire. Une identité propre. Un bout d’essence dans lequel il s’infiltra pour reconfigurer son corps. Du feu jaillit des langues de feux qui enchainèrent Tara et l’attirèrent inexorablement. Elle fut absorbée par l’orbe sans que l’on puisse faire quelque chose. De partout les flots grondaient, menaçants. Des barrières de vent se dressèrent entre eux et le Monde. Alors Orion eut des yeux et ces yeux furent des pupilles de sang qui regardaient la digue avec un air triste.

Par Orion…que faites vous de moi…un monstre ?

Alors que tout semblait s'apaiser enfin, Tàranis reprit vie et sa conscience se transforma en un flamboiement de rage. Furie dévastatrice, elle s'acharna sur l'ombre de Sang, rompant les harmonies qui se tissaient fragilement. Bousculée par cet éclat, Grendelor s'affala de tout son long sur le sol encore frais. La terre roula et tangua, boulversée par la renaissance de Sang, ange perdu dans les guêtres d'un monstre. L'équilibre était à nouveau rompu et la catastrophe tangible. Grendelor s'abandonna.

Un à un, elle brisa les liens qui la retenait dans son corps, ne conservant qu'un fil ténu, tremblant et fragile, comme chemin de retour. Ainsi libérée, elle puisa dans la nature la force qui lui faisait défaut, s'enivrant du parfum des Essences présentes. Une à une, elle les lia. La fraicheur de Nahis, l'étoile de Cassiopée, la terre de Smirtnoff, la fougue du renard et sa propre chaleur. Tous avaient cette part d'amour en eux qui permettait à Grendelor de les toucher. Elle transforma cet amour, le sublima, s'approchant de l'Amour universel. Elle en fit un roc, un bouclier, une bulle qui les englobaient, Sang à leur centre. Elle préleva une infime parcelle, étoile lumineuse, mélange de leurs amours et la présenta aux yeux de Sang.

Tu n'es pas un monstre. En toi, l'écho de cette parcelle existe. Elle s'est enfouie. Libère-là. Abandonne-toi. L'ordre des choses reprendra son cours. Donne vie à notre espoir, notre amour.

L'étoile se fondit dans le nouveau corps de Sang.

Tàranis ne voyait rien d'autre que le mouvement de sa lame. Le monde s'était teinté de Sang, son regard n'était plus, son esprit obscurcit ne raisonnait plus.

Elle ne comprit pas. Elle n'en eu pas le loisir. La haine s'en était allée. La douleur aussi. Restait seulement l'interrogation primordiale des êtres vivants pensants. Elle flottait, comme irréelle dans un monde non moins inexistant. Tout autours d'elle n'était que pureté, d'un blanc immaculé. Les tâches de la vie n'existaient pas en cet endroit. Seule persistait la douceur, comme pour mieux envoûter les âmes égarées.

L'elfe ne savait si elle avançait où si elle restait immobile. Elle se recroquevilla sur elle même, fermant les yeux. Sa capacité de réflexion était annihilée par l'atmosphère étrange qui régnait.

Où suis-je?

Elle entrevit soudain un éclat de lumière. Sa dague. Elle se souvenait.
Elle se redressa, étendant son corps pour tenter de trouver un appui solide, un sol, quelque chose, un repère. Mais rien, il n'y avait rien. Elle sentait comme un étau autours de son cerveau, qui bloquait son raisonnement, l'empêchant de penser logiquement. L'âme enchaînée tenta de résister, se débattit pour enfin déchirer le voile blanc. Derrière, des âmes dormaient, prisent d'un repos éternel, un sourire paisible sur les lèvres.

Etait-ce ce qui l'attendait? Où juste... son imagination? La question se répéta.

Où suis-je?

Elle lutait, cherchant une issu, mais rien ici ne pouvait l'y aider...

Au point de rupture

La voix qui s'était élevée en Taranis murmura ainsi qu'un vent doux et grave.Elle s’insinuait dans son esprit ainsi qu’une marée implacable, annihilant tout le reste. Elle était devenue sans qu’elle le sente l’Unique Vérité du milieu. Dans l’Ame Sanzienne l’Eternité coulait à flot.

Tu es aussi au moment où les essences vont recombiner ton corps tout entier pour l’absorber… .

Malgré l’effroyable vérité Taranis ne pouvait trembler. Ses émotions étaient inhibés par les influx nerveux qui la traversaient. Peu à peu la lumière perforait son corps, illuminait tous les pores et rongeait la conscience. Les lents travaux divins étaient dans ces entrelacs aveuglants.

