AccueilBlogDernières imagesRechercherS'enregistrerConnexion
Le Deal du moment : -20%
Drone Dji DJI Mini 4K (EU)
Voir le deal
239 €

 

 La guerre des Confins

Aller en bas 
AuteurMessage
De Vaanne
Rôliste
De Vaanne


Masculin Nombre de messages : 795
Age : 37
Date d'inscription : 25/08/2009

Personnages RP
Pseudo:
Pseudo :
Pseudo :

La guerre des Confins - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: La guerre des Confins   La guerre des Confins - Page 2 Icon_minitimeMar 5 Jan - 18:47

The end. Enjoy (pour ceux qui auront supporté jusqu'au bout :p)





La guerre des Confins - Page 2 Chapitre13forslhonneur






- Vaïry, tu es sûr que tu ne l’as pas tué ? Il ne semble pas en forme. Enfin, je veux dire… Avant l’injection, il se tordait de douleur, mais au moins il bougeait…

- J’en suis sûr. Même s’il mourait, il ne résisterait pas à l’envie de nous le faire savoir.

Au travers de l’épaisseur ouatée qui l’isolait et dans laquelle il flottait, oublieux du monde extérieur, l’amiral Silvestri entendit quelque chose qu’il interpréta comme étant un fou rire inextinguible, sans doute le contrecoup de l’intense stress qui les avait tous saisis. Il s’accrocha à ce son et le suivit jusqu’à sa source, jusqu’à une réalité fort peu accueillante et dans laquelle son épaule droite était réduite à l’état de charpie sanguinolente.
Il ne la sentait plus, heureusement. Il ne sentait plus grand chose, d’ailleurs. Il sentait qu’il devait avoir abominablement mal, mais cette sensation ne parvenait pas à s’infiltrer jusqu’à son cerveau. Tout son esprit était tendu vers ce rire qui ne semblait pouvoir s’arrêter. Il ouvrit finalement des yeux embrumés de larmes et aperçut autour de lui ce qui restait des tacticiens et du personnel de la passerelle. Ceux-ci avaient l’air tour à tour inquiets pour lui et réprobateurs envers le jeune enseigne qui se tenait les côtes, adossé au mur.
Il émit un vague grommellement qui braqua tous les regards sur lui et fit taire le jeune impertinent aussi sûrement qu’un coup de poing en pleine figure. Celui-ci se redressa, l’air gêné, et réajusta son uniforme. Silvestri le foudroya du regard, pour autant que faire se pouvait dans son état.


- Je devrais vous crucifier pour vous montrer dans un état indigne d’un officier, haleta-t-il, mais au vu des circonstances, je pense pouvoir faire une exception.

- Merci amiral.

- Nous allons vous transporter à l’infirmerie du vaisseau. Pensez-vous pouvoir supporter le transport ?

- Pas… question ! Foncez à la passerelle secondaire et emmenez-moi avec vous. Exécution ! gronda Silvestri quand il vit que ses subordonnés hésitaient. Je n’abandonnerai pas mon poste avant d’être mort et enterré !

- Dans votre état, ce serait plus qu’imprudent… osa quelqu’un.

Un nouveau regard noir le dissuada de continuer. Comme aucune civière n’était disponible dans les environs immédiats, les officiers firent de leurs vestes un brancard artisanal et transportèrent l’amiral de la superstructure qui abritait le poste de commandement principal vers l’intérieur du vaisseau où l’on avait lors de la construction ajouté une passerelle secondaire, « au cas où ».
Autant la passerelle principale était pratique, vaste et accueillante, autant la passerelle secondaire n’était qu’une tumeur maligne, une excroissance qui s’était développée entre plusieurs réseaux de conduites diverses, en bref une petite salle mal fichue dans laquelle il était impossible de faire un mouvement sans gêner son voisin. Seul le fauteuil de commandement disposait de son petit no man’s land personnel, au grand soulagement de Silvestri. Les hommes l’y installèrent précautionneusement avant de se jeter à leur poste, avides de retrouver une certaine prise sur les évènements extérieurs. L’air s’emplit bientôt d’informations prononcées par des visages concentrés.


- On a un peu dérivé. Je replace la baille dans la ligne.

- Les groupes de destroyers demandent des ordres. Qu’est-ce que je leur dis ?

- Je n’ai aucune cible à bonne portée. Vaïry, tu ne pourrais pas plutôt te déplacer de quelques degrés vers tribord ?

- Amiral, je nous déporte vers tribord ?

- Faites. Aux destroyers, dites leur de patienter encore un moment et qu’ils restent sur leurs positions. Passez moi Sajima.

Par manque de place, aucun dispositif holographique n’avait été installé sur cette passerelle. Seule la voix hachée du commodore permit donc de dire qu’il était à l’écoute.

- Qu’y a-t-il, amiral ? Que s’est-il passé ?

- La passerelle a été prise d’assaut. Taisez-vous et écoutez-moi attentivement, ajouta Silvestri en coupant court à une exclamation. J’ai été blessé et je ne suis plus ni mentalement ni physiquement en état de diriger tout mon groupe. Vous prenez le commandement, je garde mes unités proches. Vous m’entendez, Sajima ?

- Je digérais l’information. Très bien amiral. Y a-t-il autre chose ?

- Oui. Que s’est-il passé avec Aelfwidh ? J’ai cru entendre qu’il avait un problème.

- Plus qu’un problème, amiral. Son vaisseau a subi les mêmes assauts que vous, mais les agresseurs ont eu le temps de faire surchauffer la propulsion. Le Jormundgand s’est désintégré.

