La guerre est-elle inévitable ? [guerre des confréries]

Cordelia, fée d'algues et d'écumes, se tenait face à la mer, les pieds dans l'eau. L'île où elle attendait était si petite et si éloignée des côtes qu'il était facile de se croire seule au monde, gardée de tous côtés par un océan sans fin. Le vent fit soupirer son corps : l'autre était en retard au rendez-vous. En retard de près d'une Lune ! Cela n'avait pas dérangé Cordelia, au début. Elle en avait profité pour mieux faire connaissance avec la mer, cette belle et grande dame lunatique qu'elle n'avait jusqu'ici que très peu côtoyée. Mais il était temps, à présent ! Des évènements d'importance allaient avoir lieu en Ter Aelis et elle ne pouvait pas se permettre d'attendre plus longtemps !

Le soleil venait de se lever quand elle perçu un changement dans les embruns. Les rochers qui habillaient la minuscule île frémirent doucement tandis que le vent tomba brusquement. Elle était enfin arrivée.

Cassiopée du Sang, tu as été bien longue à venir jusqu'ici. Ne sais-tu pas que le temps nous est compté ?!

Choisir de venir, c’est choisir son destin et Cassiopée avait longuement hésité avant d’accepter l’invitation de la polymorphe Cordelia Melicerte.
Elle n’avait rencontré cette dernière qu’en temps de paix, au détour d’une ruelle ou dans les fonds d’un palais de glace.
Elle avait gardé d’elle le souvenir d’un individu joyeux et espiègle, capable de modifier sa forme au gré de ses envies, mais également apte à la tromperie.

Elle savait que Cordelia avait un jour servi le Prince régnant du Sang et elle l’avait vu à l’œuvre à ses côtés lorsqu’il avait infiltré l’enfant de Grendelor pour détourner sa destinée.
Mais, si elle avait cédé à Sanz une partie de ce corps qui ne tenait pas en place, cet être était sans âme et Cassiopée doutait de son réel investissement dans les dons qu’elle faisait.

-Être sans âme, coquille vide en quête d’inconnu.

Tel était le verdict d’Issac, et Cassiopée se méfiait de celle qui avait choisi d’entrer dans la Confrérie des Effrontés lunaires et de s’allier à la pire ennemie qui soit reconnue au Sang : Grendelor.
Cassiopée eut un pincement de tristesse en pensant à cette sœur unique, traitresse à son sang, qui lui avait confié l'éducation de son fils, Sargas. Elle avait disparu et s'était fondue dans les décors de l'oubli pour mieux surgir quand l'heure serait venue, sans doute. Grendelor en avait tant voulu à Sanz de lui avoir volé son fils qu'elle l'avait fait assassiné, entrainant le Sang vers un Destin pour lequel ses Confrères n'étaient pas encore prêts.
Par sa faute la guerre serait, une guerre que Cassiopée aurait voulu éviter. Cependant, la perte charnelle de Sanz l'emportait vers de noirs dessins impossibles à contrer sans le retour de la gardienne.

Mais, Cassiopée avait choisi. Elle avait accepté cette rencontre au large de toute vie, auprès des éléments qui étaient siens, sans autre témoins que leur intelligence à toutes deux.

- Le temps s’étire et bientôt le temps viendra où nous regretterons ces temps anciens pliés de souvenirs, héros des impatients. Vous êtes très belle en fée. La mer vous va à ravir.

Vous êtes très belle en fée. La mer vous va à ravir.

Merci. Elle et moi sommes devenues amies... je crois. Mais venons-en au fait !

Cordelia s'ébroua avec force, faisant s'envoler son manteau d'écume. Son corps se dévoila, cage d'eau dans laquelle nageaient de minuscules poissons-combattants multicolores. Elle leva le menton, droite et solennelle.

Moi qui étais vie, mouvement et folie, j'ai goûté à la mort, j'ai joué à détruire. Je SAIS les déchirures que cela provoque dans la trame de toutes nos histoires. Je sens la douleur et - croyez moi - je vibre de tous ces cris.

Ses mots tombaient comme autant de lourdes pierres dans la mer. Peu à peu, les poissons dans son corps perdaient de leur couleurs, jusqu'à s'effriter et tomber en cendres que le vent amenait aux pieds de Cassiopée. La voix de Cordelia se fit plus insistante.