Tu te demandes qui sont ces gens paisiblement endormis…tu te demandes s’ils te ressemblent…si eux aussi sont venu ici… Si Sang les a aspirés et s’ils restent ainsi que la Mémoire de tout ce que nous avons fait, tous les deux… Quelle importance.. quelle importance…

Un des corps se réveilla devant Taranis et il sembla qu’investi d’un élan de vie ses yeux s’ouvrirent comme deux feux brûlants.

Taranis…Taranis…

Les voix furent probablement comme un déchirement silencieux dans le cœur de Taranis à mesure que l’image des corps endormis se dessinait de plus en plus. Des lentes transformations s’opéraient sous ses yeux et il prenait forme comme l’image de son enfance. O Mère…O Père…

Ils sont beaux tes Parents… Taranis… Ils sont beaux…

Une lente mélodie envahit le milieu. Comme de vieux airs de flutes.

Regarde les Taranis… . Aimes les…Regarde les…

Une fleur éclot dans le corps de Taranis. Et les racines vinrent se mêler étroitement a ses essences. Des ondes d’apaisement la frôlaient et cajolaient ses pensées. Un enivrement lascif la touchait.

Aimes les…

***

De l’autre Côté les Yeux d’Orion fixaient l’Union tenu par Grendelor. Entourée par la force Amoureuse elle frissonna. La perforation de son corps par l’étoile paru la destabiliser un peu mais les radiations furent diffusées dans toute la coque de sorte que la puissance en fut atténuée comme un grain dans l’immensité pure.

Vous ne comprenez pas… Quel Amour et quelle Union… . Je suis…

La Sphère se dilata un peu et des rayons émergèrent d’elle qui vinrent frapper les parois solides.

Orphelin.

La Sphère explosa au sein d’elle-même.

Un Orphelin ne croit pas

Le jaillissement des flots blancs envahirent le globe des Amours unifiés et de cette inondation jallit un Phoenix d’or fendant d’un coup le fil ténu qui retenait Grendelor en même temps que l’orbe blanche fit craquer le globe. La suite fut indescriptible. Une conflagration fit trembler la digue encore une fois et quand elle se fut dissipée on trouvée Taranis profondément endormie au sol et un jeune homme à ses côtés. Ses traits étaient d’une finesse exceptionnelles et ses cheveux reposaient dans une tranquillité mystérieuse. Des arabesques noires décoraient ses joues dans une douceur enfantine.

A l’Amour Universel.

La voix si grave devint confuse puis disparut. Les flots redevinrent calmes. Un vent calme batifolait avec les nuages. Il y eut juste entre ces deux corps étendus et le reste une jeune fille évanescente au front constellé par Orion qui tenait une épée plus grande qu’elle. Elle semblait flotter dans l’air.

Tu es allé trop loin Sanz… Tes essences sont fatiguées… N’oublie pas que je ne suis plus en toi. Tu ne peux tirer éternellement sur tes essences sans en ressentir les effets. Même si pour cela tu les a encore une fois recombinés… Inconstant enfant… .

Le Renard de Taranis s’approcha de l’enfant armée et vint se coucher à se genoux. Sa queue s’enroula dans ses jambes, dans ses yeux on voyait le reflet d’une digue revenue au calme.

Son cri fut vite étouffé par la hargne de Tàranis qui s’acharna sur Sang Zoltan comme si sa propre vie en dépendait. Alors, Cassiopée perçut le champ d’Orion qui s’éclipsait dans les cieux, crevant l’espace, se dégageant de ses rênes. Son feu s’en fut, se concentrant en un seul point qui lui échappait en cet instant. Ce qui se passait sur la digue n’était rien en comparaison de ce qu’il advenait sous la voûte céleste. L’harmonie stellaire était en désaccord, le ciel grondait, zébrant l’espace de cris éclatants et tonnants qui remplissait l’âme de Cassiopée de douleur. Lorsque Tàranis planta son arme dans le bouclier, rompant un des cristaux d’Orion, elle ressentit le chaos spatial dans tout son être, les flots pénétrèrent en elle pour se mêler aux grésillements électriques et aux particules qui la sillonnaient en tout sens.

Puis, elle n’identifia rien qu’un halo de lumière blanche crue et éblouissante qui l’envahit entièrement la courbant sous les rafales et les râles du vent.

Enfin ce fut le noir, Orion avait quitté le firmament et la nuit régnait en sa place.

Elle émergea quand la voix mélodieuse de Grendelor inonda l’espace d’Amour… Juste avant que la sphère qui les enveloppait n’explose délivrant le corps étendu d’un jeune homme dans lequel Cassiopée reconnut Sang Zoltan et de Tàranis inconscients.

