La reine dans le désert.
Le désert s’empourpre au coucher du soleil. Toute la journée il a frappé fort et brulé chaque morceau de peau dévoilée. Sans relâche il faut avancer sous le plomb de ses rayons. Miriamélé n’en peut plus. Sa gorge sèche, lui écorche chaque respiration. Ses jambes lourdes semblent être faites de ce sable brulant dans lequel elle s’enfonce à chaque pas. Il fait si chaud. Si chaud dans la colonne d’exilés qui avancent sans but, portés par l’espoir qu’un autre pays les acceptera, un pays sans guerre. Miriamélé relève la tête, sa nuque lui fait mal, ses yeux sont gonflés et douloureux. Devant elle, des hommes et des femmes avancent, sans fin et sans espoir. L’un d’eux porte une gourde à ses lèvres. La jeune fille gémit. Tellement soif, elle a tellement soif. Ses épaules s’affaissent, elle jette un dernier regard aux dunes qui frémissent sous le soleil. Tant de jours qu’ils marchent ainsi, tant de jours où elle n’a pas bu ni mangé. Miriamélé se laisse tomber à terre sans un cri. Un bruit mat qui n’attire l’attention de personne, chacun continue son exil. Un bébé pleure doucement, Miriamélé ferme les yeux, la joue contre le sable chaud.
Un chant lointain résonne dans ses souvenirs. La mélodie l’enveloppe doucement. Elle lui rappelle les jardins suspendus ou elle jouait il y a peu de temps encore, la douceur de l’herbe et la fraicheur du vent dans les arbres. Il fait si chaud ici. Les paroles lui échappent, pourtant elle connait cette chanson. Oui elle la connait, elle parle de royaume sans cœur, attendant le retour de quelqu’un, quelqu’un de spécial. Miriamélé essaie de chanter mais les paroles qu’elle entend ne correspondent pas à celle de sa mémoire.
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Eh…Quelle voix étrange. Ma gorge est si sèche, pense-t-elle, j’ai soif.
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Eh, toi !Miriamélé contracte ses muscles, sa tête et ses épaules lui font mal. Elle ouvre les yeux avec prudence, une ombre la cache au soleil. Elle voudrait dire merci mais ne peut parler. Ses épaules retombent dans le sable alors qu’elle lève la tête.
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tu dois te relever! Si tu tombes à l’arrière, tu vas mourir. Debout!La jeune fille regarde le petit garçon qui se dresse devant elle, la main tendue. Elle essaie de parler et de se redresser pour saisir sa main. Il ne se penche pas vers elle, attendant qu’elle vienne à lui. Miriamélé serre les dents, il faut vouloir survivre, disait Grand-mère. Tout son corps tremble comme elle se force pour se mettre à genoux, sans prendre la main du garçon. Elle avale sa salive pour se donner du courage et sa gorge explose en millier d’éclats douloureux, plus secs que le sable qui les entoure.
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De l’eau. S’il te plait, demande-t-elle d’une voix craquelée.
L’enfant la regarde en souriant et lui tend une gourde. Elle s’en saisit tremblante mais avec une vitesse qu’elle s’ignorait posséder encore. L’eau coule dans sa gorge et sur son cou. Elle boit à grande gorgée, avec précipitation et manque s’étouffer. Le souffle court, elle sent le regard désapprobateur du garçon à la vue de l’eau gaspillée. Elle boit une nouvelle gorgée avec plus de mesure et referme la gourde qu’elle tend à l’enfant.
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Merci. Vraiment, merci.-
Pas de quoi, répond-t-il l’œil scrutateur.
Dis moi, on ne s’est pas déjà rencontré ?-
Non, impossible ! je…. Je viens ne vient pas de la métropole.Il hausse les épaules et l’aide à se relever. Il la tient par le bras jusqu’au soir, lui évitant de tomber quand elle trébuche. Au loin le désert s’ouvre sur de larges plateaux rocheux. Cette présence rassurante leur donne la force de continuer, elle leur évitera d’avoir à passer une nuit de plus dans le sable.
Lorsque la longue file des marcheurs s’arrête enfin pour la nuit, Miriamélé s’écroule. Ses pieds la font atrocement souffrir. Avec l’aide du petit garçon, Simon, elle retire ses chaussures. Ses pieds en sang lui arrachent un cri de douleur. Une grimace passe sur le visage de Simon à la vue de la chair à vif. Sous le regard apeuré de Miriamélé il s’enfuit en courant. La jeune fille prend peur. Ses pieds ne la porteront pas plus loin très longtemps. Elle se mordille la lèvre en se demandant quoi faire. Des hommes patrouillent pour assurer les tours de garde, si quelqu’un la reconnait… son cœur bat la chamade. Mais Simon revient bientôt, avec des bandages et de l’eau dans les mains. Il bande ses pieds abîmés sans un mot puis va lui chercher un bol de bouillon. Miriamélé prend le bol chaud entre ses mains et porte une cuillère à sa bouche. Une larme coule sur sa joue, discrète et humide.
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je suis désolé, ce n’est pas très bon, lui dit Simon, on a plus de sel.
- Non… au contraire… c’est très bon.
- Pourquoi tu pleures?
- Je ne m’étais jamais rendu compte que la nourriture pouvait être aussi bonne, hoquète Miriamélé après un moment. Il la regarde avec circonspection.
