De la rouille et de l'aigreur

Smirtnoff tourne les yeux vers elle et en guise de réconciliation pose la main sur la sienne. Il se rapproche d'elle sur le banc pour mieux la voir dans les yeux. Son regard est bleu, un peu perlé. Il ne contient plus la haine qui s'y trouvait tantôt.
-Il peut rien me faire.
De sa main libre il dégage les joues de Cassiopée des cheveux blancs qui les cachent.
-Gregovi c'est... Une partie de moi.
Il parle doucement, comme si il cherchait ses mots en même temps.
-Et c'est un choix qui m'appartient, de... L'effacer de ce que je suis ou non, de, d'en faire autre chose. Je pensais ne pas avoir eu le choix précédemment et c'était plus simple. Maintenant je dois y réfléchir. Je ne suis pas sûr de ce que je dois faire.

Gregovi avance seul, il s'est glissé dans un espace étroit qui occupe deux appartements délabrés. Il s'applique à ne pas toucher les murs pour ne pas déposer de piste odorante et s'arrange pour ne pas laisser tomber de sang parterre. Sa main est serrée contre la loque qui lui sert de pantalon et il la ferme au plus fort pour empêcher le sang d'y circuler et ralentir l'hémorragie. Il saute au-dessus d'une petite caisse de bois et se faufile dans un patio crasseux cernés de murs et d'un escalier qui mène à l'étage. Des vêtements sont suspendus d'un balcon à celui d'en face par des cordages. Il jette un coup d'œil circulaire à l'endroit mais écoute surtout, car sa vision est brouillée. Il envisage de se planquer sous l'escalier mais on le remarquerait, l'hémoglobine sent trop fort. Il décide de ne pas se cacher et de simplement se poser. Il monte les marches cabossées et va s'asseoir au bout d'un des balcons. Il émane de l'endroit des lumières roses, des odeurs de femme et de nourriture. Le danger est minime. Il va se coller au bout du balcon et s'accroupit contre le mur, les bras serrés entre ses jambes et son ventre. Il ferme les yeux et attend, ses sens en veille, alerte seulement pour repérer ce qui l'approchera, sinon rien. Il somnole.

Une grosse femme sort sur le balcon et marque un temps d’arrêt en voyant l’enfant accroupi. Ses vêtements sont propres mais élimés, on voit qu’ils ont été repris pour être à sa taille, digne d’une matrone. Son teint est pâle et une odeur de farine et de sucre se dégage d’elle. A l’air méfiant qui s’était instinctivement inscrit sur sa figure en voyant la silhouette de Gregovi, c’est celui de la pitié qui se peint sur son visage.

Hé bien mon lapin, qu’est-ce que tu fais là ? Tu t’es perdu ?

Son approche sonne faux, elle le sait bien, mais ce sont les premiers mots qui lui sont venus à la bouche. A Galvorn, les enfants ne se perdent pas. Soit ils sont seuls, soit ils connaissent suffisamment les ruelles pour savoir où ils peuvent aller et où ils ne peuvent pas. Celui-là a l’air d’être seul. Et mal en point. Elle remarque du sang sur son pantalon, trop grand pour lui. Doucement, pour ne pas l’effrayer, elle s’approche et demande.

Qu’est-ce que tu t’es fait là ? Montre voir, je te ferais pas mal.

Sa voix est tendre et maternelle, de celle qu’on prend pour amadouer un chat sauvage blessé.

Gregovi émerge de son demi-sommeil de veille en ouvrant grands les yeux et observe la forme immense de la femme qui vient d'apparaître. C'est sa voix rugueuse qui l'a sorti de sa torpeur, ainsi que les odeurs qui voyagent sur le balcon avec elle. Il n'y voit toujours pas clair. Sa vision met quelques secondes avant de préciser la nature de l'être qui se trouve devant lui et qui lui parle une seconde fois.

« Qu’est-ce que tu t’es fait là ? Montre voir, je te ferais pas mal. »

Il a besoin d'aide. Il se doit d'agir en enfant sinon l'empathie ne prendrait pas, l'humaine pourrait se méfier, le rejeter, il devrait trouver un autre endroit. Il renifle et se resserre où il est tandis qu'elle s'approche et ne la quitte pas des yeux d'une seconde, l'air hagard. Ses blessures et son état de fatigue diminuent sa lucidité depuis tout à l'heure, il lui devient difficile de réfléchir. Sans plus trop savoir que faire il dégage de son étreinte sa main transpercée pour la montrer vaguement à la femme. Elle est couverte de sang et continue de se vider abondamment. Le poignet de son autre main, cassé, a gonflé depuis tantôt et le lance vivement à chaque mouvement qu'il ose. Sa mine décomposée remplace n'importe quel mot qu'il aurait pu sortir, il s'en contente pour s'adresser à la dame.

