Cordelia Melicerte
Nombre de messages : 2068 Age : 34 Localisation : Complètement à l'ouest, sous les épines d'un hérisson Date d'inscription : 12/10/2009
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| Sujet: Devant la porte Mar 14 Sep - 22:09 | |
| - Spoiler:
Je te vois.
Tu passes, la tête baissée un peu penchée sur le côté, comme tirée par le poids de tes longs cheveux. Tu marches à grands pas sur le trottoir, ton sac rouge en coton grossier dans une main, l'autre qui se balance au rythme de ta course. Tu es en retard, comme à chaque fois. Tu arrives bientôt devant la porte de l'immeuble. Tu l'ouvres sans sonner : cette vieille porte n'a jamais vraiment été fermée. Tu m'as dit une fois, je me rappelle, en cachant tes mots derrière un rire un peu forcé, que c'était comme la porte de mon cœur : on l'ouvre sans avoir à demander. Tu n'as jamais été très forte avec les sentiments. Te voilà dans le hall. Tu souffles un instant, une main posée sur la rambarde un peu branlante de l'escalier en bois. C'est un vieil immeuble, tout en parquet et en planches. Tu dis souvent, un peu maladroitement, que le bois, "ça te fait du bien".
Je ramasse du bout du doigt les grains de sucre de mon troisième café. Tu ne m'as pas vue derrière la vitre, pressée comme tu l'étais d'arriver au rendez-vous. Je soupire. Je tape du pied. Je commande un autre café. Je grimace devant le sourire plein de sollicitude du serveur et me lève d'un bond pour aller aux toilettes. Devant le miroir, mes traits sont tirés. Mes mains tremblent lorsque je les passe sous l'eau. Trop de café et trop de sucre. Trop d'anxiété. Trop d'émotions.
Tu es arrivée devant la porte. Tu n'oses pas sonner à cause de ton retard. Tu trouves que ça manque d'humilité. Tu frappes une petite mélodie contre le bois et tu attends. Les talons de tes bottines en daim cognent d'impatience. C'est tout toi ça, à la fois exigeante et mal à l'aise. Tu tournes ton regard vers la grande fenêtre dans la cage d'escalier, puis tu contemples à nouveau la porte. Tu sonnes. Tu ajustes ta jupe. Tu fouilles dans ton sac rouge en coton grossier. Tu fais tomber ton briquet et tu lances un "putain, fais chier !" car tu as, encore une fois, oublié ton portable chez toi. Tu te baisses pour ramasser ton briquet et tu t'assois en haut des marches, tes longues jambes repliées près de tes seins. À quoi penses-tu ? Tu vides ton sac sur le parquet, pour être sûre, on ne sait jamais. Peine perdue, tu décides de m'attendre. Tu espères que je n'ai pas oublié notre après-midi thé et papote. Tu te dis que tu en avais bien besoin, pourtant. N'est-ce pas ?
Je suis revenue à ma table. En face, un habitué du lieu me lance un clin d'œil. Son visage boursouflé par l'alcool me donne la nausée. La lumière me perce les yeux. Je baisse la tête. Je pense à toi. Au mal que je vais te faire. À notre amitié en sursit. À nos après-midi thé et papote qui nous font tant de bien. Tu sembles n'avoir rien vu, rien senti. Attends moi encore quelques instants. J'ai juste besoin d'un peu de courage et je viens. Non. J'ai besoin d'un océan de courage. J'ai un verre devant moi. Je ne sais plus ce qu'il y a dedans, ça me brûle la gorge, ça me fait du bien. Un peu. Je m'en veux de te laisser devant porte close.
Tu as ouvert ton porte-feuille et tu fais l'inventaire de tout ce que les années ont mis dedans. Des cartes de fidélité. Des tickets de caisse. Une photo de nous deux, un soir où n'avions rien d'autre à faire que des grimaces dans un photomaton. Tu lèves la tête. Tu déplies ton grand corps et tu t'assois sur le rebord de la fenêtre. Tu sors une clope de ton sac rouge en coton grossier et tu l'allumes, les yeux perdus dans la rue en contrebas. Sur tes ongles, ton vernis commence à s'écailler. Un passant te salue. Tu le connais à peine. Mais tu es presque du quartier, maintenant ; elles ont été nombreuses, nos après-midi thé et papote. Tes bottines tapent doucement contre le lambris du mur. Ça fait de petits nuages de poussière. Tu es bien trop élégante pour le lieu, avec ta jupe en satin, tes bottines et ton manteau cintré. Tu te dis que tu irais bien danser, ce soir. Tu espères que je ne vais plus tarder. Et tu voudrais que, pour une fois, j'accepte de venir danser avec toi. Tu as fini ta clope. Tu écrases ton mégot contre le plâtre sale de la fenêtre. Tes ongles rouges contre le plâtre gris. Tu tournes ton poignet et puis tu te souviens que tu n'as plus de montre. Tu souris presque en te souvenant de ce soir là où, énervée de ton retard, j'ai écrasé ta montre de mon talon. Tu as les yeux dans le vague en y repensant.
