[Background] L'Estropié.

I. Croissance.

Créer un être unique n’est pas simple. Ainsi, toutes les manières se ressemblent, donnant l’impression d’être identiques, répétitives…

Chapitre I.

Long serpent argenté, lacérant la forêt. Route de pierres abimées, griffés par le temps passé. De ce chemin, s’échappaient moults nuages, dessinant dans la noirceur, oiseaux de brumes et dragons de fumées. Une armée de branches, rendues fantomatiques par le brouillard, se perchaient au dessus de la route, semblant prêtes à bondir sur l’inopportun. Quelques rayons de lunes parvenaient à briser cette lugubre atmosphère, parsemant la voie de taches luminescentes.

Un bruit se fit entendre. Les os contre le roc. Claquement régulier, tranquille, traversant les nuages pour parvenir jusqu’en ce lieu. Yeux de braises jaillissant de la brume. Étalon à la robe de ténèbres, tranchant avec ce paysage blanchâtre, prenant toute sa consistance au milieu des spectres. Juché sur son dos, un chevalier. Longue cape de voyage tombant jusqu'au sol. Une capuche de lin, rabattue sur son visage. Lance, fixée au flanc de la bête. Ceinte à la ceinture de l’homme, une épée argentée, tout aussi fine qu’une feuille. Accrochées à sa jambe, trois longues dagues. L’animal s’avança. Un assemblage de bois brisé gisait sur roche. Roue. Le cavalier retira sa capuche, laissant apparaitre le facies Elfique.

Chapitre II.

« Ramène-nous les frontaliers, Josh. »


L’homme s’agenouilla devant la roue. Agités par un tic nerveux, ses lèvres se tordirent. Ses yeux se plissèrent. Sa main droite emporta son gant. Ses doigts nus frôlèrent le bois.


Explosions. Araignées d’acier, emplies de fumée. Fleuves de sang se faufilant entre les pavés. Océans de lumière emplissant l’univers. Arbres enflammés, tombant des cieux, se brisant sur les pavés. Quelques chevaliers, tentant de repousser le démon. Corps qui chutent dans la poussière. Fantôme obscur portant armes, tailladant la chair des guerriers. Être fuyant dans les bois, tentant de trouver abri… Arbres qui s’embrouillent. S’effacent. Monde qui disparait.

Josh se releva. Le brouillard semblait se dissiper. Les alentours se dévoilèrent, révélant le carnage dans toute sa splendeur. Une route de pierre, fracturée en plusieurs endroits, noircie par le souffle des mines. Traces de filets pourpres, autrefois sang des guerriers. Etalés sur le sol, d’altiers Elfes, lardés de coups d’épées, endormis à jamais. L’homme scruta le terrain, cherchant le corps d’autres créatures. Rien n’apparut à ses yeux. « Ô combien rares sont les monstres capables de triompher de guerriers entrainés sans perdre ne serait-ce qu’une once de leur vie... ». Un cri l’extirpa hors de sa contemplation, surgissant des bois. Voie de terre s’enfonçant dans les bois. Sombre route. Arbres carbonisés, semblant encore enflammés. La lame jaillit hors de son fourreau, se dressant devant l’homme. Adressant une prière à Ewil, Josh s’enfonça dans la forêt.

Une clairière. Feuilles d’ébènes. Troncs de charbon. Un sol recouvert de cendres. L’herbe elle-même était blanche. Seule une couleur miroitait en ce lieu, effaçant tout le reste. Rouge. Un regard. Deux yeux enfouis dans les bois, observant Josh. Ce regard, l’homme ne le connaissait pas. De toutes les créatures qu’il avait rencontrées, aucune n’avait en ces orbites de telles arabesques de sang, d’oiseaux de feu, de langues pourpres. Jamais son regard n’avait croisé de prunelles aussi sombres, tempétueuses, haineuses.

L’ombre sortit d’entre les arbres. Une gigantesque créature, enveloppée dans un manteau d’obscurité, vaporeuse, inconsistante. Fantomatique. Dans ce qui aurait pu lui servir de main, un amalgame métallique, rappelant quelque peu une masse. Le guerrier plongea ses yeux dans les orbitales de la bête. En ces rubis se traçait une vérité. Cette « chose », à l’autre bout du bois, ne comptait pas parlementer. Sa tranquillité ne reviendrait qu’avec la disparition de Josh. L’extermination totale, radicale, irrémédiable, de l’individu. À nouveau, Josh plissa ses lèvres. Tout en reculant son pied, il releva son arme. Peu effrayé par la gestuelle adverse, le monstre poussa un long hurlement. Avec les sons s’envola la brume. Triturée par les vents, la fumée devint nuage. Alors, les ténèbres churent sur la clairière, les étoiles effacés cette oblongue obscurité.

