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 Les dragons entremêlés.

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Lilith
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeJeu 22 Sep - 15:25

XIV. Début.


Les jours passaient avec la même lenteur et dans une monotonie presque paramétrée. Inès se levait entre dix et onze heures, ne déjeunait pas mais sortait son carton à dessins et restait penchée sur ses feuilles jusqu’au milieu de l’après midi. Au bout de quatre jours passés à dessiner et à manger quand elle s’en rappelait, Inès étala au sol une vingtaine de dessin qu’elle destinait à Tom pour le salon. Ses premières productions d’artiste, peut être. Lorsqu’elle avait pris la décision de produire des dessins pour des tatouages comme l’avait suggéré Alice, elle s’était dit que cela ne serait qu’un passe-temps en attendant de retourner à la bijouterie puis chez le pierceur. Mais très vite, emportée par son imaginaire, elle s’était laissée prendre au jeu. Et, ainsi entourée de tous ses dragons, geisha et autres personnages bien à elle, elle se sentit heureuse. Elle attrapa une feuille vivement colorée et sortit de sa chambre en courant presque pour la montrer à son père. Mais à peine eut-elle franchit le seuil de sa chambre qu’elle s’arrêta brusquement. Son père n’était pas la, se rappela-t-elle, il ne la ferait plus sauter sur ses genoux en s’émerveillant de ses croquis. Dépitée, Inès retourna dans son antre ranger les dessins éparpillés par terre. Une fois le carton refermé, elle se déshabilla et alla prendre une douche.


L’eau chaude sur sa peau la coula dans une semi torpeur bienvenue. L’esprit encore plein des personnages qu’elle avait créé, elle laissa l’eau ruisseler sur son visage, son ventre et ses jambes. Elle laissa défiler devant ses paupières closes, les scènes échappées de sa main quand l’une d’elle attira son attention. On y voyait juste deux silhouettes noires, leurs visages tournés vers le ciel et la lune. Inès frémit comme cette scène de papier lui rappelait celle dans le parc de l’Institut. Elle plongea son visage sous le jet d’eau chaude pour chasser l’image mais la vision des ombres dans la nuit restait accroché à ses cils et se superposait à tout autre chose. Son cœur battant la chamade, elle prit appui contre le mur de la douche mais le contact froid contre sa paume sembla aviver sa vision. Son dos, maintenant sous l’eau commençait à se réchauffer et à la démanger. La jeune femme passa une main nerveuse sur ses reins, résistant à l’envie de s’arracher la peau. Une armée lui grouillait sous l’épiderme sans qu’elle ne sente rien d ‘autre que son mouvement sur sa chair. La sensation lui remonta l’échine pour se perdre entre ses omoplates où elle éclata en gerbes douloureuse. Inès retint un cri de douleur alors que sa vision se paraît de rouge et se brouillait sur les silhouettes qui la regardaient à présent. Un autre dessin se superposa alors à son hallucination. Un dragon semblable aux siens, vint s’enrouler autour de son cou et de sa taille, blessant la jeune fille sous l’oreille de ses écailles noires, effilées comme des rasoirs. Le monstre rugit violement en direction des ombres et fit claquer sa queue gigantesque sur le dos d’Inès. En un instant tout fut rouge sang et souffrance. Inès finit par retrouver son souffle, à genoux dans la douche, le rideau de bain à moitié arraché dans sa main. La vue lui revint doucement et elle rampa hors de l’eau. De la buée recouvrait tout et flottait dans la salle de bain comme une brume moirée. Elle ouvrit la porte pour la chasser et se releva contre celle ci. L’air frais la fit trembler. Quand elle fut sure de l’appui de ses jambes, Inès coupa l’eau qui menaçait de déborder et essuya la glace avec une serviette. Elle s’observa dans le miroir, sans rien déceler d’anormal. L’image du dragon autour de son cou lui revint et elle porta instinctivement la main à sa gorge. Elle sentait son cœur battra avec force contre sa paume. Elle passa distraitement un doigt à l’endroit où les écailles avaient percé la chair. La peu fine sous son oreille était intacte. Inès soupira d’aise et passa la main dans ses cheveux. Un hoquet de stupeur lui échappa quand ses doigts rencontrèrent une légère boursouflure près de la racine de ses cheveux, derrière son oreille droite. Elle s’approcha du miroir. A cet endroit, sa peau présentait une ligne plus clair, rosée comme une cicatrice ancienne. La jeune femme fronça les sourcils en brossant la marque d’un doigt. Elle ne se souvenait pas s’être blessé à cet endroit précis, même après sa chute dans le parc. Mais peut-être avait-elle oublié des choses, ses souvenirs étaient encore confus. La douleur infligée par les écailles lui revint furtivement mais elle secoua la tête pour chasser ces bêtises de sa tête. Elle se sécha pendant que les derniers lambeaux de vapeurs disparaissaient. Au moment de quitter la salle de bain, elle regarda son tatouage dans le miroir. Quelque chose dans le dessin lui paraissait différent mais elle ne pouvait pas le voir en entier aussi abandonna-t-elle ses soupçons pour aller s’habiller.


Le lendemain, Inès fit l’effort de se lever avant neuf heures. Elle entendit sa mère partir travailler et se leva d’un bond. Elle prit une douche rapide, et froide, en souvenir de la veille, enfila un pantacourt noir et emprunta une chemise bleu clair dans l’armoire de sa mère. Après un petit déjeuner rapide, elle empoigna sa petite pochette à dessin et enfila ses ballerines noires. Dans l’entrée, elle ébouriffa ses cheveux en bataille et prit la direction du salon de Tom. Elle le trouva penché sur les livres de comptes. Il s’arracha de ses calculs pour lui sourire.

- Tu es très jolie, dit-il en rosissant légèrement.

Le compliment réchauffa les joues et le cou d’Inès qui le remercia dans un murmure. Elle ouvrit sa pochette à coté du livre de comptes et lui montra les dessins.

- J’ai pas mal dessiné en pensant à la proposition d’Alice. Je voulais vos avis.

- Fais voir ça
, répondit-il en saisissant les dessins.

Il les passa en revue sous l’œil anxieux d’Inès qui lui expliquait ce qu’elle avait voulut dire ou transmettre dans chaque œuvre. L’œil avisé du tatoueur chevronné en sélectionna sept sur la vingtaine qu’elle avait amené. Il lui expliqua ensuite comment s’échelonnait la fourchette des prix et ce qu’elle recevrait si ses dessins étaient choisis par des clients.

- Alice n’est pas la ? demanda-t-elle. J’aurais voulu les lui montrer aussi avant de partir.

- Tu pars déjà ?
questionna Tom comme à regret.

- Oui, je dois aller chercher les pierres pour les yeux.

- Tu vas vraiment les faire poser alors ?

- Oui bien sur. La pierre que l’on m’a montré est magnifique. On aurait qu’elle m’ap… qu’elle était faite pour moi
, se reprit vivement Inès.

Tom haussa les épaules sans rien dire. Le pierceur qu’il connaissait bien l’avait appelé pour lui parler du tatouage d’Inès. Il l’avait chaudement félicité sur son travail et ce compliment innatendu l’avait réellement touché.

- Si tu veux je pourrais t’accompagner le jour de la pause. Antoine m’a appelé et je voudrais vraiment voir ton tatouage achevé.

Inès détourna timidement le regard, prise de court par cette proposition. L’idée de sentir une fois de plus le regard de Tom sur sa peau, un regard différent de celui du professionnel au travail, la gênait un peu. Elle regrettait un peu l’absence d’Alice, ses yeux souriants et sa simple présence la rassuraient. Se retrouver seule ainsi avec Tom la renvoyait à des sentiments oubliés. Un mélange d’attirance et de défiance qu’elle ne s’expliquait pas mais demeurait, comme une tension muette entre eux.

- Oui, pourquoi pas, bafouilla-t-elle. Le rendez-vous est dans deux jours.

- Je passe te prendre chez toi ? A quelle heure ?

- Euh… je dois y être pour quatorze heures trente.

- Parfait, je serais la un peu avant alors.


Un sourire mitigé fleurit sur les lèvres de la jeune fille, incapable de dire si, dans on ventre, voletaient des papillons de joie ou d’appréhension.

- Alice ne vient pas aujourd’hui ? demanda-t-elle pour changer de sujet et cacher son embarras.

- Non, elle s’occupe de son neveu cette semaine. Mais elle passera peut être demain soir.

- Tant pis
, lâcha Inès déçue. Bon je dois y aller.

Inès remballa les dessins rejetés par Tom dans sa pochette et ils se dirent à bientôt. Inès prit le chemin de la bijouterie en réalisant que Tom allait réellement l’accompagner chez le pierceur et qu’elle n’avait décidément rien de décent à se mettre.
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Lilith
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeDim 2 Oct - 12:45

XIV. Fin

Léon la regarda entrer et se sentit submergé par une vague d’appréhension. Il la laissa errer un moment pendant qu’il s’occupait d’un couple arrivé juste un peu plus tôt. Malgré tout il garda un œil attentif à la jeune fille qui observait les étals. Etrangement, lui qui parlait aux pierres, eut l’impression de les voir briller un peu plus fort au passage d’Inès. Comme si chacune d’entre elles essayait d’attirer son attention. Il se força à reporter son attention sur ses clients, l’oreille constamment attirée vers les murmures dont bruissaient les étagères. Il se fit violence une nouvelle fois et finit de s’occuper du couple. Il leur conseilla de revenir avec leur fille afin qu’elle choisisse elle même la pierre qu’elle porterait pour ses dix-huit ans. Inès continua d’errer dans le magasin et ils s’observèrent quelques minutes par en dessous avant qu’elle ne finisse par s’avancer vers lui et qu’il ne rompe le silence.

- C’est fait, annonça-t-il.

- Vraiment ? s’exclama Inès, à la fois ravie et inquiète. Il y a deux pierres ? Identiques ?

- Oui, identiques.


Léon la laissa sur cette nouvelle et disparut dans l’arrière boutique. Il revint avec un écrin d’un noir profond qu’il déposa devant la jeune fille. Inès le regarda sans savoir vraiment quoi faire, puis comme ile ne disait rien, souleva le couvercle de la petite boite. Les deux pierres roses captaient toute la lumière autour d’elles. Elles rutilaient dans leur nouvel aspect lisse et soyeux. Les veines sombres qui couraient sur leur surface semblaient prêtes à jaillir. Inès se pencha pour les regarder, elles lui paraissaient tellement petites et fragiles qu’elle n’osait les toucher. Plongée dans sa contemplation, elle essaya de les imaginer comblant les vides entre ses omoplates. Réduisant à néant ce sentiment de vide qui persistait en elle. Elle tenta de gouter le soyeux de ce rose dans l’entrelac noir de son dessin. Léon la tira de sa rêverie.

- Connaissez-vous le nom de cette pierre ? demanda-t-il très sérieusement.

Toujours penchée sur les gemmes jumelles, Inès demeura interdite par la question.

- Il y a deux pierres, lui rappela-t-elle.

- Deux pierres, une seule gemme. Un nom identique puisqu’elles ne sont qu’une. Mais vous le connaissez déjà n’est ce pas ?

La jeune femme ne répondit pas. Le savait-elle ? Il en avait l’air persuadé. Inès se redressa et lança un regard embarrassé autour d’elle, comme si quelqu’un allait lui souffler la réponse. Mais aucune réponse ne vint, à peine un bruissement indistinct dans son dos. Elle se retourna mais il n’y avait personne d’autre qu’elle et le vieux bijoutier, qui la regardait toujours.

Léon se sentit un peu perdu. Elle n’entendait rien alors que tout hurlait autour d’eux. Il percevait les battements de la pierre dans son écrin sombre aussi surement que son cœur battait la chamade dans sa poitrine fatiguée. D’un doigt, il poussa doucement la boite vers Inès, l’encourageant d’un signe de tête à écouter mieux.

- Vous le savez.

La première leçon. Le début d’une initiation aux origines millénaires. La première leçon pour voir et entendre. Léon sourit en sentant les gemmes tout autour de lui battre à l’unisson. Il regarda Inès tendre l’oreille sans comprendre, écouter et attendre.

- Je ne sais pas, hésita-t-elle finalement.

- Bien sur que si. Cette pierre vous était destinée. Vous savez.

- Non je ne sais pas. Dites moi, s’il vous plait.

- Il faut écouter mieux que ça jeune fille, répondit Léon avec gentillesse.

Inès acquiesça sans comprendre, mais certaine que quelque chose d’important se jouait à cet instant précis. Entre elle et elle vieux joailler. Et les murmures qui les entouraient et qui la faisaient frissonner. Léon saisit l’écrin et l’amena à hauteur d’yeux.

- Voici la Rodhonite des Dragons entremêlés, dit-il solennellement.

Inès retint son souffle. La réalité entre eux semblait avoir été altérée à la seule prononciation de ces quelques mots. Le noir de l’écrin ne lui avait jamais semblé aussi profond. Un noir bien différent des filets sombres sur les pierres jumelles, plus silencieux et inerte. Les bruissements dans son dos devinrent plus intenses. Inès sentit chacun des poils de ses bras se dresser et sa nuque se hérisser tout autant. Elle n’osa pas se retourner, certaine d’être seule avec le vieil homme et persuadée qu’il y avait quelque chose d’autre aussi. Il se moquait d'elle le vieux fou. Elle referma brutalement le couvercle de la boite et les bruissement moururent doucement.

- Combien je vous dois ? demanda sèchement Inès.

Léon secoua tristement la tête et lui donna son prix. Rien d’excessif, le prix du travail accompli. Il faudra payer bien plus, pensa-t-il.