- Misère… Qui a pris les rênes du groupe ?

- Le contre-amiral Varésian, du Berwick. Vous le connaissez je crois.

- En effet. Un enquiquineur de première catégorie mais diablement bon officier. Il sauvera les meubles. Enfin, j’espère, ajouta Silvestri in petto.

- Amiral, vous avez un amas d’Ehlermanniens droit devant vous. Vos unités pourraient-elles les contourner par la droite pour tenter un encerclement ? dit Sajima, visiblement mal à l’aise dans son rôle de supérieur d’un amiral à étoile d’or.

Silvestri fit signe à ses hommes d’obtempérer. Il se sentait soudainement très, très las. Le Jormundgand était un cuirassé neuf et il avait coûté une somme astronomique qui avait avec, celle de ses sister-ships gravement amputé le budget de la marine durant les cinq années de sa construction. C’était une perte irréparable pour les Confins.

- La situation générale ? demanda-t-il faiblement.

- On a vu pire, amiral. Le centre tient. Et, bonne nouvelle, Notre Dame des Punitions a fini de ravager sa cible, ou peu s’en faut.

- La diversion, vous voulez dire ? Décidément, toute cette opération n’aura été qu’une vaste plaisanterie. J’aimerais quelques destroyers en écran en face de moi, avec des groupes de frégates en bouche-trou, s’il nous en reste.

- Nous avons perdu quelques groupes, mais il devrait en rester assez. Leurs ordres ?

- Encerclement par la droite du groupe ennemi, avancée, pas de quartiers, pas d’arrêts. Autorisation de venir s’abriter derrière nous ou un croiseur en cas d’avarie lourde. Il nous en reste, au fait ?

- Dans notre groupe restreint, avec la perte du Ravennes, et le K’enss’iil qui a du baisser pavillon, il ne nous reste que le Rhéan.

- Cela suffira. Notre rôle, à nous du Jotunheim, est de trouver un cuirassé ennemi et de s’y accrocher jusqu’à ce que mort s’ensuive. La sienne bien entendu.

Même s’il était affaibli de l’intérieur, même s’il était complètement cabossé, même s’il n’était plus que le reflet du fier vaisseau éclatant de la couleur des armoiries de Silvestri du début de la bataille, le Jotunheim était encore un ennemi mortel, une machine parfaitement entraînée et que même la nouvelle de ce qui était arrivé à son amiral ne pouvait détourner de sa tâche. En cette journée, son équipage mérita tous les honneurs, et plus encore. Partout où l’imposant cuirassé se déplaçait, l’espace se chargeait d’épaves carbonisées. Partout où il se trouvait, l’espace grouillait des petites frégates et des honorables destroyers, qui, en groupes, lui assuraient une protection rapprochée, tels des sycophantes auprès d’un monarque.
Pourtant, aussi majestueux qu’il fût, il n’était pas à l’abri de toutes les injures, et les heures de bataille pesèrent lourdement sur son intégrité physique. Eut-il été humain, on l’aurait qualifié de tavelé : de nombreuses plaques de blindage avaient été perdues et la chaleur des tirs laser qu’il avait endurés avait fait disparaître en grande partie l’immense blason qui recouvrait ses flancs. Il se traînait d’un point à un autre beaucoup plus péniblement : des torpilles chanceuses avaient incapacité une partie de ses tuyères, et il ne pouvait plus faire donner la totalité de la puissance de ses moteurs.
Cela avait cependant payé : au centre de la bataille, la conjonction des talents tactiques de Sajima et de Von Raukov avait rempli toutes les attentes et les Ehlermanniens, débordés, ne savaient plus à quel saint se vouer. L’Incarnadine avait, semblait-il, passé son temps à virevolter d’un point à l’autre de son groupe, toujours là où il fallait, au mépris des règles de sécurité et des nerfs des officiers de propulsion qui voyaient la puissance délivrée par les moteurs rester toujours quelques minuscules mesures d’instruments en deçà de ce que le navire était mécaniquement capable de supporter… Les vaisseaux de la Guilde, s’ils n’étaient pas des foudres de guerre, remplissaient honorablement leur rôle d’enclume. Sur ce théâtre, les Confins semblaient en passe d’emporter la décision.
Ce qui n’était pas le cas sur les flancs : malgré ses indéniables talents de meneur d’hommes, Varésian n’était pas un tacticien et, s’il sauvait la majorité des meubles, il en perdait régulièrement une partie face à un adversaire plus talentueux que lui. Sur la droite, du côté du Coriolan, la situation était beaucoup plus confuse. Delervis, fidèle à son habitude, avait laissé la bride sur le cou de ses capitaines et s’était contenté de se servir de son cuirassé comme d’une plate forme d’artillerie, immobile au milieu de ses unités. Il avait négligé plusieurs occasions de mouvement qui auraient fait pencher la balance en sa faveur pour se contenter d’un spectaculaire pilonnage assez inefficace en pratique.


- Nous nous en sortons mieux que je ne l’aurais pensé, dit Silvestri, désormais plus blanc que son pantalon d’uniforme. Virez légèrement à tribord et élevez-nous de 15°. Un instant, suspendez cet ordre… Qu’y a-t-il, Sajima ?