Pourtant, c’est la jeune fille qui attira toute l’attention de Cassiopée. Elle reconnaissait le scintillement d’Orion qui sertissait son front et son âme qui luisait de relents d’intimité étrange, des effluves évoquant des mondes oubliés…
Elle se dirigea vers la silhouette incertaine tout en énonçant son questionnement intérieur :

- Toi dont l’étoile brille des mille feux qui ne devraient appartenir qu’aux cieux, Toi, dont l’essence évoque une multitude mais qui me paraît si familière, qui es-tu ?

Toujours des questions mais pas une seule réponse. Nahïs était venue ici pour défendre l'Amour, et se retrouvait démunie devant les forces en présence. C'est ce qu'elle croyait. Mais la voix de Grendelor résonna en elle, l'appelant à offrir son Amour sans partage aux êtres l'entourant... Se laissant bercée au sein d'une sphère tissée d'amour et de douceur, son âme se mit à irradier la pureté. Confondues, les grâces respiraient à l'unisson. Un souffle, une voix qui exhalait la paix. Les atomes dispersés dans le cocon d'amour, Nahïs s'abandonna totalement, mêlant son soi au son des voix proches. Grendelor, Cassiopée, Tàranis et Nahïs. Quatre femmes mêlées aux destins emmêlés. Quatre voix dont l'Amour apprenait la passion. Quatre âmes pures croyant réparer l'accroc. Un maëlstrom d'émotions soufflé en une seconde. Un souffle froid, qui fit trembler la digue et Nahïs se sentit violemment projetée à l'intérieur d'elle-même. Choqué, son corps se convulsionna. Puis se tendit comme un ressort. Rigide, Nahïs ouvrit des yeux apeurés. La digue était redevenue calme, mais le coeur de Nahïs n'en pouvait plus de battre la chamade. Devant elle, de nouveaux corps. Inconscients. Affolée, la lutine se tourna vers Cassiopée, Grendelor, puis de nouveau Cassiopée. Qui était cette jeune fille armée?

Orphelin.

Le mot résonna dans l’air et trouva son écho dans l’esprit de Grendelor.

*Fol enfant à qui il faut apprendre à vivre* eut-elle le temps de penser avant de sentir l’Union voler en éclats.

Transpercée par une douleur vive, elle se retourna.

Panique.

Dans un dernier déchaînement, Sanz avait déchiré le fil ténu qui la reliait à son corps. La laissant sans repère.

Quand Grendelor avait appris cette technique, son maître lui avait expliqué que, sans âme, son corps dépérirait lentement. Sans corps, son âme errerait éternellement.

Dans un monde sans haut ni bas, uniformément gris, seules brillaient les lumières d’autres Essence, Voie Lactée aux distances fluctuantes sans reflet du monde charnel. Sans Soleil pour la guider, la jeune femme devait retrouver son enveloppe corporelle, invisible sur ce plan. Travail de Titan que de sonder chaque endroit. Cela pouvait lui prendre des siècles. Elle n’avait que quelques heures avant que son corps, déjà vidé de son énergie par les efforts qu’elle avait déployés, ne meurt.

L’étoile fusa à travers l’espace, chemin erratique, en proie à la panique.

*STOP !*

Elle s’arrêta.

*Calme toi. Trouve une solution. Il te faut un repère. Quelque chose qui puisse t’indiquer là où il est. Réfléchis. Ici tu n’as pas de pouvoirs. Ici il n’y a que des Essences.*

Pour un peu, Grendelor en aurait pleuré de frustration. Mais quelles larmes verser ?

Une idée la traversa, électrisante.
N’osant penser au temps qui s’était déjà écoulé (une heure, une seconde ?), l’Essence se mit au travail. A la vitesse de la Lumière, elle explora, examina chaque autre Essence. Elle en identifia plusieurs. Trop loin. Enfin, elle en trouva une qui était sur la Digue. Pâle et froide. Smirtnoff. La lueur hésita, tourna autour de l’autre et finalement s’en détourna. Elle avait peur de ne pas arriver à la toucher. Cependant si son Essence était ici… En un éclair, elle repéra une étoile brillante et chaude. Cassiopée. Ne restait plus qu’à prier pour qu’elle puisse se faire « entendre ».

S’approchant doucement, elle effleura la sphère, provoquant des étincelles. L’Essence de Grendelor se retira rapidement, ne voulant pas l’altérer par ses folles manœuvres. Elle répéta l’opération. A chaque contact, éphémère, elle essayait de transmettre un sentiment de Danger et d’Urgence.

La silhouette devant elle n’avait pas eu le temps d’esquisser le moindre mouvement que le cerveau de Cassiopée fut percuté. Une onde douloureuse lui fit se prendre la tête à deux mains. Elle reconnut dans la douleur la protection interne de son corps aux agressions extérieures.

