[Background] Grendelor

Il fait nuit et la fête bat son plein. La nouvelle année est là et le petit village de pêcheurs l'accueille comme il se doit afin d'obtenir de bonnes pêches et de toujours revenir des sorties en pleine mer.

Le village de Santano, situé sur la petite île de Cristalina, compte une trentaine de familles, habitant des maisons en pierre d'un rose clair rappelant la chair. Cela fait plus de 300 ans que l'île est habitée et, bien que peuplée de simples pêcheurs au métier difficile, la vie y est douce et agréable. Le poisson ne manque pas et les familles si elles vivent modestement ne manquent de rien. La proximité de la capitale Maïona, située sur la côte à une trentaine de kilomètres, permet de profiter des marchés et ainsi d'assurer le ravitaillement de la petite communauté. Et en ce jour de fête, l'on peut même distinguer les feux d'artifice lancés depuis la grande ville.

Grena, elle, n'est pas à la fête. Cela fait maintenant 4h qu'elle est en plein travail. Mais le petit être qui est en elle ne semble pas décidé à sortir. Pourtant, c'est aujourd'hui qu'elle doit naitre, elle et ses 4 compagnes, éparpillées sur la planète Warifi.
Une petite bonne femme est agenouillée près de Grena, comme le sont 4 autres femmes près des 4 autres mères qui doivent accoucher cette nuit d'une petite fille. Elle parle doucement, tachant de rassurer Grena qui n'en est pourtant pas à son premier enfant malgré ces 22 ans. Déjà 2 garçons qu'elle avait eu, et à chaque fois ils étaient sortis sans se faire prier. Mais là ce n'était pas pareil... D'abord c'est une fille... et ensuite...

Un cri déchire la nuit en même temps qu'une clameur joyeuse retentit sous la voute céleste. Il est minuit. Et dans 5 maisons résonne le cri de 5 petites filles nouvelles-nées à l'heure exacte prédite.

Grena retombe sur sa couche, en nage. Enfin elle est délivrée. Elle pleure à chaudes larmes. La femme près d'elle lave et emmaillote un bébé bien en chair qui ouvre de grands yeux bleu étonnés sur tout ce qui l'entoure, un fin duvet de cheveux d'une couleur rare surmontant le petit visage semblant déjà sourire. Le bébé bien au chaud, la femme le met dans un petit panier, au creux d'un nid de couvertures et s'approche de Grena.

Quel nom lui donnes-tu, Grena? Tu sais que toi seule à ce pouvoir, dit-elle à la jeune femme d'une voix douce et compatissante mais ferme.

Incapable de parler tant elle est secouée de sanglots, la jeune mère tend un papier chiffonné sur lequel de nombreuses larmes ont déjà coulé. La femme regarde Grena avec tendresse et lui prend doucement le papier des mains. Elle le déplie avec délicatesse et déchiffre les lettres sous l'encre qui a coulé. Elle prononce alors le nom, autant pour l'entendre que pour être sûre d'avoir bien lu

Grendelor, dit-elle dans un souffle. Et elle en sent tout le pouvoir quand Grena elle même l'articule d'une voix brisée

Gren..de..lor

La femme hoche la tête, dépose un baiser sur le front de Grena tout en prononçant quelques paroles rassurantes et passe le seuil de la porte de la chambre, la panier à son bras.

De l'autre côté, elle est accueillie par le regard triste et soucieux de Chami, le père. La femme lui fait un signe de tête encourageant et Chami, prenant bien soin de ne pas regarder le panier, rejoint sa femme. dans ses couvertures, le bébé ne dit rien mais ces yeux grands ouverts voient tout.

La femme sort de la maison et est assaillie par tous les bruits de la fête : musique, rires, cris de joie... Elle s'arrête un instant comme pour communier avec cet instant de bonheur que tout le monde partage. Puis elle secoue la tête et rejoint la plage où l'attend un petit bateau à moteur. Elle s'installe à l'avant avec son fardeau et fait signe de démarrer.

Une fois en mer, elle prend le bébé contre elle, dégage son petit visage sur lequel la lune envoie ses doux rayons et murmure

Grendelor...

