Le docteur

LE DOCTEUR


Simplement enrhumé, le docteur me demanda de répéter après lui "Tourner autour du pot". J'obtempérais, seulement mon nez étant devenu, pour le coup, bouchon de liège, on entendit "Tourner autour du Beau". Ce petit tour mesquin était réservé à tous les enrhumés. M. Fourchin, sur sa chaise, avait les mains noirement velues qui pianotaient le bois de son bureau. Doté d'un sourire un peu gênant, - sa dentition était curieuse -, il me posa gentiment des questions sur ma vie ; lui-même se confia.

_ "Voyez-vous, j'aime beaucoup mon métier. Les hommes sont plus intéressants quand ils sont malades. Ils ont, à mes yeux, beaucoup plus de valeur quand ils sont rongés par la vermine, pourris par les champignons. Voyez-vous, vous n'êtes pas simplement malade du corps, votre âme, aussi, souffre, gémit dans les ordures de vos vices, et lance des cris, étouffés après coup par la main du bourreau. Vous n'imaginez pas à quel point ces asticots rendent votre chair délectable.

Il me regarda droit dans les yeux, les siens étaient d'un noir intense, leur expression était cannibale. D'un geste superbe, le docteur se jeta à mon cou, comme un chien enragé. J'avais toujours devant moi ce regard de fou, ces yeux sortaient de leur orbite ; on aurait dit des succubes miniatures. Je toussais, je crachais du sang. II y avait surtout une émotion qui supplantait tout le reste : un plaisir immense, une jouissance de ma dévoration, un orgasme sanguin... Je ne peux tout décrire, le plaisir est tel que j'en perds la raison. Je me répugne ! Je pleurs de douleur et de plaisir ! La bête me décompose magistralement en de magnifiques coups de mâchoire ! Je cris honteusement "encore !"

Après ce délicieux massacre, le docteur Fourchin avait rangé les organes encore intacts dans des bocaux. Il les réservait à une clientèle très gourmande qui n'hésitaient pas à payer une fortune pour dévorer des cœurs ou des poumons. Ainsi, dans ce théâtre d'illusion dans lequel chacun porte des masques, se cache des monstres qui recherchent le plaisir de la cruauté.

_"Stéphanie, dîtes au prochain patient que je peux le recevoir."

Le coup du "Au client suivant" est vachement connu tout de même. Et je tiens à dire que pour parvenir à nettoyer tout le sang, à trier les organes, à se laver et à changer de vêtements pour ne pas alerter les clients suivants, le docteur doit pas s'occuper de beaucoup de patients par jour ! xD

Pour rester plus sérieux et commenter le texte : l'expression est bonne. Un peu hachée au début du monologue de ce cher docteur, mais ça s'enchaine bien ensuite.

Coté originalité, c'est une variante que le docteur/dentiste psychopathe soit ressorti de temps à autre, toujours en hiver étrangement (les gastros d'été, c'est moins glamour pour dévorer). Par contre, une approche originale pour le coté extatique de la curée, vue par la victime, qui s'en délecte...

J'ai aimé le "sa dentition était curieuse" et je n'ai fait le lien qu'ensuite. Un très léger détail, qui prend tout son sens ensuite. Le début du récit ne fait pas penser à une telle fin d'ailleurs. =°

Merci beaucoup pour ton commentaire Téclis. C'est un premier jet qui suit, disons, un travail préparatoire. C'est pourquoi je compte le retravailler par la suite. J'avais l'intention d'écrire cette histoire en vers mais au final j'ai choisi la prose qui, je crois, est plus appropriée. Donc, merci : ça va m'aider à voir plus clair. Pour finir, si tu as été surpris par le déroulement, je peux donc être au moins satisfait d'avoir réussi cet effet ! D'autres impressions ?