- Je pense que le temps est venu pour changer de méthode. Le centre est maintenant bien implanté. Nous allons partir côté bâbord et Von Raukov côté tribord pour prendre par l’arrière les forces qui s’opposent à Varésian et Delervis. Abandonnez les actions dirigées sur une cible particulière et commencez immédiatement la manœuvre. Bien entendu, ajouta-t-il, et l’on imaginait aisément le sourire qui devait éclairer son visage, je ne peux en conscience vous interdire de pilonner tout imbécile qui prendrait le risque de passer à votre portée.

- Votre bonté vous perdra, vraiment… Passerelle, annulez l’ordre précédent : demi-tour, aidons Varésian !

- Barre à 180°, passage en avant du Berwick, bien reçu amiral.

- Très en avant, le but est d’envelopper l’ennemi, mais pas trop car il nous faudrait trois jours pour en terminer. Vous voyez ce que je veux dire, j’espère, dit Silvestri, l’air fatigué.

- Bien sûr, amiral. Si nous ne comprenions pas au quart de tour, vous nous auriez débarqués depuis longtemps.

- Combien j’espère que l’on pourra faire effectivement quelque chose de vous. Rien n’est encore perdu…

De son train nouvellement acquis de sénateur, le Jotunheim vira pesamment et entama le long trajet qui l’amènerait à s’encastrer dans l’arrière mal défendu de la formation ennemie. Du moins en théorie, l’adversaire n’étant jamais assez fair play pour se laisser pilonner sans réagir. Celui-ci réagit donc avec une louable promptitude qui ne laissa pas d’exaspérer la plupart des soldats des Confins qui attendaient avec délectation une séance improvisée de tir au pigeon. Silvestri vit, lui, au-delà de l’entraînement et de la rapidité de la réaction de l’amiral d’Ehlermann. Il vit que celui-ci avait formé l’équivalent spatial du dernier carré, rassemblant toutes ses unités dans une petite portion de l’espace de façon à ne laisser aucun angle mort. Son principal défaut, rédhibitoire aux yeux de Silvestri, tenait dans l’issue de l’adoption d’une telle formation : un amiral qui s’y résolvait partait battu. On ne pouvait, de cette façon, vaincre mais seulement s’arc-bouter sur une défense qui finirait tôt ou tard par céder : on était spectateur de sa propre défaite. L’Ehlermannien pensait donc n’avoir aucune chance de gagner, mais il espérait emporter le plus grand nombre possible d’ennemis avec lui.

- Mettez en panne à la limite de portée et attendez les ordres de Sajima. Il serait idiot de nous jeter contre eux en ordre dispersé.

Le personnel de la passerelle lui jeta un coup d’œil discret mais effaré : vu les avaries du Jotunheim, il paraissait évident qu’il serait, et de loin, le dernier à rejoindre son poste. L’ordre leur apparaissait donc superflu et, pour la première fois, ils avaient une preuve que les blessures de Silvestri avaient au moins partiellement affecté son jugement. Celui-ci semblait n’avoir pas remarqué ce que sa remarque pouvait avoir d’inquiétant et fixait intensément les divers affichages qui défilaient devant lui.
De trop longues minutes plus tard, le vaisseau atteignit enfin son poste et Sajima donna immédiatement l’ordre d’assaut général. Il était, comme tous les officiers supérieurs, pressé d’en finir : les vieilles mécaniques des vaisseaux les plus légers des Confins, les premières victimes des baisses continuelles de crédit, n’allaient plus tenir très longtemps à ce rythme. Pour preuve, le nombre d’avaries indépendantes d’un tir ennemi rapporté par les capitaines était de plus en plus nombreux.


- Passerelle, à vous le soin pour l’instant, dit Silvestri. Ne vous souciez pas de manœuvres, attaquez tout droit.

- Oui amiral, le soin aux tacticiens.

- Terminez-en au plus vite, murmura-t-il. Je ne vais plus tenir longtemps à ce rythme.

Un moment plus tard, alors que la formation défensive d’Ehlermann gardait encore sa cohésion envers et contre tout ce que les Confins lui envoyaient, l’équipe chargée des radars attira l’attention de Silvestri.

- Vous attendez encore des renforts, amiral ? demanda l’un d’eux.

- Vos devoirs, lieutenant ! aboya-t-il. Depuis quand a-t-on le droit de poser des questions à son amiral ?

Le lieutenant en question se mit instantanément au garde à vous, le visage de craie.

- Demande pardon, amiral. Nos instruments ont relevé l’arrivée d’une flotte, ETA moins d’une minute. Si nous ne les avons pas découverts avant, tout porte à croire qu’ils ont sauté à peu de distance de nous. Exactement comme la Guilde, osa-t-il ajouter.

Le visage de Silvestri se ferma.

- Je n’attends plus personne.

- La flotte inconnue est arrivée ! Aucune correspondance dans nos bases de données.

- Amiral, nous recevons un signal. On dirait de la statique… Comme si des ondes radios étaient perturbées, alors que nous n’en utilisons pas…

L’enseigne ne comprenait pas ce que cela signifiait. Il ne le pouvait pas : il était trop jeune. Seuls les marins de l’âge de Silvestri pouvaient se rappeler qu’il s’agissait de l’équivalent moderne du Jolly Rogers. Un signal inutilisé dans les Confins depuis la grande victoire de Silvestri plus de vingt ans auparavant.

- Impossible, dit doucement celui-ci. Je les ai détruits. D’où viennent les émissions de statique, ajouta-t-il plus haut ?

- Des deux plus gros vaisseaux. Je vous en fais un agrandissement.