Inès lui donna son argent, saisit l’écrin et sortit dans un tourbillon d’émotion. Elle prit le chemin du parc municipal, bousculée par une angoisse sourde qui lui tordait le ventre. Soulagée et inquiète, elle serrait la petite boite à s’en faire blanchir les mains. Lorsqu’elle arriva dans le parc, elle se laissa tomber sur le premier banc libre qu’elle trouva. Assise la, la boite toujours incrustée dans sa main, elle sentit les larmes lui bruler les yeux et ruisseler sur ses joues. Le regard dans le vague, elle laissa ses larmes couler jusqu’à ce qu’elles s’arrêtent d’elles même. Elle s’essuya le visage d’un revers du poignet en reniflant et ouvrit l’écrin de velours. Les deux yeux captèrent immédiatement un rayon de soleil distrait et lui sourirent avec douceur. Inès ouvrit de grand yeux, elle pouvait voir les pierres sourirent et lui transmettre un sentiment de réconfort. Ce sentiment étrange lui fit penser à la façon qu’avait son père de lu dire que tout allait bien se passer. La boule d’angoisse dans son ventre se fit plus violente, comme un fœtus qu’elle porterait en son sein et se rappellerait à elle à grands coups de pieds rageur. Elle chassa son père de ses pensées et caressant machinalement les deux pierres roses, laissa le temps passer. Assise dans ce parc qu’elle connaissait si bien, elle réalisa que les monstres cachés dans les balançoires et les arbres ne lui avaient jamais parus aussi réels.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeDim 9 Oct - 16:30

XV. Début

Assise dans un coin du Hangar, Prisca surveillait les plus jeunes membres. Elle les observait, distraite par le coup de fil qu’elle avait reçu la veille. Son grand-père ne l’appelait jamais, elle venait toujours à lui, mais hier, la fille était venue chercher les pierres. La jeune fille fit tourner ses informations dans sa tête, une fille tatouée de deux dragons, possédant deux pierres au nom du Dragon. Certainement pas une coïncidence, pensa-t-elle. Prisca se massa les tempes du bout des doigts, se forçant à réfléchir malgré les grognements et les bruits de luttes qui l’entouraient. Elle n’avait pas suivit de formation puisqu’elle ne possédait pas de don, mais elle connaissait bien son grand-père et il lui arrivait de lui délivrer des brides de savoir de temps à autres. Elle était persuadée qu’il avait dit un jour quelque chose à propos d’un dragon. Une légende ou un mythe des temps anciens et révolus. Bien que sans don, elle avait été élevée dans une famille qui croyait encore à des choses enfouies. Une histoire de dragon.
Toute à ses pensées et murmurant sans bruit alors qu’elle réfléchissait, elle n’entendit pas le craquement sourd du poignet qui se brise. Ce fut le cri de douleur d’un garçon et les vérociférations rageuses de David qui la ramenèrent à la réalité. Elle se dirigea vers le garçon blessé sans se presser qui tenait son bras contre sa poitrine en retenant des larmes de douleur. Elle sentit le regard dur de son chef lui bruler les joues.

- Arrête de pleurnicher, lança-t-elle au gosse. Tu auras des blessures plus graves. Va voir Elia, elle te mettra une atèle. Et sans pleurer !

Elle le regarda partir en reniflant et fit signe aux autres de reprendre leur entrainement. David s’approcha d’elle et lui saisissant le bras, la traina à l’écart les yeux brillants de fureur contenue. Elle se dégagea d’un mouvement de coude qui vient heurter le torse du jeune homme. Un éclair de rage passa dans ses yeux alors qu’elle le regardait avec défi. Lorsqu’il les jugea suffisamment loin d’oreille à défaut des yeux, il se planta devant elle. Un silence de plomb régnait sur le hangar. Prisca ressentit alors une irrésistible envie de montrer les dents et de mordre. Elle sentit un grondement sourd monter dans sa gorge et ses lèvres remonter sur ses dents. Elle aurait pu le déchiqueter sur place cet autre avec son regard arrogant qui s’autorisait à poser la main sur elle. Elle prit brusquement conscience de ses pensées et plaqua une main contre sa bouche sous le regard étonné de David. Il la regarda sans comprendre.

- Prisca, qu’est ce que tu as ? Je commence à en avoir vraiment ras le bol de ton attitude.

La jeune fille le regarda répandre ses paroles mielleuses alors que tout le corps de l’homme face à elle transpirait la haine et elle fut certaine qu’il mourrait d’envie de la frapper ou de la chasser du groupe. Trop bête qu’il eut tant besoin d’elle.

- Je n’ai rien, fiche moi la paix David. J’ai été distraite.

- Fais attention la prochaine fois
, murmura-t-il.

- Sinon quoi ? cracha Prisca avec colère. Il s’est cassé un poignet, une broutille. Bientôt il prendra un coup de couteau et tu seras celui qui lui dira d’arrêter de chialer comme une gamine.

- Encore une fois, fais attention à ce que tu dis, menaça-t-il.

Prisca sentit remonter l’envie de le mordre jusqu’au sang. Elle préféra lui lancer un dernier regard méprisant avant de se détourner.

- Je n’ai pas fini, dit-il suffisamment fort pour que tous entendent. Reviens !

La jeune fille sentit ses muscles se crisper. Il allait la forcer à reconnaître son allégeance, il allait la forcer à se soumettre devant tout le monde. Si elle refusait, cela reviendrait à contester son autorité. Autrement dit, une déclaration de guerre devant témoins. Prisca ralentit sa respiration et expira avec force pour se contrôler et se retourna pour lui faire face mais sans se rapprocher. S’il voulait lui parler, alors tous devraient entendre. Une semi contestation pour le faire enrager et lui faire comprendre qu’elle ne lui appartenait pas.

- Quoi ?

- Sourire a envoyé un messager
, finit-il par dire une pointe de jalousie dans la voix. Elle veut te voir.

- Quand ?
demanda Prisca en réprimant un frisson.

- On viendra te chercher demain soir, ici.

Prisca ne prit pas la peine de répondre en dernier signe de défiance et alla rejoindre les jeunes qui les regardaient la bouche ouverte. Elle les sermonna brièvement et reprit l’entrainement avec eux. Le silence s’évanouit peu à peu, laissant Prisca seule avec ses questions et ses doutes entre deux coups de pieds jetés.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeDim 16 Oct - 20:31

XV. Fin

*
**


Inès se réveilla de mauvaise humeur. La journée de la veille avait été émotionnellement éprouvante de son point de vue et elle avait très mal dormi, les rêves pleuplés de monstres aux dents acérés et de dragons lui déchirant la peau. La tête en vrac, elle s’assit entre ses couvertures et passa un doigt derrière son oreille. La cicatrice était toujours la. La jeune fille poussa un soupir de résignation. Elle se leva et prit la direction de la cuisine, le ventre gargouillant. Elle trouva du café chaud et des croissants sur la table, ainsi qu’un mot de sa mère l’avertissant qu’elle risquait de rentrer tard ce soir. Inès mordit dans un croissant avec appétit et se servit une tasse de café qu’elle savoura en se brulant la langue. Elle interrogea l’horloge au dessus du frigidaire et faillit lâcher sa viennoiserie en réalisant qu’il était treize heures trente passées. Elle lâcha un juron, avala son café d’une traite et enfourna le reste du croissant avant de foncer dans la salle de bain. Un regard dans le miroir la convainquit de prendre le temps de se laver les cheveux. Une fois sèche, elle enfila des sous-vêtements noirs assortis et fonça dans sa chambre. Elle ouvrit en grand les portes de sa penderie et se jeta dedans pour trouver quelque chose à se mettre. Alors qu’elle hésitait entre deux hauts, la sonnerie de la porte d’entrée la pressa de se décider. Elle choisit le t-shirt noir, attrapa son sac qui trainait sous un jean. Le mouvement fit tomber une lettre du tas, qu’elle considéra pendant une fraction de seconde avant de se remémorer la lettre récupérée à la fac et qu’elle n’avait toujours pas ouverte. Elle la ramassa et la déposa sur le bureau avant de se précipiter dans l’entrée. Un coup d’œil dans le miroir, un moment pour calmer sa respiration et elle ouvrit la porte avec un petit sourire gêné et ravi. Tom l’attendait, souriant lui aussi. Le soleil faisait briller ses cheveux châtains, presque blonds et faisait luire les marques noires sur ses bras. Son imagination remonta les poignets et les muscles des bras, imaginant la suite des arabesques. Un toussotement de Tom qui l’attendait déjà depuis la voiture, la fit rougir. Ils firent route en silence, Inès perdue dans ses pensées, Tom l’observant à la dérobée. Ils arrivèrent devant la boutique à l’heure dite et Inès eut une légère hésitation au moment d’entrer.

- Nerveuse ? demanda Tom.

- Un peu oui. Je n’ai jamais été fan de piercing.

- Ca va bien se passer, Antoine est un vrai pro.

- C’est gentil, merci.


La jeune femme prit une profonde inspiration et entra pour se présenter à l’accueil. Antoine l’attendait déjà, visiblement impatient de commencer.

- Bonjour Damoiselle aux Dragons. Etes-vous prête ?

- Bonjour
, répondit timidement Inès, surprise par le nom qu’il lui avait donné. Je suis prête.

- Bien, mais d’abord nous devons parler gros sous. Le règlement stipule que tu dois verser une avance. La moitié avant, l’autre après. J’adore dire ça, on se croirait dans un film sur la mafia des années 40.


- Ah, oui, Inès rigola jaune avec lui. C’est possible de payer la seconde moitié en plusieurs fois ?

Antoine fronça un sourcil.

- Oui, je suppose qu’on doit pouvoir s’arranger, répondit-il pendant qu’Inès lui tendait les premiers soixante euros, qu’il recompta avec précaution.

- Je me porte garant de sa bonne fois, ajouta Tom à la surprise générale.

Antoine sourit à cette idée et rangea les billets dans la caisse. Puis, toujours sans se départir de son sourire, fit signe à Inès de le suivre sur une chaise inclinable.

- Allez, on enlève tout ça, lâcha-t-il joyeusement.

Inès rougit et s’assit à califourchon sur la chaise pour présenter son dos au pierceur. Une fois installée, elle retira son t-shirt et se pencha sur la chaise. Antoine revint avec des gants de chirurgien qui firent frémir Inès quand ils passèrent devant ses yeux. Il tendit l’une de ses mains gantées vers elle.

- Les pierres Mademoiselle, demanda-t-il.

- Les voilà, bafouilla Inès.

Elle sortit le petit écrin de sa poche et le lui donna. Il l’ouvrit et contempla les gemmes sur lesquelles il la complimenta. Puis il lui ré-expliqua le procédé. Il la repoussa dans le siège afin que son dos soit bien détendu mais au moment de pratiquer l’incision qui permettrait l’implantation de la barre métallique où viendrait se loger la gemme, il eut un instant d’hésitation. D’un geste discret, il fit signe à Tom d’approcher et effleura le tatouage de son doigt caoutchouteux. Inès sentit le malaise se répandre dans son dos comme un éclair. Elle releva la tête pour regarder les deux hommes toujours immobiles dans son dos.

- Quelque chose ne va pas ? finit-elle par demander.

- Inès, tu aurais pu m’en parler, répondit Tom visiblement vexé.

- Te dire quoi ?

Inès sentit sa gorge se serrer et la boule d’angoisse renaitre dans son ventre. L’esprit tendu et les nerfs à vif, elle répéta dans le silence ambiant :

- Te dire quoi, Tom ?

- Me dire quoi ? Mais enfin, me dire que tu avais fait retoucher ton tatouage !


- Je n’ai rien fait de tel. Inès sentit le monde se dérober sous ses pieds. Je n’ai rien fait.

- C’est du travail de professionnel, il n’y a aucune marque
, ajouta le tatoueur penché sur le dos d’Inès. C’est vraiment splendide.

- Je ne comprends pas. Tom tu me fais peur, dit Inès la voix partant dans les aigues et les larmes aux yeux. Que se passe-t-il, bordel ?!

- Enfin Inès, tes dragons ont des crocs. Ils ont la gueule ouverte. Je n’ai jamais dessiné ça…


Inès ne sut pas quoi répondre. Elle n’avait jamais fait appel à un autre tatoueur pour modifier son tatouage. Ce qu’elle vit dans les yeux de Tom lui érafla le cœur, un mélange de tristesse et de peur. Elle répéta encore et encore qu’il se trompait. Antoine, prit au milieu de leur conversation lui amena un miroir et la plaça devant une autre glace. La jeune femme se leva sans penser à cacher son soutien-gorge et tendit le miroir devant elle, tournant le dos au second. Elle découvrit avec effroi la gueule des dragons au sommet de son dos. Leurs crocs nus s’étalaient sur sa chair, avides et puissants. Un éclair traversa son épine dorsale, de ses reins à sa nuque et Inès repensa à la douleur qu’elle avait ressentit dans la douche, quelques jours auparavant. Sa main se porta instinctivement à son oreille où demeurait la petite cicatrice. Elle reposa le miroir sur une table et retourna s’asseoir sur la chaise, déterminée à ne pas se laisser distraire.

- Antoine, si tu es d’accord, on commence ? dit-elle.

Ni le pierceur ni le tatoueur ne dirent rien et Antoine s’attela à la tache. Inès se mordit les lèvres quand le scalpel transperça sa peau, créant deux entailles. Elle serra les poings quand les deux barres vinrent s’enchâsser sous sa peau. Lorsqu’il eut fini, Antoine désinfecta les deux plaies. Inès se releva en sentant le regard vibrant de Tom sur ses omoplates. Elle lui sourit en cachant sa poitrine avec son t-shirt. Antoine revint vers elle pour inspecter les implants et lui tendit un papier sur lequel étaient noté les soins à accomplir pendant deux mois. Inès se rhabilla rapidement et remercia le pierceur.