C'est pourquoi je vous le demande : la guerre à venir est-elle inévitable ? Expliquez-moi, vous qui êtes sage parmi les plus sages, pourquoi devrions-nous endurer ces hurlement du monde ?

Cassiopée contemplait le paysage aquatique et coloré dans lequel grouillait la vie qu’était devenu le corps de Cordelia se muer lentement en un monde minéral. Les lourds blocs de pierre l’éclaboussaient en atteignant l’eau et drainaient un vent de cendres sèches qui venaient se coller sur sa peau humide. Elle avança vers la rive pour y déposer un pied mais l’eau était chaude comme peut le devenir l’océan qui caresse un volcan. Pourtant Cassiopée n’en fut pas perturbée, car elle aimait le contact des flammes, elles étaient l’un des fondements de son être. En son sein, Issac gronda de plaisir au contact de l’eau chaude.

-Vous étiez vie… dîtes vous ?
Vous êtes pourtant, parmi tous les êtres qu’il m’a été donné de rencontrer, celle qui représente le moins le sens profond de la vie. Un individu sans âme n’est que cellules, particules et devrait ne jamais se poser de questions sur les choix inconscients ou conscients des hommes. Ceci n’intéresse que les âmes. Le corps devrait seulement être porté vers les plaisirs ou les sensations toutes plus variées les unes que les autres.
Lorsque vous prenez forme de fée ou d’aquarium vivant, seul votre corps ressent non ? Que craindre alors des hurlements d’une guerre hypothétique ? Si votre perception va au-delà et se considère dans la marche du temps, alors c’est que l’âme vous atteint.

Tout en prononçant ces mots, Cassiopée avait négligemment laissé la flamme surgir entre ses doigts et elle la regardait danser sa farandole le long de son avant-bras. La flamme accompagnait sa ronde d’un chant espiègle qui la fit sourire malgré le tour sérieux que prenait la conversation.

Les paroles de Cassiopée heurtèrent Cordelia comme une tornade prise en pleine face !

Sous ses mots, son corps vacilla. Des lambeaux de chair déchirée éclatèrent tout autour de la métamorphe. Ses yeux étaient injectés de sang et son visage exprimait une colère violente teintée d'une profonde peine.

Pas d'âme... non, je n'ai pas d'âme... on me le répète bien assez. Mais c'est peut-être justement là ce qui me rend si sensible aux horreurs de la guerre. Vous, votre nature vous conditionne à vous préoccuper de vos semblables. Vous n'avez pas l'habitude, ni l'intérêt, de prêter attention à ce qui forme le reste de la toile du vivant. Vous ne pensez qu'aux âmes... et moi je vous parle de l'univers dans son ensemble !

Les cris des morts ne sont rien face aux cris du monde agonisant.

Le corps de Cordelia ne ressemblait plus à rien de réel. Il n'était qu'émotion pure : peur et perte.

Les fondements de la guerre sont-ils si importants qu'il vous faille y engager tant de personnes ? Ne pourrions-nous pas régler les différents entre nos confréries ici et maintenant ?

Uniquement Vous contre Moi. La Mère des Étoiles contre la Fille de la Lune et du Vent ? Le Sang contre le Mouvement.

Les pieds dans l’eau, irriguée par l’onde aussi sûrement que le végétal s’en abreuve et s’en nourrit, Cassiopée resta un instant interdite en entendant Cordelia l’apostropher.

- Vous parlez de Mouvement.
Vous vous associez au Mouvement.
Quelle gageure ! Quelle prétention !
Vous vous sentez donc prête à être le Potentiel de ce qu’emporte l’Univers dans l’incessant cheminement du temps?
Mais qu’en connaissez-vous et que savez-vous du Sang et de sa place dans la danse Cosmique ?

Nous pourrions régler un différent dîtes- vous. Est-ce l’idée même de cette évocation qui vous décharne ainsi ou n’est-ce que votre incarnation n’a de consistance qu’au travers des autres?
Qu’est donc le Vivant pour vous qui n’êtes qu’illusion matérielle ?