Libérant l’étau qui s’était resserré sur son esprit afin de le protéger, Cassiopée écouta de toute son âme, prête à agir à la moindre attaque. Tendue vers la silhouette, elle ne perçut d’abord qu’un relent de satisfaction mélancolique. Orion luisait autour de son âme comme une aura de métal chauffé à blanc, Cassiopée en perçut la présence bienveillante, aussi se détourna t-elle d’elle tout en maintenant son attention au moindre de ses mouvements.

Son esprit s’apprêtait à se risquer vers les cieux quand elle ressentit un danger imminent, l’impact l’électrisa brutalement. Elle aurait aimé à ce moment se refermer sur elle-même, sur son corps encore si faible qui la portait à peine. Mais l’appel retentit encore, l’appelant, la pressant. Alors Cassiopée tenta d’en saisir l’origine. Mais il était comme un rêve, impalpable mais pourtant parfaitement identifiable.

C’est en formulant cette dernière pensée, que Cassiopée eut l’idée de parfaire cette identification. A chaque contact établi, une bribe d’information lui provenait, à chaque fois différente et toujours cernée d’un large bandeau d’urgence et de danger. Mais mises bout à bout les informations formaient les éléments d’un tout que Cassiopée glanait avec patience.

Les contours d’une essence lentement se formaient auprès de son âme. Quand elle y reconnut le sourire de Grendelor, Cassiopée choisit d’aller à sa rencontre pour la porter et la diriger. Elle dirigea son âme étincelante dans la voie tracée par les passages multiples des à-coups portés vers elle où elle finit par trouver l’essence pâle et diaphane de sa sœur. Grendelor avait elle aussi subit les souffrances des réminiscences et Cassiopée l’enveloppa de chaleur et partagea son énergie de façon à la guider vers son propre corps.
Leur voyage fut de courte durée et l’essence de Grendelor se blottit contre son esprit le temps d’un repos.

Sur la digue, le temps s’était arrêté, et la silhouette tournait lentement son beau visage vers la Dame des étoiles qui l’interpelait.

Au nord des Mondes Endormis veillent les graines des Réminiscences. On dit qu’un Amnésique en plant une de ces graines peut recouvrir la Mémoire. On dit également qu’elles sont maudites et que la fleur qui les a enfantées est un joyau des Ténèbres. Pourtant il reste tellement d’âmes qui les plantent qu’il y a toujours par de là les temps des parterres de Roses Pourpres.

On dit aussi que ceux qui les plantent ont le goût du Néant aux lèvres. Et que certains maudits peuvent infliger pareille morsure sur des innocents aux mains purs. La loi du Monde est cruelle.

Sanz revient doucement de son sommeil. Ses paupières s’ouvrir avec lenteur. Au début la digue semblait tanguer. Puis sa vue se stabilisa. Il sourit faiblement en voyant le corps de Taranis à ses côtés.

Pauvre Enfant… .

Shyon se tenait debout, l’épée à la main. Son visage moqueur fixait Cassiopée. Elle savait ce qu’elle avait à faire. Ouvrir une tranchée. Frapper Grendelor. Éparpiller Grendelor. Personne ne vient sur la Digue sans en repartir indemne. Personne n’échappe à la folie ravageuse du Sanz. Parce que c’est devenu ici son logis, son exil, et sa patrie. Près des vagues, de la glace et près du bout du monde. Prie, Mater Dolorosa, pour tous les crimes qui décorent l’endroit. La Digue est l’Enfer. Elle leva son arme pour tenir une garde haute. Shyon n’est pas un dragon. Shyon est une âme divisée, seule loin de ses Origines. Le Dragon n’est qu’une Métamorphose. Apparence. Sanz, tu seras fière de moi, je suis ta Mémoire. Je suis Tes Réminiscences et je sais pourquoi je vais tuer Grendelor. Tu manques de sang, d’essence, tu manques de vie. Koran a failli t’étouffer. Que nous reste t-il ? Crois tu encore en la douceur ? Orphelin, mon âme, mon père, mon corps. Sois fier de moi.

Parce que je suis fière de Toi.

Shyon se jeta sur Cassiopée l’épée en avant. La lame déchira la chair et la traversa en un éclair. Son corps se modifia pour soutenir le corps de sa victime. Elle devint plus grande, plus forte, plus solide. Amazone. Elle tenait fermement son épée pour maintenir la morsure. L’épée aspirait la chair, dévorait toute fibre et cherchait fiévreusement les Essences de Grendelor. En même temps l’Amazone ouvrit sa main libre et des pétales de fleurs s’envolèrent.

Respire Cassiopée les Fleurs des Réminiscences… Revis Tes Nuits froides….