A ce moment, les voix des autres amiraux et de Sajima se manifestèrent sur la passerelle.

- C’est bien ce que nous croyons ? Après vingt ans de discrétion, ils ressortiraient de leurs trous ?

- Oui, je reconnaitrais leurs superstructures entre mille pour les avoir si longtemps traquées. Ils les ont reconstruits à l’identique, car je les ai vus exploser. Le Rex Damnatorum et le Earl Camden… des noms encore capables de terrifier tout marin.

- Sont-ils dangereux ?

- Ils l’étaient immensément à l’époque. Reconstruits, ils doivent toujours l’être, malgré leur air démodé. Et ils ont attendu le moment parfait pour arriver, nous sommes coupés en deux.

- Qui aurait pu penser qu’Ehlermann s’allierait aux pirates spatiaux ?

- Leur président, apparemment. Continuerons-nous sur notre lancée ?

- Non, Delervis. Nous sommes en nette infériorité numérique.

- Passerelle, je reprends le soin. Faites former à vos vaisseaux des groupes rapprochés, dit Silvestri d’une vois métallique. Je déteste ça mais nous allons devoir former la tortue. Essayons ensuite de nous rejoindre au centre. Pendant ce temps, je vais discuter avec Albaréos…

***

- Vous pourriez m’expliquer comment les pirates se sont reformés sans que vous n’en sachiez rien ? Ils n’ont pas pu être totalement subventionnés par Ehlermann et l’Amirauté n’a reçu aucune mise en garde provenant de la Guilde…

Albaréos eut la bonne grâce de paraître gêné.

- Nous avons eu récemment quelques pertes, mais rien de probant. Cela aurait pu n’être que le fait de quelques amateurs, rien qui vaille la peine que l’on dérange la toute puissante Amirauté.

- Je vois… et vous voyez où cela nous mène, sans doute…A partir de maintenant je veux des rapports sur chaque boulon que vous perdez mystérieusement, compris ?

***

Et les rôles s’inversèrent : c’était au tour des Confins de se protéger par une formation lourde et ultradéfensive avec au centre les vaisseaux faiblissants de la Guilde. Les deux formations étaient limitées à la vitesse du plus faible : pour l’aile gauche, le Jotunheim mutilé. Personne n’appréciait cette situation, et Silvestri moins que quiconque : les pirates avaient des vaisseaux et des équipages frais, nombreux et surarmés. Leur tactique, attaque en groupe et retraite immédiate après destruction de la cible, restait assez efficace contre des officiers des Confins plus habitués à des batailles rangées. Mais surtout, les deux formations, isolées, étaient beaucoup moins dangereuses qu’une seule plus importante. D’où l’idée de se regrouper avant que tout ne tombe en pièces, tâche plus difficile qu’il n’y paraissait.

- La 12ème escadre légère vient de perdre son dernier destroyer, et le Melambaton a lancé son code rouge.

- Demandez à Sajima de nous prêter un des croiseurs survivants. En attendant, étirez la formation de la 25ème escadre. Oui, je sais que cela va limiter la protection dont chacun dispose, ajouta Silvestri pour couper court aux objections d’un tacticien, mais leur zone est légèrement plus calme. N’y a-t-il aucun moyen d’avoir un peu plus de puissance ? On se traîne à cette vitesse ! Enseigne ?

- Nous sommes au maximum de ce que les tuyères peuvent supporter, amiral.

- Il doit y avoir un moyen. Qui est en charge de la Propulsion ?

- Jusqu’à peu, le capitaine Miskerthy. (Silvestri jura) J’essaye de contacter son remplaçant.

Quelques instants plus tard, une nouvelle voix se fit entendre, à peine plus âgée que celle de l’enseigne. Silvestri accusa le coup.

- Lieutenant Abriel, amiral. Que puis-je pour vous ?

- Plus de vitesse, à n’importe quel prix. A force de nous traîner ainsi, nous allons rater notre rendez-vous.

- Le réacteur peut nous fournir toute la puissance que nous souhaitons mais nous sommes limités par les tuyères. Nous ne pouvons pas aller plus vite.

- Même pendant, disons, une heure ?

- Elles vont fondre et nous serons dans l’incapacité de nous déplacer.

- Corrigez-moi si je me trompe mais les moteurs hyperspatiaux ne nécessitent pas de tuyères.

- C’est exact, acquiesça le lieutenant.

- Donc de deux choses l’une. Soit elles plantent ici et nous restons coincés, comme nous allons certainement l’être si nous ne pouvons pas avancer plus vite pour faire la jonction, soit elles plantent au retour lorsque nous serons dans un système ami et auquel cas nous pourrons toujours nous faire remorquer. Saisissez vous le dilemme et est-ce matériellement possible ?

- Oui aux deux questions, amiral. Cependant, je ne peux le cautionner, étant également chargé de la sécurité.

- Je prends sur moi. Obéissez et faites moi avancer cette ruine de cuirassé ! Pendant ce temps je préviens Sajima.

Lequel eut l’air beaucoup moins enthousiaste, au grand étonnement de Silvestri. Outre l’inquiétude bien compréhensible qu’il avait pour les tuyères du navire amiral de son supérieur, il ne voulait surtout pas que la flotte change sa vitesse pour le moment.

- En réalité, j’allais moi-même vous demander si vous ne pouviez pas un peu dépasser votre vitesse.

Silvestri ne répondit pas et se contenta de le fixer d’un air mauvais.