Sur le chemin du retour, Tom resta silencieux. Inès prit le parti de ne rien dire et de le laisser à sa bouderie. Quand il en aurait marre, il écouterait ce qu’elle avait à dire. Il ne se dérida qu’une fois sur le palier de la jeune femme.

- Bon, ben, merci, dit doucement Inès.

Elle regrettait son silence. Il leva vers elle son regard brun et elle eut l’impression qu’il voulait lui dire quelque chose mais se retenait. Elle soupira dans le vent et se détourna pour ouvrir la porte. Tom lui saisit la main alors qu’elle lui tournait le dos.

- Tu n’es pas allée voir quelqu’un d’autre pour faire modifier le dessin ?

- Non.

- Tu le jures ?

- Oui.


Tom baissa la tête et Inès se sentit un peu ridicule, sa main dans celle de Tom et lui qui ne la regardait pas. Au bout d’un moment, elle se pencha pour le regarder par en dessous. Il semblait soucieux. Elle toucha sa joue d’un doigt, lui arrachant un sourire qui la soulagea. Sa main était chaude. Elle remarqua trois petites entailles entre son pouce et son index. Elle passa un doigt dessus et sourit lorsqu’il releva la tête vers elle.

- J’ai des amis qui donnent une fête demain. Ca te dirait de m’accompagner ? Pour fêter ton tatouage enfin complet, proposa-t-il en rosissant légèrement.

- Demain soir ? Oui pourquoi pas, répondit Inès en sentant son cœur se soulever. Où ça ?

- En périphérie du Passage.

- Le… Passage ? Qu’est ce que c’est ?
demanda-t-elle visiblement interdite.

Tom la regarda avec des yeux ronds.

- Dans les bas quartiers ?

- De quoi tu parles ?

- Je vois
, dit-il au bout d’un instant. Je t’enverrai l’adresse par texto. Ca se passera dans un vieux hangar désaffecté.

- C’est légal au moins ? s’enquit-elle avec un sourire en coin.

- Plus ou moins, répondit-il dans un clin d’œil.

- Trop cool. On se retrouve quelque part alors, ce sera plus simple.

- Comme tu veux. Alors, disons, vers vingt et une heures devant la mairie.

- Ca marche ! A demain
, lança-t-elle en pivotant pour ouvrir la porte.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeVen 28 Oct - 13:20

XVI.


Prisca trainait au hangar depuis un moment déjà. Elle avait regardé le soleil entamer sa descente et disparaître derrière les bâtiments que la ville lançait à l’assaut du ciel. Puis elle avait attendu. La nuit était tombée pleine et sombre, éclairée par une lune ronde et brillante. Dans les derniers rayons du jour, l’astre avait pris une étrange couleur orange, de plus en plus profonde et il transperçait la nuit comme un phare dans la tempête. Prise de frisson à cette vision, la jeune femme était allée trouver refuge auprès des autres, qui à défaut d’être ses amis, étaient près d’elle. Depuis, elle attendait que Sourire se montre. Tenue de rester où elle était si elle voulait savoir ce que lui voulait Sourire, Prisca avait regardé partir à regret David et une poignée d’autres vers la périphérie. L’approche du solstice d’été s’annonçait avec la première fête de l’été. Une institution sauvegardée par Sourire elle même, qui invitait chaque année en un lieu différent tout ce qui peuplait son territoire à célébrer la saison chaude. La jeune femme bouillait d’envie de se rendre à la célébration, de se jeter dans cette mer de corps et de musique. Mais elle trépignait également d’impatience à l’idée de rencontrer la célèbre femme qui gouvernait le Passage. A mesure que la nuit avançait, ils étaient plus nombreux à partir. Seuls restaient les plus jeunes, l’air renfrogné. Prisca sourit en les regardant. Quand elle avait été à leur place quelques temps auparavant, elle était partie, elle aussi, prendre part à la fête de l’été malgré l’interdiction formelle des ainés. Des souvenirs qui lui étaient chers et qu’elle revivait avec tendresse. La démarche hésitante qui s’avançait vers elle dissipa ses souvenirs. Le garçon au poignet cassé trainait les pieds dans sa direction, voyant l’embarras sur son visage elle prit les devant et vint à sa rencontre.

- Ils sont là, dit-il d’un hochement de tête.

- Merci, répondit la jeune fille en avalant sa salive.

Elle leva les yeux vers la porte principale du hangar, celle qu’elle n’empruntait jamais et discerna dans l’ombre deux silhouettes masculine, adossées aux montants. Le doute l’envahit pendant une fraction de seconde quand l’éclat d’un couteau brilla à la hanche d’un des hommes. Serrant les poings, elle releva la tête et les rejoignit. Sans un mot ils l’encadrèrent, l’un légèrement en avant, l’autre en retrait et ils se mirent en marche.


Prisca ne voyait pas l’homme derrière elle mais elle savait que c’était celui au couteau. Celui qui menait la marche était petit, à peine plus grand qu’elle et ne portait pas d’arme visible, ce qui ne rassura pas la jeune fille pour autant. Il portait une veste en cuir sombre un peu étroite aux épaules, qui laissait deviner des bras puissants. Ils marchèrent pendant un moment en silence et Prisca remarqua que leur démarche était aussi silencieuse qu’un soupir, c’était à peine si elle entendait le frottement de leurs chaussures sur le sol défoncé. Ils quittèrent le territoire de David et pénétrèrent dans le Passage. Les bâtiments défilaient mais les deux hommes continuèrent de la perdre dans le dédale des rues et des passes sombres et silencieuses. Un étrange son pulsait dans l’air. L’atmosphère semblait frémir d’une excitation animale comme ils se rapprochaient de la périphérie des bas quartiers. Les pulsations puissantes s’amplifièrent pour venir soulever la poitrine de la jeune fille à chaque mouvement. Une fièvre sauvage dévala librement dans ses veines quand elle comprit qu’ils se dirigeaient vers la fête de l’été. Prisca salua mentalement l’intelligence de Sourire qui organisait la rencontre dans un lieu bondé à craquer, bruyant au possible, où personne ne saurait ce qu’elle avait à dire, ni même ne la reconnaitrait. L’homme au couteau la poussa en avant et ouvrit une lourde porte métallique. L’autre resta dehors tandis que Prisca pénétra à l’intérieur et fut submergée par une vague de son puissante qui lui coupa les oreilles. Mais son guide ne parlait pas de toute manière. Elle le suivit dans un dédale de couloirs, consciente que les coups qu’elle entendait au dessus d’elle venaient de la foule qui se déchainait à l’étage au dessus. Au bout d’un moment, l’homme lui fit signe de continuer seule vers un escalier en acier. Elle le regarda sans comprendre mais il persista à lui désigner l’escalier du menton, aussi suivit-elle sa recommandation. Arrivée en haut de l’escalier, une autre porte attendait d’être ouverte. Prisca en saisit la poignée mais la porte résista et elle dut forcer pour la décoller de quelques centimètres. Une nouvelle onde sonore l’atteignit en plein fouet alors qu’elle passait la porte qui se referma brutalement derrière elle, la laissant seule au milieu du flot des danseurs. Les flashs déchiraient l’air dans tous les sens. Il faisait sombre, et chaud. L’atmosphère sentait la sueur des corps et l’alcool. Le rythme déchainé de la musique transportait la masse compacte dans un élan commun. A moitié aveuglée et sourde, bousculée de toute part, Prisca sentit la peur se répandre en elle comme un poison. Une jeune fille lui piétina les pieds et se mit à tourner autour d’elle en rigolant comme une folle. Prisca tenta de s’échapper, en vain, la fille semblait l’encercler. Une main blanche et couverte de bagues vint se poser sur l’épaule de la fille qui tournoyait en tout sens, la stoppant dans son élan. Cette dernière contempla un instant la personne derrière elle, puis s’éclipsa dans un gloussement. Prisca recula, jambes écartées, prête à se défendre. Elle retint une exclamation de stupeur en découvrant le visage ridé et la longue chevelure blanche de la nouvelle arrivante. Celle ci lui adressa un sourire chaleureux et lui fit signe de la suivre. Prisca n’eut pas besoin de demander pour savoir à qui elle avait à faire et elle suivit la longue robe blanche de la femme qui brillait dans le noir. Ses cheveux étaient ornés de petites perles d’ivoire. Ou d’os, songea Prisca avec un frisson. Sourire l’emmena un peu à l’écart et se mit à parler. Prisca ouvrit de grands yeux en constatant que malgré le bruit alentour, Sourire n’avait pas besoin d’hausser la voix pour se faire entendre.

- Je suis au courant des recherches que tu as menés, jeune fille, commença la vieille femme. C’est de ça que je voulais te parler.

- Je vous écoute
, répondit Prisca avec plus d’assurance qu’elle n’en ressentait vraiment.

- Tu as raison d’avoir peur, ajouta Sourire avec une moue appréciatrice.

- Mais je…

- Tais toi, et écoute. La personne sur qui tu enquêtes ne t’amènera que des ennuis. Tu ne peux rien faire contre eux. Contre Elle. Tu n’as pas de don. Si tu joues trop avec le destin, elle te dévorera.

- De qui parlez vous ?
demanda Prisca, la peur au ventre.

- Tu ne la connais pas encore. Fais en sorte que cela reste ainsi.

- C’est une menace ?

- Plutôt un conseil. On ne lève pas impunément le voile du monde derrière le monde. Cette personne que tu cherches arrachera ce voile. Reste loin d’elle et tu vivras. Peut être. Mais je sens que tu ne m’écouteras pas
, soupira Sourire.

- Je ne comprends rien à ce que vous me racontez.

Sourire caressa l’une des perles qui pendait près de sa joue, l’air absent. Prisca jeta un regard autour d’elle, oppressée par la foule.

- Méfie toi des prédateurs, murmura Sourire.


Prisca se retourna vivement. Elle était seule. La multitude autour d’elle ne lui en parut que plus compacte, prête à l’avaler. Elle ne reconnaissait personne dans cette masse en mouvement. Prisca finit par se faire violence et partit à la recherche de David, sans saisir les tintements sur son passage.


Dernière édition par Lilith le Mar 20 Mar - 20:30, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeVen 18 Nov - 14:22

Spoiler:


XVII.

La fête battait son plein. Tout se mélangeait dans un brouillard de son et de corps. Valsant de bras en bras, ses chevilles accompagnant la musique à coups de clochettes, elle dansait. Soulevée dans les airs par des bras puissants, elle se redressa de tout son petit corps pour observer la masse autour d’eux. Tous présents et si innocents. Un sourire affamé lui couvrit les lèvres. Une trêve dans la réalité. Les bras passèrent sous ses fesses pour la projeter plus haut. Elle haussa un sourcil à cette caresse dérobée et ses cheveux d’or lui retombant devant les yeux comme elle baissait la tête, elle planta son regard d’ambre dans celui de l’homme.

- Adam. Va te trouver une fille pour jouer.

Il avait fallut d’un murmure pour qu’elle se retrouve sur ses pieds et que l’homme s’éloigne. Satisfaite, elle erra dans la foule, ses yeux s’attardant sur un homme, une femme, une chevelure blonde et une blanche. Un maelström d’odeurs se bousculant dans son nez, elle surprit l’intrusion d’une nouvelle senteur qu’elle connaissait bien. Laissant là Sourire pour le moment, elle partit à la recherche de son frère. De toute manière la vieille femme savait bien qu’ils étaient la, ils n’auraient raté cette nuit pour rien au monde. Elle avançait en humant l’air, ses chevilles toujours cliquetantes, sous le regard des danseurs mais Adam partit, elle devenait trop petite pour espérer voir par dessus les têtes. Elle avisa un jeune homme et posa sa main sur son bras. Elle dansa un instant autour de lui, la tête pleine de cette odeur familière. Au bout d’un instant il la souleva dans ses bras. Elle s’éleva à nouveau et aperçut celui qu’elle recherchait. Ce n’est qu’alors qu’elle remarqua la seconde odeur, enroulée autour de la première, ténue et fugace. Ses lèvres s’ouvrirent alors sur un rire fou et la tête renversée, elle passa une langue avide sur ses petites dents.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeLun 19 Mar - 20:53

XVIII.

La musique couvrait tout, assourdissait tout autour d’Inès, lui laissant l’impression de flotter au grès du flot des danseurs. Ses sens comme engourdis et un peu perdue, elle suivait Tom une main accrochée à l’arrière de son t-shirt. Celui-ci se mouvait habilement dans la foule et semblait connaitre le chemin. Il saluait quelques personnes au passage, toutes plus différentes les unes que les autres, mais toutes vaguement semblables, remarqua Inès. « Comme un air de famille », pensa-t-elle. Leur périple s’interrompit près de ce qui devait être un bar, où Tom commanda deux boissons dont Inès ne perçut pas le nom. Les oreilles pleines de bruit et papillotant des yeux à cause des flashs lumineux, Inès balayait l’espace autour d’elle. Elle ne reconnaissait personne dans cet amas de corps, aussi se retourna-t-elle vers Tom qui lui tendait justement un verre en souriant. La jeune fille le prit et trempa ses lèvres dans la substance écarlate inconnue. C’était frais et agréable. Alcoolisé. Elle se lécha les lèvres du bout de la langue et avala une grande rasade avec plaisir. Tom la regarda faire en rigolant et lui prit la main pour l’emmener sur la piste. Après qu’elle se fut mise à danser, tout alla très vite. La musique pulsait de tous les côtés, sans fin, puissante, profonde. Les lumières tantôt vives, tantôt atténuées à l’extrême, foudroyaient ses pupilles, la plongeant dans un chaos visuel. Les verres s’enchainèrent sans qu’elle puisse ou ne veuille vraiment répliquer. Les corps se pressaient les uns contre les autres, langoureux ou excités, une marée humaine en pleine tempête. On continuait de venir saluer Tom. Inès continuait de danser. Son regard fiévreux dévorait tout. Il finit par brièvement se poser sur une jeune femme brune qui dansait non loin avec un homme. Ils allaient totalement contre le rythme endiablée de la musique, collés l’un à l’autre et langoureux. La fille pivota et son regard intercepta celui d’Inès qui frémit. « Jaune », pensa-t-elle instantanément. Puis la fille et l’homme disparurent dans la foule, laissant Inès seule avec un goût amer dans la bouche.