La femme ouvre de grands yeux en voyant l’état de Grégovi.

Toi, tu as essayé de chaparder qui il ne fallait pas. Un nouveau regard sur la main sanguinolente lui fait secouer la tête. Mais tout de même, il n’avait pas à être aussi cruel.

Dans son esprit, le vampire est devenu un gamin des rues, seul et abandonné. Elle qui connaît bien ce cercle ne peut que s’apitoyer sur lui. Elle détaille un instant Grégovi, réfléchissant. Un poignet cassé et une main en charpie. La peau pâle et son air malade. Ses yeux bleus qui clignent trop souvent, comme pour mettre au point une vision qui s’enfuie. Il a visiblement perdu beaucoup de sang. Le poignet n’est pas un souci. L’hémorragie si. Mais se faire soigner n’est pas facile, à moins d’aller à l’hôpital, chose que veulent rarement les gamins, de peur qu’on ne veuille les placer ou qu’on les arrête pour vagabondage. Pourtant, elle sait que ce n’est pas le cas, pas avec la guérisseuse qui le gère. Encore faut-il le convaincre.

Très bien, fit-elle avec un soupir. Elle pose ses grosses mains sur ses hanches et regarde Grégovi avec sérieux. Tu as deux solutions. Je connais quelqu’un qui pourrait t’arranger ça, mais ce n’est pas gratuit et je ne garantie pas le résultat pour ta main. Tu pourrais tout aussi bien y passer. Elle se tait quelques secondes pour lui laisser le temps d’assimiler ce qu’elle dit. Elle voit bien qu’il lutte contre son état semi-comateux mais elle ne veut pas prendre la décision pour lui s’il peut le faire. Ou bien je peux t’amener à l’hôpital. Tu y seras bien soigné et je suis sûre que la guérisseuse le fera pour rien. Elle se penche vers le gamin et ajoute doucement. Je peux t’assurer que tu ne seras pas dénoncé. Décrochant une serviette qui séchait au balcon, elle entreprend de bander délicatement la main du vampire. Décide-toi vite ou tu pourrais bien me clamser dans les doigts, et j’aime pas ça qu’on se défile.

Elle surveille attentivement les réactions de Grégovi. S’il s’évanouit, elle a déjà décidé qu’elle l’emmènerais à l’hôpital.

Smirtnoff vacille mais se reprend. La peur qui enserre sa nymphe a faillit couler jusqu'à lui mais il la repousse à temps. Plutôt que de chercher de vains mots il préfère se tourner vers Cassiopée et l'entourer de ses bras et la mener toute entière contre lui.
-Il ne me tuera pas.
Le vampire ressent l'appréhension de son aimée, au travers de son souffle et des soupirs qui embuent le creux de son cou:
-Gregovi est aussi las que toi et il te craint autant. Tu devrais cesser de le craindre la première.

La femme s'approche et entoure sa main blessée d'une serviette. Gregovi se laisse faire sans broncher. Il ne lui faudra pas grand chose pour récupérer une fois que l'hémorragie aura cessée. Du sommeil, de la nourriture, et son corps se recomposera plus rapidement que n'importe quel autre. Il ne lui faut qu'un refuge et du calme. Il murmure dans cette étrange voix d'enfant qui l'étonne à chaque fois qu'il s'entend:
-Je suis fatigué.
Il lève ensuite son poignet gonflé pour que la matrone le voit:
-C'est cassé aussi.
Comme si les piles de son corps étaient plates sa voix s'éteint et il ne parvient plus à dire un mot. Il laisse sa tête reposer sur le mur et son bras entre ses genoux.

La matrone regarde Gregovi en hésitant. Il est au bout du rouleau et l'autre animal pourrait bien l'achever. Avec un long soupir, elle soulève l'enfant dans ses bras, son corps mince semblant disparaitre dans la masse de la femme. L'endroit est doux, chaud et sous l'odeur de boulangerie, celle de la peau blanche, sucrée. Rentrant dans le petit appartement, la femme hèle un grand gamin, déguingandé, qui peint avec application le mur de ses doigts.

Joan ! Appelle le service des urgences volantes!

