Regardez.
Regardez bien.
Regardez en détail.
Au delà même de l'ironie de la phrase mise en valeur par une typographie grasse.
Au delà de l'imitation cafardeuse de Jiminy Criquet.
Au delà de la référence à Fedor Dostoïevski.
Le génie s'inscrit dans le marbre souvent sur des détails.
Une machine à écrire. Une bonne vieille machine à écrire. Le symbole du journalisme d'antan, de ces journalistes/écrivains . Quand on sait que
Carlo Collodi, l'auteur de "
Pinocchio" était un journaliste humoriste et polémiste, on ne peut que sourire au clin d'œil. Carlo, initialement traducteur des contes de Charles Perrault, qui bien qu'italien n'aborde aucun élément religieux dans son œuvre (soyons généraliste), nous livra à la fin du XIXème ce chef d'œuvre de simplicité. De là à voir un parallèle avec l'œuvre de Dostoïevski, il est facile de franchir le ruisseau.
Mais que se cache-t-il réellement dans cette modeste planche issue d'une œuvre conséquente, pastiche de "
Pinocchio" ? Cette phrase ironique annonce la couleur, le cynisme d'une représentation de la société en plusieurs actes. De là à trouver un lien avec la thématique "l'écriture et les autres"... J'expliquerai en détail.
Commençons par un petit tour d'horizon sur les liens étranges qui unissent les éléments de cette planche et qui vont nous servir à l'analyse. L'idiot, de Fedor Dostoïevski, met en scène un personnage dénommé le Prince Mychkine. A la manière d'un Jean Valjean dans les Misérables, il est un symbole de la bonté. Fedor, au travers d'un enchevêtrement complexe d'intrigues typiquement Russes, va nous dresser un portrait de la bourgeoisie ainsi qu'une très fine analyse psychologique des liens qui unissent des sentiments comme la naïveté et l'idiotie, l'intelligence et la bêtise. Le prince acquiert même le statut de figure "mystique" voire "christique" dans l'œuvre tellement ses bons sentiments sont exagérés. L'étude menée par Fedor est emprunte d'un certain génie, de cette aptitude créatrice assez extraordinaire dont seuls une poignée d'écrivain semble dotée.
Vincent Paronnaud.
Winshluss.
Pote et maître de ces putains de géniaux "
requins marteaux", auteur dans la revue "
Ferraille". Depuis il a été récompensé pour son fantastique "
Persépolis". Je l'ai croisé, il y a trois ou quatre ans au festival de la bande dessinée de Colomiers, avec sa célèbre exposition "
Supermarché ferraille" et j'ai pu le revoir parfois sur La Rochelle. Non pas en tant que public, les éditions
Misma dont je suis un fervent défenseur était proche de son exposition. C'est un illuminé aux personnages macabres et cyniques. Monsieur Feraille reste avec son ami Cizo l'une de ses œuvres les plus amusantes. Il adore faire des pieds de nez à la bande dessinée Franco-Belge, dans une univers très
trenties, horriblement déjanté. Des mémés violent des robots casseroles pendant la prohibition. Le constructivisme russe côtoie Walt Disney au travers d'un anti-héro qu'est l'homme de métal... Walt et Gonzo, deux auteurs au service de la propagande façon soviet, vichyste ou nazi arrive au sommet de leur art. Immoral et monstrueux. Jouissif pour les connaisseurs et les adeptes d'un certain humour.
Jiminy Cafard s'inscrit dans la suite logique de ce qu'il a déjà réalisé : de l'
antitout, un humour de la débauche, plein d'obscénités. De l'insolence lugubre aux antipodes du conformisme. C'est d'ailleurs amusant de le voir citer Dostoïesvki et plus particulièrement
L'idiot. Dans cette planche l'influence de tous ces éléments critiques est allègrement mélangé : l'inculture des masses, la bande dessinée franco-belge non indépendante pleine de génies, les pigistes qui en prennent plein le nez, et surtout la télé/bière qui devient le symbole de la délivrance. C'est classique chez lui, il crée une confusion grotesque et nécessaire à l'embrouille. Il aime à livrer au lecteur une montagne de détails difficilement perceptibles au travers de situations très "scolaires", très "intellectuelles".
Oser faire un lien entre cet encart d'une bande dessinée pleine de cynisme et "l'écriture et les autres" est gonflé. Vincent Paronnaud se fait fervent défenseur de la liberté face aux grosses éditions de la profession. Il se fiche pas mal de savoir ce que vont penser les autres. Il est évident que si l'on s'arrête juste à la planche et à la phrase inscrite en filigrane, on plonge dans un débat insondable et intarissable mais ce n'est pas du tout le but de cette dernière qui recèle d'indices critiques sur bien d'autres sujets dont j'ai parlé. Mais bon, puisqu'il faut répondre à la thématique, allons-y, et faisons donc plaisir aux perceptions "visibles", à la facilité. Quel serait l'intérêt du support s'il n'a qu'un lien très lointain avec la volonté de son auteur ?
