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 Vestiges.

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Scarlet Hurricane
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Scarlet Hurricane


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MessageSujet: Vestiges.   Vestiges. Icon_minitimeSam 12 Sep - 15:10

I.

- 'Lou ? Tu crois qu'il y a un ailleurs ? Tu crois qu'il y a quelqu'un, quelque part, qui serait heureux de nous voir si on venait ? Tu crois … Qu'on représente quelque chose, toi et moi ?'      

       Représenter quelque chose. Comme si c'était envisageable. Nous ne sommes rien. De petits morceaux de néant dans un univers qui nous dépasse. Sans tomber dans de la mauvaise métaphysique ou des clichés de comptoir, on est bien loin de cet Eden qu'on ne cesse de nous promettre. Pas d'autrefois. Pas d'ailleurs. Pas de présent. Mais il ne comprendra pas pourquoi vivre sans espoir.

- 'Oui. On a un sens, un but, une direction. Un jour, on sera heureux. Je te le promets.'


       Il ne m'en voudra pas. J'essaie de le protéger, il est trop petit. Trop jeune pour envisager la vie sous le jour sombre qui pourtant s'annonce au loin. Il ne m'en voudra pas …





       Il ne m'en a pas voulu au final. Il a compris. C'était pour lui. Mais il avait cinq ans alors, et désormais il en a le double. Je vais devoir lui raconter. Tout lui raconter. Mais pour ça, je dois remonter beaucoup plus loin.

       Maxime et moi ne somme pas réellement frère et soeur. Nous nous sommes trouvés, un jour, au détour d'une rue, dans un coin pas spécialement recommandable.

       J'avais douze ans. Fille de prostituée et d'un marin de passage. J'ai hérité de ses cheveux blonds, et d'une tache de naissance sur la hanche gauche. Tout ce que je connais de cet homme, et je n'ai pas besoin de plus. Ce n'est pas mon père, ça ne l'a jamais été. Maman m'en parlait peu, noyé comme il était dans la masse d'hommes qui avait traversé sa vie sans n'y jamais revenir. Elle avait été obligée de se vendre dès seize ans, pour s'acheter de l'héroïne, et l'Homme fut son troisième client. Lorsque je suis partie, elle allait avoir trente ans. Je l'ai aimée, maman. Et je l'aime encore. C'était simplement trop difficile.

       Evidemment, racontée comme ça, ma vie fait pathétique. Ca fait faux. Mais ce sont toujours les histoires semblant les plus irréelles qui sont malheureusement les plus vraies. Ma mère était une pute. Et, sauf indication contraire ou décès, elle doit l'être encore, traînant son corps épuisé et mort de trente-cinq ans sur les pavés des docks.

       Je venais de la quitter quand j'ai rencontré Maxime, qui avait quelque chose comme trois ans. Tout nu, si fragile, blotti contre un vieux chat mort. Il ne pleurait pas. Ne grelottait pas. Il semblait juste jeune, et affamé. Mais quand il m'a vue, il a tendu les bras, la carcasse à l'intérieur : 'Il est mort. Mais je peux pas le cacher.' Il était minuscule ce gosse, mais il me regardait avec un aplomb incroyable, du fond de ses grands yeux noirs. Alors je lui ai pris la bête des mains, et je l'ai mise dans une bouche d'égoût, 'pour qu'il puisse manger des rats morts'. Puis je lui ai pris la main, et on a marché. Longtemps, sans dire un mot. Jusqu'à ce que le jour se lève et éteigne les réverbères. Nous nous sommes regardés pendant un moment, puis je lui ai dit : 'Toi, tu resteras avec moi. Tu t'appelleras Maxime.' Je l'ai lâché, et on a couru jusqu'à une maison où du linge séchait.  Un short taille dix ans, un vieux tee-shirt et un chapeau sur le rebord de la fenêtre. Un de ces vieux chapeaux de mafieux, totalement décoloré par la pluie. J'ai pris le chapeau, l'ai posé sur ma tête et ai habillé Maxime dans ces loques trop grandes pour lui. Et on est partis, main dans la main, pour trouver de quoi manger.


Dernière édition par Juliette le Jeu 28 Aoû - 1:53, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Vestiges.   Vestiges. Icon_minitimeLun 12 Oct - 22:07

Une heure plus tard, notre seul butin comportait deux pommes piquées rapidement sur un étal, un morceau de pain rassis trouvé à proximité d'une poubelle et ramolli dans l'eau de la fontaine de la place centrale. Alors on s'est assis dans un coin plus ou moins fréquenté, et on a fait la manche, en veillant bien à éviter la police. Deux gamins, sapés n'importe comment et sales, c'est bon pour les affaires. Surtout que je pouvais très bien faire 8 ans, maigre et affamée comme j'étais. Et Maxime … Les gens le regardaient avec pitié, lui offraient des bonbons, lui donnaient un peu d'argent. Mais il restait toujours farouchement accroché à mon bras, comme par peur de me perdre. Il faut dire que je ne le lâchais pas non plus. Nous nous étions trouvés. Une famille au milieu de la déchéance et du sordide. Un point de repère. Quelqu'un pour qui compter. Impossible de se laisser mourir désormais. Il fallait lutter, ensemble, toujours. Plus qu'un frère, presque un fils, la seule personne que j'aie au monde. Mon Maxime. Ma vie.