- Mais pas tout de suite. Nos ennemis sont intelligents. Ils vont se placer entre nos deux groupes pour interdire notre jonction. En réponse nous allons obliquer vers l’espace libre et augmenter notre vitesse. Ce qui permettra de remplir l’objectif avant qu’ils n’aient le temps de nous rattraper.

- Brillant. Mes félicitations.

- L’idée n’est pas de moi. C’est Von Raukov.

- Et je n’ai pas été mis au courant ?

- Vous alliez l’être. Attendez mon signal pour sonner la charge.

Le terme de charge était peut-être un peu fort, mais lorsque l’occasion se présenta le Jotunheim accéléra de manière fort honorable compte tenu de ses difficultés. Silvestri, qui avait demandé à rester informé, recevait régulièrement des rapports alarmistes d’Abriel qui se tordait les mains et les écartait tout aussi régulièrement. La manœuvre prit Ehlermann et les pirates au dépourvu : ils avaient amassé un grand nombre de vaisseaux au point de convergence et n’avaient laissé qu’une faible arrière-garde, sans prévoir que la vitesse des groupes pourrait changer.
Un seul avait anticipé tout cela. Il se tenait fièrement au milieu des petits vaisseaux ennemis, les éclipsant tous par sa magnifique livrée noir, rouge et or et par sa taille : le Rex Damnatorum. Dès que la manœuvre des Confins apparut clairement, il se jeta en avant, faisant feu de tous côtés, dans la direction du Jotunheim. Pour éviter d’être pris de biais, Silvestri le fit pivoter et les deux monstres se ruèrent dessus à une impressionnante vitesse relative. Le Rex Damnatorum, s’enfonçant comme une dague acérée dans la formation des Confins, fit pleuvoir le feu et la mort sur son passage. Toutes alarmes hurlantes d’une collision probable, les deux vaisseaux se croisèrent en s’envoyant de terribles bordées. Au dernier moment, Silvestri avait fait diminuer la puissance accordée aux moteurs pour renforcer les boucliers : même avec cette aide bienvenue, le vaisseau trembla de toutes ses composantes. Il le pouvait : l’amiral, qui prenait connaissance du rapport des dégâts, voyait que ceux-ci avaient été effroyables. Une bonne partie de l’armement tribord avait été détruit, et on avait perdu le contact avec de nombreuses sections : la probabilité d’y retrouver des survivants était très faible. Le capitaine du Rex Damnatorum n’avait pas eu la même présence d’esprit et les dégâts chez lui étaient bien pires encore : il continuait sur sa lancée en dérivant vers le gauche et perdait visiblement son atmosphère et toutes sortes de débris par des déchirures béantes dans sa coque. Pour le moment, ce n’était plus une menace.

En vérité, il avait parfaitement rempli sa mission. Le temps que le Jotunheim reprenne sa place et que les deux formations se fondent en une seule, le champ apparemment dégagé entre elles et l’espace libre se mit à grouiller de petits bâtiments : tous les vaisseaux ennemis les plus rapides avaient profité de la désorganisation causée par le Rex Damnatorum pour contourner les Confins et les encercler.


- Une bande de jeunes chiots arrogants bloque la porte de sortie, fit remarquer casuellement Von Raukov. Il ne reste plus qu’une bagarre franche et massive pour décider une fois pour toutes de l’issue de la journée, je le crains.

- Si nous cherchons à traverser leurs frégates et destroyers, ils nous retiendront assez longtemps pour que leurs croiseurs nous abattent de loin. Si nous nous retournons contre les croiseurs, les petits en feront de même.

- Nous sommes donc repartis pour une mêlée beaucoup plus indécise. Retroussez-vous les manches, messieurs, dit Sajima.

- La note du boucher va être diablement salée, ce soir, ajouta Silvestri. Jamais je ne le pardonnerai au Caldan…

De nouveau la mêlée s’engagea, sanglante. Par accord tacite, chaque aire de défense avait été initialement confiée à un groupe, mais toute cette organisation n’avait pas tenu plus longtemps que les quelques minute suivant le premier choc entre les flottes. Tous les gradés avaient rapidement abandonné toute idée de contrôle poussé de la tactique et se contentaient de donner de grandes orientations, autrement dit ordonner l’envoi de renforts à un groupe de vaisseaux embarqué dans un combat mal engagé. Par le hasard des manœuvres, le Jotunheim et l’Incarnadine s’étaient retrouvés côte à côte : la vue d’un cuirassé étant déjà assez paralysante pour tout capitaine doté d’un instinct de survie à moitié inférieur à la normale, deux œuvrant de concert était une vision de cauchemar. A vrai dire, le second ici s’était arrogé le rôle de protecteur du premier, beaucoup plus mal en point. La conjonction de leur puissance de feu était cependant venue à bout de plusieurs croiseurs ennemis parmi les plus puissants. Tout cela n’était cependant que temporaire : grâce aux pirates, l’ennemi était plus nombreux. Les mécaniques souffraient, les boucliers souffraient. Et les pertes s’accumulaient. Le Berwick lui-même s’engagea dans un duel contre le Earl Camden. Malgré une belle résistance, il finit par baisser pavillon et être abordé après un coup au but qui détruisit les systèmes de survie. Fidèle à la tradition de sa famille, Varésian préféra se donner la mort plutôt que de connaître l’infamie de voir son nom porté sur la liste des prisonniers.

Vint un moment où même le plus obtus des tacticiens ne put plus se leurrer. Ehlermann avait bien manœuvré. L’encerclement était complet, les attaques venaient de tous côtés. La bataille était perdue. Avec des voix angoissées, les amiraux tinrent un dernier conseil.