Le pas devint course. Charge. L’acier trancha les quelques particules flottant dans l’air ambiant. Le choc fut terrible. Pour le sol. Josh, averti par ses sens, avait déjà disparu. Hurlement de rage. La masse tournoya dans les airs, frappant toute chose à sa portée. Douleur. L’elfe reculait peu à peu, face à cette hargne destructrice. Le combat semblait perdu. Taille. Estoc. Tout cela semblait inutile. C’est alors qu’une faille s’ouvrit dans les nuages. Rayon de lune tranchant la nuit. Un instant. L’ombre se laissa entrevoir. La lame fendit l’espace.
L’Elfe restait au sol, épuisé. Une longue estafilade filait le long de son flanc. Quelques gouttes tombaient, formant une petite mare à ses pieds. Son épée reposait à ses cotés, planté dans le sable. Le monstre n’était plus. À sa place, le sol. Néant infini. Cadavre effacé. Si Josh en avait eu la force, les questions serait venus à son esprit. Hélas, il ne pouvait. Ses yeux observaient la clairière, recherchant âme qui vive. Eux ne trouvèrent rien. Ses oreilles, néanmoins, ne le trahirent pas, rapportant un gémissement lointain.

Chapitre III.

L’arme découpa les buissons. Le taillis semblait en fort mauvais état. « Comme si, en un coup, tous les éléments avaient frappé cette endroit, brulant, inondant, arrachant, ensablant cet arbrisseau… La rage d’Aë envers ce lieu semble incalculable ». Josh se redressa lentement. Sa main droite restait collée à son corps, pansant la balafre. Dans l’autre, il tenait sa lame, s’avançant à pas lents dans ce chaos. Le cri venait de là. Du cœur des bois. Un sanglot sans force, sans consistance, inaudible pour celui qui ne le cherche point.

Corps étendu dans la cendre. Cheveux d’ébène dans la neige. Flamme à présent éteinte, braises s’enfonçant dans la nuit. Lèvres ensanglantés. « Une fée » pensa le guerrier. « Un ange tombé dans la nuit, repartant vers son monde. Une beauté d’un jour, aux portes des ténèbres ». Un souffle inaudible gonflait encore la frêle poitrine. Quelques mots s’échappèrent, arrivant fragmentés à l’oreille de l’Elfe.

Il ne comprit point. Si seulement…
Une ombre passa. Avec elle partit la vie de la jeune femme. Josh s’agenouilla, fermant les yeux de la demoiselle. D’un geste de la main, il implora les Seigneurs de l’amener jusqu’aux cieux sans encombres. D’un autre, il rengaina son épée. Il resta prostré quelques instants, puis se releva, s’apprêtant à partir. C’est en admirant une dernière fois la beauté, qu’il aperçut une flaque pourpre le long des cuisses du cadavre. Ainsi qu’une forme qui ne ressemblait absolument pas à une touffe d’herbe, un buisson, ou un insecte. « Elle devait être enceinte ».

Par un reflexe de sauvegarde, l’enfant semblait avoir réussi à s’échapper de l’utérus, se précipitant dans une boue cendrée, neigeuse, plaine de sang et de larmes. Josh se pencha au dessus du fœtus. Ce dernier semblait plus mort que vif, respirant par à coups, affaibli par la tourmente. Ses yeux s’étaient fermés, sous l’effet du froid. « Face au vent, à la neige, au froid et aux flammes, tu as survécu. Je ne peux te laisser ici, même si ta famille repose en ce lieu. Je ne peux oublier nos enfants. Alors viens, Fils de l’Hiver. »

Une fois le bébé enveloppé dans sa cape, Josh se releva, laissant à la nature le soin d’enterrer les corps. Il traversa la clairière, revenant sur ses pas.

Royaume Austral.

Chapitre I.

Une fine pellicule de neige recouvrait la clairière. De la cendre, les arbres avaient poussé, dominant à présent le sol par leurs feuilles titanesques. « En ce lieu, la parure des anciens ne tombe plus… Un endroit marqué par les batailles. Des racines nourries par le sang. ». Les bois étaient ornés par un amalgame de nuances rouges. Or. Rubis. Cuivre. Bronze. Josh s’avança. Sur son front l’on retrouvait quelques rides de soucis. Dans ses yeux rougis, le manque de sommeil. Cent ans s’étaient écoulés depuis la naissance d’Henrhiv.

Chapitre II.

« Cours. ». Serpent d’argent s’enfonçant dans l’horizon. Ligne ensablée se traçant au sol. Une tache noire sur la pleine. Jamais cheval n’avait couru aussi vite, déchirant la terre de ses sabots, brisant l’air de son museau. Josh s’agrippait à la bête, tentant de se stabiliser, d’éviter la chute. Il n’y avait pas de temps à perdre. Lui restait un combattant d’Elite, et, de la, totalement inapte à s’occuper d’un enfant. De sa plaie s’écoulait encore quelques gouttes pourpres, glissant dans la robe de l’étalon, filant jusqu’au sol pour disparaitre dans la poussière. « Si seulement j’avais un instant pour respirer… » Trois jours passèrent ainsi, à travers les plaines, les déserts. Le sable. Au crépuscule du troisième, apparut à l’horizon Er’Salis, demeure des Elfes Australs. Ses terres. L’échine fumante, l’animal s’arrêta. Du haut de sa dune, enveloppé par les derniers rayons du soleil, Josh pouvait tout voir. Ces gigantesques arbres allant jusqu’au ciel. Une forteresse à la lisière des bois. La ceinture de pierre. La Tour blanche… Le temps n’était point à la contemplation. « Plus que quelques heures, Nïkalan. Notre course se finit. Pense à la vie que tu sauves. Continue. ». Alors, oubliant sa fatigue, ses douleurs, ses maux, le cheval repartit.