Après deux heures à traîner dans la rue, nous acquîmes juste de quoi nous payer du vrai pain pour Maxime et un peu de restes de viande en amadouant un bon gros boucher. J'ai gardé le pain rassis, afin de lui donner le moins abîmé. C'était insupportable de le voir si maigre et faible. Je n'ai aucune idée du temps pendant lequel il est resté seul avec son chat, mais ça devait bien faire un moment. Il ne pleure pas, n'a pas peur. Comme un petit homme dans un corps de gosse. Vieilli trop vite, sans enfance. Je ne crois pas l'avoir jamais vu sourire. En même temps, comment être heureux ici, ainsi ? Mais c'est comme ça que je l'aime. S'il avait été faible, je ne m'en serais pas encombrée. C'est juste que sa détermination, combinée avec son aspect de petite poupée qu'on aurait oubliée au fond d'un tiroir m'ont traumatisée . Comme un chiot abandonné à lui même trop tôt, qu'on retrouve des mois plus tard avec juste la peau sur les os.

Le festin terminé, il a bien fallu trouver une manière de se laver. Comme il était presque huit heures du matin, nous nous sommes dirigés vers la grande fontaine et avons traîné nos carcasses décharnées dans l'eau glacée. J'ai frotté Maxime comme j'ai pu, pour enlever la crasse qui le recouvrait et les restes de sang de chat collés dans ses cheveux, puis je me suis occupée de mon corps malingre et émacié. J'ai essayé de décrasser mes longs cheveux blonds sales qui tombaient dans mes yeux gris et descendaient en cascade jusqu'à mes fesses, pendant qu'il s'ébattait dans l'eau à côté. Une fois ces réjouissances terminées, je nouai ma tignasse sous mon chapeau et rhabillai Maxime, et nous partîmes chercher où dormir pour le reste de la matinée, voire l'après-midi, si possible.

Une vieille guimbarde à la portière mal fermée fit tout à fait l'affaire. Au moins, on n'a pas été mouillés par la pluie qui est tombée drue vers dix-sept heures, et nous avons pu nous reposer jusqu'à ce qu'à vingt heures un vieil ivrogne vienne nous déloger en hurlant. Le voyant lorgner un peu trop sur mon absence de poitrine, je lui ai craché au visage. Maxime n'a pas compris et lui a donné un coup de pied. 'Si tu embêtes Lou, je te tue sale enfoiré !' Je me suis souvent demandé d'où pouvait lui venir un tel vocabulaire, si jeune. Mais il ne se souvient de rien. Je suis son premier souvenir, je crois.
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MessageSujet: Re: Vestiges.   Vestiges. Icon_minitimeMar 15 Juin - 2:53

II.

Le temps a passé. Lentement, violemment. Maxime et moi sommes désormais couverts de ces cicatrices qu'on ne voit pas, mais qui font mal à l'intérieur. Ces marques absurdes qui ont abîmé nos vies pour les rendre misérables. Nous sommes vieux, usés psychologiquement. Nous sommes des enfants blasés, comme les fruits de cette nouvelle génération qui pourtant ne nous concerne pas, cette génération internet que les magazines volés sur les étals nous vantent. Nous sommes beaux. De cette beauté interne qui déploie un halo sombre autour des gosses à qui la vie n'a jamais souri. Cette beauté sale, cette magnificence ridicule et risible. Kate Moss et Pete Doherty sans les millions de dollars de rente. Maxime a huit ans, j'en ai dix-sept. Je fais un mètre quatre-vingt-trois selon les docteurs de la croix Rouge, et je pèse quarante-neuf kilos. Maxime, je ne leur ai pas demandé, on a dû courir vite quand les gens des services sociaux se sont ramenés. Ils voulaient me l'enlever, m'envoyer chez des vieux comme on en a tant vus et faire de lui une bête de foire comme il l'a tant été auparavant. Nous en avons connu, des familles d'accueil. Enormément, malgré le fait que nous n'ayons jamais voulus être séparés. D'habitude, les gens accueillent un enfant. Pas deux. Trop de problèmes. Mais nous, on a tourné en cinq ans. On a vécu les clichés en avant-première ; le beau-père pervers qui tripote l'un, puis l'autre (je lui ai explosé une bouteille de Martini sur la tête après l'avoir vu essayer de mettre Maxime à genoux). La petite grand-mère dépassée par tant de violence. La famille-tellement-parfaite-que-la-progéniture-nous-a-caillassés. J'en passe, je ne peux pas me souvenir de tout. Alors on est repartis sur les routes, vêtus de neufs mais toujours seuls. J'ai juste gardé le chapeau, en souvenir de notre rencontre.