Le bébé sourit et la femme aussi. Elle dégage un sein de son corsage et y appose la tête du bébé qui se met à téter.

... tu es promise à de belles choses... murmure encore la femme.

A l'horizon, on distingue les lumières de Maïona.

Grendelor, Sentana, Tikra, Lika et Naïcha ont maintenant 5 ans. Elles dorment dans la même chambre et sont élevées de la même façon. Quand elles étaient bébé, elle avaient chacune leur nourrice mais dès qu’elles ont été sevrées, seule Tala est restée, s’occupant des fillettes comme de ses enfants. Au palais impérial, tout le monde est aux petits soins avec elles et pourtant…

Elles ont 5 ans et forment une équipe.

Un petit homme entre dans la pièce. Il mesure environ 1m, porte une longue barbe brune et ses yeux sombres profondément enfoncés feraient peur aux enfants s’il ne souriait pas. Il porte sur son dos un grand sac qu’il pose à terre devant les fillettes, curieuses. Ils sont dans une grande salle où de nombreuses armes sont accrochées aux murs, des mannequins d’entraînement trônent aux quatre coins de la pièce. Tout en farfouillant dans son sac, l’homme prend la parole

Bonjour les enfants !

Bonjour Krapos !, répondent en cœur les cinq filles en souriant.

Nous allons travailler ensemble aujourd’hui… Il s’arrête un instant, les regarde sérieusement, ses yeux voilés un instant par la tristesse… et en fait tous les jours jusqu’à votre majorité.

Elles se regardent, perplexes. Tikra hausse un sourcil, Grendelor hoche la tête.

C’est quoi la majorité, Krapos ?, demande Tikra

Le nain éclate de rire.

J’oublie parfois votre âge ! La majorité c’est quand vous aurez 18 ans… dans très très longtemps quoi !

Les fillettes sourient. Elles ont appris les nombres et le passage du temps, malgré tout avoir 18 ans leur reste inconcevable tellement c’est loin.

Krapos a fini de sortir ce que contient son sac. Entre lui et les enfants se trouvent maintenant étalées quelques armes, et pas en bois : un pistolet, une lance, un fouet, un arc, une dague, une longue épée, des étoiles de lancer appelées shaira, un bâton…

Voilà, choisissez !

Krapos s’assied par terre et les observe.

Les filles se regardent puis se lèvent et viennent toucher ces objets avec circonspection. Elles savent qu’ils sont dangereux et qu’elles peuvent se blesser. Elles ont 5 ans mais à elles 5 elles ont plus de jugeote qu’un enfant de 10 ans. D’abord graves, leur âge reprend tout de même le dessus et elles commencent à faire semblant de se battre avec leurs armes, les testant toutes ou presque. Rapidement, Sentana ne lâche plus le bâton et Naïcha le fouet. Tikra la plus grande en taille préfère visiblement l’arc alors que Lika cache sa dague dans les manches de sa longue robe. Grendelor bien que participant au jeu semble un peu en retrait. Au moment où chacune d’entre elles a choisi son arme, la petite fille a eut un sourire de connivence avec elle. Une fois que ses camarades ont visiblement fait leur choix, Grendelor ramasse alors le pistolet, resté en plan jusque là, le passe à la ceinture de sa robe sans même jouer avec et se tourne vers Krapos.

Voilà, on a choisi ! lance Tikra.

Krapos sourit. Ce qu’on lui a dit sur cette équipe de fillettes et qu’il avait déjà pu en partie observer lorsqu’il les croisait dans les couloirs du palais était tout à fait vrai. Au premier abord on croirait que Tikra est la chef mais en fait avant de faire quoique ce soit elle et ses camarades recherchent l’approbation de Grendelor. Celle-ci ne fait rien pour commander et laisse volontiers les lauriers retomber sur ses amies, le tout avec un charme indiscutable. Examinant les fillettes, Krapos eut un sourire

*Mon dieu, elles vont toute être d’une beauté ! Elles font en faire tourner en bourrique plus d’un !*

Reprenant son sérieux, le nain fixe les filles et dit

Bon maintenant commençons l’entraînement !

