C’est une gangue impénétrable, un étui de claustration pour interner les désirs. Un passage de solitude qui sinue au travers des éclats de rire, isolant la perte comme une larme emprisonne les pleurs, alors que le visage sourit.
Surtout ne jamais rien leur dire. Ne pas les effrayer.
Elle était là. Seule dans la rue depuis combien de temps déjà ? La pendule sur le beffroi de la ville annonçait 23h37. La place était déserte et elle resserra une nouvelle fois son manteau contre son corps malingre. Le vent venu de la mer sifflait dans les drisses et les haubans des bateaux du port. Il se glissait jusqu’au renfoncement dans lequel elle se tenait pour l’attendre et lui piquait brutalement le visage qu’elle sentait rougir sous l’assaut. Elle avait glissé ses deux poings joints sous ses aisselles en quête de sa chaleur qui pourtant doucement la quittait.
Elle avait l’impression d’avoir laissé la tiédeur de son corps dans ce lit qu’elle ne quittait presque plus maintenant que le mal qui la rongeait gagnait à chaque heure un peu plus de terrain.
Elle était là, pourtant, à l’attendre comme elle l’avait tant de fois attendu.
Dans son corps, le doute l’envahissait, parcourait à petits pas le cheminement des idées sombres, pour se faufiler vers un souffle qui s’altérait doucement, brisé par la place que prenait son cœur en émoi. Et s’il ne venait pas ?
La tête lui tourna et pour s’équilibrer, elle agrippa l’angle du mur, enfonçant ses ongles dans sa peau, ne pouvant les entrer dans le granite du porche. Ses jambes tremblotantes la soutenaient difficilement et elle s’accroupit pour soulager ses maigres forces.
C’est alors qu’il apparut. Plus beau que jamais, comme auréolé de flammes. Il semblait voler au dessus des eaux noires tant sa démarche était souple et son pas léger. Quand il se pencha sur elle pour baiser ses cheveux, elle leva des yeux ouverts si grands, qu’elle pouvait y entrer tous ses rêves. Et leurs regards se lurent et racontèrent l’ailleurs. Là où le monde coule sans se soucier des corps et où le rire peut, sans problème, réveiller les vies oubliées. Dans leurs yeux bleus se mêlèrent leurs chairs. Peu importe le temps, ils voyageaient au-delà des étoiles, ne sentant plus leurs membres enlacer et combiner leurs sens. Quand le feu les prit, ils ne furent pas gênés, il venait étoffer la douceur des baisers. Quand leurs cœurs s’embrasèrent, ils se laissèrent porter par le souffle qui léchait leur désir, le brûlant des tumultueux sentiments qui animent le feu des amants. Alors, ils burent à la source, assoiffés et hagards, consumés par les flammes qui desséchaient leur sang, cramoisis sous l’ardeur qui calcinait leur nom.
Cet embrasement foudroyant incendia leur amour, ne laissant que des braises sur leurs lèvres emmêlées.
Ce n’est qu’au matin, que leurs corps, vidés de vie furent trouvés sur le port, noirs brandons de charbon, résidus de leur flamme.
Le vent, biaisait, louvoyant sous le porche. Il venait soulever les cendres de deux âmes détachées du monde qui fuyaient les abîmes rongés par crémation.