Du haut de la forteresse, aussi loin que portait les yeux Elfiques, l’on pouvait apercevoir un homme. Josh, quelques soient ses blessures, ses stigmates ou son code vestimentaire, était connu de tous. Avant même qu’il n’ait atteint les routes, les portes d’ébènes s’ouvraient. La Ceinture fut percée, la forteresse passée. Nïkalan marchait à présent dans une végétation dense, verdoyante, imposante. Sans être envahissante, encombrante ou infranchissable. Les buissons semblaient s’écarter de la voie du chevalier. Arrivé en ces terres connues, l’étalon avait sensiblement ralenti son pas, se contentant d’un petit trot. Une heure s’écoula avant qu’ils atteignent la Tour Blanche.


La plus grande partie du village était bâtie dans les arbres, chacune des maisons étant reliés entre elles par un ensemble de passerelles. La seule construction « Artificielle » se trouvait être un palais de marbre blanc, dominant l’ensemble des arbres alentours. La « Tour Blanche ». Dans celle-ci ce déroulait la vie Elfique. Marché, École, Armurerie. Salles de combats, de tir, Écuries. Salle du conseil. Josh tombait de fatigue. Néanmoins, il savait que défendre sa cause devant les anciens ne serait pas une mince affaire. Dans la foule accourant en sa direction, il reconnut quelques têtes connues. Compagnons d’armes, membres de la famille. Parmi ces derniers, sa sœur. Se redressant sur son animal, il lui tendit l’enfant…

Pas un mot de plus. Seulement un regard, un sourire. Une larme.

Chapitre III.

« Auriez-vous, commandant, dans un quelconque instant de folie, oublié nos lois ? »

Le tout ressemblait à un tribunal. Douze sages, installés sur des sièges en marbres, en demi-cercle, observant d’un regard noir « l’accusé ». Ce n’était pas la première fois que Josh se retrouvait là, pour une infraction au code de la société. Seulement, d’habitude, il se débrouillait pour être en forme lors de ses jugements. Sa blessure à l’épaule, meurtrie par le voyage, s’était infectée, donnant l’impression d’être criblé d’épines. Josh tenta un pauvre sourire.

« Non, Messire. »

« Alors, pouvez-vous m’expliquer, nonobstant la mort de nos frontaliers, l’arrivée impromptue de cet enfant dans notre ville ? »« Hum. C’est possible. En tant que chevalier, j’ai reçu une formation à la fois artistique et militaire » Le visage du Guerrier se redressa, ses yeux s’ouvrirent légèrement. Il continua. « Ainsi, je ne peux me comporter comme un être dépourvu de sentiments en toute situations. Laisser un enfant mourir dans la neige est contre bon nombre de mes principes. Seuls les bureaucrates calculateurs dont vous êtes un parfait spécimen auraient respecté le code à la ligne… Hélas, je ne pense pas que vous auriez survécu. »

Un long silence s’abattit sur l’assemblée. Le cœur de l’interrogateur manqua un battement. Sa main se tendit imperceptiblement vers son sabre, pour se rétracter à une vitesse excessivement rapide devant le regard de l’accusé. Le conseiller de l’extrême droite toussota, avant de prendre la parole.

« Excusez-moi, Commandant. Comment devons-nous considérer le « Bureaucrates Calculateurs » ? J’avoue être un peu perplexe : L’on dirait presque de l’impertinence, envers les chefs d’Er’Salis. » À l’opposé du conseil, un Elfe leva un sourcil moqueur. « À vrai dire, je voyais plutôt dans les termes de Josh une vérité générale. Certains membres de ce conseil sont, en effet, d’affreuses calculettes bipèdes à l’esprit machiavélique, totalement dépourvus de sentiments. Chacune de leurs actions sont conditionnés par un livre omnipotent, lequel comporte parfois quelques règles aberrantes, comme celle autour de laquelle nous tournons depuis quelques minutes. Nous obligeons un héros de nos terres, auquel nous devons quelques chandelles, à se trainer, malgré sa fatigue, devant notre horripilante assemblée de clown millénaires ! » L’individu acheva sa tirade, sans souffle. Tout en inspirant une grande bouffée d’air, il adressa un léger salut à Josh. Son voisin de droite enchaina.

« Pour commencer, Il faudrait d’ailleurs discuter de l’hypothétique intérêt de cette loi, de son sens, afin de savoir si l’on ne peut pas, tout bonnement, la retirer du Livre. Je vais vous la rappeler. » L’orateur plongea sa tête dans un gigantesque ouvrage « L’article si contre s’applique uniquement aux frontaliers, dont les mœurs et coutumes différent sensiblement de ceux d’Er’Salis. Si l’ensemble de la famille directe d’un individu âgé de moins de trois ans vient à disparaitre, alors l’individu en question accompagnera ses proches dans l’au delà, pour éviter tout les inconvénients qui viennent lors d’une croissance chez un tiers d’une ethnie différente. Cette loi ne pourra être appliquée aux mineurs dotés d’une conscience, cela revenant à un meurtre. Pour les articles concernant les meurtres, se référer aux chapitres Dix-sept, Dix-huit et Dix-neuf […] »

