[ Recit ]Kalegos, l'Invisible

Au dedans d'une taverne, dans le brouillard des lampes à huiles et des pipes, un jeune homme à la barbe pourtant grisonnante écrivait de longs feuillets sur du vélin souple tandis qu'un espece de nain, petit et défroqué, sentant l'odeur des égouts et de la mer jetait son verbiage dans un long monologue, l' interrompant de quelque rasades de bières puis le reprenant dans un souffle. Méthodique et concentré le jeune homme semblait sur les feuillets disposés à sa gauche écrire tandis qu'a sa droite il dessinait plutôt des courbes et des traits droits, semblables à des symboles dispersés dans toute la pages. Quand brusquement il se leva, renversa sa chaise et bousculant le nain qui tomba à son tour, jeta à la cantonade :

- Je cherche trois à quatre aventuriers, bonne rémunération, pour une semaine dans les Terres d'Ahr'al. Nous partons sur le champs.

Il y eut des visages endormis qui jetaient des regards égarés, d'autres qui calculaient probablement le bénéfice net de l'expédition, mais aucun ne s'exprima en dehors d'un vieillard qui répondit d'une voix grave et menaçante :

- Ahr'al n'est pas pour les mortels, c'est une terre de Dieux dans la tourmente, cachée dans les siècles passés et disparue à jamais. Que ceux qui veulent y aller laissent ici leur dernière volonté. Ce ne seront ni les premiers ni les derniers.

Il répondit par un léger rire avant de s'approcher du visage fatigué et ridé et l'observant de ses yeux ardents lui chanta d'une voix moqueuse:

- Il parait que tu y as perdu ton fils Ahr'al, que tu as même perdu ton petit fils, bref jusqu'au dernier de tes enfants à vouloir comprendre ce qu'il se passait là-bas sans oser y mettre les pieds.

L'homme grogna et ne répondit pas. Il posa son bock se leva péniblement avec sa canne puis en ayant embrassé la salle de son œil unique vert et glaçant, marmonna enfin :

- J'irai, j'irai et je te montrerai que ce pays est maudit et je t'emmènerai bruler avec moi, Arkas*.

Dans le même élan, un autre jeune homme vêtu d'une cape pourpre s'avança, dévoila sa tête en retirant sa capuche il présenta un visage jeune et splendide marqué d'arabesques noires qui semblaient pulser au rythme d'un souffle. Il leva la main et dit :

- J'irai aussi, si vous me le permettez, Monsieur.

Mielle courait dans la rue. Un coup d’œil rapide lui confirma qu'elle était au bon endroit. Elle devait se dépêcher car il serait peut-être trop tard. Elle ne voulait pour rien au monde rater l'aventure.
Elle avait surpris une conversation dans le marché permanent évoquant une certaine aventure dans laquelle personne ne voulait s'embarquer. Or, Mielle était une femme et jeune, de surcroit. Même si sa motivation était sans faille, ces deux éléments en rebutait plus d'un à l'intégrer à toute quête que ce soit.
Mielle pourrait-elle enfin partir ? Pourrait-elle enfin s'engager dans un de ces voyages extraordinaires qui donnent un sens si particulier à la vie ?
Il était temps. Vraiment temps de pouvoir.

Taverne.
Un mot inscrit sur la plaque. Essoufflée de sa longue course, la jeune fille posa ses deux mains contre la porte et ferma les yeux quelques instants. Si elle voulait être engagée, elle devrait se montrer solide. Il n'était donc pas question de montrer la moindre faille physique. Une bouffée d'air. Puis deux. Les yeux plissés, elle pria intérieurement pour que le fameux Ahr'al soit encore présent en ces lieux.
Elle poussa la porte d'une main sûre, le regard franc et décidé puis entra sans fioritures dans la salle principale de la taverne.
Elle se planta au beau milieu des tables puis s'exprima d'une voix claire, limpide et forte :

- Qui est Arkas? Qu'il se montre car je souhaiterais l'accompagner dans son voyage. Je suis Mielle. Je ne sais pas d'où je viens mais je sais où je veux aller.

Un temps.

- Dis où tu es. Je suis là et je ne bougerais pas tant que je n'aurais pas de réponse.

Elle attendit, parcourant la salle de ses yeux noirs ouverts à la manière de ceux des hiboux. Attentive à la moindre action, parole. Au moindre mouvement.

Dorian ne répondit pas, fixant l'homme à la barbe dans un geste de défi. Longtemps il avait , en effet perdu des êtres chers, longtemps il s'était reclus à la lisière de des déserts maudits, voyant s'échouer les âmes de ses enfants déterminés à découvrir ce qu'il y avait au delà des ondes boréales qui couvraient la nuit de lumière aveuglantes. Mais jamais il n'avait pu avancer bien loin, sa jambe brisée pliant sous l'effort et se rompant à chaque zone de sable instable, s'effritant sous son pas pour former des crevasses béantes. Alors il avait fini par espérer que l'un de ses fils revienne, victorieux, mais le destin les avait tous frappé. Il ne restait plus que lui. Mais il connaissait l'expérience d'Ahr'al en dehors de sa réputation douteuse et de ses pratiques semblable à l'image qu'il laisse derrière lui, et pour cette fois il ne voulait pas laisser échapper une chance de retourner là-bas et de comprendre là où tout le reste a échoué. Dans son dos la voix de la jeune fille lui sembla ridicule. Mais ce n'était pas l'avis du chercheur qui détourna sa tête et, tout en lui souriant, lui tendit un feuillet :

-Vous signerez ici, Mademoiselle, ce sont quelques contrats pour assurer que l'expédition parte sur de bonnes bases.