- Soyons clairs, même si cela me hérisse le poil, soupira Von Raukov. La fuite est la seule issue possible, la reddition n’étant pas une option. De plus, nous ne pouvons le faire de façon organisée, en escadres. Les formations sont trop lentes.

Tous acquiescèrent sombrement. Cependant, Von Raukov avait encore quelque chose de désagréable à ajouter.

- Que fait-on quant aux canonnières de Richeau ? Elles sont au fond du goulet.

- Pas le choix, dit celle-ci, il faut me laisser derrière. J’essaierai peut-être de passer par les astéroïdes.

- Pas question ! s’indigna Silvestri. Pas avec vos longues barcasses impossible à manœuvrer. Votre seule chance d’échapper au puits de gravité est de contourner le soleil sans vous faire rattraper.

Ce qui était impossible, tout le monde le savait très bien : les canonnières, surchargées d’armement destiné à ravager la surface d’une planète, étaient loin d’être rapides en plus d’être peu manœuvrables. Après tout, on leur demandait seulement de se placer en orbite.

- Je trouverai un moyen. Occupez-vous d’abord de vos hommes, messieurs les amiraux, dit-elle de son ton de Notre Dame des Punitions.

Silvestri coupa la communication et appela ensuite Albaréos.

- Nous allons faire retraite : la situation est devenue intenable, et notamment à cause du Caldan qui nous a fauché vos vaisseaux sous le nez. Je vous préviens car il n’est maintenant plus question de formations. Echappez vous dès que vous le pouvez.

- Un sauve-qui-peut général… quelle perspective terrifiante… Et qu’en est-il de vous, avec votre problème de moteurs ?

- Le Jotunheim a encore des dents, sourit Silvestri. Croyez-moi, ils ne trouveront pas la curée aussi facile qu’ils le pensent.

Aussitôt le signal de retraite générale lancé, les vaisseaux des Confins abandonnèrent leurs manœuvres en cours et s’élancèrent vers l’espace. Malgré les ordres qui étaient de le faire par groupes de vaisseaux de classe similaires, certains parmi les plus rapides cherchèrent à tirer seuls leur épingle du jeu. Mais Ehlermann s’y attendait et l’immense majorité fut détruite avant de sauter ou subit des dommages irréparables. La douloureuse leçon fut retenue et des groupes hâtivement constitués arrivèrent à forcer le verrou.
Parmi les derniers de cette effervescence, le Jotunheim, escorté de l’Incarnadine : Von Raukov avait tenu bon face aux injures fiévreuses de Silvestri et refus de partir seul. Ainsi que, selon toute vraisemblance, de s’échapper facilement. En effet, Delervis, à la tête de son groupe resté plus compact que les autres, avait culbuté comme des quilles les vaisseaux légers qu’il affrontait. Le Jotunheim, qui n’était plus qu’à quelques minutes de la portée maximale de tir des croiseurs poursuivants, risquait de ne pas avoir cette chance : les immenses tuyères commençaient à donner de sérieux signes de fatigue. Il continuait pourtant vaillamment sa route, l’Incarnadine détournant sur lui la plupart des menaces.
Il apparut durant un moment que l’évacuation allait être un succès et les pertes relativement cantonnées. C’était compter sans la hargne des poursuivants. Abandonnant toute idée de protection, ceux-ci coupèrent leurs boucliers et transférèrent toute la puissance libérée dans les moteurs. Les retardataires des Confins, vaisseaux lourds comme légers, furent impitoyablement détruits.
Le bouclier du Jotunheim, quant à lui, fonctionnait à plein régime depuis longtemps : il avait beaucoup à faire. Trop peut-être. Personne ne put jamais affirmer avec certitude quel vaisseau tira ce coup éhontément chanceux. L’atteignant à la jointure de deux « plaques », il profita de leur fatigue pour les transpercer et finit sa course sur une des tuyères encore intactes. Celle-ci, fragilisée par son utilisation intensive se désintégra. Avant que l’ordinateur n’ait le temps de couper le flux se dirigeant vers elle, celui-ci, au lieu d’être projeté dans une longue traînée bleue, se diffusa sur tout l’arrière du Jotunheim et ajouta cette contrainte aux autres tuyères. Mêmes causes, mêmes effets : elles aussi cessèrent de fonctionner peu après et le cuirassé, sans rien pour le propulser, continua doucement sur son erre.
Avant même d’être averti de cette catastrophe, Silvestri la sentit confusément par la façon dont le cuirassé réagit après le tir, et laissa échapper un long soupir de résignation, immédiatement suivi par le cri de désespoir de l’enseigne de propulsion qui venait de voir le résultat. L’enseigne s’affaira frénétiquement sur sa console, se mit à la frapper en hurlant et fondit en larmes. L’amiral fit signe à un garde de l’emmener hors de la passerelle.


La guerre des Confins - Page 2 Talloween02

- Quelqu’un a le rapport des dégâts ?

- Toutes les tuyères sont hors-service. On ne repartira plus, apparemment.

- Qu’en dit la Propulsion ?

- Ils ont la même réaction. A propos d’une réparation, Abriel dit, je le cite : « Valcyria sinon rien ».

***

- Un coup du sort, dit Von Raukov quelques instants plus tard sans avoir apparemment avoir saisi toute l’ampleur de la situation.