On aborde un thème qui rejoint plutôt l'acceptation de la concurrence avec les autres. Psychologiquement, ce serait l'étude du rapport entre son propre ego et les qualités fournies par autrui. On ne peut s'arrêter vulgairement à comparer juste son écriture à celle d'un autre. On peut aussi bien comparer ses connaissances géographiques avec un géographe, son habileté linguistique avec un orateur. On aboutit toujours à la conclusion indélébile et graver dans le marbre : prendre conscience du génie des autres c'est surtout se remettre les idées en place.
Prendre conscience du génie d'un autre permet dans le même temps de prendre la mesure du sien.
Cette phrase recèle de divers sujets. Si l'on se cantonne à la thématique : l'écriture et les autres, on dégage facilement plusieurs axes d'analyse. Tout d'abord, la prise de conscience de soi, c'est quoi ? A partir de là on peut en déduire le caractère jubilatoire de sa propre existence et mettre en valeur son "Moi", dans une compétition calculée, face à l'autre (Le génie n'étant qu'un trait subjectif qui n'a guère besoin d'être redéfini). Pour terminer, la prise de conscience réelle et adulte de l'individu face à ses propres défauts et les problèmes centraux qu'elle instaure.
Prendre conscience de "Moi".C'est un sujet déjà développé, connu et presque borné. C'est un paradoxe ambulant que définit Hegel : autrui est un autre moi, tout proche par sa propre conscience, très loin par ses différences. C'est une conscience singulière semblable à la nôtre. Dans le processus de prise de conscience, Jean Paul Sartre qui évoque la manière "intuitive" de révélation des informations, ne nous intéresse pas car l'écriture est une prise de conscience "raisonnée". On est loin du stade miroir développé par Lacan mais aussi très proche.
Regardons et expliquons de près cette idée. Chez les jeunes enfants la prise de conscience de sa propre existence se fait selon quatre étapes : la reconnaissance visuelle de l'image de l'autre, la confusion de prendre sa propre image pour celle d'un autre (l'effet miroir chez les bébés), le malaise grandissant devant son propre reflet et finalement l'identification de sa propre image qui se termine par une véritable jubilation de contempler sa propre identité conscience. Dans le processus de lecture et d'écriture, nous cherchons à développer nos facultés. Quand chez l'enfant le processus est intuitif, chez nous, adulte, il devient raisonné mais suit exactement le même cheminement. On atteindra l'échec cuisant ou la jouissance. Pauvre cafard qui lui se rend compte qu'il est nul. Il suit le même principe : il reconnaît l'image renvoyée par l'auteur, il la confond avec sa propre réalité, il ressent les choses et termine par s'identifier complètement à ce qui est écrit en se rendant compte que son "Moi" manque de compréhension. C'est une représentation de sa propre existence au travers de toute son interprétation. Il se reconnaît alors dans ses rapports au monde. Il est important de noter que dans l'effet miroir décrit par Lacan (et bien d'autres d'ailleurs), le résultat est souvent la réussite et la jubilation car on découvre sa propre existence. Dans le cadre de l'écriture et lorsqu'on est adulte c'est constamment la découverte des lacunes et donc une théorie de l'échec constante. On peut être sur que Fedor Dostoïevski avait lui aussi l'impression d'avoir des lacunes face à d'autres écrivains.
Prendre conscience de l'AutreEn résumé, on ne peut prendre conscience de quelque chose (notamment du génie scripturaire d'un individu) que par rapport à sa propre conscience, à son propre système. Il existe une somme de choses qui sont absentes du "Moi" et qui l'on ne peut pas concevoir. A partir de là, la problématique est bien plus complexe. Comment prendre conscience de la qualité littéraire d'autrui si l'on ne "connaît" pas. On aboutit sans cesse à l'échec, puisque la perfection n'existe pas. Dire que Fedor Dostoïevski est un génie, c'est vaste. Par rapport à quoi, à qui ? Dans cette planche, c'est bel et bien par rapport à l'individu moyen que représente ce cafard adepte de la télé et d'une bonne bière dans son fauteuil. Mais au delà de ce cliché, il est difficile de répondre à ces interrogations. On ne sait même pas définir la place d'autrui dans une création d'ordre littéraire. L'aspect comparatif n'est là que pour révéler la fusion de l'ego et la compréhension de ses propres défauts. Je doute que Jiminy Cafard est compris le quart de ce que raconte Fedor dans L'Idiot.
Ce serait donc l'image de nos propres lacunes scripturaires qui instaurerait cette théorie de l'échec amenant notre petit cafard à préférer sa soirée télé/bière.
La conscience étant :
- subjective.
- mémorielle.
- inscrite dans le temps.
- ancré dans l'intention.
- sélective.
- libre à l'égard de l'autre.
On en vient à idéaliser le procédé même d'écriture et l'offrir à une élite qui ne le mérite sans doute pas. La prise de conscience est aussi une régulation sociale face au monde. Elle est nécessaire à l'évolution de tout un chacun.
Les impacts selon le "Moi"