L'interpelé jette un œil à la forme indistincte dans les bras de sa mère et file dans une autre pièce. Quelques minutes plus tard, deux griffons atterrissent dans la ruelle en bas. Un homme et une femme s'avancent, rapidement renseignés par la matrone. Gregovi change de bras, porté par l'homme. La femme-médecin examine la main percée, y dépose un gel froid et la bande. En quelques minutes l'hémorragie sera stoppée, ne restera qu'à soigner les chairs. L'homme installe l'enfant sur le griffon, devant lui et ils s'envolent rapidement vers Wilwarin. Il ne leur faudra pas plus de 30 minutes pour atteindre le lieu qui sert d'hôpital.

Smirtnoff se lève en retrait, tiré mollement par la main fermée de la nymphe. Mine de rien, l'événement l'a sensiblement fatigué. Il acquiesce à la première proposition de Cassiopée en silence et se laisse tirer comme un zombie vers un quelconque "à la maison", indifférent à la direction qu'ils pourraient prendre tous les deux.
Sur la route il réfléchit à la seconde question de la nymphe et, tout en marchant, se resserre contre elle de façon un peu enfantine. La fatigue, sans doute, lui fait oublier les manières sociales des grandes personnes, mais il marmonne:
-Je le laisserai pas nous faire du mal, tu sais.
Après quelques pas silencieux il ajoute:
-J'essayerai de le retrouver, et si j'ai pas d'autre choix, je m'occuperai de lui.


L'enfant se laisse transporter sans broncher. Il apprécie que les mains solides et chaudes le portent et pansent ses blessures. Son soucis immédiat et est de récupérer, il se laisse donc aller à dormir pour le trajet. Comme escompté, il ne se réveille pas en fin de route mais demeure en état de sommeil très lourd pendant quatre bonnes heures, encore bien après son arrivée à Wilvarin dont il n'a pas l'occasion d'admirer les splendeurs nocturnes. Il dort si fort que rien ne parvient à le réveiller. Mais son sommeil est curateur. L'hémorragie refroidie ne reprend pas, les vaisseaux sanguins se ferment en l'espace de quelques heures, les nerfs endommagés se reforment. Le radius et le cubitus de son autre bras, à peine remis face à face, commencent déjà leur calcification. Il lui faudra plusieurs jours seulement pour récupérer de ces blessures, au rythme où il guérit. Le processus ralenti au bout de quatre heures cependant et il se réveille avec des gargouillis dans l'estomac. Les yeux cernés de fatigue mais vifs, il dresse la tête pour prendre connaissances des lieux où il s'est trouvé soudainement téléporté.

A son arrivée, il dormait de ce sommeil profond qu'elle avait déjà pu observé chez d'autres espèces. Une main sur son front, elle avait remit les choses en place pour que le processus soit plus rapide et surtout pour qu'aucune séquelle ne reste. Evidemment, dès qu'elle l'avait approché, Grendelor avait su ce qu'il était, se rassurant immédiatement sur son état. Son contact avec Smirtnoff lui avait appris que les vampires avaient des facultés de régénération fantastiques. La dame turquoise avait donc laissé l'enfant dormir, passant régulièrement pour surveiller son état. Une chose était sûre, quand il s'éveillerait, il aurait faim vu l'énergie que dépensait son corps pour le guérir. Elle s'était mordillée les lèvres en réfléchissant à ce qu'il pouvait manger, tentant de se rappeler si elle avait déjà vu le gardien du Collège avaler quelque chose. Mis à part une vodka-hémoglobine à la taverne, rien ne lui était venu. Dans le doute, elle avait donc demandé à ce qu'on laisse une poche de sang en vue de l'enfant.

Il était dans une chambre toute simple, dans un lit une place. Il n'y avait personne d'autre avec lui, les malades restaient peu longtemps ici et donc la place n'était pas un problème. Les rideaux étaient tirés, masquant la nuit scintillante d'étoiles. La porte, elle était entrouverte, laissant filtrer la lumière du couloir. Seul le bruit de pages qui se tournent parvenait aux oreilles de Gregovi.

Smirtnoff allongé dans le nid fabriqué par la nymphe renifle le fruit que cette dernière lui a tendu. Le parfum est sucré et odorant mais n'appelle pas sa bouche à s'ouvrir dessus, il regarde Cassiopée mordre dans le sien avec intérêt, hypnotisé un instant par le caractère un peu érotique de cette scène. Puis le sommeil l'assomme et il s'endort contre l'épaule de sa bien-aimée.