« Voila donc notre problème. Il est inutile de rappeler que cette loi à été voté par l’ancien conseil, pour des raisons restant encore à déterminer… Si l’on comprend bien ce texte, l’on exécute les individus qui, justement, n’on pas encore de liens culturels avec la « société » frontalière. Ce qui, je l’avoue, me laisse quelque peu perplexe. Donc. Je vous pose la question, messieurs les anciens sages, car je n’y trouve point de réponse. Ca sert à quoi, ce charabia ? » L’un des concernés toussota. « Si je me rappelle bien, nous avions jugé, à l’époque, que les frontaliers, étaient des personnages instables, agressifs. Colériques. L’éducation de leurs enfants nécessitait une série de rites, seulement réalisables par les géniteurs, afin de catalyser l’énergie qui brule en eux, pour éviter un retour de flammes. Ainsi, un enfant frontalier retrouvé seul, sans liens connus, se doit d’être tué. » Nouveau silence. Josh leva un sourcil interrogateur. « Donc. Si je comprends bien, avec cette superbe règle, aucun jeune frontalier orphelin n’a eu le temps de grandir… Votre hypothèse à elle déjà été vérifiée ? » Un rire mal étouffé s’échappa de la gauche de l’assemblée. Au centre, le « Juge » grogna. « Je me vois obligé de vous dire que vous avez raison. Je présume que vous nous proposez un test avec l’enfant, non ? Une vérification du potentiel d’un Frontalier élevé à Er’Salis, avec nos mœurs et nos coutumes ? » « Je ne voyais pas Henrhiv comme un cobaye, » s’exclama Josh « Si vous avez besoin d’une phrase tel que celle-ci dans votre formulaire, j’accepte. Néanmoins, il vaudrait mieux pour vous que personne ne tente d’expérience sur mon fils. Je dis bien personne… »


En quelques années, le Conseil s’était transformé. Les anciens sages avaient du faire face à une vague de protestations assez virulentes : Une grande majorité de la populace jugeaient leurs actions quelque peu orientée en fonction de leurs intérêts. Appartenant tous à la même caste, les buts des haut membres d’Er’Salis ne divergeaient point. Ainsi, le peuple se retrouvait souvent oublié dans les manigances du pouvoir. Pour faire face à ces détracteurs, le Conseil jugea bon de laisser des sièges aux membres des ethnies « inferieures ». Aussitôt, ces derniers avaient entamé un dépoussiérage du Code, ainsi qu’une suppression des incohérences innombrables qui régnaient à l’intérieur de celui-ci. Le tout engendrant un sacré foutoir administratif, ainsi que moult tensions au sein du « Gouvernement ».


« Bien. Je ne compte plus le nombre de lois supprimés, contournés, ou modifiés depuis le début de ce mois… Vous aviez parlé d’un « Pour commencer » tout à l’heure. Je dois donc supposer qu’il y’a une suite. ». L’Elfe central gratifia l’extreme gauche d’un regard noir, tapotant impatiemment le siège de ses doigts. Le concerné sourit, puis reprit. « En effet. Dans un second temps, il serait intéressant, voir essentiel, d’exclure de notre conseil nos ainés quelque peu décadents, pour enfin assainir le gouvernement des coupables d’un millénaire de loi inutiles, de trajectoires économiques aléatoires, de corruption intense… » Pour la deuxième fois depuis le début de ce concile, le cœur de l’interrogateur manqua une coche. Dans un rugissement, il bondit sur le détracteur. Ce fut Josh qui s’interposa, attrapant l’Elfe par le col. « Excusez-moi. Depuis quelques minutes, j’ai l’impression d’avoir une épaule en train de se décomposer. Sauf erreur de ma part, je viens d’obtenir un laisser passer quand à la loi me concernant. Donc. Est-ce que ma présence est indispensable pour cet énième conflit intra gouvernemental ? » Hochement négatif. « Parfait. Puis-je sortir de cette salle, récupérer Henrhiv, me faire soigner en paix ? ». Etouffé par la tension au niveau de sa gorge, la voix du juge ressemblait plus à un murmure. « Vous remplirez les formulaires officialisant la naissance « d’Henrhiv », et je pense que ce sera bon… » Sans un remerciement, le commandant relâcha l’Elfe, puis sortit. Les portes se refermèrent. Explosions Cris. Coups d’épées. Une bataille se tramait dans l’enceinte du gouvernement. Les gardes ne songèrent point à intervenir. Ce vacarme faisait à présent parti de leur quotidien.

Chapitre IV.

Josh se faufila dans l’assemblée. Pour un Elfe, cent ans n’était qu’un souffle. Son corps ne s’était point transformé, gardant sa vigueur d’antan. Seule une longue mèche blanche marquait ce vieillissement. Pour le monde d’Er’Salis, réciproquement, le siècle passé avait été très productif. La vie tout entière avait changé, sous l’action des nouveaux Sages. Le dépoussiérage du guide, ainsi qu’une division équitable des ressources entre les différentes castes, avait apporté une période d’abondance sur le Pays. De plus, pour la première fois depuis des millénaires, le pouvoir était équilibré. Des conseillers d’origine, il n’en restait que deux. Chacune des grandes castes avaient à présent son représentant. Josh marchait à présent dans les grands escaliers de la tour blanche. Sur son passage, les gens s’inclinaient. Sa longue veste noire, ses bordures grises, sa couronne argentée se distinguaient parfaitement des vêtements d’autrui. De commandant, il était devenu conseiller.

