Réminiscence [Rôle Play sur la digue de Saint-Adobe en Ter Aelis]

Alors que la douleur devenait insupportable, Grendelor se sentit guidée. Poussée. Appelée. En un éclair, son esprit rejoignit son corps, s'y fondant avec reconnaissance.

Il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre conscience, pendant lesquelles les choses s'envenimèrent encore sur la Digue. Quand ses yeux s'ouvrirent, son regard embrumé se perdit dans le Ciel. Se redressant douloureusement, elle vit Tàranis agenouillée devant Sanz, répétant dans une mélopée incessante

Ne hais plus. Aime.

Des larmes s'échappèrent et glissèrent sur les joues de la Dame Turquoise.

Plus loi, le corps de Cassiopée, entouré de l'éclat d'Orion, s'était raidi. Les yeux de la Nymphe étaient tournés vers l'Intérieur.

Une migraine galopante martelait les tempes de Grendelor. L'écho de l'attaque sur Cassiopée s'imprimait dans sa chair. Totalement vidée, elle n'avait plus aucune force. La jeune femme se traina jusqu'à Tàranis et Sanz. Son esprit ne fonctionnait plus et seul un étrange Instinct la guidait.

Chaleur.

Arrivée près des deux êtres, un changement s'était opéré. Sanz n'était plus, remplacé par un Loup et une enfant. Grendelor se roula en boule contre la fillette. Un pouce dans la bouche, elle attrapa un peu de son vêtement qu'elle entreprit de doucer. Fermant les yeux, elle s'abandonna à l'Enfance.

Tàranis sentit le froid. Elle serra le corps tremblant de Sanz tandis que le sol de pierre se changeait en glace, que des sculptures majestueuses et dangereuses de pics et d'arches se formaient autours d'eux. Tandis que la souffrance emplissait Cassiopée, Grendelor. Que l'âme des étoiles se réduisait en poussière. Elle serrait cet être de destruction si fragile, si faible à cet instant. Il crâcha. Du sang. Sang qu'elle recueilli sur elle sans réagir différemment qu'en maintenant son étreinte, pour le réchauffer.

Elle le sentit glisser entre ses bras, et lorsqu'elle posa ses mains sur son corps, elle sentit une fourrure épaisse et rugueuse. La fourrure d'un loup. Elle ouvrit ses paupières pour voir au travers du voile de ses pupilles un loup blanc sur ses genoux, et un enfant à ses côtés. Les yeux fermés, ailleurs. Des larmes brûlantes coulèrent sur ses joues, finissant en gouttes de glace qui s'envolèrent jusqu'à Cassiopée.

L'elfe leva son visage vers les cieux. Elle n'avait pas vu Grendelor s'approcher, s'allonger, tel un enfant nouveau né. Elle aurait voulu crier, appeler, mais sa gorge serrée ne lui autorisait qu'un murmure. Infime, à peine audible.

On peut. Nous pouvons nous sauver. Nous pouvons résister.

Elle ne voyait plus. Les larmes avaient fini de voiler sa vision. Elle était aveugle et l'énergie d'un renard en son coeur. Un renard blanc, de paix et d'amour.

Elle enfouit son visage dans la fourrure de l'animal sur ses genoux.

Reviens. Reste.

Elle essaya de se relever. Elle voulait venir en aide à Cassiopée. Essayer, tenter l'impossible pour la sauver de ces réminiscences. De ces fleurs assassines éclosants une à une et multipliant ses souffrances. Elle dégagea ses genoux du poids de Sanz devenu Hezeriel, se redressa en titubant. Elle fit quelque pas hésitant vers la dame des étoiles, et quand elle arriva enfin près d'elle, quand elle put palper sa douleur dans l'air, elle l'étreignit de toutes ses faibles forces.
Et enfin, dans un dernier effort, elle hurla, tentant de voler la douleur de son amie.