Gregovi tend l'oreille vers un bruit venu de la porte entrouverte. La pièce est vide et calme, les rideaux tirés, il ne sait pas où il mais la forte odeur d'hôpital ne trompe pas son nez. Il se redresse assis afin de compléter son observation de la pièce et d'habituer ses pupilles à la pénombre. Il découvre sur la table de chevet une pochette contenant un liquide sombre et l'étiquette confirme son hypothèse à son propos, du sang. On savait donc sa race mais on ne la connaissait que d'à priori. Il remue son poignet, les os sont ressoudés et la chair s'est dégonflée mais c'est encore un peu fragile. Il ne s'appuie pas trop dessus. Sa main est refermée et presque tout à fait dégonflée, la cicatrice est encore rouge et la peau fine. Il sort ses pieds de sous les draps pour s'asseoir au bord du lit et faire face à la porte. Il attend de voir si son mouvement attire l'attention de quelqu'un avant de se lever et de marcher jusqu'au rayon de lumière. Il s'avance dans l'entrebâillement pour jeter un coup d'œil dans le couloir, en direction d'une personne.

Le mouvement près de la porte attire son œil. Regard bleu qui se pose sur la silhouette sombre découpée dans l'entrebâillement. Elle lui sourit.

Ha, tu es réveillé, je me demandais si tu allais dormir encore longtemps.

Grendelor se lève doucement du bureau où elle s'était installée. La guérisseuse reste rarement sur place mais celui-ci est un patient qui l'intéresse particulièrement.

Je n'ai pas eu l'occasion de voir les convalescences de Smirt', alors je ne savais pas s'il était normal que ton sommeil dure aussi longtemps. Mais ton corps ayant l'air de faire son travail, ce devait être le cas.

Elle lui sourit à nouveau. Tout son être respire le calme et la confiance.

Tu as faim je suppose, je n'ai aucune idée de ce qu'il te faut...

Elle laisse la question sous-entendue en suspens, comme par pudeur, ne voulant pas paraitre trop curieuse.

Gregovi détaille la femme aux cheveux couleur d'azur qui vient de se lever à sa vue. Elle semble avoir attendu son réveil. Sa voix est agréable et respire la confiance. Il lui sourit en retour de sa bouche fine et de ses yeux froids.

"Je n'ai pas eu l'occasion de voir les convalescences de Smirt', alors je ne savais pas s'il était normal que ton sommeil dure aussi longtemps. Mais ton corps ayant l'air de faire son travail, ce devait être le cas."

Il met une petite seconde à faire le rapport entre l'appellation de Smirt' et le vampire maladroit qu'il connaît sous le nom d'Aranev et il apprécie le calme et le respect dont la dame fait preuve à l'égard de son espèce qu'elle ne connaît qu'en partie. Smirtnoff est un bâtard et un ermite, il est très loin de représenter les mœurs originelles de sa gente. La femme qui se trouve en face de lui est sans crainte et si il n'y a pas de peur il n'y a pas de haine. Pour encourager cette relation il hoche la tête avec reconnaissance:
-Merci pour les soins et le logement. C'est tout ce dont j'avais besoin.
Puis pour répondre poliment à son interrogation discrète:
-Je suis carnivore.
Et il ajoute d'un ton égal:
-Je mange beaucoup mais n'importe quoi, donc il n'y pas à me cuisiner quoi que ce soit...
Sa voix est plus rauque et moins régulière que dans les ruelles de Galvorn, comme si elle avait commencé à muer depuis tantôt.

Grendelor sourit à l’enfant, dont la voix semble avoir quelques difficultés. Il est peut être plus vieux qu’il n’en a l’air. Il prend les choses calmement et sans inquiétude, ce qui est bon signe pour elle, bien qu’elle ne sache pas comment il s’est blessé aussi cruellement. Il ne semble pas traumatisé par sa mésaventure, ce qui la rassure. Ses soins s’étant cantonnés au niveau de ses bras, elle n’a pas effleuré son esprit et n’a donc aucune idée de ce qu’il s’est passé.

Carnivore… murmure-t-elle en réfléchissant avant de relever brusquement la tête. Ho mais j’en oublie mes manières, je me nomme Grendelor, fit-elle en lui tendant la main, tu dois bien avoir un nom aussi ? Pour ce qui est de la nourriture, si de la viande crue te suffit, nous avons ça en stock et au pire je pourrais aller en acheter rapidement, même à cette heure-ci.

Ho mais j’en oublie mes manières, je me nomme Grendelor

Le vampire observe Grendelor quelques secondes et il choisit de mettre ce geste dans la boîte de la distraction plutôt que de la perversité. Il ne tend pas sa main dont la cicatrice trop fraîche l'irrite mais la remplace par une révérence.
-Je serrai votre main dans quelques heures de plus, n'en soyez pas offensée. Je suis charmé de vous rencontrer, Grendelor. Mon nom est Gregovi.
La fatigue bride ses yeux clairs plus qu'à l'accoutumée mais sa tenue est souple et calculée comme celle d'un gentleman. Le ton de sa voix est d'une neutralité qui n'a rien de celle d'un enfant, encore moins d'un qu'on vient de mutiler.
Il acquiesce pour la viande crue.
-Où puis-je trouver un verre d'eau?

