Auparavant.

Dans les Yeux du Passé.

I.

Dix ans durant, j’ai couru. Couru sans m’arrêter. Couru sans respirer. Sans un instant regarder en arrière, plongeant mon esprit au cœur de mon imagination, dans les mondes fantasques que je ne cessais de m’inventer. Délirant dans le flot des rêves, j’avançais, constructeur d’un pays de mensonges, de songes, de chimères. De folie. Un royaume dans lequel je me sentais chez moi, parmi les miens, hors de cette « Terre » flouée dans une tempête d’immondice, loin de ces gens dont la seule vision tordait mes boyaux…

Loin des autres.

Puis, vint le présent, avec ses changements, ses souffrances, ses rêves. Ses tristesses. Ce flot de sentiments incompressible venu s’éclater sur les digues des croyances, chamboulant ce domaine d’irréalisme devenu mon seul refuge. Et à l’heure ou tout s’effondre, à l’heure ou tout s’écroule, quand les fantômes ressurgissent, quand les morts se relèvent, je cherche. Mon passé devient la seule solution qu’il me reste pour pouvoir regarder l’avenir sans ciller. Pour ne pas choir à mon tour, emporté par les vagues qui rongent les bordures de mon esprit. Afin qu’aujourd’hui, les seize années qui se sont écoulés ne s’enfoncent pas dans les brumes. Pour qu’au moins, j’en tire quelques leçons.

Pour que le passé, malgré tout ce qu’il fut, devienne et ne meurt point…

II.

Il comprend. Sans souffler un mot, il se regarde dans la glace, sortant de son océan de souvenirs, cessant de traquer l’invisible réponse… Pourquoi sa mémoire, elle qui l’a soutenue durant toute son existence, l’abandonne dès qu’il s’agit de parler du passé ? Pourquoi semble-elle ne rien savoir des heures écoulés avant le Grand Voyage ? Pourquoi seules des brides de son ancienne vie ressurgissent, servant juste à lui rappeler qu’il y en a bien eu une ? Pourquoi, d’une année entière, ne se souvient-il que de l’orientation d’une salle de classe ?

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La mémoire ne peut pourtant pas cibler ses objectifs. Elle ne peut décider de « L’oubliable » et de « L’inoubliable ». Non. Elle ne peut… D’autres, néanmoins, peuvent sciemment décider, serait-ce par lâcheté, d’oublier des pans entiers de leur existence, d’effacer leurs amis, leurs colères, leurs rages, d’une simple sélection… Pour ceux qui le connaissent, l’univers d’Autrefois n’est qu’une gigantesque bibliothèque bien rangée, si simple à bruler. De ses souvenirs, il ne reste que cendres, morceaux de feuillets éparpillés, purifiés par les flammes. Et Aujourd’hui, seuls « ceux qui voient tout » peuvent comprendre la tristesse qui l’envahit. Remugles de cette hargne destructrice, sanglots s’écoulant devant ce champ de ruines. Lui qui jamais, ne pourra être reconstruit. Pourtant, il reste quelques mots, quelques images.

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Gravées dans le marbre, demeureront mes derniers souvenirs, mes principes d’Antan. Mon passé dessiné à travers les quelques images qui subsistent. Ses actes, ses axiomes, sans ordre, sans sens. Seulement les ombres, qui, un jour, me permettront de comprendre. De me rappeler…

III.

C’est en ce jour que tout avait changé. Le temps passant, il avait commencé à oublier les visages, les noms, les décors. Mais la scène, avec tout ce qu’elle impliquait, resterait à jamais gravée dans son esprit. Le Six Décembre Mil Neuf Cent Quatre Vingt Dix Neuf. De ses premiers souvenirs, sortait une inéluctabilité. Son incroyable naïveté, doublée d’une bêtise tout aussi aberrante qu’homérique, avait surement été les principales causes de ce qu’il nommait « La plus grande erreur de sa vie ». Il avait été lui, comme toujours. Mais, d’un autre coté, que pouvait-on demander de plus à un enfant de six ans, si ce n’est se laisser manipuler comme une vulgaire marionnette ? Les chiffres avaient parlés. Son coefficient intellectuel, oscillant aux limites de la folie, montrait sa capacité à passer dès l’heure en classe supérieure. Ses parents n’avaient pas grand-chose à dire, et, même s’ils l’avaient dit, lui ne l’avait jamais su. Seuls ses enseignants semblaient pouvoir décider de son destin. Lui ne comprenait point. Lui ne comprendrait jamais. En un instant, son existence toute entière avait basculé, et, à jamais, demeurerait lacérée…

IV.

Les fantômes. Tumultueux esprits d’un passé oublié, jaillissant dans notre ombre alors que tout semble s’effacer. En ces heures où l’on croit pouvoir tout contrôler, régner enfin sur notre destinée, Eux surgissent, bouleversant cet assemblage de cartes savamment disposé pour ne pas s’effondrer. Eux viennent de ces lieux que nous avons laissés derrière nous, jugeant que notre avenir ne s’y trouvait point. Toujours. Et toutes les défenses que nous avons cherché à bâtir, ils les détruiront. Sans scrupules, sans soupirs. Sans savoir… Parfois, ils ignoreront jusqu'à leur condition. S’il en est, les Ombres et les Vivants se mélangeront. Et les fantômes ne seront plus, s’incarnant au cœur même des hommes, dans leurs gestes, leurs mimiques, leurs pensées…

« Quatre ans. Quatre ans que je n’ai point vu son visage. Lui. Avec le temps, l’on sublime nos amis, oubliant sciemment leurs défauts, laissant rejaillir l’unique reflet de leurs qualités. Pourtant, dans mes souvenirs, d’aussi loin qu’ils me reviennent, je ne lui trouve point de véritables tares. Demanderai-je à d’autres, eux les trouveraient. Néanmoins, à mes yeux, ses « dons » ont véritablement oblitéré le reste. »

Son nom n’évoquerait que peu de choses, aux yeux des lecteurs. Pourtant, lui aussi restera gravé à jamais dans mon esprit. Lorsqu’on se noie, rares sont ceux qui tendent une main pour vous sortir de l’océan. Envers et contre tous, deux hommes l’auront fait. L’un d’entre eux, jamais n’aura failli.

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