Cassiopée se déplaça pour pénétrer plus avant dans cette mer qui lui tendait les bras et qu’elle retrouvait comme on s’imbibe d’un bienfait. L’eau était sa partenaire, son alter ego disait sa mère. Comme si le feu qui drainait son âme avait besoin de sentir l’immensité liquide lui témoigner son parfait accord. L’Union des contrastes pour se sentir plus resplendissante.

Cordelia commençait à prendre sur elle. Son regard se fit de pierre tandis que son corps se changea en une impressionnante cascade de glace, coulant avec lenteur et souplesse jusqu'aux pieds de Cassiopée. Les reptations de la glace sur la roche provoquaient de légers grincements, proches du ricanement.

Vous autres ne lisez le monde qui vous entoure qu'à travers le Sang. Votre approche du Mouvement en est d'autant altérée, vous ne savez pas de quoi vous parlez ! Mais suffit, nous ne sommes pas ici pour parler cosmologie de bas étages ! Je vous ai lancé un défi. Êtes-vous prête, au nom de votre Confrérie, à le relever ?

Au cœur de la glace, une main de flammes prenait doucement forme. On pouvait apercevoir entre ses griffes pourpres une réplique miniature de dragon, se tordant de douleur : sa langue tirée et ses yeux révulsés donnaient de lui une piètre image, tout à fait risible.

Cordelia ajouta, d'une voix volontairement bêtifiante et moqueuse.

Qui c'est qui-qui va te sauver, mon bon gros bébé dragonnet ? Rooh, c'est sûrement pas maman Cassiopée ! Elle a trop peur, tu vois, elle est u-ne vraie lâ-che !

La métamorphe lança un clin d'œil coquin à son adversaire.

La langue de glace qui s’avançait vers Cassiopée dans un lent mouvement de reptation portait le visage grimaçant et presque pervers que la métamorphe n’abandonnait pas pour lui adresser la parole. Laissant l’eau se solidifier sans s’en formaliser mais en gardant ses distances, Cassiopée s’adressa à Cordelia Melicerte en laissant entrevoir son mépris devant la désuétude de ses arguments :

-Vous avez le comportement du petit enfant qui recherche le grand. Vous oubliez la sagesse qui aide à comprendre autrui.
Vous regardez le Sang sans en connaître la trame mais il est un monde à lui seul, plus conscient de la place dans le Mouvement que vous-même dans votre unicité ne pourrez le concevoir.
Voyez ce que votre incompréhension vous amène à concevoir : Vous nous caricaturez derrière l’image de ce dragon qui ne ressemble qu’à vous-même au final : une mascotte sans âme et sans noblesse.
Laissons-donc ceci de côté et parlons de cette guerre qui s’apprête à marteler nos Terres.
Vous voulez ici même régler nos différents.
Mais seriez-vous prête à nous livrer Fylgja ici et maintenant ?

Fylgja !

En entendant ce nom, Cordelia éclata, projetant des éclats glacés et tranchants tout autour d'elle.

Est-ce donc réellement l'objet de cette guerre absurde ? Ou n'est-ce qu'un prétexte ? Car sachez que personne ne la tient prisonnière, elle est libre de ses mouvements. Son état ne lui permet pas de se déplacer, voilà tout ! Ce sont vos querelles absurdes qui l'ont blessée : vous l'avez obligée à choisir entre le Sang et la Lune et la voilà qui se déchire sous nos yeux ! Raah ! Votre sectarisme est une plaie !

La métamorphe était à présent une boule d'énergie, d'où partaient des éclairs furieux. Derrière elle, sur la mer, un orage éclata comme pour répondre à ses assauts électriques. Cordelia cria par dessus le tonnerre.

ASSEZ PARLER ! Cassiopée, je vous ai défiée et vos propos acerbes me semblent une réponse suffisante. Battez-vous ici ou ne vous battez plus jamais !

Une gerbe d'éclairs partit en direction de Cassiopée, visant droit vers son cœur.

Cassiopée sentait les éclats tranchants de la glace contre le bouclier que lui procurait Orion, mais elle ne se formalisait pas de la colère qui semblait monter dans ce corps sans âme.
Elle ne réussissait pas à considérer Cordelia Melicerte comme complète sans le substrat que représentait l’âme. Elle ne réussissait d’ailleurs pas à concevoir ce corps incertain et temporaire qu’était celui de la métamorphe. Comment faisait-elle pour être capable de penser et de créer sans âme pour la faire vibrer ?