Grendelor a un sourire d'excuse quand Gregovi lui rappelle qu'il ne peut encore utiliser sa main.

La fatigue me joue des tours...

Elle remarque sa façon de se tenir, son parlé élaboré, rien de tout cela ne correspond à un enfant. Peut être en est-il chez les vampires comme chez les elfes où l'apparence change moins vite que n'évolue la personne. Elle note cette idée dans un coin de sa tête.

-Où puis-je trouver un verre d'eau?

Je vais aller t'en chercher ainsi que la viande. Tu ferais mieux de retourner te reposer, malgré ton métabolisme tu en as besoin encore, lui répond-elle gentiment, maternelle, mais sans lui parler comme à un enfant. Si tu as besoin de quelque chose, demande-moi, je serais là encore toute la nuit, j'ai un autre patient qui demande mon attention.

Sans attendre plus longtemps, la guérisseuse laisse Gregovi dans le couloir et part en direction des cuisines, à l'étage du dessous.

Je vais aller t'en chercher ainsi que la viande. Tu ferais mieux de retourner te reposer, malgré ton métabolisme tu en as besoin encore.Si tu as besoin de quelque chose, demande-moi, je serais là encore toute la nuit, j'ai un autre patient qui demande mon attention.

-Je vous remercie.
Gregovi tourne les talons pour retourner vers sa chambre à pas lents et mesurés, son corps est un peu raidis des efforts de régénération qu'il a subit ces dernières 24 heures. En bifurquant dans entrebâillement de la porte il jette un coup d'œil au couloir et aux éventuelles sorties qu'il voudrait reconnaître en cas de soucis. Il marche jusqu'à la fenêtre de la chambre pour observer dehors, évaluer la hauteur du bâtiment et l'endroit où il se trouve, admirer Wilvarin de nuit pour quelques instants. Après quoi il retourne se coucher sur son lit en soupirant.

Elle l'y retrouve. Smirtnoff a redressé la tête au bout de son corps affalé sur le lit et observe, les yeux plissés comme ceux d'un chat, l'agitation artistique de la nymphe empreinte d'inquiétude. Lorsque cette dernière se tourne dans sa direction il la regarde en retour puis s'étire et se tire hors du lit la rejoindre. Son pas est encore raide de sommeil et ses cheveux ébouriffés comme jamais mais il ne semble pas s'en formaliser. Arrivé à la hauteur de Cassiopée il s'arrête et admire son œuvre horrible d'une moue sceptique. Il reste planté là quelques longues secondes en clignant des yeux stupidement puis il se détourne avec un grognement endormi et en se grattant l'arrière de la tête, il marmonne:
-Je vais lancer une annonce de recherche.
-tu vas lancer une annonce de recherche ? Mais comment veux-tu la formuler ? Vampire de grande réputation recherche dangereux enfant aux mains blessées ? ou recherche dangereux terroriste aux allures enfantines se nourrissant de plasma sanguinolent ?
Les derniers mots de Smirtnoff avaient allumé la Dame des étoiles d'une ardeur qu'elle n'avait pas un moment plus tôt. Il est occupé d'aplatir mollement ses cheveux et se tourne vers Cassiopée du coin de l'œil:
-C'est juste un vampire. Et il s'appelle Gregovi. Je me rappelle pas qu'il y ait vraiment d'autre vampire ici. Il a un accent en plus. On va le retrouver assez vite.
Il ajoute avec le ton toujours posé et lent du matin:
-On veut juste savoir où il est, on demande à personne d'essayer de l'attraper.
Mais Cassiopée reste anxieuse. D'un ton angoissé où transpire l'étoffe du carcan qui lui étreint la poitrine elle murmure :
- On veut juste savoir où il est... Tu veux juste savoir où il est pour aller le retrouver... Moi, je voudrais ne plus jamais le voir près de toi...
Le dos tourné, Smirtnoff plisse le visage avec irritation. Il répond calmement après quelques secondes:
-Il a bouffé quelqu'un, ça sautait assez aux yeux. Ce qu'on veut faire c'est l'empêcher de tuer quelqu'un d'autre, premièrement, donc, l'enfermer. Deuxièmement on veut l'empêcher de bouffer. Si il parvient pas à se nourrir il va pas récupérer et pas grandir. C'est important qu'on le retrouve rapidement pour cette raison. Tant que c'est un gosse et qu'il a personne pour lui donner un coup de main, ni toi ni moi ne risquons quoi que ce soit.
Cassiopée tourne alors le dos à Smirtnoff et, d'un geste large et ample, attaque le métal qui sous l'effet du souffle chaud et humide prend une couleur rouille. Elle s'attarde sur l'aspect grenu et boursoufflé qui déforme le tranchant du métal...
- Tu veux l'empêcher de nuire ? Tu crois vraiment qu'on peut l'empêcher de grandir ? Regarde déjà quelle place il prend ici ? Crois-tu que les aelisséens laisseront un enfant abandonné se trainer blessé à leurs pieds ? Mais pourquoi ne pas l'avoir arrêté hier alors ? Pourquoi avoir attendu toute cette nuit ? Pourquoi l'avoir laissé partir ?
Smirtnoff soupire.
-Parce que j'tais fatigué.
Il enfile son manteau long et s'avance vers la porte, prêt à sortir.
Cassiopée regarde alors ses mains. Elle semble y voir les fluides qui les parcourent et qu'elle rappelle en elle comme on range ses outils après l'usage.
- Je t'accompagne.
Alors qu'elle s'apprête à passer la porte, elle s'enveloppe d'un voile sombre qui recouvre jusqu'à ses cheveux.
Il ouvre la porte et la garde ouverte le temps que la nymphe le rejoigne sans dire mot. Il ne parvient pas à s'inquiéter à propos de cette situation. Il ne parvient pas à craindre le concept qu'il se fait de Gregovi ou à le haïr. Sans savoir si il est en train de prendre de sages décisions ou de perdre la raison il se rassure quand même du fait que l'absence de peur conservera son esprit froid lorsque le danger se montrera.