Entrant dans la salle du conseil par la porte de derrière, Josh se faufila jusqu’au siège central. « Aujourd’hui est un grand jour… » Les portes s’ouvrirent. Une crinière noire tombant jusqu’aux épaules. Deux yeux d’émeraudes brillant au milieu d’un visage lunaire. Un visage tracé à la plume, tout en délicatesse. Des traits fins jusqu'à en être invisibles. Le reste du corps était caché par une tenue d’ébène. Néanmoins, l’on devinait la fine musculature du combattant. Henrhiv adressa un léger salut à son père adoptif. Un petit sourire apparut sur les lèvres de Josh.


Pour un individu dont beaucoup se méfiaient, Henrhiv avait eu une croissance des plus normales. D’un point de vue « Problèmes Psychologiques », il frôlait même la perfection, évitant les crises de nerfs, les tentatives de suicides, les dépressions nerveuses. Très rapidement, le jeune homme avait développé des aptitudes extraordinaires dans l’art des Lames et des Mots. En bon père, c’est Josh qui se chargea de l’éducation de son fils, lui enseignant les techniques les plus pointues des deux Domaines. Quoique turbulent, ce dernier continua ses progrès à une vitesse exceptionnelle, pour rejoindre l’Élite des guerriers d’Er’Salis. Sur d’autres plans, son espièglerie avait fait de lui la terreur de bien des habitants du village. Lesquels redoutaient toujours de ce recevoir une flèche dans le postérieur. Une enfance classique.

Pour un Elfe, l’intronisation dans la caste des Guerriers Poètes, ainsi que le passage au monde Adulte, sont deux des plus grands honneurs possibles. Rares étaient ceux pouvant les fêter simultanément.

Debout au centre de l’assemblée, Henrhiv restait coi, attendant un signe, un geste, un mot. En son corps bouillonnait l’impatience. Malgré les années d’entrainement, une petite goutte de sueur coulait le long de son front, témoin de cette intense activité interne. « Par les seigneurs… Quand vont-ils enfin parler ? ». Josh contemplait son fils, le bord des lèvres légèrement remonté. « Voici mon dernier enseignement, Henrhiv. La patience. ». Deux heures s’écoulèrent ainsi. Deux heures de souffrances pour le jeune Elfe, sentant ses jambes s’effondrer sous son poids, son ventre gargouiller, sa vessie se presser. L’envie de s’asseoir devenait irrésistible. Ses lèvres s’étaient asséchées. Avec ses ongles, il avait entaillé ses paumes, laissant un peu d’hémoglobine s’écraser sur le sol. Son esprit ne cessait de tourner, cherchant l’erreur, le pourquoi de ce silence. Puis, après l’incompréhension, vint finalement le calme. « Quitte à attendre, autant bien le faire… »

Josh toussota. Aussitôt, Henrhiv redressa la tête, espérant entendre une parole salvatrice. Laquelle vint. Se redressant sur son fauteuil, le conseiller prit la parole. « Bien. Je pense qu’il a compris, à présent… Voila un siècle, j’ai accueilli dans ma demeure un orphelin, dépossédé de toute famille. Ayant réussi à contourner l’Ex Administration de notre peuple, j’ai pu l’élever. Je l’ai vu grandir, en taille comme en sagesse. Aujourd’hui, cet « enfant » maitrise bien des facettes de notre société. Porté par son talent, il s’est forgé une place au sein même de l’élite combattant d’Er’Salis. Il est maintenant devant nous... Messieurs les Sages, il est temps. » Les concernés acquiescèrent. « Un simple geste vaut mieux qu’un long discours, mon fils. » Au coté de Josh se tenait un serviteur, portant un coussin pourpre. Sur ce coussin, une épée. Une longue lame unie, forgée dans l’argent le plus pur, totalement dépourvue d’ornements. Le conseiller-chevalier saisit l’arme, tout en s’avançant vers son disciple. « À genoux. » Henrhiv s’agenouilla prestement. « Tends tes mains devant toi ». À nouveau, le jeune elfe obéît. Alors, dans une complexe gestuelle, Josh déposa la lame dans les mains de son fils. « Qu’elle symbolise ton entrée dans l’âge adulte comme ta nomination dans la caste des Chevaliers Poètes. Puisse-elle te protéger contre les ennemis. »

Chapitre V.

« Eh bien voila, monsieur le chevalier. Vous êtes à présent des nôtres ». Le père et le fils descendaient les escaliers. Henrhiv sourit, sans toutefois répondre. Josh continua. « Bravo. Il y a cent ans, tout le monde te regardait avec méfiance. Aujourd’hui l’on t’acclame ! Et, qui plus est, en tant qu’adulte, tu as le droit de filer au bar pour t’enivrer avec tes camarades chevaliers ». Le jeune homme se tourna vers le conseiller, tout en continuant sa marche. « Ils font ca très bien, à ce qu’on m’a dit. » « Se souler ? » Demanda Josh « Oui. C’est un art que seuls les chevaliers poètes maitrisent à la perfection. Par ailleurs, j’ai toujours inventé mes plus beaux poèmes avec quelques gouttes d’alcool dans le sang… ». Le regard empli de scepticisme, Henrhiv reprit. « J’imagine… Bon. Que devons-nous faire, à présent ? » « Toi rien, mon fils. Tu rentres, tu te laves, tu te repose. Je te signale qu’une fête va être donnée en ton honneur. Ce n’est pas tous les jours qu’un adulte rejoint notre communauté. D’ailleurs. Tu devrais songer à inviter une fille, pour changer. Je ne compte même plus le nombre de demoiselles qui te réclament, allant jusqu’à forcer la salle du conseil pour savoir comment te rencontrer… » Un long toussotement s’échappa de la gorge du concerné. «Ben, tu sais, papa, je ne sais pas vraiment comment m’y prendre… Papa ? Hé, Papa ! »