Pourtant, la présence de Cordelia se faisait pressante autour Cassiopée et celle-ci ressentait sa colère comme les échos lourds d’un tonnerre qui gronde et se rapproche.
Quand l’orage éclata et que la métamorphe l’appela à se battre, Cassiopée aurait voulu refuser ce duel qui ne menait nulle part, mais elle savait que la rage de l’être qui la cernait ne la laisserait pas en paix avant d’avoir atteint ce qu’elle désirait.

Cassiopée vit la gerbe s’élancer vers elle à la vitesse de la lumière et n’esquiva pas. Elle accueillit ce regain d’énergie pure qui lui était destiné. Son éclat naturel n’en devint que plus fort et son âme stellaire intensifia son rayonnement, illuminant l’espace d’un feu clair et doux qui contrastait violemment avec les éclairs hargneux qui l’environnaient.

-Cessez vos gamineries Métamorphe !! Fylgja est en danger entre vos mains et il est peut-être déjà trop tard pour la sauver. Si vous ne voulez pas cette guerre, pourquoi vouloir vous battre contre moi aujourd’hui ? Doutez-vous de la Puissance du Sang que vous vouliez en connaître la réalité ou bien douteriez-vous de la votre ?

Alors que Cassiopée se déplaçait pour se rapprocher de Cordelia, la mer semblait l’accompagner, créant un courant contraire d’une violence telle que l’océan se plia et se mit à bouillonner là où se trouvait le visage grimaçant de la Lunaire.

Face à la futilité de son attaque, Cordelia replia ses armes. Elle sentait dans les propos de Cassiopée une peine égale à la sienne face aux souffrances présentes et à venir : derrière son inquiétude pour Flydja transparaissait la peur primaire d'une mère acculée face à la violence d'enfants suicidaires.

Tandis que Cassiopée s'avançait, la métamorphe se calmait. Les éclairs s'adoucirent jusqu'à venir cascader aux pieds de la déesse, comme autant de larmes versées sur les morts.

Je ne doute ni de votre puissance, ni de la mienne. C'est bien là ce qui me fait peur. Sanguins et Lunaires sont trop aveuglés, trop fous. Trop dangereux. J'espérais... que nous pourrions les arrêter à temps.

Alors oui, si mes gamineries peuvent suffire à étouffer cette guerre dans l'oeuf, je continuerai de vous harceler jusqu'à ce que vous cédiez à ma requête.

Dans les flots déchaînés l'écume racontait le combat à venir, titan contre titan.

Cassiopée écoutait les flots lui conter les combats à venir. Elle revivait dans l’onde le cauchemar qui chaque nuit hantait ses rêves. Le feu embrasait la ville et arrachait les hurlements aux Vivants. Elle aurait voulu ouvrir les yeux pour ne plus voir la douleur et se boucher les oreilles pour ne plus entendre la peur dans toutes les têtes. Mais Cordelia Melicerte, la Fausse, la sans âme, lui chuchotait des mots trop dangereux pour ne pas être entendus et sa vigilance était entière. Elle rejetait au-delà d’elle le souffle de la Guerre et concentrait tout son esprit vers l’écume et le visage grimaçant qui le surplombait.

- En quoi céder à votre requête étoufferait la guerre dans l’œuf ?
Le seul moyen d’éviter la guerre est de nous livrer la gardienne et d’offrir à Sanz le corps dont il a besoin, sans compensation. Les lunaires sont cause de tous nos malheurs. Mais jamais vous n’entendez la Vérité. Vous ne voyez du Destin que le petit bout de la lorgnette.
Si vous n’avez rien de mieux à nous offrir que des harcèlements de vieille harpie, il n’est pas utile de rester ici à prendre un bain de pieds.

Cassiopée ne tourna pas le dos à la métamorphe, mais elle recula tout en ne la quittant pas des yeux, elle s’apprêta à quitter les lieux et libéra l’air autour d’elle afin qu’il l’écarte doucement de son ennemie.

Cordelia commençait à s'ennuyer. Ses échanges avec Cassiopée tournaient en rond, elle n'arrivait pas à y voir une évolution digne de ce nom. Qu'était-elle venue faire ici, déjà ? Qu'attendait-elle en défiant la Protectrice du Sang ? Espérait-elle vraiment empêcher la guerre par un simple duel ?