Un sifflement aigu continu et strident emplit les sens de Cassiopée.
Il s’insinuait tel un vol de criquets sur chaque pétale, butinant les souvenirs et saturant les méandres de ses pensées. Le son devint si fort et monta si haut que Cassiopée expulsa un cri identique qui fit vibrer la digue et grossit les eaux d’une lame de fond.

Dans son être les souvenirs s’amoncelaient ainsi qu’une montagne de rêves où les images émises pulsaient en tous sens, éveillant son cœur et ses pleurs. Elle revivait chaque seconde de sa vie, mais chaque seconde représentait de multiples vies, des souvenirs hétérogènes qui s’emmêlaient pour se contrer et hurler plus violemment encore.

Chaque pétale était une corne d’abondance et Cassiopée fut totalement envahie par une mémoire qui n’était plus sienne et qui symbolisait toutes autres, celles qui l’avaient précédées. Elle était hors du temps, perdue, hurlant sous les assauts des maux, se tordant de la douleur de milliers d’autres. Son âme prit un goût de sang et des larmes rouges glissèrent de ses yeux alors que son corps répondant à l’effort se couvrait d’une sueur aigre et amère.

Son âme enflammée de réminiscences s’embrasait et les flammes qui y brûlaient évoquaient les corps tordus de souffrance des guerres passées qui criaient leur appel à l’aide.

La tension de son esprit devint si forte que soudain comme mu par une poussée qui le cernait de toutes parts, il se densifia et sous la pression accumulée, implosa, libérant une énergie si violente que le corps de Cassiopée s’écroula brutalement sur le sable dans un silence total.

Allongée contre l'enfant, Grendelor rêvait. Un de ces rêves où tout semble réel.

Elle se promene sur la Digue, tenant par la main un petit garçon d'environ 5 ans. Ses cheveux rouge feu sont assortis à ses yeux de braise. Il lève un visage joyeux vers sa mère, demandant à être porté pour regarder les flots s'agiter en contrebas.

Tableau Idyllique.

Dans le ciel, un Dragon Noir s'élève, retenant l'attention de l'Enfant. Il s'extasie, levant bien haut les bras vers l'animal mythique. La mère a peur et regarde avec horreur le Dragon venir cueillir le petit être. Quand il se tourne vers elle, ses pupilles fendues lui demandent pardon et des ailes sombres ont poussé dans son dos.

Cauchemar.

Grendelor s'éveille brusquement, hurlant, des larmes roulant sur ses joues pâles. Une douleur sans fond l'assaille. Son regard tombe sur deux femmes dans les bras l'une de l'autre. La mémoire lui revient. Coup sauvage dans le ventre. Cassi. Tàra. La nymphe s'est écroulée et l'elfe hurle. A quatre pattes, la jeune femme les rejoint, soufflant, bataillant contre la douleur qui lui déchire le ventre.Elle prend une main. Elle prend une autre main.

Lien.

Se balançant doucement d'avant en arrière, comme en état de choc, Grendelor entame une douce mélopée portée par son pouvoir. Une force grandissante semble s'emparer d'elle.

Quand dans le ciel étoilé, la voute céleste se courba sous le choc de l’implosion et que l’âme de Cassiopée éparpilla la constellation en myriades de feux errants, Orion se sentit fautif et courut en tous sens pour attraper en son sein les lueurs qui fuyaient. Sa quête aurait pu être vaine si le ciel ne l’avait pas aidé pour le conduire hors de la voie lactée.

Pendant ce temps le corps de Cassiopée, sans protection et sans âme se vidait de son sang par la si étroite fente encore béante de sa plaie.

Ce fut Nahis qui réagit la première, elle qui n’avait plus osé bouger depuis que les âmes divisées avaient cherché leurs proies.
Elle s’approcha de Cassiopée et tendrement caressa sa joue, puis cherchant sur la plage le plus beau des coquillages elle recueillit le sang précieux de son amie.
Son geste innocent était irréfléchi, mais il lui semblait que la vie serait ainsi à l’abri des ennemis.

Tàranis au supplice et Sanz dans sa souffrance pleuraient.