Elles ont 5 ans et si tout le monde est aux petits soins c’est parce qu’elles sont l’avenir de Warifi.

Grendelor se bat. C’est une question de survie. Son pistolet rugit. Elle bondit par dessus le tronc d’arbre, court, roule-boule tout en tirant, mettant à terre 3 hommes, recharge dans un mouvement tournoyant qui surprend toujours et qui est sa marque, virevolte toujours en tirant ses coups précis. Trois hommes de plus hors d’état de nuire. Il ne reste plus que son adversaire. Les autres se tiennent qui une main, un genou, une épaule en gémissant et ont abandonné toute idée de combattre la jeune Grenadier. Son adversaire lui n’a pas l’intention d’abandonner, son esprit embrouillé par le malheur et manipulé par d’autres.

Cachée derrière un arbre, Grendelor l’observait. C’était un enfant dans un robot-armure qu’il manoeuvrait redoutablement malgré son jeune âge. Toutefois la jeune fille ne pouvait guère le prendre de haut avec ses 16 ans tout juste révolus.
Ce jeune garçon était le fils d’un gouverneur fort aimé mais assassiné il y a de cela 2 ans. Le gouvernement de Warifi étant féodal, c’est son fils de 8 ans qui prit sa succession, aidé par son conseil. Désormais orphelin (sa mère était morte des suites de l’accouchement), il fut très vite influencé par le Président du conseil, un homme rongé d’ambition et de rancune.
Grendelor avait été envoyée dans la province de Quincha il y a de cela 1 mois, après qu’une série de meurtres affreux se soit produite. Toutes les victimes étaient des hommes d’influence ayant la confiance de feu le père de Jamy et de l’Impératrice Elvie. Ce qu’elle avait découvert était effrayant de simplicité
Le conseiller Loustine avait assassiné le Gouverneur et fait croire à Jamy que c’était un complot. Il avait réussi à le convaincre que son devoir était de châtier les responsables et ceci en utilisant son robot-armure, camouflé sous une couche de peinture rouge sombre cachant les armoiries familiales. Il fallait reconnaître que le conseiller était un grand orateur et, pour un gamin de 8 ans endeuillé, il représentait un appui. Puis les meurtres avaient commencé, 1 an et demi après me drame, allant en s’accélérant au cours des 3 derniers mois, éveillant les soupçons de l’Impératrice. Et le coupable était devant elle, prêt à la déchiqueter de son bras mitrailleur et autres armes que pouvait receler cet engin de mort.

Elle n’avait pas le choix, elle devait le battre. Et l’extraire de son armure. Et redonner vie à l’enfant de 10 ans qui se cachait dedans. C’était son devoir de Grenadier.

Prenant une inspiration, elle sortit de son couvert. Jamy réagit aussitôt et les balles plurent autour d’elle. Elle les esquiva, roulant, pirouettant, ses vêtements partant en lambeaux quand elle n’était pas assez rapide, jusqu’à se retrouver sous le bon angle. Son pistolet cracha une balle qui alla se ficher dans le mécanisme du bras mitrailleur le rendant inutilisable. Jamy hurla et, utilisant l’autre bras, saisit la dague de combat et attaqua Grendelor. Le robot était très rapide. Mais pas assez. La jeune fille fit un salto arrière et esquiva le coup, le ruban rouge retenant ses longs cheveux tomba doucement au sol, tranché net. Grendelor courut vers la forêt, le robot sur ses talons. Elle réfléchissait à toute allure. Elle devait arrêter rapidement le robot, elle ne pourrait pas tenir très longtemps contre lui. Sa seule chance était de le désactiver. Pour cela elle devait atteindre son centre d’énergie situé au niveau du cœur du robot. Sous un pouce et demi d’acier. Beaucoup trop pour une simple balle de pistolet. Sauf si…
Sautant à nouveau elle rechargea en pleine course, stoppa net en se tournant et tira ses 6 balles à la suite. Le train de balles fonçait vers le cœur du robot. La première balle arriva avec à peine assez d’énergie pour rayer l’acier. Mais la seconde la percuta aussitôt, ajoutant son énergie à la sienne. Et ainsi firent les 4 autres balles augmentant la puissance du tir jusqu’à perforer l’armure et détruire le centre d’énergie. Le robot se bloqua, la dague à quelques millimètres du visage de la jeune fille. Un hurlement de rage et de désespoir retentit et Jamy sauta de la cabine de pilotage. Des larmes coulaient sur ses joues.