- Un désastre, oui, rétorqua Silvestri. Maintenant, vous allez me faire le plaisir de m’écouter et de mettre les voiles avant que je me fâche.

- Pas question ! Je vais vous fournir des techniciens.

- Dans cet espace qui grouille de chasseurs ? Autant les envoyer à la mort, d’autant qu’ils seront inutiles !

- Je vous remorquerai !

- Parce qu’ils vont nous laisser faire en déroulant le tapis rouge ? Ne soyez pas idiot. Partez, et vite !

- Il me reste assez de chasseurs pour assurer le passage de votre navette. S’il vous plait, Silvestri !

- Je reste avec mes hommes. Sans compter que je suis trop mal en point pour bouger. Maintenant, c’est en tant qu’amiral en chef de la flotte des Confins que je vous donne cet ordre. Fuyez !

La passerelle secondaire étant dépourvue de baie d’observation, ce fut par le biais d’une caméra installée sur la coque que Silvestri vit l’Incarnadine virer après un acquiescement de Von Raukov qui trahissait toute la mauvaise volonté dont celui-ci était capable. Une fois libéré du poids de son sister-ship ralenti, le vaisseau put donner toute la mesure de sa puissance (et sans doute un peu plus, les traficotages de Silvestri lors de l’épisode du croiseur lourd n’ayant pas échappé à ses collègues), sa propulsion crachant feu et flammes. Il plongea au travers d’un essaim de frégates, des destroyers et de leur équivalent pirate, les arrosa généreusement de ses canons et passa au travers sans avoir ne serait-ce qu’hésité ou ralenti un instant.
Il ne pouvait pas s’en tirer à si bon compte, cependant, et ce fut le Earl Camden qui vint jouer le trouble-fête. Il avait fini d’arraisonner le Berwick, y avait laissé un équipage de prise et s’était précipité vers les deux cuirassés. Voyant l’un en panne et l’autre bien décidé à s’échapper, il avait décidé de couper la route au second en se mettant sur une route convergente. Silvestri regarda se jouer la terrifiante partie de poker : si l’Incarnadine virait pour échapper au Earl Camden, il serait intercepté par d’autres vaisseaux. S’il ne bougeait pas, il risquait une collision avec toutes les conséquences désagréables que cela impliquait. Von Raukov fit rapidement un choix et ne dévia pas d’un pouce de sa trajectoire. Il espérait sans doute que le capitaine du Earl Camden, navire neuf, n’avait en tête qu’un bluff.
Le capitaine en question remarqua l’obstination de l’amiral des Confins mais n’en modifia pas pour autant ses projets, et les deux navires continuèrent de se ruer vers un choc certain. Sorti de la zone gravifique, l’Incarnadine activa ses moteurs hyperspatiaux mais il fallait laisser le temps à l’ordinateur d’étalonner les systèmes de saut et de déterminer la trajectoire. Tout cela se fit rapidement, mais pas assez pour échapper au Earl Camden. Celui-ci, lancé à une vitesse qui aurait arraché un sifflement d’admiration à un capitaine de frégate, s’encastra dans le flanc de l’Incarnadine. Le vaisseau des Confins, jumeau du Jotunheim, avait vu son blindage renforcé selon les spécifications de Silvestri. Malheureusement, cela ne concernait pas les flancs : la proue du pirate s’enfonça donc assez largement dans l’Incarnadine jusqu’à heurter le réacteur placé en son centre.
Les concepteurs de cette classe de cuirassés savaient que le réacteur en était la pièce maîtresse et l’avaient incroyablement sécurisé : il était inattaquable, bardé de dispositifs anti-incendie et au blindage renforcé en vue d’une toujours probable trahison. Bref, il était l’aboutissement de la technologie militaire des Confins. Mais les ingénieurs n’avaient pas prévu l’impact d’un vaisseau de la taille du Earl Camden à la vitesse qui était la sienne. Et même s’ils l’avaient prévu, comment donc en tenir compte ?
Soumis à une tension insupportable, les revêtements interne, médian et externe du réacteur plièrent et se déchirèrent comme des feuilles de papier en laissant échapper le très réactif combustible à l’intérieur du vaisseau. Extrêmement efficace, extrêmement polluant et extrêmement dangereux, il réagit comme il fallait s’y attendre avec l’atmosphère du vaisseau et explosa. L’ordinateur central réagit immédiatement et ferma toutes les cloisons coupe-feu et anti-décompression dans le but d’enrayer l’onde de choc, condamnant à une mort certaine les membres d’équipage proches du réacteur. Celui-ci, en volume pur, totalisait à peu près un dixième du vaisseau : le potentiel explosif était gigantesque et les cloisons n’avaient aucune chance de résister. Elles furent soufflées les unes après les autres comme des fétus de paille et les hommes cachés derrière carbonisés instantanément. La structure du cuirassé, largement affaiblie par le choc avec le Earl Camden, ne résista pas plus longtemps et se scinda en plusieurs morceaux éjectés de tous côtés.
Le pirate ne s’attendait manifestement pas à un tel résultat et continua sur sa lancée durant de longues secondes avant de faire machine arrière en catastrophe, trop tard pour éviter une pluie de débris de moyenne taille. Ceux-ci ravagèrent ses superstructures, détruisirent sa passerelle, ses tours de bouclier et ses antennes de communication, propageant l’incendie qui les recouvrait encore à des sections entières du vaisseau. Sourd, aveugle et blessé, le Earl Camden réduit à l’état d’épave se mit à dériver lentement en s’éloignant des combats.
Silvestri, même s’il aurait tout donné pour ne plus regarder cette vision apocalyptique, ne pouvait détacher ses yeux de l’écran. De sa main gauche, il serrait convulsivement l’accoudoir de son siège. De la droite, il ne recevait plus aucune sensation. Tout semblait arrêté par le mur de douleur qui avait pris dans son épaule, lui-même plus ou moins tenu en respect par les injections répétées. Il ne réagit pas lorsqu’on l’appela, même de façon insistante, et il fallut qu’un officier plus courageux que les autres prenne l’initiative de se planter devant lui et de le secouer pour qu’il donne un signe de présence.


