Retour d'une Âme Damnée

L'hiver septentrional s'achevait lentement aux portes du monde des hommes, alors que le soleil inondait les mornes plaines du pays de Cirythendul de ses premières lueurs, la chaleur manquait en ces hautes terres, c'était parfait.

Un ans qu'il n'avait pas foulé le sol de Ter Aelis, une longue année de sommeil et de réflexion, mais aujourd'hui, alors qu'elle se relevait à peine de son éloignement, l'âme du jeune homme savait qu'elle y avait sa place.

Mais il lui fallait encore accomplir le périple le plus long de sa courte existence, passer le gardien, entrer dans les terres vivantes du monde des hommes, traverser un désert aride et vorace, alors qu'il n'avait pas vu le soleil depuis son départ, douze lunes plus tôt.

Il le savait, une fois arrivé, il devra subir le châtiment de son ancien mentor, il ignorait si Ramrod l'accepterait en son pays, il ignorait si une fois en ces lieux, il pourrait prétendre à la liberté, mais il lui fallait tenter, il lui fallait revenir car c'était là, au milieu du peuple de Ter Aelis, qu'il se sentait chez lui, qu'il se pensait vivant, lui, dont même le gardien des enfers n'avait pas voulu de son âme.

C'est au clair de lune qu'il eu son premier aperçu de la magnificence du pays, alors qu'il s'installait au pied d'une roche de taille moyenne -il n'y avait que des roches dans ce désert- pour sa troisième nuit sous les étoiles, il les apercu au loin, brillant de milles éclats, deux tours d'acier, de verre et de lumière reflétaient la lueur cristalline des astres lointains.
Il apprendrait plus tard qu'il s'agit des tours jumelles de Belthil, la cité administrative. Elles surplombent et gardent sous leur ombre la plupart des bâtiments du pays, et on dit souvent avec ironie que seul ceux qui ont visité Wilwarin peuvent affirmé avoir contemplé Ter Aelis de plus haut que les habitants de ces tours.

A l'aube de son quatrième jour de voyage, le jeune homme ayant repris les couleurs de la vie, s'aperçut d'un étrange phénomène; la chaleur mordante du désert prenait fin d'un long tracé rectiligne, un pas de plus, et il foulerait l'herbe verdoyante et humide de Ter Aelis, il l'avait compris en une fraction de seconde, c'était la frontière. Une frontière délimité par magie, et qui pourrait à tout moment lui refuser l'entrée dans ce sanctuaire si bien protégé.
Aucun garde, seulement cette magie, et pourtant il avait peur, jamais un sentiment ne l'avait empêché d'avancer.
-Un pas de plus. Se dit il à lui même.
Soudain un agréable souffle le poussa en avant, il sentait un signe du destin, une autorisation à entrer dans ces terres, son mentor ne l'avait jamais quitté; il franchit le pas.

Le reste du voyage se déroula sans autres faits marquant, ou qui aient assé d'importance pour que je les retranscrive ici. La magie qui imprégnait ces terres redonna au jeune homme courage et espoir, il repris des forces et son esprits retrouva ses caractéristiques d'antan.

Il arriva bientôt aux portes de la majestueuse cité administrative, ignorant volontairement les quartiers touristiques et la table d'orientation, la ville avait bien changé grace au talent des nombreux artistes y ayant sejournés mais il trouverait son chemin seul vers l'endroit de son retour. Il avait désormais la certitude que Ramrod l'accepterait, lui, son premier filleul, celui à qui il jadis transmis les notions de son art...

Le griffon postal, qui, ce matin-même, avait dévié de sa course initiale pour fondre sur la Tour Boréale de Belthil, ne le faisait pas pour rien. Il s'était posé en catastrophe tout près de la suite des Âmes damnées, aux derniers étages et avait hélé bien fort Ramrod.
Car la nouvelle était importante ...

Ainsi, quelques minutes plus tard, avançait une silhouette inconnue, une âme errante en Belthil.
Evitant les quartiers usuellement visités par les nouveaux arrivants, il savait où aller.
Et son chemin de croix s'arrêta face à Ramrod.

L'âme damnée se tenait en haut d'un escalier menant aux quartiers résidentiels.
Les bras croisés rudement plaqués contre son torse, immobile.
Avec pour seul compagnon, le vent vif ébouriffant ses cheveux blancs.
Son regard se durcit alors que la silhouette inconnue se profila en contre-bas.
Inconnue, sauf pour lui.
Sa voix résonna :
Damné Graal.
Ainsi, est-ce le retour des vieux spectres d'antan ?
Est-ce là la vision de l'homme que j'ai connu ?
La vision du filleul perdu ...
Ainsi donc.
Tu as tant changé, Blacky ...
Et te voilà damné, toi aussi.
Cruel final.

Le vent souffla encore plus fort, portant le silence loin.

Entre.

Acceptant avec joie ce qui lui permettra désormais de montrer son visage, un visage qui fut le sien pendant si longtemps, l'âme du jeune homme enfile à nouveau le masque de Black bot, en attendant que son pinceau ou celui d'un autre lui permette de se montrer tel qu'il est vraiment, après tout, une âme peut avoir de nombreuses apparences lorsqu'elle prend une forme humaine.

C'est sans bruit qu'elle se glisse vers les appartements de son maitre, la porte se referme, comme par magie noterons les témoins présent, mais ils n'en garderons qu'un mince souvenir, preuve de l'incroyable sincérité de cette rencontre.