La métamorphe s'accorda quelques fractions de seconde pour se tourner vers son centre – si tant est qu'un vent en perpétuel mouvement puisse avoir un centre. Elle chercha parmi ses nœuds et circonvolutions les pulsations qui avaient bien pu l'amener à convoquer Cassiopée. Et elle trouva.

Entre les danses de toutes les âmes qu'elle avait rencontrées, une en particulier avait marqué son essence. Il y avait, coincée dans les mailles de sa trame, une trainée de Sang qui refusait de se mêler au reste. Ah ! On y revenait donc. Cordelia était manifestement plus étroitement liée au Sang qu'elle ne le pensait. Le pont qui s'était créé entre Sanz et elle avait tiraillé sa curiosité : la place de la confrérie dans l'existant – et l'impalpable ! était trop importante pour que la métamorphe n'y prête pas attention.

La guerre n'était donc qu'un prétexte, après tout. Un étendard à brandir pour pouvoir rencontrer Cassiopée, cette figure si essentielle pour le Sang, et ainsi assouvir la curiosité de Cordelia. En le comprenant, la métamorphe sut alors ce qui lui restait à faire : si elle voulait apprendre de son adversaire, il devait y avoir un combat – pour de bon ! Et elle venait de trouver quel appât tendre à Cassiopée pour, qu'enfin, elle passe à l'attaque.

Suivant la ligne de Sang qui traversait son être, Cordelia remonta jusqu'à sa source. Là, elle pu avoir une vue imprenable sur le Prince et son utilisation du Mouvement. Le copier serait un jeu d'enfant ! Après tout, c'était ce que Cordelia savait le mieux faire.

Elle scinda sa matière en deux formes : la première prit la douceur de l'écume et se para d'un des visages qu'elle avait l'habitude d'utiliser ; la seconde revêtit l'apparence du Prince, nourri du Sang que Cordelia pompait chez son original.

Est-ce bien de ce Sanz-ci, dont vous me parlez ? De cette marionnette, de cette âme sans véritable corps ? Voyez comme j'en fais mon jouet si aisément !

Sur ces mots, Cordelia lança son pantin sur Cassiopée, la lame dressée.

Par l'écume et l'air se formait un visage connu, et des yeux sombres dans lequel brillait la puissance de trois iris flamboyants. Dans l'orage marin, il semblait hésiter sur la forme de son corps, comme si la matière était tentée de se former autrement. Le vent lui même rendait trouble les limites de sa chair, et prenant plaisir à se mélanger au paysage le Prince devenait un corps confus d'exister. Une main sur le coeur, il se tourna vers Cordelia pour s'incliner et murmurer :

Que vos ordres soient ma conduite, Madame. En quel lieu et raison m'appelez vous?

Sans réponse et dans un regard qui lui suffit pour comprendre, levant son arme, jetant des cris d'outre tombe semblant venir d'un langage divin ill se jeta sur Cassiopée, emportant dans sa course des mouvements de vague. Sa puissance était celle d'un ouragan qui s'abattait sur sa cible même si ses gestes semblaient plus lent et plus imprécis que d'habitude. En dépit de son handicap, il murmura :

Pourquoi ai-je confié le Pouvoir à toi qui te défend si mal. Cordelia aurait bien pu faire l'affaire... .

***

AU loin dans l'ombre d'une caverne. Un vampyre arrache la chair d'une humaine tandis qu'un autre l'observe. Quand celui qui se contente de regarder la scène ferme ses yeux et sent dans sa mémoire le songe d'une digue assiégée par son ombre. Observant son pouvoir en dehors de lui, en train de combattre Cassiopée, sa main frappa brusquement la paroi rocheuse et un cri de rage résonna dans tout l'espace. Anwen glapit en sentant la colère de son maître, abandonnant son cadavre pour venir sous sa forme de lion se frotter contre ses jambes.

Sanz ferma ses poings tout en essayant de calmer le sang furieux qui inonde ses veines. Il murmura comme à lui même, projetant sa voix dans le pantin sans le vouloir tant le lien se tressait de plus en plus fort entre Cordelia et lui:

Tu veux du pouvoir, tu vas en avoir... .