Ce fut Tom qui la sortit de sa réflexion comme il lui saisissait le bras. Dans le brouhaha alentour, ses yeux demandèrent si tout allait bien. Inès sourit timidement en retour, pour le rassurer. Derrière lui, un groupe de jeune passa, Inès recula brusquement. Un des garçons avait quelque chose d’étrange. Sa peau semblait frémir, comme si quelque chose grouillait en dessous par instant. Puis il disparut lui aussi. Inès lança un regard désespéré à Tom, elle aurait aimé parlé mais il n’aurait rien entendu. Et tout d’un coup ils furent partout autour d’elle. Elle les repérait comme des phares éclatants dans la nuit. Ils étincelaient doucement, enveloppés d’un voile chaud et ténu qui semblait mouler sur leurs corps. Des hommes, des femmes, jeunes ou vieux. La peau grouillante ou les yeux pourvus d’un étrange éclat. Un sourire différent, une manière de se déplacer étrangement fluide. Un tintement lointain dans l’air. Inès tournait sur elle-même. Partout, il y en avait partout, elle les apercevait furtivement et la foule les engloutissait instantanément.

Tom pouvait sentir la panique envahir chacune des veines de son amie comme un venin mortel. Il entendait clairement le tintement régulier qui semblait les encercler mais ne voyait rien. Il tenta de la calmer en lui saisissant les épaules mais lorsque son regard se posa sur lui, elle écarquilla les yeux d’incompréhension. Il ne savait pas quoi faire, ne comprenait pas ce qu’il se passait, ce qu’elle semblait voir et l’effrayait tant. Soudain, une longue chevelure blanche apparu dans le dos de la jeune fille, et Sourire s’avança en faisant cliqueter ses perles d’os. D’un signe dédaigneux elle signifia à Tom de les laisser. Il s’éloigna à regret, écrasé par la volonté de la femme.

Sourire se tourna alors vers Inès dont les mains tremblaient et s’agitaient dans le vide. Ses yeux courraient dans ses orbites, suivant un homme, une femme, un enfant, un signe. La vieille femme la saisit par les poignets et tenta de concentrer son attention vers elle, mais la jeune fille résistait, poursuivant ses errances mentales. Sourire fit la moue en voyant qu’Inès ne réagissait pas à sa présence. Elle lui asséna une gifle monumentale qui l’a fit tomber à terre. Hagarde, Inès releva la tête vers la femme avec colère. Cette dernière lui tendait un de ces verres écarlates qu’on lui avait servi toute la soirée. Elle le saisit en se relevant et l’avala d’un trait. A peine déglutit, elle en recracha le contenu, ça ne ressemblait pas du tout au cocktail qu’elle avait bu auparavant. Le liquide était épais et fort, il emplit sa bouche et sa gorge manquant l’étouffer au passage. Inès lâcha le verre, pliée en deux et toussant comme une damnée. La vieille femme se pencha vers elle et lui saisit les cheveux, collant sa bouche à l’oreille de la jeune fille.

- Navrée, mais il faut arrêter de jouer maintenant.

Elle planta son regard clair dans celui d’Inès et la laissa-là.


*
**


Inès se redressa tant bien que mal. La foule continuait son mouvement immuable sans la remarquer. La jeune fille frissonna malgré la chaleur ambiante et partit à la recherche de son ami. Pourquoi l’avait-il laissé là, toute seule avec cette femme ? Et puis d’abord qui était-elle pour donner des ordres à tout bout de champ ? Grommelant dans sa barbe, Inès se frayait un passage parmi les corps, bousculant et jouant des épaules. Finalement Tom n’avait aucune importance. « Qu’il aille se faire voir, moi je rentre » se répétait-elle en boucle. Elle se sentait pâteuse et engourdie. Un gout métallique lui restait sur la langue, quelque chose qui ressemblait vaguement à du sang. Alors qu’elle se faisait cette réflexion, un tintement ténu vint frapper son oreille, Inès redressa vivement la tête. Sa vision se brouilla et elle se sentit chanceler. Sans comprendre comment, elle se retrouva à quatre pattes par terre. C’est le moment que choisirent ses yeux pour effectuer un gros plan sur le sol devant elle. Si le monde était brouillé, ce sol lui apparaissait très nettement. Elle distinguait la poussière, les fissures, la douleur du béton sous le poids des corps. La douleur ? Elle n’eut pas le temps de s’interroger plus sur l’incongruité de cette remarque comme des jambes vinrent se heurter à ses bras et ses cuisses. Elle eut vaguement l’idée d’un grognement sur sa droite lorsqu’une douce chaleur vint envelopper son dos. Inès écarquilla les yeux, il y avait quelqu’un derrière elle. Il y avait quelqu’un à moitié allongé sur son dos ! Elle voulut se dégager d’un mouvement d’épaule mais fut incapable de déloger l’autre au dessus d’elle. L’étrange tintement se fit de nouveau entendre et le poids dans son dos disparut comme s’il n’avait jamais été. Inès voulut se redresser mais une main se posa sur son front, fraiche et menue, l’aplatissant au sol avec force. La jeune fille gémit quand son menton heurta le béton et qu’une douleur aigüe lui parcourut le dos. Quelque chose de chaud coula entre ses omoplates et l’odeur cuivrée du sang emplit ses narines. La douleur se fit plus intense et Inès se sentit partir.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeJeu 22 Mar - 21:53

XIX.

Alice tourna son visage vers le soleil, savourant sa chaleur sur sa peau. Elle marchait sans se presser, profitant du beau temps et de la chaleur. C ‘était une chose qu’elle aimait, se promener, prendre son temps pour réfléchir et rêver, pour imaginer de nouveaux dessins. Elle repensa à ceux qu’Inès avait amenés, la poignée que Tom avait sélectionnée était vraiment bonne. Deux des dessins avaient été choisis par des clients. Des tatouages, ses pensées dérivèrent alors vers Tom. Alice lâcha un soupir, il ne l’avait jamais regardé comme il regardait Inès. Une vague mélancolie lui saisit la gorge. La jeune fille se pinça violemment l’épaule pour ravaler les larmes qu’elle sentait monter jusqu’à ses yeux. Elle accéléra et tourna à droite, Elle s’immobilisa devant la maison. Une maison toute simple, petite, avec un jardin pour que Lyn puisse jouer. La fillette était allongée dans l’herbe, au soleil, ses grands yeux fermés et ses cheveux comme une auréole éclatante autour de sa tête. Alice jeta un coup d’œil à la porte d’entrée. « Il doit dormir, pensa-t-elle, c’était la fête de l’été hier soir seulement… Arrête de faire l’enfant et secoue toi, s’ordonna-t-elle ». Elle s’approcha doucement de la petite fille et se pencha au dessus d’elle, lui masquant les rayons du soleil. Lyn ouvrit les yeux et sourit en reconnaissant Alice.

- On y va ? demanda la fillette, candide.
- Oui. Où veux-tu aller ? A la piscine ?
- Plutôt au parc. Des amis m’attendent.


Alice hocha la tête et tendit la main à Lyn qui la saisit en se relevant. La petite fille lança un regard mécontent à la maison.

- Dis-moi, Alice, tu aimes jouer à cache cache ?


*
**


Inès se réveilla dans un lit inconnu. Sa tête lui faisait horriblement mal et un gout étrange persistait sur sa langue. Elle se sentait lourde lorsqu’elle tenta de se relever. Elle porta une main à son dos avec une sensation de douleur oubliée au bout des doigts, mais ne ressentit rien de suspect. Portant une main à son front, elle réalisa qu’elle ne portait plus de pantalon. Elle sentit le rouge lui monter aux joues et tira le drap vers elle pour se couvrir. Où diable était-elle ? Et que s’était-il passé pour qu’elle se réveille dans une chambre qui n’était pas la sienne… Inès s’extirpa du lit et retrouva son pantalon par terre, près de la porte. Elle l’enfila rapidement et sortit de la chambre, bien décidée à s’enfuir à la moindre présence suspecte. Une agréable odeur de café flottait dans le couloir, la jeune fille la suivit le ventre gargouillant de faim. Elle passa une seconde chambre qui devait sans doute appartenir à une femme et poursuivit son chemin jusqu’à une porte entrebâillée. Elle reconnut immédiatement le dos musclé de Tom qui s’activait aux fourneaux. Gênée, elle frappa doucement contre le battant pour s’annoncer.

- La Belle aux Bois dormant se réveille enfin, lança joyeusement Tom en se retournant.

Inès sourit mal à l’aise. Son ventre gronda lorsqu’elle huma l’odeur du bacon frit.

- Bonjour, murmura-t-elle. Je suis désolée, quelle heure est-il ?
- Presque 14h. Tu as faim ?
- Oui, très,
avoua-t-elle gênée. Mais, comment dire…. On a… enfin…
- Non, non !
répondit précipitamment le jeune homme l’air confus. Tu as un peu trop bu hier soir et je t’ai ramenée parce que c’était plus simple. Je n’étais pas très frais non plus, admit-il penaud.

Inès le scruta pendant un instant puis partit d’un grand rire, dissipant le mal aise ambiant. Elle s’assit à la petite table de la cuisine, rigolant toujours.

- Tu me rassures, parce qu’honnêtement, je ne me rappelle rien après le septième verre ! Maintenant j’ai faim.

Tom sourit, un peu dépité par la réponse de son amie mais soulagé. Un éclat attira son regard vers la fenêtre, d’où il vit sa sœur partir avec Alice, main dans la main.

Ils mangèrent en plaisantant sur leurs souvenirs respectifs, et parfois confus, de la veille. Puis Tom ramena Inès chez elle. La jeune fille retrouva avec plaisir la fraicheur de sa chambre et s’étala de tout son long sur le lit avec un soupir de soulagement. Elle retira son t-shirt et le lança contre la porte. Elle acheva de se déshabiller et se dirigea vers la salle de bain. La douche brulante lui remit les idées en place et le soleil filtrant par la fenêtre lui donna des envies de promenades. Elle se sécha, enfila un short et un t-shirt propres, saisit son carnet à dessin, son sac et se mit en quête de chaussettes. Elle remarqua qu’une enveloppe trainait par terre, cachée sous son t-shirt de la veille. Elle la récupéra, la posa sur le bureau et saisit le vêtement pour le mettre avec le reste du linge sale. Il y avait comme une tache sur le dos, Inès l’approcha de son visage, intriguée. A aucun moment ses souvenirs, ou Tom, ne lui avaient fait part d’une quelconque tache durant la soirée. Elle passa un doigt sur le tissu, son doigt rencontrant deux petites bosses mais Inès était incapable de dire avec exactitude de quoi il s’agissait. Elle allait abandonner lorsqu’elle se dit que c’était la l’occasion de vérifier les prouesses que sa vision lui permettait ces temps-ci. Elle hésita, un peu effrayée par les souvenirs qui affluaient dans son cerveau. L’effet de voir si loin, les silhouettes, la chute. Elle regardait son t-shirt en se mordillant les lèvres, ne sachant pas quoi faire. Et si ça ne marchait pas ? Si elle avait rêvé tout ça ? « Après tout, je n’ai rien à perdre » se dit-elle. Elle s’assit donc sur le lit et étala le vêtement sur ses genoux, le lissant d’une main. Elle inspira profondément, expira de la même façon puis se concentra sur les deux petites tâches devant elle. Tout se fit très vite et très naturellement. Inès eut la sensation de traverser un voile très fin, comme du tulle. Elle passa au travers sans le déchirer, en douceur et sans qu’elle eut à y penser, ni même à le formuler, sa vision se retrouva au niveau de la maille qui constituait le tissu. La mise au point était parfaite. Elle explora les fils, sautant de l’un à l’autre comme une araignée sur sa toile, fluide et assurée. Elle détacha un instant son regard du vêtement qui devint flou alors que son esprit se concentrait sur autre chose. Tout restait très clair tant qu’elle se focalisait dessus. Le reste de sa chambre, la moquette, la commode, le bureau et même ses propres genoux, lui apparaissaient comme diffus, aperçu à travers le brouillard ou un écran de fumée. Inès reporta son attention vers les taches, à ce niveau-là, les lettres dont elles étaient formées se détachaient avec netteté contre sa rétine. Inès se mordilla nerveusement la lèvre inférieure. C’était son nom, écrit avec du sang, qui formait les traces sombres sur le dos de son t-shirt.

*
**

Adossée à un arbre dans le parc, Inès se laissait bercer par la brise et les cris des enfants. Il faisait bien trop beau pour ruminer à l’intérieur, autant le faire au soleil. La jeune fille observait la frondaison d’un vert soutenue, transpercée par les rayons du soleil. Elle admira pendant un moment les fines particules de poussière qui voletaient dans la lumière. Il y en avait tellement. Si nombreuses et pourtant tellement immatérielles. Inès commençait doucement à se faire aux possibilités que lui offraient ses yeux. Il y avait eu quelques ratés, quand elle essayait d’aller trop vite. Si elle forçait le passage à travers le voile, ainsi qu’elle avait décidé de le nommer, elle perdait le contrôle et tout devenait flou. Mais si elle prenait son temps, alors tout devenait possible. Inès exerça une légère poussée avec sa volonté et sa vision se fit encore plus précise. Elle dirigea son regard vers une mère de famille qui tentait de lire un livre tout en surveillant ses enfants. Inès se concentra, poussa un peu plus, presque rien, juste assez pour voir le titre du roman dans les mains de la femme assise de l’autre coté du bac à sable. « A la poursuite du temps perdu ». Inès murmura le titre du livre plusieurs fois, comme si elle le savourait. Puis d’un coup elle bondit sur ses pieds, saisit son sac et se mit en route. Une lumière s’était faite dans son esprit. Elle devait parler à Léon, elle avait déjà perdu trop de temps.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeMer 28 Mar - 18:32

XX.