Elle était magique, cette soirée là. Je me souviens de tes lèvres, lourdes à en pleurer. Je me souviens de ta poitrine laiteuse, qui tremblotait de colère. Je me souviens de tes longs doigts, serrés sur mon poignet, les phalanges blanchies. Je me souviens de mon cœur qui battait la chamade. De mon souffle court. De mon désir. Dur et violent. Je n'osais pas te regarder. Puis tu as ri, gênée. Tes yeux sont descendus vers le sol et tu as lâché mon bras en secouant ta main comme si je t'avais brûlée. Tu t'es excusée. Tu t'excuses toujours trop. Tu m'as donné raison et tu ne m'as plus touchée de la soirée. Moi, je n'attendais que ça. Et depuis, j'ai des mots qui me bouffent la bouche, pressés de sortir.
Je paie ce que je dois et je sors du café. Je pousse la vieille porte de mon immeuble ; je monte jusqu'à toi. Tu pousses un cri de soulagement. Je marmonne une excuse embrouillée. Mais tu ne m'écoutes pas, tu t'es lancée dans une tirade interminable et joyeuse, pleine de cette naïveté que je chéris tant. Moi, je me tais et je souris un peu. Je me tais. Ce n'est pas le moment de parler.
*** Je te vois, du coin de l'œil : tu es assise au café en bas de chez toi. Je comprends mal ce qui se passe. Alors je te laisse mener le jeu, je fais comme si je ne t'avais pas vue. Je me dépêche de pousser la porte de ton immeuble : quitte à t'attendre, autant le faire au chaud. Je ne comprends pas que tu ne fasses pas réparer la porte d'entrée. Tu n'as pas peur, la nuit, qu'un inconnu entre chez toi ? Non, je suppose que non. Tu es bien trop fière. Bien trop confiante. Je me pose quelques instants dans le hall. Histoire de souffler. Dans le calme de ce vieux bâtiment, je reprends mes esprits. Je me dis que j'ai peut-être mal vu. Était-ce vraiment toi, à cette table, perdue dans ta tasse ? J'imagine peut-être trop de choses.
Peut-être es-tu chez toi, résignée face à mon retard. Peut-être que pour toi, rien n'a changé. Mais peut-être aussi que c'était toi, à cette table derrière la vitre, tirant la gueule et vaguement nauséeuse à cause du café. Tu en bois rarement, mais toujours trop. Je te vois bien, cachée, inquiète. Quelque chose entre nous a changé.
Me voilà face à ta porte. Elle est bleue, c'est la première fois que je le remarque. Derrière la peinture usée, je vois le bois par endroits. Je ne sais pas. Tu pourrais bien être derrière. Alors je frappe. Je sonne, pour être bien certaine. J'ai peur que tu ne sois pas chez toi. J'ai envie - que tu ne sois pas là. Tu sais, j'ai mis longtemps à me décider à venir. Ta voix, au téléphone, avait-elle réellement cette note tendue ? Ou bien est-ce moi ? Je me pose sur les marches. Tu vois, je t'attends. J'attendrai le temps qu'il faudra. Je vide mon sac sur le parquet, pour le ranger, pour passer le temps. J'aime le bruit de mes clefs tombant sur le bois. J'aime les craquements de ce vieil immeuble et sa peinture défraichie. Je me sens bien, chez toi. On s'y sent loin de la ville. Un peu en dehors du monde. Ça me change des cris à la maison et de ma mère prête à exploser. J'ai envie d'être avec toi dans ton petit salon aux couleurs chaudes.
Tu me raconterais tes histoires de cœur. Tes mecs à n'en plus finir. Tu les alignes comme des nains en porcelaine dans le jardin d'un vieux. Tu m'as toujours impressionnée, pour ça : la facilité que tu as à faire entrer n'importe qui chez toi. Tu n'as peur de personne. Tu as une telle confiance en toi. Pourquoi n'es-tu pas là, à faire comme si tout était comme avant ? Que fais-tu dans ce café, sans moi, à hésiter ? Que fais-tu entourée de ces inconnus qui ne voient que ta belle gueule revêche ? J'ai besoin de ta force, tu sais.