Comment ! Comment as-tu fait ça ! Tu ne pouvais pas me battre ! Je suis invincible ! Soultine l’a dit ! Quand je suis dans le robot personne ne peut me battre et comme ça je pourrais venger mon père ! Et maintenant tu l’as détruit…

Les poings du garçon sont serrés et son visage exprime la douleur. Son envie de se battre est toujours là.
Grendelor parle doucement, son visage détendu et ouvert, un léger sourire sur ses lèvres.

Jamy, pourquoi fais-tu ça ? Pourquoi tues-tu ces malheureux qui ne t’ont rien fait ? Pourquoi terrorises-tu les gens de ta province ? Je sais combien il est douloureux de perdre ses parents mais ne vois-tu pas à quel point tu as changé ? Où est le garçon rieur toujours prêt à rendre service ?

Silence !, la coupa Jamy, Comment pourrais-je rire alors que ceux qui ont tué mon père vivent dans l’insouciance ?

Ses yeux flamboyaient.

Grendelor secoua la tête tristement. Tout en parlant, elle se rapprochait de Jamy doucement.

Jamy, tu es intelligent et tu es un garçon très doué. Réfléchis un instant. Qu’auraient à y gagner ces gens à tuer ton père ? Ils avaient son oreille et celle de l’Impératrice. Rien ne pouvait être mieux pour eux. Mais leur départ et celui de ton père à qui profite-t-il ?

Une lueur de doute étincela.

Tu mens ! Soultine m’a bien prévenu que tu essaierais de me monter contre lui ! Il est le seul qui m’ait écouté, le seul qui m’ait soutenu ! Les autres n’ont fait que me regarder avec leurs faux airs tristes et leurs plates paroles ! Pas un n’a essayé de trouver qui avait tué mon père !

La jeune fille n’était plus qu’à un mètre du garçon. Elle souffla doucement

C’est faux et tu le sais bien Jamy. Carry a essayé mais tu l’as envoyé en mission sur une autre planète sur les conseils de Soultine. Shraya aussi, la pauvre, et le lendemain où elle t’a dit, en présence de Soultine, qu’elle avait une piste sérieuse son fils a disparu, pour ne revenir qu’une semaine plus tard. Une fugue soi disant. A 7 ans ! Ouvre les yeux Jamy, celui qui te manipule depuis le début et qui a tué ton père est celui qui est le plus proche de toi. Celui qui s’est arrangé pour éloigner tout le monde de toi. Celui qui t’as transformé en robot tueur…

Jamy vacille, son visage se tord.

Non, murmure-t-il, ce ne peut pas être vrai, je ne peux pas avoir fait ça….

Grendelor est maintenant juste en face de lui. Elle ouvre ses bras et serre le petit garçon contre son cœur. Il se raidit, ses poings se crispent.

Si… mais tu peux changer à nouveau. Redevenir le Jamy que tout le monde aime, droit et juste, rieur et aimable, doué avec les robots mais incapable de tenir une épée sans se couper un orteil. Tu peux tout Jamy. Tu es fort, tu pourras tout reconstruire et continuer le travail de ton père. Soultine sera jugé et tout expliqué. La voie du pardon sera longue mais tu seras un exemple pour tous ceux qui veulent se venger. Tu n’es pas seul Jamy. L’Impératrice veille sur toi comme sur le reste de son peuple. Elle t’aime comme tous ceux qui t’entourent.

Le garçon s’effondra dans les bras de Grendelor et explosa en sanglots, expulsant toute sa douleur des deux dernières années. Ils restèrent longtemps comme ça, la jeune fille souriant et murmurant à l’enfant qui pleurait.