Lorsqu’il arriva sur les lieux en début d’après-midi, l’odeur terrible saisit le commissaire Jean à la gorge et il dut se couvrir le visage de la main pour respirer. C’était inutile en réalité tant l’émanation était forte, rance et incrustée partout autour du cadavre. Jean fit signe à un agent qui regardait ses pieds avec grand intérêt, non loin de la scène de crime. Le policier s’éloigna de la puanteur avec un soulagement visible. le batiment désafecté, où avait eu lieu la dernière fête de l'été, était vaste et bas de plafond. partout autour d'eux le sol était jonché de verre brisé et de canettes vides.

- Bonjour, Commissaire Jean. Vous êtes ?
- Officier François, Commissaire. C’est vraiment pas beau à voir.
- Qu’est ce qu’on a ?
- Trois corps et une gamine.
- Pardon ?
s’étonna Jean.

- On a retrouvé une fille, confirma l’officier, elle doit pas avoir vingt ans. D’après les toubibs elle est en état de choc depuis hier soir. Elle refuse de bouger.

Le commissaire soupire en secouant la tête. Il manquait plus que ça.

- Elle a vu quelque chose ?
- Non rien. Elle ne parle presque pas. On pense qu’elle a été violée.
- Bon, je vais d’abord m’occuper des cadavres, puis j’irais la voir. A qui dois-je m’adresser ?
- Le médecin légiste est près du second corps, derrière le pilier là-bas
, répondit l’officier en désignant un recoin brillamment éclairé par les flashs des experts dépêchés sur les lieux.

Jean le remercia et se dirigea vers le corps le plus proche. Il en fit le tour en prenant garde de ne rien déranger. Comme l’avait prévenu l’officier, ce n’était vraiment pas beau à voir. A première vue il s’agissait d’un homme, d’une trentaine d’années environ. Son visage portait des lacérations sur les joues et ses bras étaient en lambeaux. « Il s’est surement défendu, pensa Jean, même si ça n’a visiblement pas suffit ». Il avait la gorge à moitié arrachée et son pull était imbibé de sang. Il regardait le plafond de ses yeux vides et avec sa tête qui formait un angle bizarre, on aurait dit un pantin abandonné là par son maitre. Un drap blanc était jeté en travers de son corps, masquant son ventre et ses jambes. Jean appela l’officier François qui l’observait de loin.

- Amenez-moi des gants s’il vous plait, demanda-t-il.

L’officier s’exécuta et s’approcha en grimaçant. Le commissaire enfila un gant et souleva le drap. La puanteur s’accentua, se faisant épaisse et insistante. Malgré tout, il se pencha vers le corps pour découvrir l’abdomen ouvert en deux, déversant les boyaux verdâtres du défunt sur le sol. Les jambes étaient intactes, remarqua Jean. Il rejeta le drap sur le corps, atténuant légèrement l’odeur. S’accroupissant près de la tête, il souleva lentement le corps, pas de traces de morsure ni de lacération, le dos était intact. La présence de marques bleues sur les poignets de l’homme attira son attention. Ces dernières ne ressemblaient en rien aux traces laissées par des cordes ou des liens, elles avaient plutôt la forme de doigts qui auraient empêchés l’homme de se débattre.

Une fois l’inspection du premier corps terminé, le commissaire Jean se dirigea vers le médecin légiste toujours penchées sur le cadavre. Il la connaissait depuis longtemps, Marie Egniant était une habituée des scènes de crimes particulièrement violentes. Petite, à peine un mètre soixante et sèche comme un bâton, elle auscultait méticuleusement le corps qui gisait devant elle. Jean vint se placer face à elle afin de recueillir son avis sans la gêner dans son travail. Le second cadavre était celui d’une jeune femme, environ vingt-cinq ans, blonde et très maigre. Elle portait les mêmes marques sur le visage et les bras, qui laissaient voir la blancheur de ses os sous le sang. Elle gisait dans une position grotesque, comme s’il elle avait été foudroyée en pleine danse. Ses jambes étaient couvertes d’hématomes et elle portait les mêmes marques bleues sur les poignets que la précédente victime.

- Qu’est-ce que tu peux me dire ? demanda Jean à Marie.

- Bonjour à toi aussi Henri, ronchonna la femme. Je dirais que celle-là est la seule des trois qui ne s’est pas débattue, ou qui n’en a pas eu le temps. Les trois cadavres portent des entailles similaires à des endroits similaires mais infligées par des personnes différentes à mon avis. Tu vois la coupure sur sa pommette, juste la, dit-elle en lui désignant le visage de la femme, l’entaille est beaucoup plus profonde que sur l’homme éventré, plus violente. Je tablerai donc sur un groupe ou peut être des apprentis plagiant un « maitre », ce genre de chose arrive parfois. Les trois victimes ont perdu beaucoup de sang en peu de temps. Seulement tu remarqueras qu’il y en a peu sur le sol. Peut-être des adeptes d’une secte sataniste, je ne sais pas.
- On a des infos sur leurs identités ?
- La fille avait encore son sac et il ne manque rien. Je l’ai confié à un des officiers. Elle s’appelle Carole Verget. Vingt-six ans, pas de casier. Les deux autres, on ne sait pas.
- Bien. Et la fille ?
- La gamine ?
demanda Marie en jetant un coup d’œil vers un groupe de pompiers un peu plus loin. On attend le médecin du SAMU qui ne devrait plus tarder. Elle refuse de bouger et ne parle presque pas. Elle ne pleure pas non plus d’ailleurs. A première vue, et selon moi, elle est en état de choc. Seulement ça fait presque douze heures qu’elle doit être ainsi, on l’a trouvé quelques minutes après avoir débarqué. Et vu les marques sur ses cuisses et sa jupe, je pense qu’on l’a violé. Elle a pas mal d’ecchymoses et de marques de coup aussi.
- Tu penses qu’elle aurait pu être une quatrième victime ?
- Ce n’est pas à exclure. Mais dans son état, ce n’est même pas sur qu’elle se souvienne de quoi que ce soit…
- Amnésie post-traumatique ? C’est bien ma veine !


Marie haussa les épaules et retourna à son macchabé. Le commissaire soupira devant le peu d’intérêt que sa collègue manifestait à l’égard des vivants, mais c’était souvent le cas chez les médecins légistes. Il avait d’ailleurs toujours pensé qu’il fallait être un peu misanthrope pour faire ce métier. Il se dirigea vers la petite armée de pompier qui entourait la jeune fille. Prostrée à terre, elle ne portait que ses habits déchirés et sales. On lui avait posé une couverture de survie sur les jambes mais elle grelottait malgré tout. Jean la considéra un instant. La fille semblait complètement ailleurs, elle souffrait visiblement, mais son esprit refusait d’admettre cette souffrance. Rien qu’en la regardant on ressentait une détresse physique qui l’enveloppait comme un linceul. Jean s’approcha d’un groupe de pompiers qui discutaient à voix basse.

- Excusez-moi, le SAMU est-il arrivé ?
- Non pas encore. Ça devrait pas tarder maintenant. Vous êtes ?
- Commissaire Jean, police judiciaire. C’est vous qui l’avez trouvé ?
- Oui, répondit un autre homme. Ça doit faire une demi-heure.
- Elle est dans cet état depuis le début ? Elle a dit quelque chose ?
- Juste son nom, et encore il a presque fallu lui arracher les mots de la bouche
, dit le pompier avec un air désolé. Camille. La pauvre gosse…
- Je peux lui parler ?
demanda Jean.

Les hommes en uniforme se regardèrent avec inquiétude. Puis celui qui avait parlé en premier haussa les épaules en signe d’impuissance.

- Essayez toujours, dit-il. Mais évitez de la toucher, pour le médecin.

Jean acquiesça de la tête et rejoignit la jeune fille adossé contre un mur. Il s’approcha en ouvrant les bras, paumes vers le ciel, pour lui montrer qu’il n’était pas un danger. Elle ne réagit pas à son approche. Alors il se pencha lentement vers elle, de manière à se retrouver face à elle. La jeune fille ne cilla pas, comme si l’homme face à elle était transparent. Jean lui releva le menton du bout du doigt et elle se laissa faire sans rien dire. Dans ses yeux, il lut la terreur qui fait blanchir les cheveux en l’espace d’une nuit, celle qui ne vous quitte plus jamais et qui vous fait frissonner même en plein jour. Il remonta la couverture jusqu’à ses épaules. La lumière rouge d’un gyrophare vint se refléter sur la peau blanche de la jeune fille toujours inerte et le médecin du SAMU se précipita sur eux. Le commissaire s’écarta pour le laisser faire son travail. Il jeta un dernier coup d’œil à la jeune fille et pendant un instant il lui sembla qu’elle le suivait du regard. A moins qu’elle ne voit autre chose, au-delà.

Alors qu’il s’apprêtait à quitter définitivement les lieux, une tache sombre sur le sol l’interpella. Un policier muni d’un appareil photo, plaçait des petits plots avec des numéros pour identifier l’indice. Jean s’approcha, sa plaque en évidence.

- Il y a une quatrième victime ?
- Je ne sais pas. Je viens juste de trouver cette flaque, mais il n’y a vraiment pas assez de sang pour que la blessure ait été mortelle.


Le commissaire hocha la tête silencieusement et reprit le chemin de sa voiture. Une fois à bord, il passa en revue les indicateurs qu’il connaissait susceptible de lui fournir des informations sur cette nouvelle affaire.


*
**


Sourire était en colère. Elle fulminait d’une rage froide, dont le calme apparent ne présageait rien de bon. Entourée de ses gens, assis en demi-cercle face à elle, elle attendait. Elle attendait des explications, des réponses, des faits, la vérité. Comment une telle chose avait-elle pu se produire, chez elle, en sa présence, sans qu’elle en fût informée ? Sans qu’elle ne s’en rende même compte ? C’était tout à fait impensable, inadmissible. Elle foudroya la salle de son regard gris et tous semblèrent se tasser un peu plus dans leurs sièges. Le silence était pesant, gonflé de menaces et d’interrogations. Personne ne savait qui avait pu avoir l’audace d’un tel affront lors de la fête de l’été. Sourire s’impatienta, elle se tourna brusquement vers deux hommes en noir sur sa droite, membres de sa garde personnelle. Qu’on laisse trainer un cadavre chez elle passe encore, c’était la fête de l’été. Beaucoup de chose devait arriver en cette nuit particulière. Mais trois, voilà qui était bien hors de question.

- Trouvez le responsable, dit-elle simplement. Et cela sonna comme la pire des menaces.


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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeVen 30 Mar - 19:40

XXI.

Prisca tendit une enveloppe de papier kraft à l’homme qui lui faisait face. Petit et râblé, les cheveux d’un noir intense et habillé de la même couleur de la tête au pied, il lui faisait inévitablement penser à un rat avec ses petits yeux enfoncés et son nez allongé. Malgré son accoutrement, il passait inaperçu, même dans le parc municipal, bondé pendant les vacances scolaires.

- Tu es sure de pouvoir vendre ses informations ? demanda-t-il d’une voix rauque. Pas d’arnaque hein ?!

- Tu les veux oui ou non ?
s’impatienta la jeune fille en suspendant son geste.


L’homme s’empressa de saisir l’enveloppe et de lui en tendre une seconde, plus petite.
- C’est tout ce que tu as pu trouver ? Surin, tu te moques de moi !

- La quantité ne fait pas toujours la qualité
, répondit l’informateur.

Et sur ces mots il fit volte-face et partit d’un pas tranquille, la laissant la seule au milieu des enfants. Elle regarda Surin s’en aller et décacheta l’enveloppe. Elle n’avait peut être effectivement pas le droit de lui confier les informations qu’il avait réclamé ; même incomplètes, si cela venait à se savoir, elle risquait gros. Cependant l’avantage avec Surin, c’est qu’en plus d’être discret, il portait bien son nom : les gens curieux ne faisaient généralement pas long feu dans son entourage. Prisca déplia la feuille blanche ou s’étalait une écriture en pattes de mouche, surement celle de son informateur. Il n’y avait en tout et pour tout que trois lignes. Sur la première, une liste de noms, dont certains soulignés d’un trait sombre, sur la seconde la jeune fille reconnu une adresse, ou plutôt la désignation d’un lieu-dit. Sur la dernière enfin, elle put lire : « dragon. Le Monde derrière le monde ? ». Prisca demeura perplexe. Le monde derrière le monde. Elle avait déjà entendu cette formule quelque part. Sourire lui en avait parlé, la veille à la fête de l’été. Quelqu’un allait déchirer un voile, ou quelque chose de la sorte. Elle se força à réfléchir. Qu’avait dit Sourire exactement ? Qu’il s’agissait d’une personne qu’elle cherchait. Ses yeux tombèrent sur le mot « dragon ». Prisca fronça les sourcils avec colère et d’un pas décidé, elle se dirigea vers la bijouterie de son grand-père.

*
**

Lorsqu’Inès poussa la porte de la bijouterie, faisant carillonner la clochette de l’entrée, il lui sembla que Léon l’attendait, calme et patient derrière son comptoir. Cette attitude sereine, presque résignée, lui fit froid dans le dos mais rassemblant son courage, elle se dirigea vers le vieil homme. Elle s’apprêtait à parler quand il la prit de vitesse.