Alors qu'elle commençait à perdre espoir, étincelle coincée dans un monde sans repère, un changement se produisit dans l'Essence de Cassiopée. Grendelor se sentit enveloppée, dirgiée, bercée dans la douceur de la nymphe. Calmée, elle flottait dans le corps de son amie, cocon protecteur et passage salvateur. La soulagement l'inonda, envoyant une onde de remerciement vers son Hôte. Alors qu'elle s'apprêtait à lui communiquer le danger qui la mençait, une douleur brutale irradia, explosant avec force la mince barrière que représentait la chair de la Dame d'Orion.

Proie captive, Grendelor sentait une présence avide la chercher, dévorant tout sur son passage. Elle ne pouvait pas s'échapper. Quand l'Epée toucha son Essence, elle hurla. Le pays entier trembla sous son cri mental.

Quand le réel se perd dans l’oubli, quand le ciel rejoint le royaume des ombres, les étoiles s’en émeuvent.
Quand l’une d’elle se perd dans le Néant, tous les astres la cherchent. Ainsi va le monde, inexorablement.

Dans les cieux, comètes et novas s’activaient sans relâche comme des satellites pris de folie autour de la Dame des étoiles. L’une d’elle avait été capturée par le démon. Orion le Chasseur, la plus ancienne des constellations avait été dévoyée.

L’équilibre de la balance céleste était perturbé et la constellation du Scorpion, livrée à elle-même venait de quitter l’hémisphère Sud pour rejoindre sa proie, son ennemie de toujours : Orion le prétentieux !

La voie lactée, alertée, se massait, se chargeait de reproches et de craintes. L’équilibre céleste se ruait vers l’enfer et le monde astral s’y refusait.

Ce ne fut qu’un trait, une flèche de puissance. Elle atteignit Shyon au moment où l’épée pénétrait les chairs de Cassiopée.
Elle arracha les yeux de l’âme perfide.
Au milieu du front de la silhouette, là où brillait Orion n’apparaissait qu’un puits noir et sans fond.
Le ciel, embrasé semblait pris de folie. Puis une valse d’étoiles illumina le ciel, tournoiements de lumière pour les ombres amassées sur la digue.
Comme en écho aux cieux, le sol vibra, libérant une énergie comparable.

Quand le cri retentit dans sa tête, quand sa chair sentit la morsure brûlante du métal, Cassiopée ne perçut que douleur.
Mais Orion, dont la place dans les cieux semblait écarter à nouveau le scorpion entoura les âmes, comme les corps, de Cassiopée et de Grendelor. Il les réchauffa, les embauma de douceurs, écartant le glaive des lèvres béantes de la plaie.
Le corps de Cassiopée si frêle entre les mains de Shyon un moment plus tôt se redressa, comme un lien entre Terre et ciel, galvanisé par l’énergie dont elle était le fil conducteur.

Avant même que l’essence de Grendelor ait pu agir pour protéger son corps, elle s’écartait violemment de l’âme traitre, silencieuse, ne laissant que sa haine percer à travers son regard alors qu’elle semblait défier le démon qui lui faisait face.

Shyon échappa un hurlement de rage et de douleur. Au fond d'elle dans le mélange de ses essence une vague de force lui brûla les poumons. La déchirure causée par la flèche avait amplifiée sa haine. Une onde l'emporta et tandis que ses cris emplissaient la digue d'un chaos confus, une prière fusa vers Sanz

Père... . Elle m'a arraché les yeux... .

Mes Yeux.

Sanz s'était levé, des filets de sang coulaient sur ses joues. Il tenait à peine debout. Orion. Sa main s'enflammait. Son coeur battait au rhytme de ses autres âmes. Dans une folie sans nom. Les flots regagnèrent la Tempête. Poussière et Nuages s'accordaient les espaces en une brume fiévreuse. L'enfer modulait le paysage.

Hoquetant dans la masse confuse de ses douleurs Shyon s'était mis à genou et murmura avec lenteur des mots que les deux autres âmes murmurèrent en même temps.

Réminiscence.

Les pétales roses se chargèrent d'une coloration pourpre et le vent les déposa sur peau de Cassiopée, certains se lovèrent dans ses plaies.

Réminiscence.

Shyon se consuma en un brasier et les cendres vinrent rejoindre leur corp. Sanz aspira ses essenses tout en essayant de calmer ses mains tremblantes.

Tue Grendelor

Tue Cassiopée

Tue les tous

Ils te veulent du mal.

Ils veulent te voir mourir

Ils ne sont rien. A peine des...

Taisez vous!

Tue les

Tue les.

Sanz pâlit. Son sang ne cessait de couler de ses yeux arrachés. Dans l'orbite un triple iris était comme marqué au fer rouge. Massacrer, manger des essences et recouvrir un corps sain. Mater Dolorasa.

Réminiscence.

