La règle de trois [La Guerre des Confréries]

Issac survolait à présent les palais du Sang.
Sur les Hautes Terres de l’Orgueil, le soleil se levait et donnait aux minces tours des aspects de doigts de dieux tendus vers le Ciel, comme pour le prendre à témoin que le Ciel les couvait.

Cassiopée était venue à l’appel du Sang lorsque le Prince Régnant l’avait contacté par le lien qui les unissait. Elle était venue et l’avait trouvé avec Erylie aux côtés d’Idrial. Mais la jeune elfe à qui elle était désormais liée depuis leur descente dans les couloirs de la mort n’était plus qu’un souvenir de ce qu’elle était. Le souffle trop léger qui émanait d’elle n’était plus suffisant. La chaleur avait quitté son corps et, pour le réchauffer, Cassiopée avait du apporter à l’elfe le soutien du Vent du Sud et le douillet édredon de la Brume d’Automne quand les Terres sont si chaudes encore qu’elles inondent l’air de leur présence. Puis, elle avait entouré le jeune être encore fragile d’un cocon de protection pour traverser le Néant afin de rejoindre Echoriath depuis Galvorn.
Elle avait agi sans poser de question, sans connaître les raisons qui avait conduit Idrial aux pieds de Sanz dans un état de complète fragilité.

- Tu sais très bien pourquoi Idrial était faible. Ironisa Issac en amorçant la descente qui les menait vers la cour intérieure du palais. Tu sais très bien que le sang nourrit le Sang.

Mais Cassiopée ne se contentait pas d’une telle affirmation. Idrial était marquée par le Sang.
Elle attendait pour savoir ce que cachait cette histoire.

Soudain, dans le creux de ses bras, bien à l’abri dans sa bulle de protection, Cassiopée sentit Idrial bouger. Elle ne put s’empêcher d’ébaucher un semblant de sourire à l’évocation de la vie s’agitant pour se libérer.
Issac se posa sans un bruit. Mais il n’était pas seul. Deux autres dragons avaient émergé du Néant et posait au sol leurs cavaliers du moment.

Issac choisit de rester pour pister les premiers rayons de soleil levant alors que Sanz, Erylie et Cassiopée portant toujours Idrial pénétraient dans les palais du Sang.

Elle appréciait voyager sur le dos d’Issac lorsque celui-ci ne l’entrainait pas dans le Néant. A la réflexion, c’était la première fois que cela arrivait et elle ignorait même comment elle savait son nom. Son lien avec la Nymphe ne devait pas être étranger à tout ça.

Légèrement redressée, elle scrutait les tours du Sang. Ses forces lui permettaient tout juste de reprendre conscience, petit à petit, et de remettre ses idées en place. Elle jeta un coup d’œil à Sanz et soupira.
Pourquoi se nourrir de son sang, de sa vitalité pour ensuite laisser Cassiopée l’emmener jusqu’aux Palais pour qu’elle se rétablisse ? Pourquoi Sanz laissait-il faire ça ? Il aurait très bien pu se défaire de cette reponsabilité dès le début.

« Tout comme j’aurais pu le faire la première », se dit-elle. Elle aurait pu ne pas l’aider, lui qui refusait de se battre pour sa propre vie. Idrial se rappelait du Prince, se laissant mourir, occultant l’instinct le plus puissant de tout être : celui de vivre.

« Ca m’étonnerait qu’il veuille me rendre la pareille… » Elle doutait que le mot compassion fasse partie de son vocabulaire. Ca devait être autre chose. Mais quoi ? « C’est que ça donnerait mal à la tête de vouloir réfléchir comme un membre du Sang. »

Le Sang, oui. Peut-être sa Marque l’avait-elle sauvée ; qui sait ? A la réflexion, elle n’en savait fichtrement rien. Il y avait aussi la présence de l’autre femme qui avait peut-être retenu Sanz d’abandonner l’elfe à son triste sort.

Elle balaya ses pensées d’un geste de la main et esquissa un sourire à l’adresse de Cassiopée tandis que celle-ci la portait jusqu’aux palais.

Au palais, mû par l'inconscience partagée du Sang qui répondait au Sang, les serviteurs accueillirent l'envol princier pour lui permettre de disposer rapidement sans se préoccuper des formalités usuelles. Deux Elfes guerriers solides prirent dans leur bras Idrial pour l'emmener à l'étage dans les chambres de repos. C'était de vastes espaces richement décorés ; dans chaque lieu trônait la statue d'un dragon de pierre en miniature fixant le lit de soie et de satin. Les couleurs pourpres et oranges, la lumières filtrée des vitrages donnaient l'allure d'une alcôve. Avec douceur les soldats la déposèrent dans le lit et la bordèrent pour qu'elle y soit confortablement couchée. Puis en s'inclinant légèrement ils quittèrent la pièce en silence. Derrière eux s'était glissait le Prince qui s'assit sur une chaise et fixa longuement l'elfe captive. Ce fut ainsi une longue nuit pendant qu'il veillait et que le soleil décroissait dans les montagnes enneigées d'Echoriath.

Il se passa deux jours de repos, le temps que l'étrangère retrouve ses forces et retrouve le courage d'ouvrir ses paupières, rencontrant comme première vision le regard au triple iris du Seigneur du Sang. Il se passa quelque secondes d'hésitations avant qu'elle ne regarde autour d'elle, comme si éveillé dans un mauvais rêve elle semblait perdue et inquiète de l'espace qui l'entoure. Il esquissa un léger sourire avant de murmurer :

Bienvenu dans notre demeure. D'ordinaire vous n'auriez eu aucune chance de survie, et nous n'avons pas l'âme du service rendu a proprement parler dans nos principes. Mais, visiblement, quelqu'un ou quelque chose veille sur vous jusqu'à vous marquer d'un sceau qui ne vous appartient pas. Et ce ne sont pas nos habitudes que de se nourrir de nos semblables, fussent t'ils hasardeusement liés à nous.

Il s'arrêta dans son monologue pour se lever et s'asseyant au bord du lit, déposa une main sur son front comme le ferait un médecin qui chercherait un état fiévreux. Mais pour le Prince, c'était plutôt un moyen pratique de sonder l'âme de sa proie et d'en vérifier son équilibre. Elle semblait apaisée, reposée malgré les questions qui assaillaient son esprit.

Pourquoi cherchez vous quelconque sentiment dans nos actes? Ne vous méprenez pas, vous restez vivante parce qu'ils ne vous veulent pas mort. Nous n'avons pas pour habitude d'épargner ce qui nous sert de nourriture, si tant est que leur action nous a valu quelque bons secours.

Et s'approchant, soufflant l'air des prédateurs dans le cou de sa victime il murmura :

" Et votre sang est si délicat, qu'il appelle a revenir".

Dans le même temps ses fines mains raffermirent leur étreinte sur le corps d'Idrial. Il avait faim, encore.

» Les Thermes [zone publique]