Orion, comme une furie, s’élançait de toute part et le Scorpion, constellation ennemie de toujours, s’associa au chasseur dans sa quête infernale. Si bien qu’il tint enfin réunis les lambeaux d’une âme éparpillée.
Cassiopée n’était plus et voilà qu'en cet instant elle sentit le Néant.
Petite étoile perdue dans un vide impalpable, l’âme s’affola, voulut hurler, mais rien n’y fit, le noir l’envahissait. Un mal plus sombre que la mort s’emparait de l’aura.

Orion sentit la peur et de désespoir plongea.

Dans le ciel on vit un monde s’enfoncer dans les eaux et la digue aurait pu succomber aux assauts des vagues déchainées.
La mer se referma sur l’âme effrayée qui s’enfonçait si bas que des profondeurs des mers d’Atalante surgissaient les noires réminiscences des désastres vécus.
L’aura de Cassiopée dut subir le vacarme des combats ancestraux qui broyaient dans la douleur hommes et âmes sans espoir de survie.
Soudain, dans la nuit du fond des eaux, surgirent des yeux et l’essence de Cassiopée s’accrocha à eux comme à la seule ancre qu’elle pouvait atteindre.
Le regard chargé de braises brillait, appelant la Dame des étoiles et l’attirant vers lui et il se chargea de l’âme égarée qui, en lui, se reconnut.

-Je suis ton âme sombre, Cassiopée, par moi tu renaîtras et à jamais nous serons unis.

Ce n’était pas une voix, mais un écho qui bruissait avec l’eau.

-Tu t’es perdue entre ciel et mer, Dame des étoiles et nymphe des eaux. Je puis te sortir des noires étendues qui t’effraient, mais toujours nous seront liées, si tu le veux ainsi.

Cassiopée aimait cette âme ténébreuse qui lui permettait de luire à nouveau. Elle chérissait le sauvage qu’elle sentait sous les mots. Aussi s’empressa-t-elle de partager son essence lumineuse qui ne pouvait briller sans l’ombre qui naissait maintenant à ses côtés. Il lui semblait que depuis toujours elle l’avait eu près d’elle, sans le savoir, quand elle scintillait dans le ciel opaque et noir de la nuit.
Dès que l’union fut célébrée, dès que le partage fut acquis, les eaux sur la digue se soulevèrent bien plus haut, écrêtant d’une écume venteuse le sommet des vagues pour voir émerger un dragon flamboyant dont les feux noirs et or jetaient leurs reflets obscurs. Dans le bruissement sourd de ses battements d’ailes, il vint se poser en douceur près du corps de Cassiopée.

Une bouche ouverte de suppliciée, des larmes rouges d'éplorée, Cassiopée s'était échouée au seuil de la vie. Les filets de sang allaient devenir torrents, puisant leur source dans la blessure béante du corps de la fière naïade. La dame Turquoise pleurait sa mélopée, sans cesser de croire à l'impossible espoir.

Dans ce tableau empreint de désespoir, Nahïs sortit enfin de sa pétrification. Courant vers l'océan, là où l'onde salée se mariait au sable carmin de la digue, elle s'activa en tout sens, posant ses yeux sur tout ce qui l'entourait. Un galet charrié par la marée. Non, non, ça ne sert à rien, cherche encore, se morigéna-t-elle. Pétale d'écume, déposé sur le sable. Ca ne l'aidera pas, ça ne l'aidera pas ! Une aiguille de pin. Un monceau d'algues. Une plume de volaille. Non, ça ne sert strictement à rien, à rien !! La lutine se retourna vers Cassiopée, devenue exsange. Il faut chercher, tu dois trouver. Tu dois trouver !! Sa conscience se refusait, niait de but en blanc ce qui était en train d'arriver : la future mort de la dame aux étoiles.

Nahïs continua tant bien que mal ses explorations, mais ses propres mouvements lui semblaient étrangers, tant l'urgence se faisait sentir. Soudain, à demi enfoui sous le sable humide, un éclat nacré attira son attention. Tombant à genoux, Nahïs se saisit fébrilement de la chose étrange : ce n'était rien d'autre qu'un majestueux coquillage torsadé, aux ciselures fines et délicates. Sa tenue n'avait d'égale que sa couleur laiteuse, subtilement irisée. Oui, il était parfait pour Nahïs.