- Veuillez retourner le panneau pour indiquer que nous sommes fermés s’il vous plait. Je crois que nous avons à parler tous les deux.

Surprise par cette entrée en matière, Inès resta coite et fit ce qu’il demandait. Elle retourna le petit écriteau et regagna le comptoir.

- Comment se portent vos yeux ? demanda le vieillard.

- Les pierres me tirent un peu la nuit, mais sinon tout va bien, commença la jeune fille, se remémorant qu’il avait nommé les gemmes des « yeux ».

- Non, vous ne comprenez pas. Comment vont vos yeux ?

- Mes yeux ?
hésita Inès, pas très sure d’elle.

- Vos yeux oui. Vous voyez bien ?

Inès sentit une boule d’angoisse se loger au creux de son estomac. Jusqu’à quel point pouvait-elle faire confiance au vieil homme ? Elle l’ignorait. Mais le secret la pesait, aussi décida-t-elle de ne dévoiler que le strict minimum. Pour le moment.

- Comment savez-vous ?

- Alors vous voyez ? Vous n’auriez jamais dû donner la vue à ces dragon
s, déplora-t-il en secouant doucement la tête.

- Voir quoi ? Ecoutez, j’en ai marre de vos phrases sibyllines. Alors vous me dites clairement les choses à partir de maintenant ou bien je m’en vais ! s’énerva la jeune fille. Voir quoi ?

- Voir tout enfin. Vous pouvez tout voir n’est-ce pas ? Les arcs-en-ciel dans chaque rayon de soleil, les choses qui se trouvent à des distances incroyables comme celles qui se trouvent juste sous vos yeux. Votre volonté vous permet de tout voir, à l’infini
, répondit-il dans un murmure.

- Je n’ai jamais vu les arcs-en ciel, admit Inès après un court silence.

- Mais vous voyez. Entendez-vous aussi ? demanda-t-il.

- Entendre quoi ?

- Et bien tout ce qui ne se voit pas, mon enfant. Je suis de ceux qui entendent. J’entends les pierres et elles me racontent leurs histoires.


Inès se sentait totalement perdue. Le vieil homme avait-il perdu la raison ? Pourtant il disait vrai pour ses yeux, si elle le décidait, elle pouvait tout voir. Elle se mordilla la lèvre, en proie au doute et à la peur.

- C’est comme ça que vous connaissez le nom des pierres ? finit-elle par demander.

- Tout à fait, vous avez compris, s’exclama-t-il avec un sourire. Mais vous, vous avez trouvé le véritable nom de votre pierre, rappelez-vous. Alors, vous possédez également ce don.

- Je…non, écoutez, ça fait beaucoup à intégrer en peu de temps. Je ne sais plus vraiment où j’en suis…. Je


- N’ayez pas peur de vous ! Inès c’est bien ça ? N’ayez pas peur de ce que vous pouvez faire.

- J’ai le sentiment de ne rien maitriser. Tout ce qu’il m’arrive en ce moment, c’est complètement dingue. J’ai des absences, je vois mon nom écrit avec du sang… Je …

- Des absences
? demanda-t-il inquiet.

- Hum… je sens que je devrais me souvenir de certaines choses. Comme des réminiscences. Mais rien ne me revient, répondit-elle penaude.

Léon ouvrit la bouche pour lui répondre mais fut brusquement interrompu par le son du carillon de l’entrée. Prisca s’avança vers eux. Inès la dévisagea, certaine d’avoir déjà vu ces yeux bleus et cette chevelure blonde quelque part. La nouvelle venue fit le tour du comptoir dans le silence et vint se placer près de son grand-père, bien campée sur ses jambes.


- Qui êtes-vous ? demanda-t-elle à Inès

- Prisca ! s’offusqua le vieil homme. On ne s’adresse pas ainsi aux clients. Excuse-toi immédiatement.

- Ce n’est rien
, intervint Inès. Je m’appelle Inès, j’ai commandé des pierres et j’avais besoin de parler avec Léon. Ça va si je vous appelle Léon n’est-ce pas ?

- Oui bien sûr, répondit ce dernier. Voici Prisca, ma petite fille
.

Les deux jeunes filles s’examinèrent scrupuleusement. Prisca ostensiblement agressive, poussant Inès à rester sur ses gardes. Un ange passa au-dessus du trio et le silence se fit pesant.

- Je vais vous laisser, finit par dire Inès.

- Faites donc ça oui, lança la jeune fille blonde.

Le vieil homme parut outré mais ne dit rien. Sa petite fille semblait sur le point de sauter à la gorge de n’importe qui, et pour n’importe quelle raison. Il lança un regard désolé à Inès et celle-ci lui répondit par un sourire. Elle remua imperceptiblement les lèvres et quitta la boutique sans un mot. Lorsqu’elle fut sortie, Léon se retourna vers sa petite fille, les yeux pleins de colère.

- Ne refais plus jamais ça, tu entends !

- Arrête Papi. On ne sait rien d’elle, il faut que tu fasses attention.

- Prisca, cela ne te regarde pas. Elle a besoin d’aide.

- Non. Pas de ton aide. Qu’elle trouve quelqu’un d’autre. Elle est dangereuse.

- Tu racontes n’importe quoi Prisca.

- Tu ne comprends pas...


Léon haussa les épaules et ouvrit la porte de l’arrière-boutique. Il saisit sa canne et s’engagea dans le couloir, Prisca sur ses talons. Ils restèrent à se regarder pendant longtemps dans la petite cuisine, comme s’ils essayaient de convaincre l’autre par la seule force de leurs volontés respectives. Puis la jeune fille se leva, déposa un baiser sur la joue de son grand-père et partit. Le vieil homme resta seul sous la lumière chiche de la pièce. Si sa vue baissait avec l’âge, son ouïe, elle, restait aussi fine qu’au premier jour. Le don ne disparaissait jamais. « Je reviendrais », avait-elle murmuré.

*
**

Prisca était malheureuse. Elle s’en rendit compte ce soir-là, en quittant son grand père. Déambulant dans les rues, elle caressait furtivement son bracelet blanc et bleu d’un air distrait. Alors qu’elle envisageait de repasser par le hangar avant de rentrer chez elle, une jeune femme blonde accompagnée d’une petite fille, plus blonde encore, traversa son champ de vision. Prisca resta un moment interloquée. Les cheveux presque blancs de l’enfant semblaient lisses et doux comme des plumes. Comme si elle sentait le regard de Prisca sur sa nuque, la fillette lui jeta un coup d’œil par-dessus son épaule menue. Prisca les laissa prendre de l’avance et quand elles tournèrent au coin de la rue, se mit à les suivre.
Elle n’eut pas à se cacher longtemps. Les deux amies s’arrêtèrent près d’un salon de tatouage que Prisca avait déjà remarqué. Plus elle observait la petite fille, plus elle la trouvait étrange. Bizarrement, elle était certaine de l’avoir déjà vu quelque part. Elle se creusa les méninges, en vain. Les deux jeunes filles furent accueillies par un homme qui arborait des tatouages sur les deux bras. Il sortit du magasin, une autre fille à sa suite. Prisca reconnut immédiatement Inès. Elle fronça les sourcils. Il y avait décidément quelque chose d’anormal avec ces gens-là. Elle regarda Inès s’éloigner et reporta son attention sur le jeune homme. Il y avait de la peur dans ses yeux. Une proie facile.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeLun 2 Avr - 19:20

XXII.

Le mois de juin s’acheva dans une chaleur étouffante. Alice s’extirpa de sa chaise avec difficulté. Depuis quelques temps, elle n’avait plus aucune énergie. La fatigue lui tombait dessus dès le réveil et alourdissait ses journées d’une torpeur à laquelle la jeune femme refusait de céder. Titubant, elle enfila un short et un débardeur, chaussa ses sandales et quitta la maison avec une lenteur inexplicable. Chaque pas, chaque geste lui tirait un gémissement accablé. Aller travailler était un vrai supplice, même sourire l’épuisait. Elle marchait sans entrain vers le centre-ville, se faisant l’effet d’un zombie qu’on viendrait tout juste de relever d’entre les morts. Lorsqu’elle passa près de l’école primaire, la vision d’une frêle silhouette bien connue l’apaisa. Alors ce fut comme si cette intenable fatigue qui s’était chevillée à son corps s’envolait et Alice se sentit devenir légère comme une plume. Elle leva la main en direction de la petite fille qui l’attendait déjà. Lyn avait cet effet-là.

Les deux amies marchaient en devisant gaiement. La compagnie de la fillette faisait du bien à la jeune tatoueuse. Physiquement et moralement. Depuis qu’elle s’en occupait, Lyn était devenue une sorte d’obsession pour Alice. Lorsqu’elles étaient séparées, la jeune femme sentait la vie s’enfuir doucement de son corps, elle ne mangeait plus beaucoup et la déprime la guettait. Elle avait beaucoup maigri, comme le lui avait fait remarquer ses amis qu’elle ne voyait plus guère. Toute son attention était tournée vers la petite fille et la satisfaction de ses moindres désirs. Lyn entraina la jeune femme dans une rue sombre et étroite. Elles descendirent la pente douce jusqu’à arriver à un croisement. Lyn hésita, tourna à droite. Elle s’arrêta après quelques pas.

- Où sommes-nous ? demanda Alice tout bas.
- A la bordure du Passage, répondit la petite fille, soudain très sérieuse.
- Le passage ?

Lyn regarda son amie, une légère surprise au fond des yeux.

- Tu n’es jamais venue à la fête de l’été ? hasarda-t-elle interloquée.
- Non, je n’aime pas danser.
- Comme c’est dommage,
murmura l’enfant.
- Mais j’en ai entendu parler. Tu es déjà allée à cette …. fête ?

Devant l’expression sévère et inquiète de la tatoueuse, la petite fille baissa la tête avec pudeur, masquant son visage de ses longs cheveux.

- Non répondit-elle d’une petite voix, un étrange sourire aux lèvres.

Rassérénée, Alice se posta près de la fillette. Elles patientèrent plusieurs minutes. Personne ne passa près d’elles pendant ce laps de temps. D’ailleurs personne ne passa du tout, la rue était vide et il n’y avait pas âme qui vive. Puis des silhouettes commencèrent à émerger de l’ombre. Alice saisit prestement la main de Lyn, peu rassurée. Son amie lui adressa un sourire éclatant et leva son autre main en l’air, l’agitant comme un signe de ralliement. Les silhouettes convergent alors vers les deux amies. Ils étaient nombreux, une bonne douzaine, jugea Alice. Elle serra plus fort les petits doigts de Lyn qui tourna son visage d’ange vers elle.

- Attends-moi ici, s’il te plait.

Alice acquiesça, retenant sa respiration. La petite fille s’éloigna avec les nouveaux venus. Elle en oublia de respirer. Ils avaient tous l’air dur et violent, et elle décelait dans leurs yeux une lueur de folie qui la fit frissonner malgré la chaleur estivale de ce mois de juillet. Quand elle comprit qu’il ne ferait rien à sa protégée, elle lâcha un grand soupir et, impatiente de partir, attendit que l’enfant revienne vers elle. La discussion dura longtemps, puis aussi rapidement qu’une nuée d’oiseaux, tous s’éparpillèrent dans les rues avoisinantes. Alice se retrouva seule avec Lyn, accompagnée d’un homme immense, vêtu d’une veste en cuir. Elle lui jeta un regard intrigué, il ne portait rien sous son chaud blouson. Elle les regarda s’approcher et, au fur et à mesure qu’il avançait vers elle, Alice n’eut plus qu’une envie. Fuir. Lyn remercia l’homme qui la regardait avec une admiration sans borne. Quand il releva les yeux vers la tatoueuse, celle-ci ne put retenir un mouvement de recul. Il se pencha alors vers elle, et saisit une mèche de ses cheveux. La jeune fille retint son souffle, tremblante. L’inquiétante lueur se ralluma dans son regard.

- Jolis tatouages, dit-il dans un souffle rauque.

Alice déglutit avec difficulté et se contenta de hocher de la tête sans pouvoir prononcer un mot. L’homme eut un petit rire moqueur. Il lui lança un baiser et, avec un dernier regard pour Lyn qui observait la scène, fit demi-tour. Elles le regardèrent disparaitre comme les autres. La petite fille reprit la main d’Alice dans la sienne, et elles quittèrent le passage comme si de rien n’était.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeJeu 5 Avr - 9:33

XXIII.

La nuit est chaude. L’atmosphère, lourde, est chargée de l’odeur de la terre baignée par le soleil. Le vent n’ose pas souffler, et laisse les ombres recouvrirent la ville comme une chape de plomb. Une silhouette avance en silence. Pieds nus sur le goudron défoncé du Passage, elle avance, en territoire ennemi. Un éclat de lune vient frapper son dos, éclaboussant de lumière ses longs cheveux blonds. Elle s’arrête. Face à elle, les ombres frémissent. Dans un sourire, elle agite doucement la main. La nuit se déchire pour laisser la place aux nouveaux arrivants. Les deux groupes s’observent, se jaugent. La silhouette fait signe à ses troupes d’attendre. Une danse mortelle s’engage.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeDim 8 Avr - 21:42

XXIV.

Tom attendait, allongé sur son lit. Les bras croisés derrière la tête, il guettait les bruits de la maison, attentif. Au bout de plusieurs minutes durant lesquelles il se contraint à l’immobilisme le plus total, il fut certain d’être seul. Se redressant en position assise, ce qui fit grincer les lattes du lit, il saisit son téléphone portable et commença à écrire. Il lut et relut le message sur le petit écran, l’effaça, recommença. Hésita plusieurs minutes et appuya finalement sur la touche « envoyer ». Le cœur battant, il se laissa retomber sur le lit. Il n’y avait plus qu’à attendre maintenant. Pourvu qu’elle dise oui.


