Nuit d'ébène
Nuit d'onyx
Nuit trop dure pour mes plaintes
Du monde je ne vois que les ombres éteintes
Hum... Alors alors. On va faire très simple sur les sons. Dans l'ensemble de cette strophe tu as une dominante en lascif et lent exprimée par le [in] [èn] [on] : monde, ombre, éteinte, plainte, ébène. Tu as trois fois le mot nuit donc en [uï], un son [i] sur onyx. Pourquoi pas, c'est une opposition marquante mais ça reste dans l'expression d'un sentiment à peu près identique. L'énorme souci en réalité ce sont les mots dure et vois. Le son [oi] est très ouvert, la bouche se déploît, c'est donc aux antipodes de la sensation initiale. La correction la plus aisée serait de changer ces deux mots pour quelque chose plus proche de l'effet initial escompté. Hum... Sinon le mot "haine" par exemple rime très bien avec ébène. Je dirais même que tu as un paquet de possibilités pour éviter Onyx. Certes le mot est joli mais privilégie-t-on le "beau" subjectif à l'harmonie générale ? Vaste choix. Imagine ta structure ainsi :
NUIT + RIME EN [èn]
NUIT + RIME EN [èn]
NUIT + RIME EN [èn]* + RIME EN [inte]
RIME EN [on] + RIME EN [on] + RIME EN [inte]
Tu peux même jouer avec cette structure par exemple au niveau de l'étoile, tu mets une rime en [on] ! Et de suite quand tu vas lire, tu vas avoir une opposition hyper marquée entre le mot nuit et tous les soupirs exprimés par les autres sons. Tu crées ainsi un décalage plutôt poétique juste par le son.
Exemple de micro correction :
Nuit trop sombre pour mes plaintes
Et du monde je ne vois qu'ombres éteintes.
Sinon tu peux aussi t'orienter vers le son [i] en accord avec nuit, en continuant dans le même sens. Gémir par exemple pourrait bien allait avec complainte. Bref plusieurs macro-structure possible (une infinité en fait), le but étant de garder une ligne cohérente dans l'ensemble. Tu pourrais rétorquer que je mets là trop de techniques dans de la poésie, mais en réalité, quand on lit par la suite, prête-t-on une réelle attention à la structure ? Pas vraiment, on ressent. Mais pour bien ressentir, nous avons des perceptions différentes, parfois plus ou moins exacerbé, mais dans l'ensemble, soyons honnète, certains sons (au moins dans notre culture) sont véritablement universels.
Nuit ton feu glacé
Nuit tes lentes mélopées
Nuit trop longue pour mes craintes
Du monde je ne vois que les ombres éteintes
Une virgule peut être entre certains mots ? Non ? Oui ? Peut-être ? Tiens bizarre ici tu reprends presque la macro-structure indiquée ci-dessus. Volontaire ? Tu n'as pas de sons ouverts qui polluent. C'est donc une strophe, point de vue harmonie, tout à fait réussit. Par contre je ne suis pas grand fan de l'effet des deux premiers Nuit. Je les trouve, hum... Surfait disons. Je ne sais pas vraiment techniquement pourquoi ça cloche, je ne vois qu'une explication irrationnelle pour une fois : ça ne me va pas, tout bêtement; sans doute la rime en [é] qui me perturbe et le mot "glacé" trop violent en bouche, si je puis me permettre.
Nuit de verre
Nuit d'éther
Nuit tu fuis mes pleurs
Du monde je ne vois que tes leurres
Est-ce un bon choix ? Oui et non. Discutable. L'opposition [ère] / [eur], personnellement, j'aime beaucoup. Par contre ce n'est que personnel, et c'est "court" par rapport au reste du poème. L'opposition est très ciblée sur un point du texte et s'articule mal dans l'ensemble avec le reste. Si c'est un changement que tu veux marquer, il faut l'élargir peut être à une strophe supplémentaire, ou à des éléments ciblés qui introduisent cette dualité sonore. C'est de l'ordre du détail, mais ça rendrait meilleur l'ensemble. En fait c'est ce qu'on pourrait appeler de l'adhérence sonore, c'est à dire suivre un fil directeur ou une progression (subtile de préférence pour de la poésie) qui amène le lecteur à, par exemple dans ce cas, de ce qui pourrait être très bon : passer du gémissement au hurlement. Le principe c'est donc de garder une unité tout en introduisant artistiquement parlant (et donc stylistiquement aussi), ces sonorités qui expriment le même sentiment mais avec une violence exacerbée. Là dans le changement de vocalise, tu gardes les mêmes termes liés aux larmes "simples". Vois-tu, c'est ça qui donne une mauvaise impression, ton son ne colle plus avec le fond (et ton choix de structure devient alors dénué de "sens"). Pourquoi ? Une opposition de son c'est un changement, une rupture; un changement et une rupture se doivent donc d'être marqués dans le mot. Or, ce n'est pas le cas : pleurs et leurres c'est peu violent en comparaison des sons tranchants [eur] / [ère]. Donc, pour corriger, ou essayer d'aller vers quelque chose de meilleurs tout en gardant les sons (car ils sont bien employés), il serait bon de changer le vocabulaire : un peu de tripe à la place du mot "fuir" ou "voir" pour éviter de casser la rime (à moins de trouver d'autres rimes). L'exemple du mot "Voir" : le domaine du ressenti serait mieux que celui de la simple perception.
Nuit ton ventre froid
Nuit je suis à toi
Nuit je t'offre mes heures
Du monde tu ne vois que l'horreur
Dans l'optique de personnifier la nuit par rapport à des sentiments que tu peux avoir toi, tu as une solution qui me paraît pas mal : le parallélisme sonore. Question qui me turlupine, tiens, là, regarde : ce putain de mot "ventre", il fait quoi là ? Sinon je reviens sur mon étude de strophe précédente. Le "voir" trouve un double écho, c'est exactement ce qu'il faut. Par contre je reste sur mon impression "voir" c'est bien trop light pour de la poésie. Si tu procèdes par cascade par rapport à ce que je t'ai dit, et bien si tu trouves un mot meilleur que voir, tu peux aussi changer "froid" et "toi". L'idéal, le must du must, ce serait de remplacer tout ça par du son [eur], tu aurais alors l'opposition durable, plus violente par rapport aux deux premières strophes, et bien plus marquantes dans son ensemble. Et le froid, ce ne serait pas l'hiver ? Quel revers ! Enfin bref, tu as des possibilités assez grandes avec les rimes en [ère].
Pour résumer, c'est pas mal du tout. Par contre n'hésite pas à étoffer le "verbe". C'est une constante récurrente constatée chez toi, verbes d'action ou verbes de perception sont souvent simples. Travaille sur le synonyme, surtout que ce verbe "voir" il est quand même laid à souhait. Dans l'ensemble c'est un choix que sa répétition et la reprise de la rime en fin. L'idée est "bonne" mais elle écorche beaucoup les deux premières strophes considérées comme plus douces au niveau du son. A voir pour trouver une correction en fonction de ces axes que j'ai essayé d'énoncer. Il y en a bien d'autres possibles tout en gardant ce son [oi]. A étudier. Sinon l'ensemble est plus que satisfaisant de mon point de vue. C'est bon.