Debout sur l’une des passerelles d’Er’Salis, Josh contemplait les arbres avoisinants, à la recherche d’une hypothétique créature, déjà disparue dans les branchages. Néanmoins, cette seule vision avait réveillé de lointaines inquiétudes, de noirs souvenirs… La voix d’Henrhiv lui parvenait à travers un brouillard. Rassemblant son esprit, il parvint à répondre « Ce n’est rien, Fils. Seulement, il se peut que j’arrive en retard à ta fête. Peux-tu faire préparer Nïkalan ? Je te rejoins dans un instant. » « Est-il possible de savoir ce qui se passe ? » « Rien de grave… J’ai oublié de vérifier une chose essentielle. Une chose que j’aurais du vérifier depuis longtemps. »

Chapitre VI.

Il aurait du vérifier dès la première fois. Cette capacité de voir à travers les âmes, les rocs, les corps. Une bénédiction. Ce don des seigneurs, lui ouvrant la voie du passé. S’il l’avait voulu, un simple geste lui aurait montré les événements. Épuisé par son combat, brisé par cette longue cavalcade, inquiet pour l’enfant, il n’avait point eu la force. Puis, le temps s’était écoulé. N’observant pas d’intervention de « Seydém », il avait cessé de s’inquiéter, pour reléguer cela à un problème mineur. Mais. Hier… Ces yeux rouges, il les aurait reconnus entre mille. Seul le monstre en avait de tel.

Josh écarta les buissons. Elle était là. « Cent ans auparavant, je quittais un endroit désolé, couvert de sang et de larmes… Voilà qu’aujourd’hui, je trouve un paradis. La neige est partie. Les feuilles ne tombent plus. Les batailles auront donné à ce lieu une vigueur nouvelle. Même les morts… » Un siècle après la découverte d’Henrhiv, la fée restait identique, oubliée par le temps. Des ravages causés par les ans, aucun n’avait touché son corps. S’agenouillant face à la jeune femme, Josh posa sa main sur son front. L’univers se brouilla. Des arabesques vaporeuses envahirent ses yeux. Emportés par une main invisible, les arbres disparurent. Blanc.


À travers ses yeux. Il était Elle.

Dans la nuit, quatre chevaux. Allongée à l’arrière du chariot. Deux femmes se tenaient au dessus d’Elle. Josh sentait la brise sur son visage. Les rayons de lune sur sa peau. Les imperfections de la route qui causaient de si désagréables rebonds. Un coup frappa son ventre. Josh regarda autour de lui, cherchant l’ennemi. Il n’en vit point. Au cœur de l’utérus de l’Elfe, une incroyable machinerie s’était mise en marche, déclenchant la naissance de l’enfant. Elle poussa un faible gémissement, appelant son compagnon. Ce dernier bondit en sa direction. « Il arrive… ». Les deux femmes commencèrent leur travail. L’homme chuchotait des mots doux à l’oreille de sa bien-aimée.

C’est alors que Josh l’aperçut. Flamme qui croisse. D’étincelle devient feu. Forme obscure dans les arbres. Gigantesque créature, prête à bondir. Deux yeux d’un rouge parfait, empli de ses symboles trop bien connus. Entité invisible dans la peau d’une demoiselle, le conseiller ne pouvait les avertir. Tout n’était que souvenirs. La bête se laissa choir. Le premier des chevaliers n’eut pas le temps. Il ne comprit jamais. Une patte gigantesque lui arracha le visage. Seul resta une sphère écarlate. Dégainant leurs armes, les trois autres guerriers chargèrent l’Obscurité. Les épées ne pouvaient l’atteindre. Les lances, les arcs, les coups. Rien ne réussissait. Incapables d’attaquer, les chevaliers furent vite débordés. Dans sa main, le monstre fit apparaitre une gigantesque masse d’acier. Chocs. Os brisés. Corps qui s’effondrent.

Elle se releva. Son époux dégaina sa hache, se postant à l’avant du chariot. L’accouchement devait attendre. Les deux femmes sortirent leurs arcs. Et attendirent. « J’en ai besoin… ». Voix jaillissant des ombres, des recoins, des ténèbres. Sans sources. Venant de l’ensemble. La créature bondit. Explosion. Monstres mécaniques jaillissant de nulle part, s’enflammant dans un brasier infernal. Le chariot chut. Sang. Corps brisés. Cadavres. Elle rampa. Josh, à travers ses yeux, pouvait voir tout ce qui se trouvait dans le champ. Les deux femmes gisaient au sol. Lancé dans un combat désespéré, l’homme essayait de donner du temps à sa dulcinée. Cette dernière parvint à se mettre debout, s’élançant dans la forêt. Derrière elle, une ultime explosion. Feu. Oubliant les contractions, l’Elfe continua sa course, jusqu’à la clairière, pour se laisser choir dans un bosquet, attendant. Josh sentait l’ombre au dessus d’elle. Encore une fois, Josh resta muet, incapable de faire autrement.