Si léger fut le toucher… Si douce fut la réminiscence en atteignant l’esprit de Cassiopée, qu’elle fut un instant perturbée par la délicatesse qui l’atteignait en un tel moment. Suave et onctueuse elle se faufilait dans son cerveau, miel dont le poison était encore invisible.

Elle entendit, comme une voix sortie de ses rêves, Smirtnoff lui murmurer en lui prenant la main :

« Pardonnez ma maladresse. Votre regard m'a changé en une poignée de neige. Et vous me voyez m'éparpiller tout autour de vous. »…

Puis le souvenir s’échappa au moment où elle commençait à sentir ses jambes défaillir. Elle se revit dans les ruelles de Galvorn :

« hors des entrailles oppressantes des bas-quartiers, perchée devant la mer ronflante et sereine, l'étendue du paysage vu de haut.
Plus bas dans le lointain, on peut distinguer les lueurs du port, la chevelure des toits qui redescend à gauche et à droite, à la façon d'une boucle et enfin, la colonne sinueuse et changeante du reflet de la lune sur l'océan. Sans doute Smirtnoff observe-t-il le tableau que son inspiration a composé, de sa belle au milieu de son élément, habillée d'une robe nocturne et d'un voile de lune. »

Elle déposa ses lèvres sur les lèvres du vampire si délicatement, si légèrement, unissant leur souffle…
Quand, son corps fut alors déchiré, le poison de la lame la traversa l’entrainant dans un abyme de souffrance, son corps hurla de la douleur de le perdre… de ne pas comprendre… de mourir….
Ne pas le perdre….
Le goût du sang effleura les lèvres de Cassiopée qui vacilla….

Elle était debout face au démon, son âme griffée sombrait près de ce sentiment de mort qui l’envahissait peu à peu. Une nuit froide s’étendait sur elle.

« Revis Tes Nuits froides…. » Murmura doucereusement la voix….

Et un pétale vint caresser son sang, frôlement qui libéra une nouvelle réminiscence.

« Des flots de sang jaillirent des lèvres de Cassiopée tandis qu'on eut cru qu'on l'avait transpercé d'un pieu. Elle chancela et mu par une force invisible fit quelque pas avant de s'effondrer contre la glace. Une lumière nacrée apparut au dessus d'elle, qui se concentra et fila vers le chemin enflammé ainsi qu'une étoile filante. »

Et son corps se plia en deux sous l’assaut d’une souffrance dans laquelle se mêlait la cruauté de la trahison.

Les souvenirs marbraient l’âme de Cassiopée de profonds sillons.
Chacun des pétales déposés entrouvrait une faille qui la menait vers les trahisons mortelles qui l’assaillaient.

« Revis Tes Nuits froides…. » Murmura doucereusement la voix….

Cette voix, réminiscence d’autres douleurs, souleva un souvenir trop récent pour que Cassiopée puisse fuir devant lui. Cette voix était un mal qui la rongeait à présent et qui la maintenait éveillée. Elle voyait aussi clairement dans son souvenir que sur la digue la trahison de Sanz… Lancinante désolation… qui la guidait vers les chemins de l’oubli.

La torture infligée à son esprit tourmentait si cruellement son corps blessé qu’un enfer rugissait en elle. Sanz lui apparut tel un monstre devant elle. Le supplice fut tel, qu’elle ne put plus le supporter.
Drainant toute l’énergie des entrailles du sol, elle éleva le bras pour atteindre les cieux qui sous la force ne firent que cendres du dernier pétale de réminiscence.

Comme au sortir d'un mauvais rêve, Cassiopée sentit alors toute la fermeté de son être. Elle percevait l’âme blessée de Grendelor qui unie à la sienne ne la rendait que plus forte.
Elle recula sans perdre de vue le démon. Orion l’enveloppait totalement à présent, armure de vitalité, bouclier de douceurs.
Pas à pas, elle rejoignit le corps de Grendelor.

« Vite Grendelor ! Ton corps t’attend ! »

Elle sentit la chaleur de sa sœur glisser lentement. A ses cotés, Grendelor ouvrait les yeux et se redressa rapidement. Comme elle, elle avait compris l’urgence de l’action.

Il faut boire l'espoir, boire et ne pas s'arrêter. Le velours des fleurs vous appellent à vous ressouvenir. Leur graine vous appelle à oublier. Pour ceux qui ont une Mémoire. Pour les autres c'est l'inverse. L'inverse. Ou l'inverse. Mémoire et Oubli.

***

Sanz de ses yeux d'aveugles fixait la scène. Ses vastes ailes résonnaient au vent ainsi que des claquements de douleur.

Croire que seule les pétales sont le poison. La était l'espoir.

