Sanz n'était plus là, l'animosité n'avait plus raison d'être aurait-on put penser. Durant quelques secondes, plus personne ne bougeait ni ne parlait ; les halètements se confondaient en un étrange chœur fondé sur la hargne passée, ce qui visiblement apaisa un tant soit peu Cassiopée. Son regard trahit sa résignation : Tàranis avait raison, sans doute. La tension ambiante se mit à régresser vers une seule forme de pression visant à expulser l'intrus.
L'homme en robe ne comprenait pas pourquoi il avait été ainsi écarté de la Confrérie, par la Confrérie elle-même alors qu'il avait en partie permis à Sanz de devenir ce qu'il était aujourd'hui. Un violent ressentiment commençait à poindre en lui, une rancœur qu'il n'oublierait pas de sitôt et qui allait même relancer ses desseins de vengeance.
Stupides animaux que vous êtes, commença-t-il en s'adressant et aux Sang et à la louve.
Incapables de considérer votre soif de pouvoir comme votre plus grande faiblesse, vous n'échapperez pas aux conséquences de vos actes. Votre cruel manque de discernement et votre ego démesuré contribueront grandement à votre perte prochaine.
Le visage brûlé, le corps lacéré de toute part , les morsures infligées par Lùthien ; cette souffrance mêlant douleurs et désillusion ne cessait d'attiser sa colère.
Pauvres insectes, ces pathétiques codes de noblesse vous enferment dans un cocon d'illusion dont vous tissez vous-même la trame, un linceul qui va vous effacer de l'Histoire.
Sa voix devenait de plus en plus traînante, de plus en plus sifflante. Les traits de son visage s'étaient passablement durcis, de larges ombres cernaient à présent ses yeux noirs, contrastant avec une peau très pâle, cadavérique. Le sang l'ayant éclaboussé paraissait plus sombre, plus visqueux et évoquait une force maléfique, quelque chose de dangereux. Une eau noire où la Vie semblait finir.
La prétendue supériorité des Sang va prendre son terme incessamment sous peu et vous sombrerez tous dans l'oubli le plus total. Aussi, soyez en certains : je serai de ceux qui viendront vous abattre et prendrai plaisir à anéantir tout ce qui vous est cher!
Ce court monologue avait largement rempli sa mission : tous ici présent étaient ébahis par tant d'audace, Tàranis y compris. Profitant de cet instant de flottement collectif, Cassiopée, excédée, se libéra des mains de sa consœur et fonça, quasi inconsciente, droit vers son ennemi. Seulement, quelque chose l'alerta, une nuance, un coup de pinceau qui n'était pas sur la toile quelques secondes auparavant. Freuzne lança sa main droite en avant : une petite flamme apparut devant lui et s'amplifia en une seule seconde en une puissante déflagration. Un flash lumineux très intense et une détonation eurent lieu, aveuglant et assourdissant ceux qui assistaient à la scène, puis la vague de chaleur fondit sur eux sans pour autant tous les brûler. Lorsque leurs sens se mirent à refonctionner, Freuzne n'était plus là, physiquement et spirituellement parlant. Il ne restait qu'une surface parfaitement lisse, vitrifiée, s'étendant de là où il était jusqu'à quelques mètres en avant. Cassiopée, qui pourtant avait été en première ligne, n'avait subit aucun dommage, alarmée par cette lueur rouge qu'elle avait vu apparaître à sa main.
La robe n'était quasiment plus qu'un souvenir. En plus d'avoir été déchirée à plusieurs reprises par la louve, la manche droite avait complètement fondue sous l'extrême chaleur de sa diversion ; sa chair était à vif. L'homme chancelait tant la douleur était violente, il avait pu fuir en négligeant ses blessures, ce qui les avait à coup sûr aggravé. De moins en moins stable au fil de sa progression, le sol poussiéreux se mit à glisser. Son équilibre le trahit et Freuzne se brisa l'arcade sourcilière en tombant. Sa chute lui parut durer une éternité ; son corps roulait et roulait le long des flancs de la colline, il tombait et retombait sans cesse sur ses bras et ses jambes meurtries, les fracturant en plusieurs endroits jusqu'à ce que sa tête heurte bruyamment une pierre plate, l'assommant sur le coup. Ce ne fut qu'après avoir enfoncé des buissons épineux que son corps termina sa course en venant s'écraser sur la berge d'un ruisseau qui contournait le relief.
Freuzne se réveilla sans trop se souvenir comment il était arrivé ici. Ayant des douleurs à la respiration, il voulu se relever. Malheureusement ses jambes étaient incroyablement faibles et ne le soutenaient plus. De nouvelles douleurs lui furent révélées, ce qui attira son attention sur de nouvelles plaies : son tibia ressortait à l'extérieur de sa cheville droite et sa fesse gauche était profondément ouverte. Le sang avait eu le temps de sécher ; en arrachant quelques un de ses poils collés autour de sa plaie, la douleur lui assura que l'entaille n'avait pas léser de nerf important.
A peine eut-il le temps d'évaluer ses dégâts que de violentes nausées le prirent. Ce n'était pas lié à un traumatisme cérébral, il en était certain, car son sang le brûlait de l'intérieur. C'était tout son être qui hurlait de ne pas mourir et il en vint à maudire les déesses de ne pas le laisser s'éteindre, de le maintenir vivant coûte que coûte. Très vite, sa vision disparut, puis il cessa d'entendre, de sentir son environnement. La panique se saisit de ses entrailles et les secoua violemment au sein même de son ventre, comme pour le faire hurler de douleur, le maintenir éveillé. Fou, il gardait les yeux ouverts et respirait toujours. Son esprit alla s'enfouir au plus profond de son être en attendant de s'éteindre.