- Amiral, s’il vous plait… Ehlermann a fini de nous encercler, ils sont prêts à la curée. Nous avons reçu un message texte qui affiche simplement « rendez-vous ». Que fait-on ?

- Le message ne dit que cela ? Quelle économie d’énergie…

Silvestri se tut et son regard se déporta vers l’écran qui continuait à filmer la fin de l’Incarnadine.

- Amiral, vos ordres !

Il secoua la tête, comme pour chasser les dernières bribes de sommeil, et se redressa légèrement.

- Il n’est pas question qu’ils capturent un cuirassé en état de marche, et il n’est pas question de se rendre sans combattre. Répondez leur d’aller se faire voir.

- Textuellement ?

- S’il vous plait. Feu à volonté sur tout ce qui bouge, et transférez le maximum de puissance vers les boucliers.

Le Jotunheim se mit à cracher le feu de toutes ses batteries, attaquant sans aucune distinction tout ce qui portait une bannière pirate ou d’Ehlermann. Il ne s’agissait plus de volées calmes, réfléchies, le fruit d’une réflexion tactique avancée ayant pour but une victoire rapide sur l’ennemi. C’était la réaction d’une bête sauvage, acculée, qui se jetait à la gorge de son tourmenteur dans l’espoir de l’emporter avec lui dans la tombe. Durant un temps qui sembla bien trop court à l’équipage, le Jotunheim rendit coup pour coup, frappant au cœur. Ils avaient entendu parler des fins atroces de l’Incarnadine et du Jormundgand et semblaient décidés à les venger. Pourtant, un navire seul contre une flotte, même profitant pour ses boucliers des économies faites avec la mise en repos forcé des moteurs, ne pouvait espérer damer le pion très longtemps à ses ennemis.
Contre des tirs conventionnels, un cuirassé est quasiment invulnérable : ses plaques de blindage sont créées spécifiquement pour y résister. Mais elles ne sont pas prévues pour résister à un tir nourri et continu. Rien ne le pourrait. Les dommages s’amoncelèrent, les batteries se turent les unes après les autres.
Continuer cette résistance acharnée devint inutile, à moins de vouloir sacrifier l’ensemble de l’équipage. A contrecœur, Silvestri donna l’ordre d’évacuer le vaisseau. Les membres de la passerelle quittèrent leur siège pour se diriger vers une capsule de sauvetage mais pilèrent net quand ils virent que leur amiral ne les suivait pas.


- Vous ne pouvez pas vous déplacer, amiral ?

- Je n’en ai pas envie. En fait, je dois rester ici. L’ennemi ne doit pas me capturer, et surtout pas dans cet état.

Devant l’air d’incompréhension totale de ses subordonnés, il se crut obligé de s’expliquer, de peur qu’ils ne l’évacuent manu militari.

- Que se passera-t-il si j’évacue le vaisseau avec vous ?

- Vous allez être capturé par les vainqueurs et traité en prisonnier de guerre. Lorsqu’une paix sera signée, vous serez libéré et vous passerez devant une Cour martiale.

- Laquelle aura besoin d’un bouc émissaire et je suis parfaitement qualifié pour cela. Deuxième possibilité : si je reste ?

- Vos adversaires politiques vont considérer que vous échappez ainsi à vos responsabilités.

- Cela ne concerne qu’une poignée. Les autres verront d’abord la défaite des Confins et la probable occupation ignominieuse d’Ehlermann. Pour eux, je serai mort honorablement sur le pont de mon navire, devenant ainsi martyr à la cause des Confins et étendard parfait pour l’organisation d’une résistance. Il faut toujours considérer l’intérêt politique d’un décès, messieurs.

Tous s’inclinèrent légèrement pour montrer leur compréhension et leur admiration devant cette marque de courage.

- Mais d’abord… Artillerie, transférez sur ma console les commandes des batteries toujours en état de marche. Je ne peux pas bouger, le sang me colle à mon siège, dit-il en souriant faiblement.

Le lieutenant dont il était question effleura rapidement quelques touches et son écran devint noir.

- C’est fait, amiral. Bonne chance, dit-il en s’éloignant.

- Merci.

Une demi-heure plus tard, alors que les capsules étaient sur le point d’être récupérées par les frégates d’Ehlermann, le Jotunheim tirait toujours. Son équipage n’apprit qu’au moment de sa libération, neuf mois plus tard, que le cuirassé, même moribond, n’avait jamais été abordé et qu’il avait fallu le détruire pièce par pièce pour le faire taire.
Le corps de Silvestri, quant à lui, ne fut jamais retrouvé.
Revenir en haut Aller en bas
 
La guerre des Confins
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» La guerre des confins
» [WIP] La guerre des Cubes
» Vers Les Confins (cycle complet)
» Guerre

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Ter Aelis - Le Forum :: Wilwarin, Métropole Littéraire :: Tomes Longs-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser