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 L'abandon du "je" dans les copies...

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Teclis
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Masculin Nombre de messages : 1750
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MessageSujet: L'abandon du "je" dans les copies...   L'abandon du "je" dans les copies... Icon_minitimeMar 8 Déc - 16:33

Rien de plus simple que de constater, notamment dans notre système scolaire ou universitaire ; dans les thèses et les études ; les essais ou les recherches qu'on se refuse à utiliser la première personne du singulier.

"Je" ne constate pas, "on" constate. "je" ne pense pas possible que... "il" est possible que.

Outre, je le reconnais, un effort, et un impératif, d'effacement de sa personne lors de la rédaction de textes analytique ou scientifique, au profit d'un plus grand objectivisme, d'un plus grand rationalisme, d'une volonté de retreindre notre émotionnel à intervenir dans le développement de la pensée, et qui risquerait de la subjectiviser, de la stigmatiser etc... N'ya t-il pas quelque chose d'hypocrite, notamment dans l'enseignement primaire, et une volonté de "dépersonnaliser" nos pensées.

Il est normal qu'au collège, qu'au lycée, on apprenne à user principalement du "on", ou de l'impersonnalité dans nos commentaires ou dissertations (ce qui permet aussi de dissocier les arguments de la personne qui les utilise). Toutefois, la prohibition du "je" ne conduit elle pas, possiblement et à la longue, à un abandon de la revendication de ses idées ? Au fait que l'auteur n'assume plus que ce qu'il écrit, ce qu'il fait ?

Tout comme le roman est un écran entre l'auteur et ce qu'il a jeté sur le papier, l'impersonnalisation n'est elle pas un faux semblant, un moyen de se dédouaner et d'anéantir une certaine part du "soi" des individus, dès leur scolarité ?
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Cordelia Melicerte

Cordelia Melicerte


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MessageSujet: Re: L'abandon du "je" dans les copies...   L'abandon du "je" dans les copies... Icon_minitimeMar 8 Déc - 16:54

Je ne sais pas si cet abandon du "je" reflète un rejet de l'individu et de ses pensées. Je crois qu'il faut y voir plutôt une grande malhonnêteté intellectuelle : car, au final, sauf si l'on cite explicitement les pensées d'un autre, c'est toujours nous qui écrivons. Alors, certes, le jeu de la dissertation implique souvent d'avancer des idées qui ne sont pas les nôtres, tout simplement parce que la plupart du temps nous nous inventons un avis afin d'avoir quelque chose à écrire. Il n'empêche : défendre une idée, même le court temps d'une dissertation, c'est en assumer la paternité. Je suis donc pour l'utilisation du "je" quand elle est justifiée.

Après, pourquoi au lycée constate-t-on ce banissement du "je" ? C'est, je le pense, pour inciter les élèves à aller au delà de leurs propres idées, souvent considérées comme futiles et idiotes par les professeurs. D'ailleurs, sauf si pour les très bons profs', ceux-ci, en fait d'une dissertation, réclament plutôt une synthèse de leur cours. L'utilisation du "je" est donc inutile ici.

Pour ce qui est de l'analyse (de texte, de chiffres, de résultats d'enquêtes de terrain : observation, entretien...), mon avis est mitigé. Dans certaines disciplines, comme en sociologie par exemple, l'utilisation du "je" (ou du "nous", car bien souvent les recherches sont collectives) se fait assez souvent : les chercheurs assument leurs analyses.
Par contre, pour tout ce qui est analyse de texte, effectivement le "je" est banni. Et quel dommage, quelle erreur ! Sous couvert de vouloir faire passer la discipline et ses analyses comme objectives, universelles, on en oublie le caractère hautement personnel et émotif Comment commenter un poème de Baudelaire sans parler de ce que "je" ressens ? Comment peut-on se permettre, en utilisant un "on", que les autres ressentent et pensent le même choses sur le texte ?

Bref, le plus souvent, l'abondon du "je" est un parti-pris hypocrite et faux.
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MessageSujet: Re: L'abandon du "je" dans les copies...   L'abandon du "je" dans les copies... Icon_minitimeSam 19 Déc - 20:32

Ex ducere, propagande, in structere, élévation; le reste, c'est du mou.

Globalement, c'est rare de voir une pensée propre à un élève dans une copie d'économie. Il applique les méthodes, répète, caquète; un "je" viendrait phagocyter l'identification du copyright, revenant au prof, au manuel voir à un auteur dont on aurait carrément oublié le nom.

Je n'ai pas vraiment l'impression de penser systématiquement par moi-même. Ce serait plutôt le contraire: je parle toujours avec les mots des autres, rarement avec les miens.
Surtout quand je ne connais pas. Quand je ne me maîtrise pas. Alors, j'ai recours aux préjugés (les idées des autres) et aux formules chocs (qui ne sont pas de moi).

Changer cela? Vaste programme; utopique même. J'ai déjà trop à faire sur moi-même pour penser à une solution nationale.
Surtout si la solution consiste à dire "je" dans ses copies.
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Goldmund

Goldmund


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MessageSujet: Re: L'abandon du "je" dans les copies...   L'abandon du "je" dans les copies... Icon_minitimeMar 26 Jan - 2:12

Je déteste employer le "nous" de modestie. Lorsque je sens qu'un "je" ne passera pas - il faut jauger en fonction du professeur - je m'efforce d'éviter les tournures qui m'obligeraient à me désigner. Il se trouve que cet après midi précisément, je ne l'ai pas fait : c'est bien la preuve que ce commentaire sur la poésie d'Ungaretti ne m'a vraiment pas emballé.

En ce qui concerne l'emploi de ce "nous", il ne se limite pas à l'enseignement secondaire, c'est une convention que l'on observe généralement dans le circuit scientifique : les universitaires utilisent ce "nous". Pas tous, cela dit.

Et je suis assez d'accord avec le sentiment de Plumo. Cela me fait penser à un poème de Francis Ponge :

Citation :
Rhétorique

Je suppose qu’il s’agit de sauver quelques jeunes hommes du suicide et quelques autres de l’entrée aux flics ou aux pompiers. Je pense à ceux qui se suicident par dégoût, parce qu’ils trouvent que « les autres » ont trop de part en eux-mêmes.

On peut leur dire : donner tout au moins la parole à la minorité de vous-mêmes. Soyez poètes. Ils répondront : mais c’est là surtout, c’est là encore que je sens les autres en moi-même, lorsque je cherche à m’exprimer, je n’y parviens pas. Les paroles sont toutes faites et s’expriment : elles ne m’expriment point. Là encore , j’étouffe.

C’est alors qu’enseigner l’art de résister aux paroles devient utile, l’art de ne dire que ce que l’on veut dire, l’art de les violenter et de les soumettre. Somme toute fonder une rhétorique, ou plutôt apprendre à chacun l’art de fonder sa propre rhétorique, une œuvre de salut public.

Cela sauve les seules, les rares personnes qu’il importe de sauver : celles qui ont la conscience et le souci et le dégoût des autres en eux-mêmes.

Celles qui peuvent faire avancer l’esprit, et à proprement parler changer la face des choses.
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MessageSujet: Re: L'abandon du "je" dans les copies...   L'abandon du "je" dans les copies... Icon_minitimeSam 5 Juin - 15:07

En ce qui concerne les examens et travaux relevant de ce que j'appelle le "genre académique", c'est-à-dire du baccalauréat au doctorat, il me semble que la contrainte de forme qui consiste à hypocritement dénier sa subjectivité en s'abstenant d'écrire "je" est un exercice obligé auquel on ne peut se soustraire qu'au risque d'aller à l'encontre de conventions tacites et de traditions qui remontent aux lycées de Napoléon et se fondent sur la recherche de l'abstraction.
Cependant, pour les travaux et écrits situés en dehors de ce cadre nécessairement rigide, la raréfaction du pronom "je" me paraît en effet problématique, dans la mesure ou elle me semble être une généralisation de l'échappatoire, du faux-fuyant et du refus de l'assumation. Cependant, elle n'est peut-être que le résultat - plutôt que la cause - de la susdite généralisation.

Dit plus vulgairement, c'est peut-être parce que notre société actuelle toute entière manque de c*uilles qu'il se trouve de moins en moins de personnes capables de passer outre la règle tacite du nivellement par le bas et exprimer leur individualité. C'est d'autant plus difficile que règne aujourd'hui dans tous les pores de la société l'état d'esprit des "mutins de panurge" chers à Philippe Muray, ce que j'appelle l'individualisation du suivisme, autrement plus coercitive que l'ordre rigide d'antan, fixe et à la limite claire, dont on pouvait s'abstraire sans être récupéré.

Mais je m'égare.

En un mot comme en cent, à mon avis, le "je" disparaît car l'audace n'est plus considérée.

"De l'audace, encore de l'audace !" criait cet hypocrite de Danton. C'est ce qu'il nous manque.
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MessageSujet: Re: L'abandon du "je" dans les copies...   L'abandon du "je" dans les copies... Icon_minitime

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