Le coquillage, pressé contre le ventre de Cassiopée par la lutine, se remplit par saccade d'un rouge vermeil, enivrant. C'était tout ce que Nahïs avait trouvé comme parade, alors que la vie fuyait définitivement la belle. La dernière goutte, hésitante, coula le long de l'abdomen, se figea au contact de la coquille, puis glissa doucement le long de la paroi en porcelaine. Ce fut fini.

Mais la digue n'était pas vouée à l'apaisement, et alors que Nahïs caressait la joue de la nymphe, serrant de toutes ses forces la coquille providentielle, le grondement des eaux devint si fort qu'il couvrit les sanglots de Tàranis. Abandonnant à regret sa main du visage immobile, la jeune fille se tourna vers les flots devenus impétueux. Que se passait-il ? Au plus fort du fracassement des lames, un être fantastique jaillit de l'écume. Un dragon. Dans un feulement impressionnant, il s'envola vers la jetée. Nahïs serra un peu plus fort le coquillage contre son corps. Le superbe animal se posa au plus près de la nymphe des étoiles, au plus près que le lui permettait ses longues griffes, faisant trembler une fois de plus la digue, ou ce qu'il en restait. Hypnotisée, la lutine ne pouvait détacher son regard de la noble bête. Les yeux insondables du dragon se posèrent soudainement sur elle, à genoux près du corps de Cassiopée. A la fois inquisitrices et envoûtantes, les pupilles sondèrent chaque fibre de la lutine, ravivant la douleur des instants passés. Comme une fleur s'ouvre, Nahïs laissa le dragon l'effeuiller.

La tête de la lutine dodelinait. Les yeux plongés dans ceux du dragon, elle se laissait porter par un flux d'émotions, revivant les derniers instants. Brusquement, la noble bête rompit l'échange, portant un regard flamboyant sur le coquillage que Nahïs serrait dans ses bras. Il huma longuement l'essence qui s'en échappa, puis exhala un long souffle d'air chaud. Quand les pupilles flamboyantes se posèrent à nouveau sur la jeune fille, elles étaient devenues impatientes, presque suppliantes. Le contact s'opéra de nouveau, entre elles et le regard de Nahïs.

Il faut que tu comprennes.

Quand le rouge de cette coupe sera mien, elle reviendra.

Les prunelles de feu imprimèrent dans l'esprit de Nahïs ces paroles. Son souffle s'emballa devant la promesse faite. Cela était-il possible? Fiévreuse, ele se tourna vers Tàranis et Grendelor, qui n'avaient pas suivi l'échange silencieux. Précipitée, elle tenta d'expliquer, dans un baragouinement incompréhensible, l'espoir qu'il fallait garder. Puis fébrilement desserra ses mains, qui tenaient fermement le coquillage. Faisant face au dragon, elle lui tendit religieusement la coupe, pleine du sang de son amie.

Dans l'air froid du petit matin, au retour du soleil, un dragon buvait le sang d'une naïade. Figés dans leur pose autour d'un corps sans vie, Nahïs et les deux jeunes femmes attendaient. Mais au fur et à mesure que le coquillage se vidait, un mouvement d'air fit voler leurs cheveux en tous sens. A la droite du dragon, une forme inconsistante tourbillonnait. C'était comme si le brouillard s'était tout à coup condensé en un seul endroit. Les particules blanches affluaient, tourbillonnant en coeur avec leur voisines. Une nouvelle tempête ? Non, ce n'était pas possible. Le dragon n'avait pas prévu ça... Et pourtant, les particules au coeur du brouillard prenaient petit à petit forme. Une corne se dessina bientôt sous le regard des trois femmes ébahies. Blanche et droite, elle s'élançait fièrement vers le ciel. Puis, alors que le dragon vidait le fond du coquillage, la masse blanche se modela. De fins sabots se profilèrent, d'un blanc pur. La forme chevaline se préçisa, et se détacha une tête délicate, ornée d'une crinière pure aux crins parsemés d'argents. Enfin, le brouillard se dissipa.