Emportée doucement par l’air, Cassiopée ne quittait pas des yeux la face caricaturale de Cordelia Melicerte au sommet de l’écume quand celle-ci se transforma brutalement. Un souffle d’une force phénoménale surgit des eaux dans un grondement de tonnerre, prêt à balayer tout être sur son passage. La silhouette de Sanz se matérialisa sous leurs yeux pour se jeter, arme au poing, sur sa Confrère comme si elle était devenue son ennemie.
En réaction, la brise qui libérait Cassiopée de l’étreinte agressive de la métamorphe s’enroula autour de la Dame du Sang, si bien qu’un tourbillon venteux la souleva de l’onde avant de la projeter comme une arme vivante sur le masque vivant de son Prince.

-Traitresse !! Le Sanz que je connais ne se plierait jamais à ta volonté !!!

Hurla Cassiopée qui pliait le corps sous les assauts du Prince déchainé qui tentait de percer sa carapace tourbillonnante. Les coups étaient chaque fois déviés par le courant infernal qui encerclait Cassiopée. L’ouragan, autours d’elle, montrait les dents et la ballotait comme un fétu de paille.
Cassiopée se protégeait des attaques qui revenaient chaque fois plus violentes tout en ressassant cette apostrophe entendue dans la tourmente.

« Pourquoi ai-je confié le Pouvoir à toi qui te défends si mal. Cordelia aurait bien pu faire l'affaire... . »

Quand le sens profond de la phrase l’atteignit enfin, elle comprit que Cordelia était loin d’être la pacifiste qu’elle souhaitait mettre en avant.

Alors, sa propre voix se mêla à celle de l’eau mugissante pour gronder dans un écho qui résonnait dans l’espace :

« Tu veux du pouvoir, tu vas en avoir... »

La ruse de Cordelia semblait avoir fonctionné à merveille : Cassiopée n'était plus qu'une tornade de fureur. L'affrontement allait enfin avoir lieu ! La métamorphe s'empressa toutefois de couper le lien avec le Sang de crainte d'alerter le Prince ; elle ne souhaitait pas avoir à combattre deux ennemis en même temps.

Prenant l'apparence d'une harpie - jambes et cornes de bouc, torse de femme et ailes de corbeau - elle écarta les bras et lança un clin d'oeil brûlant à son adversaire. Un rictus de joie tordait sa bouche, découvrant ses dents pointues, avides de se nourrir de sang.

Je t'attends, ma jolie, je t'attends...

Alors que Cassiopée se préparait à lancer sa première attaque, Cordelia bondit sur elle, gueule grande ouverte visant le cou de la Sanguine.

Alors que la tornade qui protégeait Cassiopée s’enroulait toujours plus vite sur elle-même, le corps de la Dame du Sang devenait diaphane. Il prenait la transparence du vent et perdait sa consistance. Aussi, les dents de la harpie vinrent croquer l’air chargé d’eau salée au lieu de la chair au sang chaud.
La harpie se recula violemment en crachant et ses yeux d’un rouge pigmenté de vermillon reflétaient la haine et la colère qui l’habitaient.

La mer, comme en réponse aux sentiments de Cassiopée, s’était gonflée de hargne pour la métamorphe qui osait tromper les eaux par la voix de Sanz.

Le grondement provenait des profondeurs de l’Océan, d’un lieu éternel où les songes se mêlent au vivant qui daigne s’y aventurer, un lieu d’ombres et de noirceurs qui défient les verts bleutés des yeux de la Dame du Sang.
L’Océan laissait remonter à la surface des flots l’Onde des bas-fonds. Ceux d’où le propre dragon de Cassiopée provenait. Ceux qui avaient vu venir Cassiopée et l’avaient happé avant qu’elle ne rencontre ce fond d’âme qui s’inversait au sien : Issac.

Le ciel prit tout d’abord la couleur du plomb avant de s’assombrir au point de joindre ses ombres à celles de l’océan. Le ciel semblait pousser la mer pour la rendre plus violente encore. Mais ce n’était que le reflet de la colère de Cassiopée.

La lame de fond arracha la harpie qui n’eut guère le temps de refermer ses crocs pointus sur la gorge de la Dame du Sang devenue si légère, si peu visible, comme un souvenir. Un souvenir qui riait aux éclats.