Sa voix était brisée. Elle avait du mal de se faire entendre dans le rugissement de la digue. Il tendit sa main, paume face au ciel. Des lueurs dorées s'élevèrent et se mêlèrent à l'air.

Au bout du compte. Orion peut-il te sauver des graines? Je ne vois rien... mais je sens les choses... . Mes essences se sont dispersées. J'en sens qui te fouillent, Cassiopée, et qui restent prudente à a quelque centimètres d'un bourgeon qui germe. Sais tu ce qui arrive après?

Sanz rompu de fatigue s'assit à côté du corps de Taranis. Sa main droite caressait ses cheveux tandis que l'autre tenait les lueurs en suspension.

C'est mon endroit ici tu sais... c'est mo ilot de douceur. Tu ne le sais peut être pas. Voila des Siècles que la Digue m'attend. Dans son coeur il bat tous les tempos de tous mes silences. Ici je peux rêver, je peux croire, et je peux aimer. Ici se sont élevés les chants glorieux d'une Confrérie victorieuse. Ici ont tremblé les flots dans les sillages de Dragons oubliés... . Ici a parlé Dieu. Ici gisent les corps mille fois sacrés de chevaliers tombés... . et qui gardent jalousement la digue et les eaux profondes depuis leur sommeil éternel... .

Je peux tout voir, les yeux crevés... puisque c'est chez moi.

Il échappa alors les leurs qui vinrent se glisser dans les plaies et embrasser les graines de Réminiscences.

Qu'elles naissent puisque tu as voulu...me tuer... Orion... .

Perdue dans un monde lointain, fait de néant et d'horreurs, Tàranis tentait de rejoindre la réalité. Sa réalité. Celle qui brûlaient les âmes de la Digue, qui réduisait en cendre tout espoir d'amour, d'amitié, de pardon, entre ces êtres et cette douce violence. Elle était loin, mais sentait la pierre sur son dos, entendait les déchirures du temps saigner, les âmes hurler leur douleur, leur haine.

Nolëwen s'était lentement approché d'elle.

Méfiance. Etait-ce elle? Il posa sa patte à l'emplacement du coeur de l'elfe et se fondit en elle. Cette énergie nouvelle lui fit ouvrir les yeux. Elle ne voulait pas voir, elle refusait cette vision d'horreur qu'elle savait là. Cette haine qui montait et transformait ces êtres qu'elle voulait sauver. Sa pupille voilée masqua alors cette image à son esprit. Elle sourit.

La main de Sanz sur ses cheveux. Elle aima.

Elle s'agenouilla alors devant lui et, posant ses mains sur ses yeux blessés, murmura à son oreille, sans fin:

Ne hais plus. Aime. Ne hais plus. Aime.

Elle espérait, mais sans espoir.

Grendelor s’était si rapidement glissée hors de son corps que lorsqu’elle disparut Cassiopée sentit un froid immense l’envahir. Il lui apparaissait qu’en lieu et place de l’âme douce, chaleureuse de sa sœur et amie un bloc de marbre noir avait pris place. La froidure de la roche atteignait jusqu’aux moindres replis de son esprit. Le bloc semblait s’étendre et occuper tout le volume de son cerveau. Ses pensées diffuses et ténues sous le roc interrogeaient son corps tout en tentant de garder présents les dangers que représentait Sanz.
Son ventre ouvert laissait béante une plaie s’étendant sur tout son abdomen mais la puissance d’Orion en maintenait fermées les lèvres déchirées, ressoudant lentement, un à un chaque vaisseau, chaque particule détruite.
Ainsi, son corps souffrait d’une douleur lancinante et les lancements répétés du flux sanguin qui tentait de s’échapper la torturaient, mais la mortification de sa chair n’était pas vitale pour elle.
Elle concentra alors toute son attention vers la silhouette qui lui faisait face et lui adressait la parole :

Au bout du compte. Orion peut-il te sauver des graines? Je ne vois rien... mais je sens les choses... . Mes essences se sont dispersées. J'en sens qui te fouillent, Cassiopée, et qui restent prudente à a quelque centimètres d'un bourgeon qui germe. Sais-tu ce qui arrive après?

Cassiopée s’inquiétait des intentions de Sanz. Elle savait qu’elle n’était pas en sureté devant lui. Mais elle ne comprenait pas ses propos.

Sanz s’approcha de Tàranis et s’assit près d’elle, puis se mit à la caresser d’un air propriétaire qui alarma fortement Cassiopée.

Il ajouta d’une voix si tenue qu’elle ne lui parvenait que dans un murmure où se mêlait le souffle du vent qui plissait les eaux.