Une licorne. Les yeux d'un perle nacré, elle se dressait sur la digue, splendide.

Deux âmes en un corps. Deux âmes si unies qu’elles se fondaient l’une dans l’autre. Pourtant chacune cherchait à vivre, et pour exister, elle devait s’opposer à sa semblable. Dans les yeux du dragon, chaque âme cherchait sa place, mais toutes deux criaient leur faim viscérale du sang suave et doux de Cassiopée.
Cet appel fervent avait trouvé son bienfaiteur et par l’œuvre de Nahis, la soif terrible maladive put être épanchée.
Comme l’âme claire de Cassiopée se chargeait du sang recueilli avec soin par la lutine, le corps de la dame des étoiles étalé sans vie sur la plage perdait ses contours. Il devint translucide avant de n’être qu’une faible perception de silhouette pour se perdre totalement alors que se dressait à sa place une licorne, si claire et éclatante de pureté qu’elle étincelait sur la rive.
Au moment où la licorne avait fait son apparition, le dragon dressant son énorme tête allongea son cou puissant vers le ciel et vagit une lente note qui de grave monta insidieusement dans les aigus, exprimant sa victoire sur les hommes.
De Cassiopée était née sa métamorphe et son âme noire s’était enfin libérée.
Le couple ainsi formé n’était qu’éphémère car Cassiopée, dame des étoiles et nymphes des eaux, veillait en leur essence, telle une âme à jamais dédoublée, mais chargée de souvenirs et de douleurs.

La licorne secoua sa longue crinière aux reflets d’argent et de ses grands yeux ouverts sur des perles de bonté s’adressa à Nahis :

- Je suis Epoé, merci de m’avoir aidé à naître Nahis.

Avec délicatesse, elle pointa sa longue corne d’albâtre torsadée d’irisations de pierre de lune et la déposa sur la joue de la lutine qui restait sans voix, les mains crispées sur la coquille, s’y accrochant comme on s’agrippe à une main portant secours.
Le contact offert par Epoé fut instantané, Nahis sentit la douceur d’un matin de printemps l’envahir et son corps libéra enfin ce besoin d’air qui l’oppressait. Elle perçut les fleurs de champs exhaler leurs parfums qui venaient se mêler aux senteurs marines de la digue...

Métamorphose.

L'énergie affluait sans discontinuer dans le corps de la dame turquoise. La mélopée restait sourde et grondante alors qu'autour d'elle les âmes de la nymphe se rassemblaient en un dragon de nuit et une licorne d'albâtre. La paix semblait vouloir revenir sur la Digue sous la présence bienfaitrice de l'âme claire. La lutine avait ce regard émerveillé que seuls les enfants peuvent avoir et sa respiration s'était libérée. De son côté, Grendelor ne tenait plus que la main de Tarànis le corps de Cassiopée ayant disparu. Une lumière bleutée irradiait de ses avants-bras et remontait lentement vers son visage. Le corps cambré sous l'assaut des flux l'imprégnaient, la jeune femme se redressa, réceptacle d'une force qui la dépassait.

Un réseau de marques d'un bleu nuit presque noir couvrit entièrement sa peau et ses yeux révulsés revinrent à la vie en se fixant sur la licorne. Noirs. Sans pupille. Inhumains. Une aura imposante se dégageait de Grendelor qui semblait avoir grandi. Calme meurtrier. Volonté d'acier. Prête à tout pour défendre les femmes restantes.

Tàranis, tombée à genoux, ébahie, gardait les yeux fixés sur le corps disparu de Cassiopée. Elle les releva, suivant le fin chemin des jambes blanches, vers la tête fine et majestueuse, les yeux noirs, doux. Dressant son ombre sur la digue, aux côtés de la licorne, un dragon, puissant, faisait courir son regard désintéressé autours de lui.