Sa mission était terminée : Jamy avait retrouvé le chemin de la paix, les coupables seraient châtiés et personne d’autre n’avait été tué. Bientôt elle repartirait sur les routes, explorant la planète et ses habitants, intervenant souvent de son propre chef et quelques fois sur ordre de l’Impératrice. Elle ne rentrerait que dans 2 ans, ainsi que ses 4 amies, pour le jour de leurs 18 ans et l’intronisation de la nouvelle Impératrice.

Elles étaient rentrées dans l’après-midi, une par une, et avaient été reçues par l’Impératrice pour un long entretien individuel. Jusqu’à ce qu’elles soient toutes passées, elles n’avaient pas le droit de se parler.
Grendelor arriva en milieu d’après-midi, Sentana et Lika lui sourirent et la saluèrent d’un geste de la main. Sachant à quoi s’attendre, la jeune fille fit de même et se hâta de rejoindre le bureau de l’Impératrice.

La pièce était grande sans être écrasante, meublée avec goût mais sans ostentation. Une femme aux yeux violets rieurs se tenait derrière un grand bureau fait de cristaux transparents, faisant presque croire que les dossiers posés dessus lévitaient. A l’entrée de Grendelor, la femme se leva de son siège, lui aussi transparent, révélant sa petite taille, environ 1m50 alors que la jeune Grenadier mesurait 1m72. Une longue robe couleur crème soulignait les cheveux noirs de jais de l’impératrice qui souriait chaleureusement. Malgré, ou grâce à, sa petite taille, cette femme d’âge mûr dégageait une indéniable autorité ainsi qu’une grande bonté. Elle écarta les bras en déclarant avec effusion

Bonjour ma fille, sois la bienvenue chez toi !

Grendelor sourit à son tour et prit la petite femme dans ses bras.

Bonjour Elvie, tu es resplendissante ! J’espère que ton mari te surveille toujours bien sinon la foule de tes prétendants pourrait bien t’engloutir !, répondit-elle malicieusement.

Le sourire d’Elvie s’agrandit et elle serra la jeune fille dans ses bras avant de la relacher et de la conduire jusqu’au canapé de velour rouge sombre qui ornait le mur gauche de la pièce.

Quelle joie de te revoir ainsi que tes sœurs ! Vous m’avez manquée et je ne suis pas la seule à le penser au palais. Je connais un nain qui passe ses journées à grommeler dans sa barbe qu’il s’ennuie et que les jeunes qu’on lui confie n’ont aucun talent et ne sont pas dignes de ses leçons !
Allons, assieds-toi et raconte moi tout !

Grendelor sourit à la pensée du maître d’armes, Krapos. Elle obéit à Elvie et s’installa près d’elle sur le canapé.
Elles devisèrent ainsi 2 bonnes heures, d’une manière cordiale, mais l’Impératrice n’en demandait pas moins un rapport complet sur ce que la jeune fille avait vu, fait, entendu, appris pendant ces deux dernières années.
A la fin de leur entretien, Tikra était arrivée et prit la suite de Grendelor dans le bureau d’Elvie.

Grendelor rejoignit Lika et Sentana dans le parc du palais et toutes les trois restèrent ainsi assises près les unes des autres sans parler, mais savourant le plaisir d’être ensemble et d’être rentrées. Jusqu’à ce que le ventre de Grendelor, la gourmande de la troupe, leur rappelle qu’il était bientôt 19h, qu’elles avaient fait une longue route aujourd’hui et, dans le cas de Lika, n’avaient rien ou presque mangé de la journée. Elle se regardèrent et éclatèrent de rire. Elles se levèrent de concert et se rendirent dans la cuisine où elles purent se faire servir un copieux dîner. En effet, elles allaient rester éveillées jusque tard dans la nuit, attendant la fin des entretien de Tikra puis Naicha.

Ce ne fut que vers 23h qu’elle furent enfin réunies toutes les cinq et libres de parler. Alors, comme cinq adolescentes qui ne s’étaient pas vues depuis 2 ans, elles se racontèrent tout, dans les moindres détails, chacune très attentive à savoir qui avait rencontré qui, si machin était plus beau que bidule et s’il était vrai que… bref des histoires de filles de 18 ans.