Je tiens dans ma main cette photo de nous deux qui ne quitte pas mon porte-feuille. Une de nos premières soirées. Les gars nous ennuyaient, alors on a fugué. On a joué à la marelle sur les pavés, je me souviens. J'avais honte, au début, je me sentais ridicule. Mais ton rire m'a portée. C'était la première fois qu'on riait ensemble. On n'a pas vraiment parlé, ce soir là. C'est venu après, les confidences sur nos vies. Et on y a mis les formes, avec thé et chocolat. Je m'agite. J'ai mal aux jambes, toute recroquevillée sur les marches. Je me pose à la fenêtre. L'attente sera moins dure : je te verrai arriver. J'allume machinalement une clope. Mon vernis s'écaille. Cela fait longtemps que je ne suis pas sortie. Trop, peut-être. Je pose mes yeux sur la rue. Je ne vois pas grand chose. En fait, je ne vois que toi. Un de tes potes me hèle, d'en bas. Je rougis et agite vaguement la main. Tu n'aurais pas couché avec lui, dis moi ? À chaque fois que je vous vois tous les deux, je me pose la question. Tu tardes à arriver, mais ce n'est que justice. Je n'ose pas compter le nombre de fois où tu m'as attendue. Pour ça aussi, j'ai honte. Mais, sans mon retard, est-ce que tout cela serait arrivé ?
Je n'avais jamais osé te toucher. Tu m'impressionnais trop. Et puis, ce soir là, tu as réussi à me mettre en colère. J'ai voulu te faire mal, j'ai voulu que tu plies, j'ai voulu te voir faible. Pour mieux te consoler ensuite. Contre mes doigts serrés sur ton bras, j'ai senti ton cœur battre à toute vitesse. C'est bête, mais je crois bien qu'il battait au même rythme que le mien. J'ai cherché ton regard, je l'ai longtemps cherché. Puis un petit rien - un pigeon qui s'envole, je crois - a cassé l'instant. Tu ne m'as pas regardée. Pas une seule fois. J'ai eu honte.
J'ai honte, encore, de la joie qui explose dans ma poitrine quand je te vois sortir du café. J'ai honte, honte de mon désir de te toucher. Honte des images qui me viennent en tête quand je t'ai enfin devant moi. Un instant, je crois que, et puis non. Je cache mon trouble derrière mes mots. Je ne veux pas que tu parles. Je ne veux pas que les choses changent. Je veux juste - boire un thé en face d'une amie. | |
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Ruby
Nombre de messages : 2216 Age : 36 Localisation : 221 B Baker street Date d'inscription : 04/04/2009
| Sujet: Re: Devant la porte Sam 16 Oct - 9:22 | |
| Je ne crois que je n'avais jamais eu l'occasion de lire du Cordélia hors de la poésie , et moi ce texte il m'a bien plu vraiment, avec les deux parties qui se répondent, un diptyque de regard qui se cherche, se croise. C'est plutôt bien écrit. Je suis un peu perdue au niveau de la structuration de l'espace, entre le café, la porte où elle attend et la porte où elle vient de l'immeuble. Une petite faute sursit : en sursis. | |
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dale cooper
Nombre de messages : 7649 Age : 46 Date d'inscription : 08/09/2008
Personnages RP Pseudo: Pseudo : ▲ Pseudo :
| Sujet: Re: Devant la porte Lun 25 Oct - 13:43 | |
| La surprise du week end.
J'ai vraiment été très agréablement surpris à la lecture de ce texte. Je le trouve d'une justesse incroyable, d'un réalisme et d'une sensibilité très... "cordélienne" ?
Mais vraiment le seul reproche que je pourrai faire (et je préfère commencer par ça) c'est qu'il y a un fossé entre les deux points de vue : le second est beaucoup plus mou, moins passionné, moins vif (on sent surtout la fatigue de l'écriture) et du coup les personage semblent ne plus être à la hauteur par rapport à l'image que l'on en a dans la première partie. C'est vraiment dommage puisque tant leur charisme que leur différence de caractère et de personnalité s'atténue (j'avoue qu'à la fin on a du mal à les distinguer, il n'y a plus assez de repère pour les individualiser).
Mis à part ce détail, je trouve ton histoire touchante dans ta façon de rentrer dans la psychologie, les désirs, les attentes et les refoulements de ces deux femmes. Tu ne fais pas que survoler ce renoncement, tu l'étreins complètement en nous en le surplombant. Un peu comme la vision très précise qu'aurait un oiseau de haut vol en se concentrant sur un point minuscule au sol ;-)
Un zoom sentimental dans cette description psychologique d'ensemble !
Et puis tu amènes ce petit drame de l'indécision et du non franchissement tellement bien. J'adore ce paradoxe, j'adore cette fin et cet espoir contrarié.
C'est un très beau texte je trouve, qui mériterait sans doute que tu le retravailles encore un peu. | |
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Cordelia Melicerte
Nombre de messages : 2068 Age : 34 Localisation : Complètement à l'ouest, sous les épines d'un hérisson Date d'inscription : 12/10/2009
Personnages RP Pseudo: Pseudo : Pseudo :
| Sujet: Re: Devant la porte Lun 25 Oct - 14:06 | |
| Merci Xupinette et Dvb pour vos commentaires. Dvb, aurais-tu des exemples de points précis que je devrais retravailler ? | |
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