Le regard vide de l'elfe changea alors. Une flamme étrange dans ses pupilles, elle se tourna de côté pour apercevoir Grendelor prête à se battre. Nahïs, plus en avant, toute étonnée et toute douceur, encore, regardait l'âme dédoublée.

Un rire, saccadé, inaudible, secoua les épaules de Tàranis. Elle baissa la tête, les bras ballant, légèrement voûtée. Son rire se précisa, ses lèvres s'étirèrent en un sourire fou.

Alors c'est ça?

Elle rejeta sa tête en arrière pour laisser son rire exploser, violent et inattendu. Elle regarda alors Epoé la licorne de ses yeux écarquillés et brûlants. Montrant le dragon puis elle du doigt:

C'est ça Cassiopée? Ça et... ça?

Elle se releva, titubante, comme ivre, son rire disparu, l'expression rageuse. Elle s'approcha alors de l'âme dédoublée de Sanz. Elle attrapa l'enfant endormi par ses vêtement, essayant de le relever. Trop lourd, bien sûr. Elle renonça. Les yeux baissés, elle ajouta dans un murmure:

Nous avions un fou meurtrier. Nous voulions le raisonner. Le voici étendu, inconscient. Mais pourtant... le combat n'a pas l'air fini...

Relevant son regard enragé, elle le fit aller de Grendelor à la licorne, de la licorne au dragon, du dragon à Nahïs, puis revint sur Grendelor.

Voici que tout recommence.

-Voici que tout recommence.
Furent les derniers mots prononcés par l’elfe.

Taranis avait-elle raison ? Les démons s’étaient-ils rassemblés sur la digue en ce jour ? Combien faudrait-il de morts pour assouvir la soif de sang, la soif de vie ?

Epoé, dans sa blancheur éclatante, brillait des feux profonds de l’Amour, elle restait sur cette plage où la folie des âmes en perpétuelle recherche régnait, sans autre défense que son éternité.
A ses coté, Issac, grondait sourdement, fixant Grendelor d’une pupille de braise, prêt à bondir sur cette sœur qui regorgeait d’énergie.

L’antagonisme entre les deux essences de Cassiopée grandissait, risquant de rompre à tout jamais l’équilibre créé un moment plus tôt.

Epoé restait sereine devant le tourment d’Issac.
La licorne, pourtant, ne pouvait rester en ce lieu, immuable et passive. L’animal, emblème d’éternité, n’apparaissait que de manière éphémère, quand la survie de son âme chère l’appelait.

Elle s’approcha du dragon, pointant sa corne vers l’âme sombre, qui pénétra profondément dans la peau écailleuse et épaisse de la bête. Autour de la plaie ainsi formée, une aura de douceur se formait. La métamorphe avançait toujours plus, jusqu’à ce que son corps entier soit absorbé par le dragon.
Le dragon irradia un moment, submergé par l’essence de la licorne. Son corps devint une lumière étincelante. Aussi, Nahis dans sa pureté, Taranis dans son désespoir et Grendelor dans sa rage durent protéger leurs yeux éblouis pour ne pas en être aveuglées.

Quand la lumière déchut, la haute silhouette de Cassiopée se tenait devant elles.
Son long corps effilé était marqué par l’ombre d’un dragon qui recouvrait son abdomen pour englober le sein gauche. La tête de la bête venait se nicher à la place du cœur.

Cassiopée ne prononça pas un mot alors que le silence semblait avoir recouvert d’un voile épais la digue et ses occupants.
Elle écarta Nahis d’un geste léger, la dépassant pour se diriger vers la silhouette de l’enfant que Taranis venait de lâcher. Elle glissa ses bras sous son corps, alors que le loup se levait, grondant.
Anwen était pour elle aussi léger que l’air, un simple souffle.

L’enfant était aussi froid que la mort.

Il mourrait bientôt peut-être.

Tenant Anwen d’un seul bras, elle appuya sa tête contre son épaule. Le corps d’Anwen recouvrant alors totalement le dessin inscrit sur sa peau.
De son autre main, elle caressait son visage, contournant d’une main douce, les désastres causés par Orion. De longs filets de sang s’écoulaient de ses yeux et de sa bouche.
L’enfant, inerte, restait sans vie.