Il était bientôt 4h du matin quand l’Impératrice les fit mander à son bureau. Elles arrivèrent ensemble, comme de coutume, et restèrent devant le bureau d’Elvie, le visage grave. Le moment était important. L’impératrice prit la parole d’une voix ferme mais non sans chaleur.

Mesdemoiselles, mes filles. Comme vous le savez, vous avez été choisies à votre naissance pour être formées à devenir la future Impératrice de Warifi.
Pour cela, vous avez appris tout ce que le dirigeant d’un empire doit savoir et bien plus encore. Chacune d’entre vous a le savoir pour me remplacer mais aussi tous mes conseillers et leurs aides.
Seulement, une seule d’entre vous sera la nouvelle Impératrice et les autres deviendront ses appuis, ses plus fidèles Prêtresses, aux postes les plus importants du gouvernement. Ces deux dernières années vous avez parcouru le monde pour apprendre tout ce qu’on ne peut apprendre dans un palais, bien à l’abri. Vous avez vécu de nombreuses expériences et en êtes sorties plus fortes et différentes d’avant.
Ce que je vais vous dire maintenant vous le savez déjà au fond de votre cœur. Vous savez quelle est votre place dans ce monde. Toutefois, il est de mon devoir de vous le dire et de le faire savoir à l’univers entier.
Demain, Grendelor sera sacrée Impératrice et je pourrais prendre ma retraite ! Ce sera à elle de vous attribuer votre place et je sais qu’elle le fera pour le mieux.

Souriant à présent, Elvie conclut

Allez les filles, profitez bien de vos dernières heures de liberté et que la paix soit toujours avec vous !

Les cinq jeunes filles souriaient et saluèrent l’Impératrice Elvie avant de sortir et d’exprimer leur joie sous la voûte céleste.

Demain, ou plutôt, aujourd’hui elles avaient 18 ans et le monde leur appartenait.

Cela fait maintenant 4 ans que je suis Impératrice de Warifi. Avec l’aide de mes sœurs, j’ai agrandi notre influence, colonisant 9 planètes réparties dans 3 galaxies différentes afin qu’aucune ne soit seule en cas de conflit. Car, malgré notre politique de paix et de commerce avec tous les royaumes alentours, les conflits sont nombreux. Profitant de la faiblesse de notre armement, nombre de « voisins » nous attaque afin de piller nos réserves. Heureusement, les pertes ne sont que financières. Mais je tremble à chaque fois en pensant à tous les habitants qui, s’ils ne sont pas évacués à temps, risquent leur vie. Bien évidemment, les ressources sont aussi envoyées dans l’espace et, pour certains empereurs qui sont devenus comme des amis, c’est devenu un jeu que d’essayer de rafler la mise. Ceux-ci ont un bon fond et n’attaquent jamais les installations civiles. Seuls les intéressent les produits des mines et ils répondent toujours aimablement à mes missives les alertant qu’ils ont été repérés dans leur tentative futile de pillage. Tout l’empire est passé maître dans l’art d’esquiver les attaques. Petit à petit, notre renommée a parcouru les parsec et seuls mes « amis » osent encore essayer de nos voler. Cet état de paix relative est en partie du au fait que nous ayons rejoint une alliance composée de nombreux empires, plus ou moins grands, plus ou moins forts. J’ai ainsi rencontré de nombreux hommes, des femmes plus rarement, qui partagent avec moi le même fardeau : celui d’un peuple.

En 4 ans, j’ai compris quelles difficultés se cachaient véritablement derrière le travail de maintien d’un empire. Bien sûr, je ne suis pas seule et mes sœurs m’apportent une aide considérable. Toutefois c’est sur mes épaules que repose le poids de la réussite ou de l’échec. Elvie l’a supporté pendant près de 30 ans. Mais elle avait non seulement ses prêtresses mais aussi un mari aimant pour la soutenir. Chose que je n’ai pas. Du moins pas encore.