Douleur. Forces s’échappant, s’envolant avec le vent. Souffrance. Plaquée contre un arbre, une gigantesque main enserrant sa gorge, Elle sentait sa vie la quitter. « Un être éveillé ne cherche que la liberté. Je n’ai que trop dormi. ». Un craquement se fit entendre. « Rien ne doit m’interrompre. Je reviens. ». La bête disparut. La vie continuait sa fuite. Trois minutes s’écoulèrent, chaque seconde l’arrachant un peu plus de son corps. Derrière les buissons, elle sentait la foudre se déchainer. Josh savait ce qui se passait là bas. Elle non. Le bruit cessa. Un instant plus tard, un homme épuisé écartait les buissons. Malgré tout ses pouvoirs, le conseiller ne pouvait réveiller les pensées d’un cadavre centenaire. Il ne pouvait voir dans sa tête. À deux reprises, elle tenta de parler.

« Seydém… Es Seydém… »

La clé de voute. Une clé impalpable, inaccessible, introuvable. Insaisissable.

Chapitre VII.

Le retour fut tranquille. Cinq jours restaient avant l’intronisation officielle d’Henrhiv dans la société adulte, au cours d’une fête à fort taux d’alcool. Pour le voyage, Josh décida de mettre de coté les questions existentielles, pour méditer sur la croissance de son fils, ainsi que des portes qui s’ouvraient à lui. Seydém n’avait point attaqué. Pourquoi se faire du souci ?

La nuit était tombée lorsque le conseiller franchit les portes. Feuilles tombant des branches, papillons végétaux tournoyant dans les airs. L’atmosphère était lugubre. Quelque chose affectait la forêt, assombrissant la nature. Aussitôt, la vision revint. Seydém jaillit dans l’esprit de Josh. « Pourquoi ? Qu’est ce qui dirige cette bête ? La recherche de la liberté ? Si c’est ca, quelles sont donc ses chaines ? Tant de questions. Si peu de réponses. Le nom en lui-même ne signifie rien. Seydém… » Le cheval franchit les premières cahutes d’Er’Salis. « Pour un jour de fête, la ville est bien silencieuse… Que ce passe t-il donc ? Je n’aurais pas du partir. Je n’aurais pas du… » Un craquement se fit entendre dans le dos du guerrier. Josh arrêta Nïkalan, portant lentement la main à son pommeau. Il mit pied à terre. Puis, tranquillement, il se retourna, dégainant son arme.

Le sang des Frontaliers.

Chapitre I.

Au sud, l’âge adulte n’est pas une simple formalité, acquise avec le temps. C’est une récompense, donné aux seuls méritants. Avec ce trésor, l’on peut plonger au plus profond de la vie d’Er’Salis, tirer les ficelles du pays. Cela, rares sont ceux dignes de le faire. Ainsi, rares sont les « Adultes » des terres australes. Henrhiv, par ses efforts, ses capacités, son talent, avait vu s’ouvrir les portes de ce monde. En cette journée, l’Elfe allait donc dignement fêter cette intronisation. Enfin. Pour l’instant, restait le choix du vêtement.

L’enfant de l’hiver accordait un soin tout particulier à son habillement. Des rumeurs qu’il avait entendu, cette fête symbolique était aussi l’occasion de récupérer une demoiselle. Ainsi, sous l’œil exaspéré de sa tente, il voyageait à travers sa penderie, recherchant le veston parfait. Une heure passa, entre col roulé et décolleté plongeant. Les ongles féminins s’enfonçaient dans le cœur de l’arbre. « Henrhiv… Sais-tu que, selon certaines mauvaises langues, seules les femmes arrivent à passer autant de temps pour choisir un simple vêtement ? Donc, est-ce que tu pourrais passer à la vitesse supérieure ? Je te rappelle que ta fête arrive à grands pas, et, ainsi, tu serais bête d’y aller en caleçon ! » Elle s’avança d’un pas menaçant. Intimidé, Henrhiv recula. Les oiseaux postés hors de la demeure entendirent quelques hurlements, accompagnés de chocs répétitifs contre le bois. Quelques minutes plus tard, le jeune homme fut catapulté dans les marches de sa résidence, portant un complet noir d’une sobriété à toute épreuve.

Chapitre II.

Dansant parmi le vent, accompagnant les feuilles. Virevoltant dans l’air. Tous se tenaient là, dans cette gigantesque clairière. Les arbres se dressaient au dessus du lieu, dominant l’herbage. Henrhiv se faufila dans l’assemblée, d’un pas discret, cherchant à ne pas se faire remarquer. Les mâles austraux sont ainsi. Fanfarons, vantards, roulant des mécaniques avant le combat. Pour devenir d’une transparence fantomatique dès que l’arène s’ouvre. Rejoignant ses camarades de jeunesse, il s’installa contre un arbre, complètement dégonflé. « Dire que je m’imaginais capable de réussir mon coup. Bah, ce sera pour une prochaine fois ». C’est ce que bien des êtres ont marmonné dans leurs barbes, avant de s’effacer de la pièce. Néanmoins, viennent parfois les détracteurs. En l’occurrence, il s’agissait d’une jeune femme. Cheveux argentés. Yeux azurs. Lèvres vermeilles. Courbes gracieuses. Une intelligence pétillante cachée sous un emballage parfait. Tout pour émoustiller un Elfe tout juste adulte. Jusqu’au dernier instant, Henrhiv pria pour qu’elle ne vienne pas pour lui. Les Seigneurs semblaient regarder ailleurs.