La fenêtr de Gregovi se trouve au premier étage d'un bâtiment qui n'en comporte que 2. Situé au fond d'une impasse, la partie avant de l'hôpital donne sur une large place avec une fontaine en son centre. En plein jour, l'endroit serait brillamment illuminé. L'autre face donne sur une petit jardin attenant à l'hôpital, pour que ceux qui ont besoin d'une convalescence plus longue puissent sortir. A cette heure de la nuit, tout est calme. Mis à part le vampire, il n'y a que 6 autres patients actuellement, dont un seul demande une surveillance continue. Les autres se remettent des soins reçus avant de repartir le lendemain matin.

La dame turquoise revient environ une vingtaine de minute après son départ, poussant un chariot contenant assez de viande pour satisfaire 3 adolescents en pleine croissance et une grande carafe d'eau pure. Le tout fait peu de bruit, comme il convient dans un endroit dédié au repos. Grendelor pousse la porte et trouve Gregovi dans son lit, perdu dans ses pensées, les traits encore tirés.

Voilà ce que j'ai pu trouver. Nos réserves ne sont pas énormes, fit-elle doucement.

Le chariot pivote pour placer le plat devant le vampire, lui permettant de manger sans se lever du lit. La masse de viande fait un peu incongrue à côté de l'assiette et de la taille de Gregovi. Avant de le laisser se rassasier, la guérisseuse s'asseoit et pose une main sur le front de l'enfant et il peut sentir son esprit parcourir son corps pour se lover au niveau de ses blessures. L'examen ne dure qu'une dizaine de secondes. Ensuite il la sent évaluer le reste de ses forces, sans que l'impression ne soit invasive alors même qu'elle pénètre profondément dans les différents systèmes de son corps. Le toucher reste léger et bizarrement emprunt d'une certaine chaleur. Grendelor ne dit rien pendant ce temps et ses yeux se sont fermés. Elle respire lentement, complètement concentrée sur ce qu'elle fait. Au bout d'à peine une minute, son regard bleu s'ouvre à nouveau et se pose sur le visage de Gregovi. Un sourire fait son apparition.

Tu devrais pouvoir sortir demain si tu le souhaites. Tu as encore besoin de repos, mais si tu te montres raisonnable pendant... 2 à 3 jours je dirais, tout devrait être revenu à la normale. Maintenant, si tu le veux, tu peux rester ici pour finir ta convalescence. Comme je te l'ai dit, il y a peu de patients, ce n'est donc pas un problème.

Elle se lève.

Bon je te laisse tranquille. Je suis dans le couloir si tu as besoin de moi.

Lorsque la dame turquoise se penche sur lui et frôle son front d'une main tiède, l'enfant baisse la tête sur lui-même et semble suivre des yeux la localisation de la pensée qui le parcourt. Même si la connaissance de la magie fait partie des cultures de sa race, la pratique n'en est pas. A son âge on ne s'étonne plus de rien cependant, et il participait placidement aux étranges soins. Lorsque Grendelor ouvre les yeux elle en trouve deux autres posés sur les siens, le visage du garçon est lisse, empreint d'une curiosité placide et se demandant si son scanning de chair peut autant scanner la pensée.

Tu devrais pouvoir sortir demain si tu le souhaites. Tu as encore besoin de repos, mais si tu te montres raisonnable pendant... 2 à 3 jours je dirais, tout devrait être revenu à la normale. Maintenant, si tu le veux, tu peux rester ici pour finir ta convalescence. Comme je te l'ai dit, il y a peu de patients, ce n'est donc pas un problème.

Il esquisse un sourire pour répondre au sien, les coins de sa bouche plissés, sur quoi la dame se lève.


Bon je te laisse tranquille. Je suis dans le couloir si tu as besoin de moi.

Le petit vampire s'assied sur le lit pour faire face à la nourriture et hoche la tête pour remercier sa guérisseuse:
-Je serai raisonnable. Merci.

Lorsqu'elle est sorti de la pièce il allonge ses bras étroits vers la table pour se servir un verre d'eau fraîche et se désaltère, avant de se mettre à la viande avec appétit, qu'il débite morceau par morceau et engloutit presque sans prendre le temps de mâcher. Il avale comme ça une quantité humainement raisonnable de nourriture, puis il se recouche et somnole pendant une petite heure. Après quoi il se ré-installe pour manger le reste à un rythme plus posé et mesuré, en prenant le temps de mastiquer et de bien diviser les morceaux. Il termine de cette façon, mais de longues heures passent avant que la table ne soit vide et qu'il lèche le sang froid mijotant dans le fond du carton. Lorsque c'est fait il se recouche et s'endort profondément, sentant déjà les os de son corps bourdonner et les muscles tirer, et au fond de ses jambes les courbatures effroyables qui accompagnent une croissance accélérée.

Gregovi est resté couché toute la nuit mais il n'a pas dormi. Depuis la veille son corps lui fait souffrir le martyr. Il a grandit de plusieurs centimètres en quelques heures seulement et tous ses os sont en ébullition, les articulations lui tirent les muscles dans toutes les directions, tout lui fait mal en même temps et sans interruption. Il est donc étendu sur son lit d'accueil et patiente courageusement, serrant et desserrant les poings, pliant et dépliant les jambes mécaniquement pour se donner l'illusion de se soulager, mais il aide surtout les tissus à se dénouer. Il est couvert de sueur comme souffrant d'une terrible fièvre mais celle-ci se trouve dans son corps entier. Le douloureux processus a ralentit en fin de nuit lorsqu'il a épuisé toutes ses calories et la fièvre musculaire diminue.
Lorsque le jour dépose sur lui un bleu fragile, Gregovi a l'aspect d'un garçon de presque seize ans, les joues creuses et les épaules s'élargissant, ses cheveux aussi ont poussé.

Smirtnoff et Cassiopée passent les portes tournantes de l'entrée et s'approchent de l'accueil. Un galvornois fainéant est assis au comptoir, vêtu n'importe comment de n'importe quoi et les cheveux long en bataille, il retire ses écouteurs pour saluer les Maudits Compères sans les avoir tout à fait reconnus:
-J'puis vous aider en quelque chose?
-Une annonce nationale à faire passer.Un avis de recherche. Mesure de sécurité.
-Oh. Heu...
Le jeune concierge semble déstabilisé un moment, émergeant sans vraiment le vouloir de sa torpeur musicale.
-Oui?
-Une annonce?
-Oui.
Smirtnoff tape sur le comptoir sèchement:
-On se réveille, hop hop hop. C'est une urgence.
Le jeune homme sursaute et un de ses écouteur dégringole de ses cheveux:
-Heu, oui, ok. C'est...
Il saisit mollement un téléphone et s'entretient avec les gens d'en-haut:
-Une annonce à donner... Heu... Vous êtes?
-Smirtnoff.
-Mr Smirtnoff... Oui. Ok.
Il raccroche et se lève avec une soudaine précipitamment pour leur montrer la route à prendre, exécutant une révérence polie à Cassiopée qu'il reconnait aussi de suite.
-L'ascenseur ne marche plus, l'escalier se trouve au bout à droite. C'est au 4e, troisième porte à droite.
-Merci.
-Mes excuses.
Il s'en retourne à son bureau d'une démarche nonchalante et maladroite, chamboulé par tant d'activité. Smirtnoff rejoint l'escalier et monte les étages suivis de sa compagne, ils arrivent à une porte sale décorée d'un panneau (une feuille d'imprimante) où il est écrit à la main: "4e pour les annonces, publique, journal parlé". Ils entrent et découvrent un couloir étroit, aux murs donc le papier peint blanc a jaunis, recouvert de bouquets de post-it colorés à écriture rageuse. La moquette au sol est d'une couleur indéfinie et de toute façon elle disparait sous un amoncellement impressionnant de papiers, de boîtes contenant des papiers et de gobelets de café vides.
Une forte odeur de cigarette règne sur les lieux. Ils enjambent les cartons et les tapis de photocopies et s'introduisent dans la troisième porte à droite, qui contient un studio plutôt bien équipé et deux personnes à l'air blasé.
Smirtnoff regarde les deux acolytes:
-C'est bien ici pour l'annonce?
Le mec le plus proche lève un gobelet vers le vampire sans ôter son cul de sa chaise:
-Café latté?
-Je vous demande pardon?
-Je vous ai proposé un café.
Smirtnoff croise les bras derrière son dos avec lenteur et les regarde. Il détache les syllabes:
-Je vous demande une annonce. Pas un café. Si vos quatre fesses sont pas au travail dans cinq secondes il y a un très beau poste de tri de pages détachées aux bibliothèques de Wilwarin.

Dans la demi-heure suivante, avoisinant dix heures du matin, une brève annonce passe sur les chaînes radio de Ter Aelis: "Ceci est une annonce de la sécurité générale de Ter Aelis. Nous recherchons un individu étranger répondant au nom de Gregovi, vampire de l'Est ayant l'apparence d'un enfant d'une dizaine d'années, peau blanche, cheveux châtain très courts, yeux clairs. Il a été vu pour la dernière fois près du port de Galvorn, dans le quartier haut et il comportait plusieurs blessures aux mains. Si vous avez aperçu cet individu ou que vous savez où il se trouve, vous êtes prié de contacter ce numéro ..... Ou le bureau de gardiennage le plus proche."

Grendelor s'était endormie à son bureau et c'est la radio, allumée par l'infirmière de jour, qui l'avait réveillée.

"Ceci est une annonce de la sécurité générale de Ter Aelis. Nous recherchons un individu étranger répondant au nom de Gregovi, vampire de l'Est ayant l'apparence d'un enfant d'une dizaine d'années, peau blanche, cheveux châtain très courts, yeux clairs. Il a été vu pour la dernière fois près du port de Galvorn, dans le quartier haut et il comportait plusieurs blessures aux mains. Si vous avez aperçu cet individu ou que vous savez où il se trouve, vous êtes prié de contacter ce numéro ..... Ou le bureau de gardiennage le plus proche."

Bien qu'embrumée par une nuit trop courte et parsemée de soins, il ne lui fallut que quelques secondes pour se souvenir de son jeune malade. Cette annonce ne pouvait avoir que 2 raisons. Soit il avait commis un crime d'importance, ce qui semblait peut vraisemblable à l'esprit de la guérisseuse, soit quelqu'un s'inquiétait de lui.

S'étirant longuement, la dame turquoise se leva et rejoignit la chambre de Gregovi. Elle fut étonnée de la transformation qui s'était opérée pendant la nuit même si cela confirmait ce qu'elle avait senti pendant qu'elle le soignait : son corps était en phase de développement accéléré. Une fois de plus, elle regretta de ne pas en savoir plus sur cette race de vampires pour savoir si c'était un phénomène normal et si non qu'est-ce qui avait amené Gregovi à cet état là. Son regard bleu parcourut le corps adolescent qui était étendu sur le lit, épuisé par sa nuit. Grendelor ne dit rien et fit demi-tour, revenant quelques minutes plus tard avec un plat de viande fraiche et une tisane odorante.

Sinon tu ne tiendras pas sur tes jambes quand tu voudras te lever. La tisane te redonnera de l'énergie.

Ce fut sa seule explication. S'essayant sur le lit, elle le contempla à nouveau, pensive.

On ne te reconnaitrait plus. C'est peut être une bonne chose pour toi. Il semblerait que quelqu'un te cherche. Il y a eu une annonce à la radio. Soit tu es dans un pétrin sérieux, soit quelqu'un s'inquiète de toi. Dans un cas comme dans l'autre, il faut que je dise que je sais où tu es. Si tu veux partir, tu le peux et tant que tu te ménages tu ne seras pas en danger.

Sans attendre plus d'explication, la guérisseuse se leva et fit un sourire serein à Gregovi.

J'appellerais dans la matinée. Bonne chance si je ne te revois pas.

Quelques heures plus tard, Grendelor appelait au numéro fourni par la radio, expliquant qu'elle avait soigner le jeune vampire pendant la nuit et que quand elle était partie au matin il était encore là.