J’en ai parlé avec mes sœurs. Elles-mêmes ont déjà trouvé chaussure à leur pied comme il se dit. J’ai pleuré à leur mariage, de bonheur pour elles, de tristesse aussi. Des gens que je côtoie au sein de l’alliance, pas un ne fait battre mon cœur. Nous avons aussi d’autres alliés. Et j’ai même pensé avoir trouvé l’homme de ma vie là-bas. Malheureusement ce ne fut qu’une escapade, une parenthèse dans la routine impériale. J’ai pourtant beaucoup appris grâce à lui. Nous avons gardé de bons contacts et il a fini par trouver sa reine. Maintenant c’est à moi de le faire. Pour cela j’ai décidé de partir. L’empire sera commandé par mes sœurs. Je serais bien sûr toujours en contact avec elles et, si le besoin s’en fait sentir, je pourrais toujours revenir sur Warifi. Mais je vais écumer l’espace, vivre des aventures, rencontrer des gens et peut être trouver le bonheur. Demain je pars pour Ogame City, la première étape de mon errance.

La ville est immense. Grendelor ne l’avait encore jamais parcouru, n’y allant que pour des réunions, arrivant et repartant en navette sans jamais s’arrêter. Un torticolis menaçant, elle regarde à nouveau devant elle, cherchant un endroit où s’arrêter. Cela fait quelques jours maintenant qu’elle erre à travers la cité, passant le plus clair de son temps dans les bibliothèques et les musées. Elle a ainsi fait connaissance avec quelques conteurs, dont le fameux Moustik, toujours accompagné de sa fée. Au hasard de ses rencontres, elle a commencé de se lier d’amitié avec une sorte de gros félin parlant, Nanaki, ainsi qu’avec un ange. Etrange les gens qui hantent cette ville. Ce soir, elle doit retrouver Astriel dans une taverne au nom évocateur, la Crypte. Elle s’est renseignée. C’est un repaire de vampires. Elle est curieuse de voir ces créatures dont elle a entendu parlé avec crainte et qui pourtant ouvrent des bars où tout le monde peut entrer sans peur. Elle trouve le concept intéressant. C’est peut être une manière de recruter de nouveaux membres en douceur…

A 17h, elle rentre à l’hôtel pour se changer et prendre le plan de la ville afin de ne pas arriver en retard. Elle traverse des quartiers de plus en plus sombres pour finalement se retrouver devant une porte en bois massif entourée de pierres suintantes. Précautionneusement, elle pousse le battant, qui grince désagréablement, comme il se doit. Elle ouvre sur un escalier en pierre qui semble descendre dans les entrailles de la terre. Des torches laissent une lumière crachotante indiquer le chemin. Grendelor suit les marches, se tenant d’une main au mur central, l’escalier tournant sur lui-même pour confondre encore plus le visiteur. Un premier palier laisse entrevoir un long couloir avec de nombreuses portes fermées. Le second est l’entrée de la taverne elle-même. La jeune femme est tentée de continuer sa descente, poussée par la curiosité, mais les gémissements et les rires qui montent des profondeurs l’en dissuadent très vite. Elle franchit donc l’arche menant au bar et s’arrête pour contempler le décor. L’endroit est sombre mais on y voit suffisamment pour remarquer les toiles d’araignée et la poussière qui s’accumulent sur les poutres du plafond. Une jeune femme est derrière le bar, en train de remplir un verre, qu’elle se met à siroter en allant rejoindre une table vide. L’impératrice est interloquée et va pour s’avancer quand une silhouette sombre s’approche d’elle. Grand, le teint blafard, il se présente avec un sourire qui dévoile deux canines pointues. Zlakto, le maître des lieux, lui souhaite la bienvenue en l’emmenant vers le bar où il lui sert lui-même un verre de muscat. Aimable et courtois, il explique à la nouvelle venue qu’elle ne doit pas descendre plus bas, les étages inférieurs de la crypte étant réservés aux vampires et à leurs jeux. Le couloir du dessus sert d’hôtel pur ceux qui ne sont pas en état de repartir et certaines personnes vivent même ici, plus ou moins à plein temps, comme la jeune femme du bar, une elfe nommée Idrial. Sur ces quelques mots d’introduction, le vampire laisse Grendelor, prétextant de la fatigue. Le manque de sang, pense-t-elle. La jeune femme s’installe alors à une table, non loin d’Idrial. L’ange finit par arriver, toujours en retard, mais se faisant bien vite pardonner en la faisant rire. Il lui présente l’elfe, ainsi que sa sœur qui vient de faire son apparition. L’ambiance est bonne enfant, pleine de rires et de jeux. Ici, pas de barman, les habitués servent les nouveaux qui deviennent bien vite des habitués à leur tour.