Alors, elle posa ses lèvres sur ses yeux avant d’effleurer sa bouche dans laquelle elle souffla le feu d’Orion.

D'un mouvement brusque de la main, Grendelor protégea ses yeux de l'éclair lumineux. Elle sans être elle, sa rage amplifiée, elle hésitait encore sur son prochain mouvement. L'Enfant était son objectif, Issac celui qu'elle surveillait. Sa disparition au sein de Cassiopée l'éclaira sur ce qui se passait. Des profondeurs de sa mémoire, la connaissance entière de sa terre remontèrent. Scinder les âmes. Les remodeler pour en extraire leur quintessence. Equilibre subtil et périlleux.

La nymphe semblait en avoir pris son parti et soufflait le feu de la Renaissance. Regard froid et impérieux, Grendelor cueillit d'un geste léger Tàranis entre ses bras et la déposa auprès de la lutine qu'elle effleura doucement. Les deux femmes sentirent leurs blessures se refermer et l'énergie revenir. Le Doute les quitta et la Paix s'installa dans leurs coeurs.

Devant elles, Grendelor attendait. Le Danger était encore présent.

Orion ne semblait plus avoir d’emprise sur Anwen et l’enfant restait inerte et pâle dans les bras de Cassiopée.

Alors, comme aimantée par la mer, elle sentit une première vague lui mouiller les pieds, alors que la deuxième enserrait ses genoux. Elle pénétrait lentement dans les flots, répondant à l’appel de l’océan.

Lorsqu’elle eut de l’eau à la taille, elle s’arrêta. L’enfant dans ses bras ne pesait plus rien. Il reposait à présent sur l’onde. Son visage calme, ruisselait de larmes de sang. Cassiopée ne pouvait à présent plus rien pour lui. Seule la mer saurait le protéger en attendant que ses essences s’accouplent à nouveau.

Cassiopée déposa un baiser pour assécher les perles rouges sur les yeux de l’enfant et le goût du sang lui rappela que son filleul avait cherché et lutté sur la digue de Saint Adobe, mais il n’avait pas trouvé ce qu’il était venu prendre et Anwen ne pourrait qu’attendre.

Pourtant, la lutte n’avait pas été vaine. Sanz et Cassiopée étaient à présent liés par le sang arraché de ses entrailles et par celui qui suintait de ses yeux aveugles.

Ramenant ses bras contre sa poitrine, elle s’écarta du corps qui lentement glissait sur l’onde.
La mer emportait l’essence enfantine de Sanz qui dérivait vers le large et peut-être y trouverait-elle une nouvelle vie.

Sanz dont l’âme dispersée n’avait laissé qu’un enfant inconscient et un loup partait à présent sur les flots des souvenirs.

Tàranis regarda la nymphe emporter l'enfant. Elle avait été éloignée de force de l'âme divisée, sans avoir vraiment compris pourquoi. A même le sol, aux côtés de Nahïs et Grendelor, elle observait, immobile.

Le loup aussi, assis, observait. Son regard froid n'avait pas quitté Cassiopée depuis que celle ci avait prit Anwen dans ses bras. Il l'avait suivit de ses yeux perçants lorsqu'elle avait pénétré la mer. Et alors que l'enfant flottait, s'éloignait, que la nymphe reculait, il s'était redressé et ses pattes, lentement, le guidaient vers les flots. Aimanté. Il était lié à cet enfant, il était cet enfant sans vie flottant au creux des vagues.
Ses griffes effleurèrent l'eau. Il lança un regard vers le femmes sur la digue, indéchiffrable. Haine? Excuse? Amour? Rancune? Sans doute un mélange de tout cela.

L'animal continua son chemin, s'enfonçant lentement dans l'eau jusqu'à perdre pied. Il nagea jusqu'à l'enfant, s'y agrippa, hissa le haut de son corps sur son buste. Il y posa la tête, doucement, tendrement, puis ferma les yeux.