*
**


Inès lâcha un juron. Elle crevait de chaud. Comment était-il possible qu’il fasse si chaud ? La jeune fille fuyait le soleil comme la peste, tant ses rayons lui brulaient la peau avec ardeur. Elle se maudit d’avoir choisi ce jour particulièrement caniculaire pour aller voir Léon. Et quitter la salvatrice fraicheur de sa chambre. Elle fit le chemin en bougonnant et c’est avec un soupir de soulagement qu’elle poussa la porte de la petite boutique. Léon l’attendait.

- Bonjour, dit-elle, une pointe d’anxiété dans l’estomac.
- Bonjour Inès. Comment allez-vous ?
- Bien merci. Et vous-même ?
- Je vous attendais.


Inès hocha la tête d’un air entendu. Le vieil homme s’excusa encore pour la conduite de sa petite fille et lui désigna une chaise près du comptoir. La jeune fille s’assit à coté de lui, les mains bien à plat sur ses genoux. Elle n’était pas vraiment sur de vouloir entendre tout ce qu’il avait à dire, mais elle avait besoin de réponses. Les choses prenaient une tournure désagréable et elle avait peur.

- Je fais des rêves étranges et…, commença-t-elle.
- Chaque chose en son temps, jeune fille, l’interrompit Léon avec un sourire fripé.

Inès referma sa bouche qui était restée ouverte. Les yeux verrouillés sur ceux de Léon, elle était prête à entendre. Le bijoutier se racla la gorge.

- As-tu déjà entendu parler du Monde derrière le monde ?
- Non, répondit la jeune fille en fouillant dans sa mémoire.
- Alors écoute bien. Voici une très vieille histoire.



*
**


Lorsqu’elle quitta la bijouterie, Inès se sentit soulagée. Il avait appelé cela « la leçon qui vient après la première fois ». Beaucoup de chose devenaient tout d’un coup très claires à l’aune de ce nouveau savoir. D’autres, au contraire, s’assombrissaient considérablement. Les sentiments se mélangeaient en elle, en un tourbillon bariolé. La peur le partageait à la reconnaissance d’avoir enfin quelques réponses, et à une certaine joie aussi, de savoir enfin ce qu’elle était. Le doute toujours demeurait, comme un cancer qui la rongeait. Et la solitude, même si maintenant, Léon était là. La jeune fille sentit ses jambes flageoler alors qu’elle marchait, elle rebroussa chemin vers un banc et s’assit. Elle se força à respirer profondément, calmement et profita de l’air du soir, moins brulant qu’en journée pour apaiser son esprit en ébullition. Quand son cœur eut repris un rythme normal, elle se leva et se remit en marche. Elle tira son téléphone de son sac et constata qu’elle avait un nouveau message, de Tom. Intriguée, elle l’ouvrit et lut rapidement les quelques lignes qu’il contenait. Sa lecture lui fit monter le rose aux joues et le sourire aux lèvres. Une invitation. La sensation de ses doigts dans son dos lui revint avec une force et une précision inattendues. Inès frissonna à ce souvenir. Dans la chaude couleur brune des yeux de Tom, elle décelait une force et une frayeur qui la mettait sur ses gardes. Mais le jeune homme lui plaisait follement, elle le réalisait, sans pour autant en être rassurée. Elle fit voler ses doigts sur les touches pour lui répondre. Demain soir.

Cela faisait un moment que les deux jeunes gens ne s’étaient pas vus. Maintenant que le tatouage d’Inès était entièrement achevé, leurs rencontres n’avaient plus la même saveur. Elles prenaient une tout autre signification, ce dont ils étaient tous les deux conscients. Inès descendit les marches avec lenteur, prenant tout son temps pour observer le jeune homme qui l’attendait. La ligne de sa mâchoire, la forme de ses épaules, ses bras musclés recouverts d’arabesques. Son cœur s’emballa. Il leva les yeux vers elle et sourit. Dans son dos, Inès sentit les dragons d’encre frémir. Elle eut un imperceptible mouvement d’hésitation. Les mots de Léon envahir alors son esprit, l’apaisant, l’encourageant. Tout en continuant d’avancer, elle dilua la peur et s’ouvrit aux deux bêtes. Elle rouvrit les yeux en arrivant devant Tom, il dégageait une mince lueur blanche, comme si de la lumière tentait de s’échapper de son corps. Elle leva doucement la main sous le regard interdit du jeune homme. Lorsque ses doigts effleurèrent la fine enveloppe, elle s’évanouit. Inès adressa un sourire radieux à son ami et déposa un baiser fugace et on en peut plus chaste sur ses lèvres.

- On… On y va ? demanda-t-il l’air complètement perdu.
- Avec plaisir, répondit la jeune fille.

Le trajet se fit dans la bonne humeur. Tom, toujours un peu perturbée par le geste d’Inès mais néanmoins ravi, papotait sans fin de tout et de rien. Inès l’écoutait et souriait sans raison. Heureuse, à la fois d’avoir osé faire le premier pas et d’avoir suivi les conseils du vieux joailler. Regarder et voir. Ils passèrent une agréable soirée, profitant de la chaleur du soir pour se promener et discuter encore et encore.

Le temps fila sans qu’ils ne s’en rendent compte. Ils déambulaient dans les rues proches de chez Inès sans pouvoir se résoudre à se séparer vraiment. La nuit était bien avancée, assis sur le bord d’un trottoir, ils regardaient le ciel nocturne. Inès posa sa tête sur l’épaule de Tom, savourant ce contact rassurant. Bien que certaines choses demeurent mystérieuses à propos du garçon, elle ne voulait pas gâcher ce moment. Le jeune homme profita de l’occasion pour lui saisir la main, quand un cri déchira la nuit. Ils sursautèrent avec effroi. Le cri se répéta encore et encore, de plus en plus inhumain, puis il n’y eut plus rien que la nuit, chaude et silencieuse. Mortellement silencieuse. Tom se redressa brusquement, et entraina Inès avec lui dans une course effrénée. La jeune fille sentit la panique parcourir leurs peaux mais ils allèrent de l’avant, accroché l’un à l’autre. Ils tournèrent sur leur droite, s’engageant dans une rue large et bien éclairée. Tom s’arrêta aussi soudainement qu’il s’était mis à courir. Inès le bouscula. Penchée en avant pour reprendre son souffle, elle haletait. Il l’aida à se redresser et lui désigna quelque chose au loin. Sans réfléchir, Inès accommoda sa vue pour y voir de plus près. Elle poussa un cri en reconnaissant un bras étendu sur le sol. La silhouette, alertée par le bruit, se releva prestement et se retourna vers eux. Puis dans un éclair, elle disparut, laissant à la lumière crue du lampadaire le corps sans vie d’une jeune fille blonde.

- Appelle la police, la pressa Tom, en s’approchant du corps avec prudence. Vite !

Inès sortit son téléphone et composa le 18. Le temps que le standard réponde, elle suivit Tom qui s’était arrêté à quelques mètres du corps. Lorsqu’elle fut à ses coté, elle sentit ses jambes se dérober sous elle. Le corps affreusement mutilé reposait sur le ventre. Malgré les larges entailles qui lui barraient le dos et les épaules, on distinguait toujours la multitude de rose qui s’épanouissait dans un camaïeu de rose et de rouge. Et le regard vide d’Alice, comme une supplique muette sous ses mèches blondes ensanglantées.


Inès n’arrivait plus à réfléchir. Ce fut Tom qui récupéra son téléphone et répondit aux questions des pompiers. Ils leurs demandèrent d’attendre à proximité sans s’approcher ni rien toucher. Tom souleva Inès dans ses bras et la déplaça vers le trottoir à une distance respectable du corps. Mais la jeune fille ne pouvait détacher son regard du macabre spectacle. Voir et regarder. Elle tremblait malgré la brise chaude qui faisait voleter ses mèches folles. Le tatoueur s’assit près d’elle et posa son bras autour de ses épaules en un geste de réconfort. Aucun des deux n’avait prononcé un mot depuis qu’il avait raccroché. Inès se réfugia dans les bras de Tom et sentit les larmes inonder ses joues. Il la tint serrée contre lui, la berçant en lui murmurant des mots apaisants. Lorsqu’elle fut enfin calmée, Inès se redressa et essuya son visage d’un revers du poignet. Entre deux reniflements, le bruit lointain de sanglot lui parvint. Elle dressa l’oreille.

- J’ai entendu quelque chose, s’exclama-t-elle. Il y a quelqu’un !
- Tu es sur de toi ?
- Oui ! bien sur que je suis sur ! Il faut chercher.


Ils se mirent alors à chercher. Ce fut Tom qui la trouva. Il héla Inès pour qu’elle le rejoigne. A travers les buissons d’une clôture, une nappe de cheveux blonds s’étalait sur le feuillage foncé. Inès écarta les branches d’une main tremblante. Lyn sanglotait, recroquevillée à terre.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeJeu 12 Avr - 9:34

XXV.

Les heures qui suivirent furent parmi les plus difficiles qu’Inès eut à vivre. Les pompiers arrivèrent sur place, rapidement rejoint par la police et le SAMU. La jeune fille tremblait malgré les couvertures de survie qu’on lui avait apporté. Le cœur broyé, tout lui rappelait le drame qu’avait vécu son père. La lumière des gyrophares, les discussions murmurées, les visages inquiets, la pitié. Tom resta près d’elle, sa main dans la sienne jusqu’à ce qu’ils les laissent finalement partir. Le médecin du SAMU leur fit signe en leur montrant des tasses de café fumantes. Les deux jeunes gens s’approchèrent. Le regard d’Inès revenait inévitablement vers le corps mutilé qui gisait au sol, recouvert d’un drap blanc. Tom évitait consciencieusement de le regarder, la mâchoire crispée et le visage fermé. Ils burent en silence leurs cafés, réalisant qu’ils devraient passer devant Alice s’ils ne voulaient pas faire un large détour. Dans la lumière des phares, une silhouette connue s’avança.

- Commissaire Jean! s’exclama Inès en courant vers lui.

Sans un mot, l’homme ouvrit largement ses bras et la jeune fille se jeta dedans. Elle pleura encore. Jean attendit qu’elle se calme en lui caressant les cheveux. Il échangea un regard entendu avec Tom, puis il la dégagea doucement.

- Inès, que s’est-il passé ?

La jeune fille lui raconta comment ils avaient découvert Alice sur le sol. Si elle lui parla de l’étrange silhouette qu’ils avaient surprise, elle omit de signaler la présence de Lyn. D’un accord tacite et muet, les deux amis avaient passé ce détail sous silence et Tom avait emmené sa petite sœur afin de la cacher un peu plus loin, où l’on ne risquait pas de la trouver. Le commissaire la dévisagea comme s’il sentait qu’elle lui cachait quelque chose mais ne dit rien.

- J’ai prévenu ta mère, elle t’attend. Tu devrais rentrer maintenant, lui dit-il avec douceur.
- Je vais la raccompagner, proposa Tom qui s’était approché en silence.

Jean acquiesça, une pointe de reconnaissance dans les yeux. Ils échangèrent encore quelques mots puis les deux jeunes quittèrent la scène de crime. Lorsqu’ils passèrent devant le corps, Inès eut un frisson angoissé et se rapprocha instinctivement de Tom. La chaleur de sa peau la fit sursauter. Il brulait comme s’il avait de la fièvre. Elle chercha son regard et plongea dans ses yeux terrifiés. Elle fronça les sourcils, était-ce un effet d’optique où les prunelles de son ami venaient subitement de changer de couleur ? Autour de son iris, le brun qu’elle connaissait si bien avait été remplacé par une fascinante couleur fauve. Le jour pointa ses premiers rayons sur eux, et l’odeur âcre du sang se fit moins insistante au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient.


*
**


Le commissaire regarda les deux jeunes s’en aller. Ses pensées allèrent à Inès. La pauvre petite n’avait vraiment pas de chance. Son nom, qui claqua dans l’air, le tira de ses pensées. Marie Egniant attendait près du corps. Il la rejoignit sans se presser. Elle pointa un doigt couvert d’un gant chirurgical plein de sang et accusateur sur lui.

- Où étais-tu encore ? J’ai des observations très intéressantes à te communiquer. Il est tard, enfin tôt maintenant et j’aimerais qu’on en finisse, lança-t-elle visiblement de mauvaise humeur.
- Je t’écoute, se contenta de dire le commissaire, peu enclin à se lancer dans une joute verbale avec la légiste.

Cette dernière lui fit signe de venir plus près. Elle découvrit le corps, l’exposant à la puissante lumière des projecteurs qui éclairaient la scène.

- Les marques sur son dos et son cou sont identiques à celles retrouvées sur les trois précédentes victimes. Même modus operandi. Cependant, elle a perdu beaucoup moins de sang, ce qui laisse penser que les deux jeunes ont effectivement aperçu le tueur. Malgré sa maigreur, elle s’est visiblement débattue, les marques sur ses mains et ses ongles le prouvent. Voici donc la quatrième victime, Alice Poiriet.

Jean prit le temps d’examiner le corps, évitant de regarder ses yeux morts, figés dans la douleur. Il examina les poignets de la jeune fille sans y déceler les marques bleues que portaient ses prédécesseurs.
- Tu sais Marie, plus je regarde les corps et tes rapports d’autopsie, plus j’ai l’impression d’avoir à faire à un animal sauvage. C’était d’ailleurs une de nos théories, jusqu’au témoignage de cette nuit. As-tu connaissance de sectes ou de groupes qui diviniseraient un prédateur dans leurs meurtres.
- Pas que je sache non. Honnêtement, si ce meurtre avait eu lieu dans le Passage lui aussi, je t’aurais dis « peut être, tout peut arriver là bas ». mais ce changement de lieux m’intrigue.
- Bon, je suppose que je vais devoir me débrouiller seul, dit le commissaire avec un sourire désabusé. Je vais voir si je trouve Prisca. Elle pourra peut-être nous en dire plus.