C'est mon endroit ici tu sais... c'est mon ilot de douceur. Tu ne le sais peut être pas. Voila des Siècles que la Digue m'attend. Dans son cœur il bat tous les tempos de tous mes silences. Ici je peux rêver, je peux croire, et je peux aimer. Ici se sont élevés les chants glorieux d'une Confrérie victorieuse. Ici ont tremblé les flots dans les sillages de Dragons oubliés... . Ici a parlé Dieu. Ici gisent les corps mille fois sacrés de chevaliers tombés... . et qui gardent jalousement la digue et les eaux profondes depuis leur sommeil éternel... .

A ses mots, comme mu par un réflexe complètement irréfléchi, son esprit désira rejoindre des souvenirs lointains, mais elle réussit au prix d’un effort inouï à canaliser ses pensées pour les tourner vers son agresseur.

Qu'elles naissent puisque tu as voulu...me tuer... Orion...

Cassiopée sentit Orion irradier, matérialisant littéralement son enveloppe, mais il ne fut pas suffisant pour contrer la vitesse de déplacement de la lueur qui s’engouffra dans son corps là où sa blessure offrait une porte entrouverte et sans protection.

La pierre froide qui occupait son esprit commença alors s’assouplir. Toujours aussi gelée, elle semblait pourtant acquérir du relief, un arrondi, un modelé incurvé.
Pour se concentrer, Cassiopée devait faire preuve d’un effort immense qui lui demandait beaucoup d’énergie, elle souffla son air sans pouvoir émettre un son.
Les rondeurs occupaient maintenant tout son cerveau. Avec elles le noir du marbre gelé avait laissé place à une sensation pourpre qui diffusait dans son âme un souffle plus glacé encore.
Puis ce fut une éclosion, chaque rondeur livrait un pétale gonflé d’une vitalité si forte que l’âme de Cassiopée souhaita humer chaque pétale à la fois aussi se dispersa-t-elle complètement à travers son propre esprit.
De chacun des pétales s’élevait un soupir évoquant un souvenir et tous se mêlaient créant un maelstrom qui entraina Cassiopée dans une tornade glaciale de réminiscences.

Sanz se laissa doucement bercer par les mots de Taranis. Un léger sourire égaya l’expression torturée de son visage. Il se lova contre, aspirant chaque particule de chaleur pour n’en manquer une. Puis il murmura, porté par le vent un destin qui s’écrivait en même temps qu’il le narrait.

Tu sais ce qu’il se passe après..Dame au Renard… un bourgeon éclot doucement… et laisse filtrer une fleur pourprée. Chaque pétale va saturer les synapses et les nerfs vont transporter tellement d’image que le centre mémoriel va exploser…les souvenirs soigneusement rangés vont se brouiller, s’entremêler tant et tant que l’âme ne supportera plus rien. C’est comme une grande grotte ou l’onde de souvenirs irait tant et tant se déverser dans ses cavités que la roche craque et explose… . Il y aura des failles partout… . les filaments de mémoire vont se disperser, attirés par le vide qui s’engouffre et lentement le système si beau, si cohérent, de la mémoire va s’effondrer dans des élans de souffrance indicibles… . Qui peut survivre à l’implosion de son âme… .

Sanz ne ressentait plus. Il faisait froid dans son corps. Malgré Taranis, malgré l’étrange accord qui s’opérait entre les deux âmes. De vieilles émotions le gagnaient. Regardez ceux qui emploient les fleurs de réminiscences devenir plus pâle à chaque seconde, se morfondre peu à peu dans une Mélancolie ravageuse, et pleurer des larmes de sang sur la tombe de leur crime.

J’ai froid… Taranis…j’ai froid… .

Dans la même mesure, l’environnement de la digue lié au corps de l’Ange se refroidissait. La glace envahissait l’endroit progressivement. Les flots s’immobilisèrent en formant des arcades au dessus de Taranis et de sang. On eut dit que le toit d’une Église se dessinait dans le ciel à travers les courbures glacées.

Elle va mourir… ce n’est pas ma faute… elle a voulu…

Un flot de sang jaillit des lèvres du polymorphe. Dans le même temps son corps se transforma et l’on vit apparaitre lové contre Tara un loup blanc. De ses yeux et de ses lèvres des filets pourpres coulaient sans s’arrêter. A côté de lui, une enfant dormait, serrant sur son cœur un diadème gravé du Sceau de Shyon.

L’Ame triple s’était divisée, épuisée dans son essence. Les paysages désertiques le poussaient lentement vers un sommeil chargé d’ombres et de Néant. Ce qui suivrait, il ne pouvait plus le voir. Hezeriel Shinobi, le Loup blanc, dormait sur les genoux de Taranis dans une vague de tendresse inespérée. Et Anwen, l’enfant Renaissant serrait en son cœur le cri des Enfers, abandonné aux confins d’une sérénité hasardeuse.