Sous l’œil sarcastique de ses amis. Sous les sourires amusés des demoiselles. L’Enfant de l’hiver fut emporté, complètement dépassé par la situation. Egaré dans les méandres de ses pensées. Cherchant une explication aux événements. Entrainé au centre de la clairière sous les applaudissements moqueurs des ses pairs, il restait béat. Bouche légèrement entrouverte. Yeux écarquillés. Légèrement moqueuse, sa compagne entama quelques pas de danse, forçant Henrhiv à la suivre. Tout ne se passa pas trop mal. L’animal réussit à enchainer ses mouvements sans s’écraser au sol. Entouré d’un monde soudainement discret, il ne pouvait lâcher du regard des yeux son Yseult. Silence. En son esprit, la musique s’arrêta. Le vent se tut. Les feuilles s’immobilisèrent. Il agit. Les lèvres de l’Elfe s’avancèrent lentement en direction de la bouche féminine. La frôlèrent. Il l’embrassa. De ce qui se passa ensuite, Henrhiv ne put jamais l’expliquer en son entier. En un instant, le temps reprit sa route. Partant de son bassin, une onde de souffrance envahit son être.

Chapitre III.

Les histoires terrestres parlent souvent de Cupidon, le fils d’Aphrodite, prenant plaisir à lier des passions par ses flèches magiques. Bien qu’inexistant dans les terres Australes, l’angelot frappa. La flèche fut d’acier, les amants de chair. Un projectile tranchant les chairs, rassemblant l’amour dans la douleur.


Sang. Flot de rubis s’écoulant des plaies. Respiration saccadée, souffle impalpable. Tirée des arbres, la flèche avait transpercée le cœur de la femme, pour se ficher dans la ceinture abdominale de l'Elfe. Fleuve sanglant chutant en cascades, chevauchant les rocs d’ivoires, s’écrasant dans l’herbe. L’âme d’Henrhiv s’effondra. Par delà les pensées et les songes, jaillit une ombre d’ébène, rongeant le savoir, obstruant les flux, brisant la sagesse, déplaçant les visions, transformant les lignes. Corrompant. Au tréfonds de l’esprit, les portes du chaos s’ouvrirent.

Henrhiv déposa le corps féminin à terre. Une larme coula le long de sa face. Les couleurs de son univers s’effacèrent. Seul restèrent le noir. Le blanc. Le rouge. Son corps devint translucide, ses pleurs devinrent pourpres. Il se redressa, observant l’entourage.

Si Seydém n’était pas qu’une image enfouie dans ses rêves les plus lointains, il aurait pu l’associer aux créatures emplissant la clairière. Les elfes avaient disparus, repliés dans la ville. Seuls ses démons restaient, l’entourant, l’attendant, prêts. « Une once de loyauté… ». Le fils de l’hiver ferma ses yeux. Saisissant l’épée paternelle, il laissa couler une dernière goutte d’eau le long de son visage. « Une seule victime… ». Henrhiv redressa son arme. Malgré toute leur puissance, les démons ne pouvaient rien contre ce flot de haine incompressible. La force de Seydém ne coulait point en eux, les laissant sensibles aux coups. La mort jaillit. Taille. Estoc. Lignes ensanglantés tracés au sol. Membres déchiquetés. Cadavres broyés.

L’Elfe rengaina sa lame. Son esprit s’emplissait d’une brume, devenant lointain, inaccessible. Son corps semblait incontrôlable, guidés par des forces autres que les siennes. Quelques pensées parvinrent à franchir ce barrage.

« Fuyons… Fol assassin… ».

Chapitre IV.

« Toi. »

Seydém dévoila une impressionnante rangée de crocs. Un sourire jovial ornait sa face. Ses yeux restaient fixés sur Josh. Dans sa main gauche, une gigantesque épée spectrale, tout aussi effrayante que dangereuse. « En effet, moi. ». Le conseiller planta son arme dans le sol, à portée de main. « Bienvenue à Er’Salis, démon. Que viens-tu chercher ici ? ». « Ta question est quelque peu inutile chevalier. Si je te parle aujourd’hui, c’est parce que tu me sais savant. Parce que tu as vu les souvenirs. Je suis en quête de l’enfant qui m’est du. Celui que tu gardes jalousement. Ton fils. » Josh plissa ses lèvres. « Pourquoi devrais-je te donner Henrhiv ? » « Je ne te le demande pas, elfe. Je viens l’abattre. Hélas, il s’avère plus résistant que je l’imaginais. Que de force ont les mortels quand il s’agit de survivre… ».

« Et pourquoi l’abattre ? »
« Tu le sauras bien assez tôt, Josh. »

Avec un rictus satanique, le monstre entama sa marche en direction de son adversaire, arme levée.