La salle d'attente
Ca fait un moment que j'attend. J'en ai vu passer des gens ici. Mais moi j'attend encore. Ce n'est jamais moi qu'on appelle.
Je suis enfermé dans ce bocal carré, de teinte grise. Je connais chaque recoin de cette pièce. Sans aucune disparité, tout est géométrique.
Cette pièce est vide. Vide de sens. Vide de vie.
On ne parle jamais. On ne fait qu'attendre, en silence.
Deux rangées de chaises se font face où nous pouvons nous asseoir quand on est destiné à une longue attente.
Je suis le premier arrivé, comme toujours.
En face de moi se trouvent une petite fille et sa mère. L'enfant sert fort contre elle son doudou tout déchiqueté. Elle semble figée.
Etrangement sa mère n'est pas assise juste à ses côtés, une chaise les sépare. Elle, a les yeux dans le vague et est agitée de temps en temps de soubresauts.
Toutes les deux ont l'air d'être en état de choc. Elles ont eu un accident c'est certain. La petite fille saigne à hauteur du ventre, son doudou fait office de compresse. La mère est touchée à la tête.
Je veux les aider, m'insurger de leur état, appeler les urgences mais je reste immobile, sans voix. Soudain la porte s'ouvre. Personne n'a appelé mais l'enfant et la femme se dirigent vers l'issue et disparaissent derrière la porte.
C'est comme si rien ne s'était passé. Leurs chaises ne portent aucune trace de sang.
Je suis interrompu dans mes réflexions par un toussottement. Il vient de ma droite.
Je regarde sur le côté et m'aperçoit qu'il y a une vieille à deux chaises de moi.
Le silence ambiant est alors saccadé toutes les vingt secondes de ce bruit rauque, ce raclement de gorge.
Elle porte les stigmates de l'âge. Elle est comme figée dans ses traits. Elle est dégradée.
La porte s'ouvre à nouveau. Aucun appel. Cependant elle se lève. Je perd toute patience et me lève aussitôt. Elle m'arrête d'un geste de la main et me jette un regard lourd de sens. Elle me freine dans mon élan.
" Tu n'es pas pressé. Pas pressé de mourir". j'en reste coi. Elle n'a rien dit mais j'ai compris ceci. Elle disparait alors à son tour derrière la porte.
Je suis abasourdi dans ce silence plombant.
Je me sens chavirer, la pièce devient trouble.
je me réveille. J'ai quitté la pièce. J'ai du être pris. Je ne vais plus attendre. Je suis couché dans un lit, dans une salle aux murs blancs. Comme dans une chambre d'hôpital.
J'ai du mal à ouvrir les yeux, la lumière m'aveugle. J'ai la gorge sèche.
La femme présente dans la pièce se précipite au dehors.
" Docteur Lambert, il s'est réveillé!"
Du son. Ses lèvres ont bougés et je l'ai entendu parler.
Je ne comprend pas ce qui se passe, où est passé la salle d'attente.
Petit à petit les souvenirs de la salle s'effacent, je n'arrive plus à m'en rappeler. Elle m'échappe.
Un homme brun, de fort gabarit en blouse rentre dans ma chambre. Il commence à parler. Le son est toujours là. Je vois ses lèvres mouvoir mais ne m'arrête qu'à cette phrase:
"Jérémy, vous êtes sortis du coma".