Circonvolutions [rp concerté]

- Grmpf, sympa cette petite brise adressa t'il à la demoiselle décoiffée qui ne s'était toujours pas présentée.

Elle était loin la boutique de Tobine avec sa porte défoncée et ses clients désappointés. Libérant la femme de son poids, il observa les alentours glacés. Pas âme qui vive, sinon elle. Des murs de glace, des pics acérés. Debout au sein de cette prison gelée, Hell savourait. Les basses températures du lieu l’apaisaient. Bien que chichement vêtu, il ne ressentait pas les effets paralysant du froid. Au contraire de sa complice du moment, qui grelotta un instant.

- J'sais pas où on est mais j'sens qu'on va s'amuser prédit Hell.

Relevant la donzelle, gelée, il fit preuve d'une inhabituelle attention à son égard.

- Fais gaffe à toi lança t'il.

Impatient, il avança sur l'immensité cherchant sa hache du regard. Sans doute, pensa t'il, qu'on leur tomberait dessus avant qu'ils ne trouvent quelque chose d'eux-mêmes. Cette perspective n'était pas pour lui déplaire. Bien que ses poings massifs devaient suffire à se défaire de la plupart des potentiels obstacles qu'ils rencontreraient, il lui fallait la retrouver. Question de fidélité. Les zombies, eux, semblaient avoir disparu. Un peu de mouvement ne ferait pas de mal à la petite qui l'accompagnait. Ils avancèrent donc, prudemment.

Il courait la plaine comme un chasseur en fuite, la lance à la main, l'arc dans le dos. Son pas était rapide et silencieux. L'air froid giflait ses joues mais il n'en avait cure. Les muscles tendus, le corps en alerte, sa course était régulière. Il avait l'habitude. Depuis que les Dragons dominaient l'espace, depuis que le monde s'était effondré, il avait appris à courir. Pour survivre, pour chasser, pour fuir, pour exister, il allait droit devant. Tant que l'horizon était debout, il continuerait à courir. Il y avait nombre de rodeurs comme lui, voué à courir, qui passaient leur temps ainsi, dans cet effort habituel, ceux qui osaient se reposer en plein jours finissaient par être attrapé par une griffe, une gueule géante, ou même une queue acérée de pointe sortant du sol, de l'eau, ou de l'ombre même. Au loin derrière lui, déchirant le ciel de sa cime superbe, le Trône observait le monde, son monde. Un mot ses yeux furent accrochés par l'orage qui grondait au dessus. Messire était-il fâché? Une proie lui avait-il échappé. Il n'eut pas le temps d'étudier sa question. Face à lui se dressaient deux étrangers, qui remontaient lentement le chemin vers la Nuit. Ils n'avaient l'air ni de ce coin ni de ce monde. Il s'arrêta devant eux en les interpellant:

- Ola, qui ose donc encore avancer dans Ashgrö sans arme et sans affaires?

Alors qu'ils entamaient leur progression , un pygmée se dressa face à eux. Il osa même leur adresser la parole:

- Ola, qui ose donc encore avancer dans Ashgrö sans arme et sans affaires ?

Hell, déjà relativement déboussolé par ce parachutage glacial et fracassant, fut surpris par l'arrivée du bonhomme. Il ne comprit pas un traître mot de ce qui sortait de sa bouche. Avant de provoquer une catastrophe, il tourna, pour une fois, sa langue dans sa bouche comptant sur la mystérieuse femme pour entamer avec l'inconnu un dialogue coulant et pacifique. Obnubilé par le devenir de sa hache, il l'abandonna un peu pour chercher son arme dans les quelques fourrés glacés des alentours. Sans succès.

Le chasseur et la femme, eux, se faisaient toujours face sans bruit. Revenant sur ses pas, il discerna, enseveli par la neige, le manche, sculptée par sa main, de Gromakaz (son petit nom à elle). D'un geste, il la brandit, fier et entreprit de rejoindre le petit "groupe". Dans la pénombre, chatouillé par une brise enneigée, il s’avança jusqu'à sa compagnonne d'infortune.

- Je l'ai, lui balança t'il heureux. On bouge ?

Mais la femme, noyée dans le regard de l'inconnu, ne l'entendait plus.