L'âme s'éloignait, la mer était calme, et les femmes regardaient.

Le drâme prenait fin.

Dans la Douceur et l'Amour, le corps de l'Enfant s'en allait sur les flots, porté, enlacé par la Nature. Le Loup le suivait, lien ténu avec le groupe de Femmes.

L'Ame tourmentée de Sanz avait donné naissance à des liens profonds. Une Fraternité forte était née, que ce soit par le sang et l'âme que par l'esprit. A jamais marquées par cette expérience, Cassiopée, Tàranis, Nahïs et Grendelor contemplaient la mer avec une Sérénité retrouvée.

Venues pour calmer la furie destructrice du métamorphe, elles avaient dû puiser au fond de leurs ressources, déchainant des puissances pour contrer et sauver. La profondeur de leurs sentiments n'avait pas suffi à retenir Sanz. De son côté, le métamorphe avait réussi à chambouler les femmes, révélant une face cachée en chacune d'elles.

De ce combat titanesque, il était apparu qu'en chacun des secrets existaient. Que la furie sanguinaire masquait des failles profondes. Que l'amour s'accompagnait de la rage.

Grendelor avait repris son apparence normale. Chancelante et étourdie, elle ne comprenait pas vraiment ce qu'il s'était passé sur la fin. Ses amies allaient bien et c'était tout ce qui comptait pour le moment. Elle s'appuya sur Cassiopée, prise de vertige, étrangement faible. C'est avec une tristesse teintée d'amertune que la jeune femme regardait la mer emporter l'enfant et le loup.

Ils s'en allaient. L'enfant et le loup finirent par n'être qu'un petit point à l'horizon, vacillants sur la mer frémissante. Il s'en allait. Sanz n'était plus qu'un cauchemar dans l'esprit de Nahïs. Cauchemar dont sa vie et ses actes seraient à jamais marqués. La lutine n'oubliait pas ces choses là, cet épisode éprouvant hanterait sa mémoire jusqu'à son dernier souffle.

Cassiopée s'était transformée. Devenue triple avec la naissance d'Epoé et d'Issac, son lien avec le métamorphe semblait s'être accru. Nahïs en était convaincue. Et pourtant, rien n'était plus contraire à Cassiopée et sa douceur sauvage, sa tendre écoute, que l'irrascible et renversant Sanz à la mémoire troublée. A l'inverse de cet être obscur, sa dame aux étoile saurait parfaitement maintenir l'équilibre entre ses essences, Epoé la pure et le fulminant Issac.
Cassi... son amour pour elle avait porté Grendelor, Tàranis, Nahïs mais également Smirtnoff à la digue de Saint Adobe.
Cassi... éprouvée mais vivante, elle regardait au loin disparaître son Sanz.

Telles des Vénus sculptées, immuables figurines que l'Amour a forgé, les quatre femmes demeuraient ensemble sur la digue. Liées. L'océan reprenait doucement ses droits, l'écume léchait la jetée qu'elle avait abandonné pendant le combat. A coups de vaguelettes, la mer apprivoisa la rive... Comme autrefois.

Danse, danse, bulle d’air
Sur les remous rendus fous
Par tes valses éphémères.

Mousse, mousse, fée légère
Que naisse de tes jeux flous
L’écume reine des mers...

Dans les profondeurs massives d’océans plus vastes que le Monde, un enfant jouait avec un loup. Des rires cristallins fusaient mélangées aux grondements endormis des vagues. Puis l’Enfant délaissa le félin pour s’approcher d’une vaste forme, un dragon noir aux yeux frappés d’un triple bleu intense :

- Quand reviendra Mère, Shyon ? Nous l’attendons depuis trop longtemps.

- Je ne sais pas… .

En face d’eux, sur un trône de glace et d’eau, un jeune homme serti d’une couronne pourpre. Il écoutait avec paresse la discussion en tapotant légèrement l’accoudoir.

- Depuis quand croyez vous que les Mères reviennent ? Naifs..