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Je ne sais pas d’ou tu viens, mais on est tous dans le même cas ici. Tous ces gens sont au chômage et sans maison. Quand la guerre a éclaté on nous a chasse des quais où nous vivions. Tout ça c’est la faute de la Reine. Oui c’est sa faute! A elle, son anniversaire et son foutu château qu’il a fallu refaire.-
Dis Simon, murmure Miriamélé, la Reine, tu la détestes?
- Oui.
- …
- Oui je la déteste. A cause d’elle, mon père est mort, à cause d’elle on nous a chasse, on a plus de travail, plus rien. La guerre c’est pas sa faute mais tout ça, ça a commencé bien avant.
Miriamélé baisse la tête, des larmes plein les yeux. Elle n’arrive pas à respirer, la haine dans la voix de son ami la transperce de part en part. Elle prend chaque mot de plein fouet comme une gifle cinglante. Chaque parole est comme un coup qui la propulse au sol, encore et encore. Elle veut que ça s’arrète, qu’il se taise, mais Simon continue de parler alors elle relève la tête pour entendre, pour écouter la vérité.
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la Reine elle ne vient pas nous voir, elle ne sait pas comment c’est, de tout perdre. Souvent je me suis dit ça en regardant le château, que la Reine, elle vit tellement haut qu’elle ne peut pas nous voir. Dans ses palais et ses jardins, avec tous ces gens qui s’occupent d’elle. Elle doit dormir dans de vrais draps et manger à sa faim tous les jours. Elle vit si haut dans sa tour, qu’elle ne voit rien. Alors j’ai cessé de regarder le château. De toute façon qui voudrait regarder quelqu’un comme ça?
La jeune fille ravale ses larmes et sa fierté. Chaque mot est un coup porté à son cœur. Elle finit sa soupe dont la chaleur apaise la douleur de sa gorge. Il fait froid dans la montagne qui borde le désert, Simon décide d’aller chercher des couvertures supplémentaires quand un cri déchire la nuit.
Hommes et femmes se précipitent. En contrebas de l’aplomb rocheux ou la file s’est installée, un autre groupe de marcheurs avance. Des cris résonnent dans leurs rangs, une silhouette est écartée du groupe. On la pousse sans ménagement sur le sentier escarpé qui mène au campement dans la montagne. Une homme la tien par le poignet et la jette à terre.
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regardez, c’est une servante du palais. Elle se cachait parmi nous. La catin voulait s’enfuir. -
Je la reconnais, s’écrie un autre homme, c’est la suivante de la reine Miriamélé. Des murmures haineux emplissent l’air. Les regards se figent dans la colère. Une femme réclame justice pour son mari. D’autres pour leurs maisons et leurs enfants morts dans la misère. Un groupe d’homme se détache et la conduit au bord de la falaise.
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tu devais bien manger, et tous les jours, quand tu travaillais au château. Peux tu nous rendre nos emplois et nos maisons? Peux tu nous rendre nos familles et notre honneur?La femme tremble et ne dit rien. Elle les regarde, effrayée. Simon et Miriamélé se fraient un chemin dans la foule. Miriamélé ne voit rien, il y a trop de monde. A peine surprend-elle le mouvement d’un tablier sale et déchiré qu’elle sursaute. La main dans celle de Simon elle arrive dans les premiers rangs. Son cœur s’arrête de battre et explose en même temps. Elin, murmure-t-elle, non, c’est impossible.
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Parle maintenant, menace un homme. Dis nous ou se trouve la reine.Elin, Elin. Elin douce et gentille. Toujours présente et attentionnée. Elin qui apportait le matin et le chocolat chaud avec son sourire. Non c’est impossible, Miriamélé crie intérieurement. Laissez la. Elle n’a rien fait, laissez la. Elle tend une main vers son amie, sa précieuse amie de toujours, mais ses jambes refusent de bouger. Des larmes roulent sur ses joues et sa voix meurt au bord de ses lèvres, bloquée et muette. Affolée et tétanisée elle regarde les hommes resserrer les rangs autour d’Elin, ne laissant que le vide derrière elle.
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Dis nous où est la reine, ou bien tu paieras de ta vie pour ses crimes!Elin en dit rien et tremble toujours, les yeux fous. Elle serre les poings et ses ongles percent sa peau. De petites rigoles de sang coulent entre ses doigts mais elle, ne pleure pas. Simon a coté de Miriamélé sert les poings lui aussi. La jeune fille l’entend répéter inlassablement “qu’elle meurt, qu’elle meurt”. Miriamélé pleure de plus belle, se débat contre sa tétanie mais rien n’y fait. Elin recule et trébuche, dans son mouvement elle aperçoit Miriamélé, son amie, sa reine. L’enfant qu’elle a élevé, l’enfant qui deviendrait un jour une grande reine, elle le savait. Son amie, les yeux pleins de larmes et les jambes tremblantes, une main tendue vers elle dans un cri sourd et silencieux. Alors Elin se redresse. Son regard s’apaise, ses mains se detendent, laissant voir les entailles sur ses paumes. Elle sourie à présent. D’un regard, elle embrasse Miriamélé et murmure quelque chose. Puis elle fait face aux hommes qui la menacent.
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Je ne sais pas où est la reine. Et si je le savais je ne vous le dirais pas.Avec un dernier sourire pour sa reine, Elin se retourne face au vide. Miriamélé hurle quelque chose mais la servante s’élance. La jeune reine s’effondre en silence, le cri toujours bloqué dans sa gorge et le cœur compressé. A ses cotés Simon grogne.
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elle n’a même pas pleuré ni imploré, regrette-t-il.