Nous avons commencé à fumer, c'est là que va la quasi-totalité de l'argent que l'on mendie. J'ai entamé ma première cigarette il y a six mois, mon petit frère n'a pas tardé à me suivre. En cachette, pour ne pas se faire disputer. Il n'a peur de rien, Maxime, sauf de moi. Il a peur que je l'abandonne, comme nous avons déjà été tellement abandonnés. Mais ça n'arrivera pas, je lui ai promis. Nos dix euros quotidiens paient le paquet de Gauloises et les sandwiches Marché Plus. On complète cette routine de fortune par des fruits volés sur les étals, et parfois du pain, les jours de marché. On survit comme on peut, et on dort dans une vieille maison abandonnée pas très éloignée du centre-ville. Notre train-train nous convient.

Outre la cigarette, je bois aussi, un peu. Quand le pactole de fin de journée est plus élevé que la moyenne, ou quand il fait trop froid. Je ne veux pas trop boire, ou reproduire avec Maxime les schémas de ma mère envers moi. L'héroïne, jamais. C'est l'apanage des prostituées, l'appât des proxénètes. Je ne veux pas être dépendante, je ne veux pas abandonner le gosse au profit de problèmes trop gros pour moi. Mais je bois, quand même, parce qu'il fait froid ou pour oublier. Je bois de la mauvaise vodka, à même le goulot, plus stéréotypée tu meurs. Chacun sa croix.
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MessageSujet: Re: Vestiges.   Vestiges. Icon_minitimeJeu 28 Aoû - 2:21

Dans notre train-train quotidien, il y a un rituel qui nous tient particulièrement à coeur : Chaque matin, le plus propre de nous deux - ou celui qui ressemble le moins à une vieille carne -, va récupérer un 20 Minutes dans les arrêts de bus. Il faut faire attention à ne pas se faire avoir, les contrôleurs et les flics semblent parfois de mèche dès qu'il s'agit d'emmerder deux pauvres gosses qui n'ont rien demandé à personne. Pendant ce temps là, l'autre fait la manche pour récupérer un fond de monnaie. Faut croire que la plèbe est plus généreuse quand le soleil se lève à peine, ou alors ils ne font juste pas attention. Nous, ça nous va. Notre fortune en main, on se prend un café à la machine de la piscine près de la "maison", celle qui ouvre suffisamment tôt pour que tous ces riches puissent faire leur exercice quotidien avant le métro-boulot-dodo qui les achève, les pauvres. Quand on peut récolter 80 centimes, on en prend deux. Parfois, on peut même récupérer une de ces gaufres au sucre du distributeur, celles qui sont sèches comme du carton mais qui nous donnent quand même l'impression d'être les rois du monde. On ressort de là avec l'odeur du chlore qui colle à notre butin de misère, et puis on rentre s'abriter parce qu'il fait froid quand même.

Une fois à l'intérieur, on se pose sur le futon miteux dans l'unique pièce qui ne soit pas murée, quelque part entre les saveurs de moisi et l'urine, et on ouvre notre trésor d'information au hasard. Quand une photo nous intéresse, j'apprends à lire à Maxime. Je ne veux pas qu'il finisse comme je suis bien partie pour le faire, dix-sept ans et déjà cramée, foutue, dépravée. J'aimerais qu'il ait une chance, j'ai ce rêve absurde qu'un jour une famille viendra, un jour elle l'aimera. D'ailleurs, je crois que cette phrase est tirée d'un bouquin. Ou d'une pièce de théâtre. Enfin. Si le monde change, si les choses s'améliorent, si notre quotidien depuis cinq ans n'est pas significatif de notre avenir, au moins il ne sera pas complètement paumé. Mon Maxime, tu auras un futur et tu les écraseras tous, ceux qui nous dédaignent, ceux qui nous crachent leur condescendance au visage. J'ai placé beaucoup d'espoirs en toi, alors garde la tête haute. Même si ça veut dire qu'on voit plus facilement la crasse sur ton cou.


Moi j'avais appris les lettres avec ma mère, seul souvenir qu'il me reste d'elle aujourd'hui. Elle n'était pas bête, vu sa condition. Quand j'avais six ou sept ans, elle m'avais mis du Roal Dahl dans les mains. Ensuite ça a été Pullman. J'ai appris avec Matilda, voyagé avec Lyra. Et quand j'ai pu aller à la bibliothèque municipale moi-même, j'ai découvert Beaudelaire, Genet ou Wilde. Bien sûr, une équation je ne saurais pas faire, mais les mots m'ont toujours aimée. Alors maintenant je lui apprends à lui, ce petit bout de vie qui fait toute la mienne. Je lui fais épeler, réciter les lettres, expliquer les mots. C'est pas de la littérature, mais il en sait pas mal sur le gouvernement, Gaza ou le Grenelle de l'environnement. Tous ces mots qui au quotidien nous semblent aussi irréels que les ours en armure ou la télékinésie. Tous ces mots qui nous empêchent de nous noyer dans l'horreur de notre quotidien.
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