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| De la rouille et de l'aigreur | |
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Auteur | Message |
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Smirt Chromatique
Nombre de messages : 7821 Age : 35 Localisation : Dans ton dos avec un hamburger et un fusil. Date d'inscription : 01/03/2008
Personnages RP Pseudo: Vapor Pseudo : Smirtnoff/Gregovi Pseudo : George Abitbol
| Sujet: Re: De la rouille et de l'aigreur Dim 20 Fév - 9:53 | |
| Trois jours se sont écoulés depuis la démonstration de force dans le métro de Wilvarin. Trois jours durant lesquels Gregovi a croupi dans une cellule de commissariat. Etant denationalité étrangère, il réfute le pouvoir de la justice aélissienne sur lui. “Vous ne pouvez pas me juger”. Smirtnoff avait ordonné à la police de ne pas lui donner de nourriture, seulement de l'eau. Il revoit le visage septique de son représentant des forces de l'ordre. “-Rien du tout? -Il n'en mourra pas.” On avait monté un dossier et on lançait des recherches dans les docs pour retrouver de potentielles victimes. “Il y a de fortes raisons de croire que cet individu de catégorie B se soit nourri entre sa revenue à la vie et le moment où il a pour la première fois été aperçu sous forme enfantine. Cherchez un corps dévoré jusqu'à l'os. Un grand chien, un enfant... Fouillez tout Galvorn, retournez les poubelles, le dessous des quais, les égouts...” En ce moment même on remuait chaque parcelle de crasse de la banlieue. Smirtnoff, lui, noue sa cravate au-dessus d'un lavabo du commissariat de Wilvarin. Il est penché devant la glace, s'observant d'un œil absent et sombre. Le bleu très pâle de l'iris est ombré, pas plus visible malgré les cheveux ramenés en arrière par un coup de peigne humide. Le front dégagé n'éclaire pas son visage. Il ne veut pas être jugé. Il ne reconnaît pas Ter Aelis. Bien entendu. Il a le droit d'être jugé par ses semblables. Ses semblables. Une image lointaine et fade lui parvient, le coucher de soleil filtré par une raie de nuages bleu marine, une silhouette au bord de la mer, le vent salé sur la falaise. Un battement de cil, le bruit du gravier sous les pas et l'horizon vide, un corps disparu à jamais. Il n'avait pas regardé en bas, il n'avait pas osé. Il n'avait pas de preuve. Rien. Juste un bruit de course indistinct, peut-être un accident, peut-être un geste volontaire. L'incompréhession totale de cette scène d'absurdité dont la dernière pièce manquerait, flottant quelque part dans une dimension inexploitée, pour toujours, incomplète. Qu'importe? Smirtnoff regarde son reflet immobile et bancal. Je pensais que Ter Aelis m'avait guéri... Mais tu es toujours là. Hiver. Ma colère dort mais ne s'éteind pas. Au contraire. C'est elle qui lève mes genoux, qui dresse mes poings et mes pensées, qui lascère mes obstacles. Tu m'as forgé ainsi, et chaque pas que je fais est amère, narcissique, effrené, malade, arrogant et furieux. Rien ne pourra me satisfaire, rien ne pourra combler le gouffre qui m'habite. J'avance et tu es sur ma route. Ma haine est muette et sourde mais elle voit. Je ne sais pas pardonner. Je t'écraserai, puisque c'était ta leçon. Je te rouerai de coups et de mépris, t'étranglerai d'irrespect, couperai tes chevilles sur lesquelles tu reposes, afin que tu tombes nue et ridicule à mes pieds. -Tes voeux sont accordés. Tu seras jugé par tes semblables. Smirtnoff est surpris de s'entendre parler. Il remonte le col de fourrure fraîche qui frôle ses joues, secoue les épaules pour centrer son manteau et sort sans rien regarder.
Il entre dans la pièce aux bruissements du trousseau de clefs du gardien qui reste en arrière. Gregovi paraît petit assis sur la couchette, les joues creusées, une chemise trop petite pour ses os allongés. Smirtnoff ouvre les bras, la face inexpressive: -Je déclare à titre officiel cette cellule, Ambassade Hivernale. Il baisse les mains ensuite et ne dit rien, observant Gregovi qui le scrute en retour. Ce dernier demande: -Tu as le droit de faire ça? -J'ai tous les droits. Gregovi attend. Comme Smirtnoff ferme la porte à clef, il se redresse, pour le voir enfiler des gants blancs. Le maudit ne manque pas ses réactions et il voit que ce geste a attiré son attention. Le vampire a compris de quoi il s'agissait. Si cette cellule est un territoire vampirique, les lois le sont également. Gregovi lève le menton, les mains posées sur ses genoux comme un maître de maison devant un invité: -Serait-ce la raison de ma grève forcée de la faim? Tu ne prends pas trop de risque. Smirtnoff sourit: -Tu m'as enseigné les règles du jeu. -Et je t'ai disqualifié. -Pas vraiment... Je t'ai rendu tes dés truqués, et quitté la partie. Il allait répondre quelque chose, mais Smirtnoff le coupe poliement: -Ici, tu joues sur mon terrain, cher “semblable”. J'écris les règles et tu t'y plies. Tu n'as pas à ouvrir la bouche. Gregovi sourit à son tour mais son attitude princière s'est amollie. Il dit: -Ah oui... Ton royaume de petites gens. Toujours la même regaine. L'uni-jambiste est le roi des cul-de-jattes. -Des mots... De la salive. Smirtnoff marche lentement jusqu'à lui et un réflexe force Gregovi à se lever pour se mettre à hauteur. Leurs visages se font face. -Je t'ai dit... De tenir ta grande gueule fermée... Gregovi l'observe avec intensité, silencieux pendant quelques secondes, puis étire dans ses joues amaigries un sourire à la fois chaleureux et railleur: -Mon petit... Smirtnoff. Tu as gagné en éloquence, je te l'accorde. Tu as également pris du poids, mais pas dans le sens que tu voudrais croire. Je ne suis pas celui qu'il faut mettre au régime ici, au contraire. La balle renvoyée, il recule de quelques pas pour s'asseoir sur sa couchette aux draps troués, le visage débarassé de toute appréhenssion sous le regard de son supérieur hiérarchique supposé. -Tu te fiches de mourir. -Je suis déjà mort. (haussement d'épaules) Oui. -Et tu te fiches de souffrir de la faim. -On m'a déjà privé de nourriture par le passé. J'ai survécu 12 ans ainsi. Smirtnoff lui jette un coup d'oeil, agacé d'apprendre quelque chose de la bouche d'un professeur qu'il pensait pouvoir forcer à la retraite. Mais il renvoie la balle sans s'interrompre. -Le ferais-tu encore? -Je n'en suis pas sûr. Mais je sais une chose. Tu n'y arriverais pas. Tu n'as pas ce qu'il faut pour faire souffrir. -Tu veux dire plutôt que j'ai ce qu'il faut que tu n'as pas pour ne pas vouloir faire souffrir autrui. Gregovi sourit en coin mais ne répond pas. Smirtnoff croise les bras en attendant. -Tu es mal placé pour me prétendre incomplet. -Nous ne manquons pas des mêmes choses. Si je manque d'assurance, tu manques de tout. -Voyons cela. -Oui, voyons cela. Je ne vois aucune raison sensée pour que tu veuilles me supprimer. La Ville d'Hiver n'a jamais voulu de moi, elle ne me manque pas non plus, et je ne m'y trouve plus. Il lève les mains à l'horizontale en attendant l'explication du mystère, Gregovi lui répond: -On entend parler de toi. -Ah. Un élément nouveau. -S'il n'y a pas besoin de ta présence physique, il n'y a pas non plus besoin de ta réputation. -Ma réputation. Mais tu vois, c'est là que je ne comprends pas bien. Tu parles de ma réputation, mais j'ai un autre nom, je ne mentionne strictement pas mes origines. Je ne vous ressemble même pas. Cassiopée n'a jamais entendu parler de toi avant que nous te voyions surgir. Alors dis-moi, explique-moi QUI s'en fait tant à mon propos? Au point de m'avoir tracé jusqu'ici parce que je ne crois pas un mot de la réputation dont tu parles, bien entendu. Gregovi ne répond pas. -Bizarrement j'y ai pensé, en m'installant ici. J'ai pensé à toi. Je me suis demandé si tu pouvais connaître un endroit comme celui-ci, où il est si aisé de s'épanouir en comparaison à l'Hiver, à la ville que toi, tu ne semblais pas plus aimer -je sais que tu ne t'y plaisais pas, ne fais pas cette tête-là- Tu n'aimes pas la ville d'Hiver mais tu ne pouvais pas la quitter. Tu étais gardien. Tu as beau posséder les clefs de la serrure mais tu demeures, toi aussi, dans la prison. Tu as cru que j'étais condamné à rester mais je suis parti et je suis libre, et tu es prisonnier, dans tous les sens du terme. Le visage de Gregovi, qui n'exprimait rien jusqu'à la fin de ce discours, s'étire. Les coins de sa bouche se relèvent sans qu'il n'en résulte un sourire, une ombre efface son regard: -Je ne suis pas prisonnier. Tu vois, je suis là, tu es ici... Disant cela, il pose une main sur l'épaule massive du bâtard, puis sur sa joue graisseuse. La délicatesse de ses doigts est abrutissante, le geste fragile d'une compassion infiniment déplacée. -Smirtnoff, tu n'es parti que pour mieux me retrouver. Les mots qu'il prononce ensuite, sans voix, ne sont pas entendus. Un silence dénué d'yeux les enveloppe quelques secondes. Puis Smirtnoff saisit Gregovi sous le menton, sa main large autour du cou rétréci par le jeûne. De l'autre, il force ses doigts alignés entre deux côtes de la cage thoracique de Gregovi, transperçant douloureusement les cartilages trop durs, ouvrant la plèvre jusqu'à trouer le tissu visqueux. Une tièdeur insistance a ganté sa main et s'enfuit le long de son avant-bras. Les articulateurs de ses doigts le lancent immédiatement mais la température amortit et endort sa douleur, tant qu'il ne préfère pas se presser de se retirer de ce corps étranger. Lorsqu'il se décide à le faire et qu'il relâche sa prise autour de la nuque de Gregovi, ce dernier fléchit les genoux et bascule en arrière silencieusement, les talons enfouis sous ses cuisses dans une position que sa souplesse ferait presque paraître confortable. Son corps léger n'éveille aucun bruit en rencontrant le sol bitumé de la cellule. | |
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| Sujet: Re: De la rouille et de l'aigreur Sam 3 Déc - 4:42 | |
| Gregovi n'est pas mort. Le sang s'échappe de sa blessure, roulant sur sa poitrine en quelques secousses semblables aux traits nerveux d'un grand pinceau, absorbé comme l'aquarelle par la chemise claire qui s'en imbibe et se fonce. Son poumon déchiré se déverse de l'intérieur et la douleur vive des noyés tire son visage.
Smirtnoff s'assied pesamment à son côté, la main toujours ensanglantée levée devant lui, qu'il pose amicalement sur la poitrine percée devant lui et qu'une quinte de toux se met à brutaliser. De l'autre main, dont il s'appuyait par terre avant de la remplacer par un genou, il approche la blessure cammoufflée dans les pourpres et les rouges vifs de la chemise teintée qu'il arrache d'un geste brusque. Se penchant ensuite il enfuit la main droite dans la blessure, ce à quoi Gregovi réagit avec vivacité, envoyant les deux bras à l'encontre du buste adverse. Les doigts se glissent sous la peau, cherchant brièvement prise, il ferme le poing sur le tissu élastique et le soulève ensuite avec force comme il a fait pour la chemise et soulevant le corps avec. Le bruit de déchirure est identique et l'épiderme divorcé de ses chairs découvre d'autres membranes lacérées au fur et à mesure du geste, trop peu de tissus graisseux et une forêt de réseaux capillaires dénudés. Le manteau transparant se sépare en deux lambeaux qui se replient immédiatement sous leur propre élasticité et Smirtnoff se rabat sur le plus court, qu'il arrache de l'autre côté. Gregovi, ravivé par la douleur intense du déshabillage, ne lui facilite pas la tâche et la manoeuvre les recouvre du sang répandu par les mains et les coude. Enfin Gregovi se tient presque tranquille, suffoquant dans une direction détournée de la scène et ses membres immobilisés par des tremblements spasmodiques. Smirtnoff, toujours penché au-dessus de lui, observe sans sourciller le morceau de peau froissé dans le creux de sa main. L'approchant avec lenteur de son visage, il pousse le trophée décoloré et visqueux dans sa bouche et mâche sans appétit avant de déglutir. Son visage demeure en suspens dans le vide quelques instants, clos hérmétiquement, sa lèvre inférieure tachée d'un sang dilué dans ses sécrétions sous-cutanées.
Une dizaine de minutes se succèdent avant que la pâleur de Gregovi ne rivalise avec celle du bitume. L'inondation sanguine dans son poumon droit a remonté le long de ses bronches et envahi le gauche. Il ne respire pratiquement plus lorsque que sa toux extrait de sa trachée une sombre quantité d'hémoglobine déversée par sa bouche et son nez. Son diaphragme n'expire que du liquide et redescend avec difficulté sous sa paroie abdominale affaiblie, puis n'en remonte plus. L'hémorragie l'a tué en même temps que l'absence d'oxygène dans ses bronchioles saturées, toutes colorées d'un rouge acide. La douleur n'était pas descriptible.
Une heure passe avant que le gardien de cellule ne toque à la porte. Smirtnoff se redresse en lui lançant de ne pas ouvrir la porte. Il demande humblement quelques heures supplémentaires pour terminer son interrogatoire.
Lorsqu'il a terminé, il ne reste plus grand chose de Gregovi. Sa dépouille est éparpillée dans tous les coins de la cellule comme sur un plat en sauce, ses côtes emballées dans leur cartilage forment une cage désormais creuse et fumante, sa trachée en sortant par le haut comme un tube au-dessus des vertèbres cervicales aux touffes de nerfs dépassantes. Son scalpe gît sous la couchette, à côté de son crâne paqueté d'une pièce par ses tendons roses et blancs, les orbites pleines fermées de ses paupières aux cils collés par le sang noir et sec depuis longtemps. Smirtnoff se débarbouille les mains et le visage sous le robinet minuscule. Il se défait de sa veste et la plie sous son bras et par chance, le sang s'y voit peut même si l'odeur métallique, poignante, prend à la gorge.
Quittant la pièce, il ferme la porte sans un regard derrière lui et conseille le géôlier de laisser le suspet reposer avant d'aller le déranger. -Je reviendrai plus tard. -Bien monsieur. Gregovi quitte le commissariat de la sorte.
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| Sujet: Re: De la rouille et de l'aigreur Ven 28 Déc - 21:29 | |
| Smirtnoff-Gregovi quitte la prison de Wilvarin sans se presser, traverse les limites de la cité flottante par les transports publiques. Il se dirige sans penser, guidé par le bout de ses chaussures d'abord sur le bitume, puis sur le bois laqué d'un métro à vapeur. Bientôt le cuir usé superpose des pierres froides ensablées de la digue puis s'enfonce en chuchotant dans le sable humide caressé par l'écume. Il semble à Smirtnoff qu'un vent glacial le repousse en s'engouffrant sous son manteau, que le ciel couvert décolore l'univers silencieux à ses pieds. Mais lorsqu'il lève le menton pour découvrir l'horizon, une étoile aveuglante barre le ciel. C'est le soleil. Il ne distingue aucune couleur et sourit en réalisant que la lumière brûlante ne lui fait rien, pas même plisser les yeux. Il ne sent pas l'eau froide traverser le tissu intérieur de ses chaussures pour empoigner ses chevilles. Les langues glacées autour de sa taille et le long de ses jambes ne le font ni frissonner ni ralentir. Sa main gauche perd toute sensation lorsqu'il caresse la surface ondulante et grise. Il pose les yeux dessus en la soulevant et observe sa palme s'assombrir et tomber comme de la poudre épaisse, se mélanger à l'eau pour se désintégrer. Curieuse recette. Sa main disparaît entièrement. Ses pieds amollis trébuchent ou s'enfoncent, il ne sait pas trop. Mais le niveau de l'eau le rattrape jusqu'au menton et colle ses cheveux sous ses oreilles. Les vaguelettes touchent et gouttent, presqu'en silence, normalité. C'est ici que son cœur l'a mené, ou l'appelait, laissé derrière il y a bien longtemps. Sa poitrine s'immobilise sans heurt, ses paupières posent sur ses pommettes ses sourcils noirs salés.
Le manteau flotte un moment sous la surface comme une grande algue indifférente. | |
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| Sujet: Re: De la rouille et de l'aigreur | |
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