Cassiopée avait froid et grelottait sur place. Son habituelle pelisse de perles de lune avait perdu son aspect lumineux et les perles ternies accueillaient le froid sans la protéger de son tourment.
Elle serrait fortement les mains contre ses bras. De ses vêtements en soierie de nuit, il ne restait qu’une combinaison moulant sa silhouette, à l’aspect de cuir noir qui, heureusement lui recouvrait le corps d’une seconde peau.
Le froid était saillant. La glace hérissait la plaine de ses dents pointues et quelques rares arbres échevelés leur barraient la route.

Quand le chasseur, arrêtant sa course, s’immobilisa devant eux, elle ne comprit tout d’abord pas ce qu’il leur demandait. La langue ne lui paraissait pas inconnue mais quelque chose venait contrarier sa compréhension. Il lui fallut tourner et retourner les mots dans son esprit pour qu’ils prennent sens. Ils étaient prononcés dans une langue depuis bien longtemps oubliée. Et sans les heures passées en bibliothèque aux côtés des saigneurs des Monts de l’Orgueil, elle n’aurait sans doute pas reconnu la langue Salsune. Elle dut puiser dans ses souvenirs pour enfin lui répondre.

-Nous sommes à Ashgrö ? Ses yeux parcouraient éperdus son environnement. Mais comment connaissez-vous Ashgrö ?

Il est, en effet, des connaissances perdues que seuls les livres relatent. Ashgro et ses cités antiques n’étaient plus que légendes.

Les questions des étrangers lui parurent incongrues. Un moment son esprit fut attiré par l'idée que c'était deux sortes d'attardés que la foudre avait frappés avant de se dire qu'au final leur habits et leur attitude paraissaient de toute manière sortis du néant lui même. Il n'eut pas le temps de s'étendre sur sa réflexion, deux formes noires couvrirent le sol et telles des ombres fondirent sur eux. Le chasseur n'eut que le temps de plonger, emportant dans sa chute la femme et l'homme, avant que des griffes acérées ne les éraflent. Des Wyrms rôdeurs. Leur petite forme et leur agilité véloces était reconnaissables entre mille. D'un bond il se releva esquiva une seconde attaque en piquée avant de balancer sa lance en plein sur le front du dragon. Le cri de douleur leur déchira les tympans. L'autre bête était resté en l'air, les yeux révulsés de sang et la gueule ouverte. De lents sifflements se répandirent dans l'air tandis que le chasseur récupérait sa lance de sa victime. Il se retourna vers les deux autres et leur cria :

Il ne faut pas rester ici, ce sont des éclaireurs. Dans cinq minutes la région va grouiller de dragons. Suivez moi.

Il bondit alors et courut vers le sud, talonné de près par les deux autres. A l'horizon déjà d'autres formes plus imposantes commencèrent à se mouvoir. Il avait dix cinq minutes pour les rassurer. Réellement il n'en restait qu'une grand maximum. Son visage était tiré par la fatigue mais ses jambes et la puissance de ses muscles lui permettait de courir ainsi de longues distances. Il avait l'habitude, les deux autres peut être pas. Ils traversèrent ainsi de longues zones noirâtres qui semblaient avoir été brûlés il y a peu par un souffle immense. Quelque mètres plus loin des cavités au sol formaient des fissures géantes. Ils étaient arrivés au ravins d'Ishior ; une zone brisée par d'anciennes guerres, saturée de magie et surtout dont le sol était couvert de longues galeries infestés de monstres mais épargnés par le vol des Dragon. C'est ici qu'ils auraient le plus de chance de tenir en attendant la nuit. D'un bond il avisa une corniche et descendit dans une crevasse. En jetant un coup d'oeil il vit que les étranges suivaient son pas. A peine rentrèrent t'il qu'un déchirement dans le ciel leur fit tourner les yeux. Au dessus d'eux un dragon immense les regardaient de ses yeux sanglants. Il commenta en marmonnant :

- un Shlaka*. Manquait plus que ça. Ca court vite et ca tue d'un souffle invisible. Surprenant qu'on soit pas déjà mort. Peut être bien que la chance nous sourit.

Un moment le Dragon les fixa avant de s'envoler et de disparaitre brusquement. Le chasseur s'assit sur une pierre collée à une paroi, reprenant doucement sa respiration. Derrière eux l'ombre épaisse cachait à peine une sorte d'étroit tunnel.

* Dragon runique, dont l'âme est modifiée par la magie. Son souffle invisible est un feu sonore qui désintègre l'essence elle même.