La Crypte devient rapidement le nouveau foyer de Grendelor qui y passe une bonne partie de son temps, quand elle n’est pas en train de courir après les méchants avec Nanaki et Astriel sur la belle planète de Mélambrine. C’est là qu’elle se fera plusieurs amis, gagnera une plume de phénix qui ne la quitte jamais, rencontrera des gens plus étranges les uns que les autres. Et c’est en les fréquentant qu’elle développera ses pouvoirs de télépathie et de guérison. Mais d’amour, point. C’est un message laissé à la Crypte qui va l’amener à changer de planète et à quitter Ogame City pour un nouveau monde : Aëringor.

Ce qu’elle attendait de cette nouvelle vie, elle ne le savait pas vraiment. Peut être simplement du changement, de nouvelles rencontres. Elle était toujours en contact avec ses sœurs ainsi qu’avec son alliance et leurs amis. Elle les voyait souvent, partageant des moments de complicités fragiles comme du cristal. En partant pour Aëringor, elle savait qu’elle les quittait un peu plus. Aussi, elle en fit part à ses plus proches amis, aventuriers dans l’âme tout comme elle. C’est ainsi qu’elle essaya de faire venir Nanaki, Astriel, Essen Ciel et Nichiren. A eux cinq ils pouvaient affronter n’importe quoi. A croire que c’était un chiffre clé pour Grendelor. Ses quatre sœurs la soutenaient, lui envoyant des photos de famille aussi bien que les dernières fiches de production minière. La jeune femme s’investit beaucoup dans la création de ce nouveau monde, mais de ses compagnons, seuls deux trouvèrent leur place. Elle eut toutefois la surprise de voir les deux sœurs elfes les rejoindre, ce qui lui fit grandement plaisir car elle s’était beaucoup attachée à Shalimar, qu’elle considérait un peu comme une nouvelle sœur.

La vie en Aëringor était étrange, à la fois douce comme la brise dans les branches du cerisier et heurtée par les chamailleries des instances dirigeantes. Même Grendelor n’arrivait pas à calmer les ardeurs guerrières de ses collègues. Aussi elle abandonna ses postes à responsabilités pour se consacrer au calme de la nature. Malheureusement la paix ne dura qu’un temps et le chaos frappa bientôt toutes les terres d’Aëringor, poussant à l’exode la population. Il fallut trouver une nouvelle terre d’accueil et mettre en place un nouveau gouvernement, ce qui fut fait avec la participation de tous les exilés. Ce fut pendant ces temps de troubles qu’un nouveau sentiment naquit dans le cœur de la jeune femme. Délivrée des préoccupations matérielles et replongée dans la vie trépidante d’une nouvelle naissance, elle avait enfin reconnu ce qui était évident depuis longtemps. Celui qu’elle connaissait le mieux, depuis ses débuts d’impératrice et qui l’avait suivie partout, fidèle compagnon des moments de joies et de peines, le chevalier à l’armure étincelante, était celui qu’elle attendait. La révélation la figea avant de laisser place à la passion qui anime la jeune femme en toute chose.

Ce qui se passa par la suite est connu de tous en ces lieux. Leur nouvelle terre d’accueil, Ter Aelis, devint le lieu de tous leurs espoirs. Ils s’y installèrent avec enthousiasme, Grendelor se consacrant à nouveau à la nature pendant que Nichiren prenait en charge, avec son frère Astriel, la formation guerrière des habitants. Enfin, après plusieurs mois de patience, ils s’unirent officiellement, consacrant leur amour aux yeux du monde entier. Leur histoire se vit maintenant chaque jour en votre présence, grâce à la vie de Ter Aelis.

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