*
**


Prisca se releva en prenant appui sur ses genoux et épousseta la poussière sur ses épaules. Ils devaient s’être passé le mot, ou bien avaient-ils tous décider de l’énerver aujourd’hui ? Elle essuya ses mains sur son jean et se pencha sur l’homme qui gisait à terre. Il tenta de se relever mais elle le repoussa d’un coup de pied.

- Pas bouger ! ordonna-t-elle.

Elle lui jeta un regard méprisant et s’humecta un doigt pour frotter les taches de sang sur ses phalanges abimées. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas eu à se battre. L’adrénaline saturait son organisme et faisait battre son cœur à une vitesse folle. Elle inspira profondément et se pencha un peu plus vers l’homme qui gémit.

- Bien. Maintenant parle moi de cette boutique de tatouages et de ce Tom que tout le monde connait mais dont j’ignore tout.

Sa victime déglutit avec difficulté et commença à parler précipitamment sous l’oreille attentive de la jeune fille.
Quand il eut finit, elle l’assomma d’un coup de poing et, rajustant ses cheveux, reprit sa route sans un regard en arrière. Elle regarda ses mains et décida qu’il ne valait mieux pas retourner au hangar aujourd’hui. Elle fit un arrêt par une petite place abandonnée dans les quartiers neutres. La placette formait un ovale parfait autour d’un arbre qui survivait par on ne savait quel miracle de Sourire. Accolée à un mur, une minuscule fontaine désaffectée rouillait, oubliée de tous. Prisca se dirigea vers elle et décolla une brique du mur contre lequel elle était appuyée. Elle en retira deux morceaux de papier. L’un était de la main de Surin, l’autre venait du commissaire Jean. Il voulait la voir, vite. Elle baissa à nouveau les yeux sur ses mains pleines de taches brunes. Elle ne pouvait pas se présenter comme ça au commissariat où elle pouvait dire adieu à sa liberté conditionnelle. Après un court instant de réflexion, elle décida de retourner au Hangar malgré tout.
Lorsqu’elle arriva sur les lieux, elle ne trouva que les plus jeunes, chaperonnés par un des sbires de David. Elle passa sans lui accorder un regard quand lui écarquilla les yeux sur son passage. Les autres étaient en train de s’entrainer. Ils appelaient ça s’entrainer, vraiment ? Prisca les rassembla et les fit se mettre en ligne. Ils hésitèrent en voyant son allure terrible mais n’osèrent discuter.

- Coup de poing, pied, pied, dit-elle simplement.

Le premier combattant s’avança en tremblant. Il se mit en position et lança son poing droit vers le visage de la jeune fille. Prisca lui saisit le poignet, le détourna et lui enfonça son coude dans le ventre. Le garçon s’écroula.

- Suivant ! Cria-t-elle.

Ceux qui suivirent subirent à peu de chose près le même sort que l’infortuné garçon. L’homme de David finit par réagir, il s’approcha et saisit Prisca par l’épaule.

- Arrête mainten…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. La jeune fille lui fit une clé au bras et le projeta au sol avec violence. Le coude de son adversaire vrilla et émit un bruit désagréable qui fit grimacer les plus jeunes. Il ramena son bras dans son giron et se remit en position. Prisca haussa un sourcil et passa à l’attaque. Elle enchainait les prises avec rapidité, prenant très vite l’avantage sur son adversaire blessé. Quand soudain, dans un reflexe plus qu’improbable, il lui balaya violemment les jambes, l’envoyant au sol. Sous l’impact Prisca eut le souffle coupé mais se reprit très vite, elle saisit la cheville de l’homme et ils se retrouvèrent tous les deux à terre, roulant l’un sur l’autre. Prisca envoya un atemi hargneux dans le bras blessé de l’homme, qui hurla de douleur. Elle se prit de plein fouet un coup de genou dans le thorax. Ivre de rage, elle se jeta sur lui, frappant des pieds et des mains. Ils roulèrent encore jusqu’à ce que la jeune fille se retrouve à cheval sur son ennemi. Elle saisit une pleine poignée de ses cheveux et balança sa tête contre le sol. Après un spasme, il cessa de bouger. Prisca rejeta sa tête en arrière, toujours calée au-dessus de son adversaire inerte. En proie à une folle frénésie, elle aurait pu sauter sur tout ce qui se serait approché d’elle, ce que les autres se gardèrent bien de faire. Rigolant nerveusement, elle balaya la pièce du regard. La terreur dans les yeux des autres, la galvanisait. Puis soudain sa furie retomba. Ses longs cheveux blonds devant les yeux, elle se rendit compte de l’homme inconscient sous elle. Inconscient ou… mort ? Elle tendit une main tremblante vers le cou de l’homme. Le pouls était faible mais régulier.

- Quand David reviendra, dites lui de prévenir quelqu’un pour s’occuper de lui.

Personne ne souffla un mot et elle partit sous les regards hébétés et perplexes. Elle prit sans hésiter la direction des bas quartiers. Paniquée, elle s’enfonça dans le dédale de ruelles, courant presque. Sa collision avec un petit homme en noir, la stoppa net. Elle poussa un soupire soulagé.

- Surin, il faut que tu me caches, supplia-t-elle.

Il la détailla de son imperturbable regard noir. D’un signe de la tête il lui signifia de le suivre. Et ils s’enfoncèrent dans l’ombre des bas quartiers.
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MessageSujet: Re: Les dragons entremêlés.   Les dragons entremêlés. - Page 2 Icon_minitimeDim 15 Avr - 21:42

XXVI.

Plusieurs semaines s’écoulèrent après la mort d’Alice. Comme dans un rêve. Le mois de juillet laissa doucement place au mois d’aout. L’enterrement fut difficile, mais Inès ne pleura pas. Après ça, elle s’enferma dans sa chambre et resta longtemps sans parler. De toute manière il faisait trop chaud pour faire quoique ce soit. Aussi établit-elle ses quartiers dans la pénombre de sa chambre, où elle resta à dessiner, n’en sortant que pour manger avec sa mère. Ne répondait plus aux messages de Tom, dont le souvenir était à la fois douloureux et rassurant. Recluse dan son monde de visions et d’esprits, les paroles du vieux bijoutier résonnaient dans sa chair. Incapable de prendre une décision sur l’avenir qui s’annonçait, elle avait prit le parti d’attendre. Attendre de savoir quoi faire. A qui parler et se confier.
Lorsqu’aout fut bien entamé déjà, Inès sortit de sa chambre. Marine assise dans le jardin lisait. Elle regarda sa fille s’asseoir près d’elle, sa peau pâle d’être restée enfermée et ses cheveux bruns, éclairés par le soleil estival.

- On va voir papa ? demanda la jeune fille en regardant l’herbe se perdre entre ses doigts de pieds.
- D’accord, répondit sa mère.

Elles restèrent dehors, l’une près de l’autre jusque tard dans la soirée. Et ce fut comme si la lumière ne brillait plus que pour elles deux, chassant au loin les doutes et les frayeurs d’enfant qu’apporte la nuit.
Le lendemain se leva avec de nouvelles promesses pour les deux femmes. Debout avec l’aurore, Inès attendit que sa mère émerge de sa chambre pour lui présenter une tasse de café qu’elle accepta avec un sourire. Elles prirent leur temps pour se préparer et, en fin de matinée, prirent la route pour l’Institut. Le soleil brillait haut et fort. Inès avait hâte d’arriver.

La grande avenue de platane s’élançait en ligne droite, créant une ombre bienvenue sur la large route. La pelouse, toujours impeccable, ne montrait aucune trace de sécheresse malgré la canicule qui frappait tout le monde cet été là. La voiture se gara au bout de la petite allée qui suivait l’avenue. Inès et Marine s’en extirpèrent avec un soupir de soulagement. A l’accueil, on leur demanda de patienter, on allait descendre Marc dans le jardin. Elles attendirent donc. L’infirmière redescendit après quelque minutes, visiblement mal à l’aise.

- Excusez-moi, Madame Deponst ?
- Ou
i, répondit Marine inquiète.
- Je suis désolée mais je dois vous prévenir. Votre mari est en pleine crise paranoïaque depuis plusieurs jours. Vous souhaitez quand même le voir ?
- Oui. Oui, nous voulons le voir, insista Marine malgré son désarroi intérieur.

L’infirmière opina du chef avec un petit sourire confus et fit demi-tour. Elles durent patienter encore un peu avant qu’un aide-soignant ne vienne à leur rencontre, Marc à ses côtés. Les deux femmes frémirent de désespoir en voyant ce dernier arriver. Il avait considérablement maigri et ses mains étaient agitées de tics nerveux. Son regard et ses cheveux s’étaient ternis comme si la vieillesse s’était tout d’un coup abattue sur lui. Il leur fit un pauvre sourire qui se transforma en un rictus apeuré. Ses yeux furetaient sans cesse et il semblait en permanence sur le qui-vive. Marine sentit sa raison vaciller. Elle s’accrocha au bras d’Inès qui ne pouvait quitter son père des yeux.

- Oh mon Dieu, murmura Marine dans un souffle.

Inès resserra sa prise sur la main de sa mère et l’entraina vers Marc d’un pas décidé. Elle lui prit la main avec douceur. Il la regarda comme s’il doutait de son identité puis, semblant la reconnaitre, hocha gravement de la tête. Ils partirent tous les trois vers le jardin.

Ils s’assirent sous un grand arbre qui déployait sa fantastique ramure vers les nuages. Marc jeta un regard inquiet aux branches qui s’élevaient à plusieurs mètres au-dessus du sol. Suivant son regard, Inès fit de même, réalisant qu’elle connaissait cet arbre, théâtre d’une nuit bien particulière. Un mince filet de vent passa sur leurs nuques et Marc se recroquevilla comme s’il avait reçu un coup. Marine le prit dans ses bras en chantonnant un air qu’ils connaissaient bien. Inès reprit les paroles avec elle, souvenirs d’un passé où ils étaient encore une famille. Marc s’apaisa lentement sous leurs efforts conjugués et une vie nouvelle sembla refaire surface au fond de ses prunelles. Il prit ses deux femmes dans ses bras et les tint serrés.

- Papa, murmura Inès dans l’oreille de son père. Tu sais, je vois des choses maintenant. J’ai peur.

Il ne bougea pas à cette révélation. Tout contre la joue de sa femme, ses lèvres bougèrent imperceptiblement, formant des mots inaudibles. Inès les perçut parfaitement, ce qui lui arracha une larme de soulagement. Elle le savait, son père avait des réponses.

- Sois forte Inès. Elle arrive.
- Qui arrive, papa ?
demanda la jeune fille par le même procédé.
- Elle arrive.


Le reste de l’après midi se passa dans un calme relatif. La présence de sa femme et de sa fille eurent un effet bénéfique sur les peurs de Marc. Après une légère collation servie avec du thé sur les coups de seize heures, les deux femmes accompagnèrent Marc à une séance de lecture qui avait lieux trois fois par semaine dans la véranda. Marc goutait cette demi-heure avec une mélancolie joyeuse, qui ravivait en lui le souvenir de ses années en tant que professeur. Marine ne put retenir ses larmes à la vue de son mari si enthousiaste. Si normal. Elle sécha son visage avec un petit rire nerveux sous le regard interdit de ce dernier. Pour donner le change, elle demanda à Inès d’aller leur chercher un peu d’eau, il faisait vraiment chaud ici avec toutes ces baies vitrées. La jeune fille se retint de lui faire remarquer le ronronnement insistant de la climatisation et se leva de bonne grâce. Il lui fallu un moment pour trouver la machine à eau, remplir trois verres et trouver une technique stable pour les transporter. Sur le chemin du retour, elle s’arrêta pour contempler la vue qui donnait sur le parc.

- C’est magnifique n’est ce pas ?

La voix avait retentit, douce mais claire sur sa droite. Inès pivota légèrement pour découvrir une jeune fille assise sur une chaise, près de la fenêtre. Elle portait une tenue blanche qui la distinguait comme patiente de l’Institut. Inès s’approcha de la jeune fille. Ses cheveux châtains étaient peignés avec soin et encadraient un joli visage rond, couvert de tâche de rousseur. Elle dégageait une aura troublée malgré son apparente sérénité.

- Est-ce que tout va bien ? demanda Inès.

La fille releva vers elle ses yeux d’un vert étonnant et Inès comprit tout de suite ce qui l’avait intriguée chez la jeune patiente. Autour d’elle, une espèce de voile brumeux flottait, tentant de s’accrocher à sa peau en lambeaux épars, mais trop faible pour lui appartenir vraiment. Quelque chose n’allait décidément pas. Une sensation étrange vint se nicher à la base de son cou et Inès la sentit se propager le long de sa colonne vertébrale. Dans un ondulement soyeux et imperceptible, elle perçut le mouvement de ses dragons sur sa peau. Comme un avertissement. Inès sentit sa peau se hérisser.

- Comment vous appelez-vous ? répondit simplement la jeune fille.
- I…Inès. Et vous ?
- Je suis Camille. Inès, ils arrivent
, murmura-t-elle d’une voix angoissée.

Inès recula d’un pas. Camille, puisque tel était son nom, baissa les yeux et posa une main hésitante sur son ventre. Elle ne releva pas la tête lorsqu’Inès lâcha brusquement les verres remplis d’eau et posa une main horrifiée sur sa bouche. Alors elle comprit que toutes les deux savaient désormais. Ce qui grandissait en elle.

Fin de la partie I
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