Tout en passant le contrat il tourna le dos au vieillard puis posa son regard sur le jeune homme. L'allure énigmatique et le visage si singulier qu'il paraissait vivant et improbable lui donna l'impression qu'il tenait là un individu étrange et, pourquoi pas, éventuellement utile.

-Tu me sembles jeune, petit, mais pourquoi pas, après tout je n'ai pas réellement d'exigence. D'autres encore?

Il n'y eut pas de réponse, il n'y eut que des gens qui se rasseyaient, des mains qui frappaient silencieusement les tables, les chaises, le bar. Puis vint le brouhaha habituel, le recrutement avait pris fin.

Ah'ral jeta négligemment ses affaires vers le nain avant de dire calmement.

-Prépare nos affaires, nous partons sur le champs.

L'homme avait enfin daigné lui montrer son visage et à son grand contentement, elle était engagée dans une quête. Pour la première fois. Un rêve réalisé. Car si tous ne se réalisent pas, certains le peuvent. Et sinon, à quoi servirait la vie.
Une parole destinée au nain qui chatouille l'oreille commune :

- Prépare nos affaire, nous partons sur le champ.

La main de la jeune fille déjà accrochée à la lanière de son sac se fit plus ferme. Heureusement, elle avait tout. Déjà. Dans ces situations, il faut imaginer, prévoir. Très certainement. Ses yeux noirs fixèrent le nain, puis l'homme :

- Je suis déjà prête.

Les affaires qu'elle possédait se comptaient sur les doigts de la main. Le peu, réuni dans cette sacoche dont le tissu était épais et solide. Il le fallait bien pour voyager.
Elle s'approcha du jeune homme, toujours assis. Il semblait attentif à tout ce qui se déroulait autour sans réellement faire partie du groupe. Comme s'il était en retrait. Mielle plissa ses yeux le temps d'un instant comme pour décrypter.
Après un coup d’œil rapide autour du jeune homme, elle lui demanda finalement :

- Toi, tu n'as pas d'affaires ? Je peux t'en prêter si tu n'as rien.

Mielle détourna finalement son regard vers l'homme qui semblait être à l'origine de la quête. Regard curieux, respectueux. La jeune fille inclina la tête dans un signe de remerciement. L'homme lui avait semblé un peu inhospitalier mais peut-être s'était-elle trompée. Tout du moins elle l'espérait. Elle s'adressa à lui avec minutie et attention :

- Je vous remercie. Je saurais respecter chaque terme de l'engagement, Arkas.

Un œil. Unique. Émeraude. Plus qu'une singularité physique, un caractère du soi. Lui. Commençant à se faire vieux. Trop de malheurs, de disgrâces divines, de pertes physiques et mentales pour ne pas être l'objet d'une quelconque malédiction. Mais, comme avait l'habitude de dire le vieux Dorian : "La malédiction ? Je la maudis, elle, et toute sa descendance, sur dix générations".

Nous y étions, Ahr'hal, l'antique, l'amère cité. Il était encore question de remuer, faire ressurgir le passé, comme des vers de vase sortent de l'amer bourbier. S'il le fallait, il en serait. On ne peut pas échapper à son destin. Mais, avec qui s'engageait-il... Cette équipe, bien trop jeune et bien trop fougueuse, n'avait pas la moindre idée de ce qui pourrait les attendre.

Il en avait vu, des choses, lui. Oh oui... Naviguer sur les neuf mers, explorer les territoires vierges. Civiliser des sauvages. Oui, des sauvages, qui ne reconnaissent pas la civilisation ni notre supériorité. Quelle impudence, punie comme il se doit... L’appât du gain, les richesses, la gloire. Tout cela est très loin derrière lui. Mais, cela a-t-il été un jour à sa portée ? Peu importe, cette époque est révolue.

L'avenir ni lui appartient plus. Mais peut-être peut-il faire en sorte qu'il appartienne à ces blancs-becs...
Un mince sourire se dessine sur ses lèvres :

-Vous courez à votre perte. Moi aussi. Nos destins étant scellés, permettez-moi de vous offrir à tous, un verre, en espérant qu'il ne soit déjà le dernier...

Le regard fixant une des fenêtres de la taverne, le jeune homme aux arabesques sur le visage interrompit l'élan du Meneur en murmurant distinctement son inquiétude :

Les Vents d'Ar'hal vont se lever, si nous tardons trop, la tempête nous prendra dans sa course. Il n'est pas tant de boire. Il faut y aller, maintenant.

Et sans même attendre une réponse, il prit sa veste et traversant les tables et chaises, effleurant la masse alcoolisée, il ouvrit la porte d'entrée et s'enfonça au dehors.

Sous la lumière crue du soleil violent pendant ces périodes estivales, il fixa l'horizon dans lequel s'élevait lentement les couleurs étranges de l'onde boréale brûlante qui se préparait à soulever plus de cyclone et plus de tempête qu'il pouvait exister en trois siècles d’existence dans ce village. D'aussi loin, il pouvait sentir au fond de son corps l'émanation de pouvoir et le tremblement des essences comme si s'étaient brusquement rassemblés en ces lieux maudits des puissances impénétrables. Ses yeux violets s'allumèrent de reflets rouges sanguins avant de s'effacer. Ils n'échapperont pas à la tempête. Tant mieux.

Les paroles du jeune homme étaient celle d'une personne avertie. Avertie de quoi ? Cet homme était-il donc déjà venu en ces lieux ? Avait-il déjà, une fois, des fois, tenté cette quête qui semblait improbable ? Il paraissait connaître bien plus qu'il n'en disait réellement. Peut-être partagerait-il ces informations précieuses (ou des détails ?) à un moment plus adapté.
Quoiqu'il en était, si la tempête se préparait; le temps leur était compté. Ils devaient se mettre en route pour de bon. Sans fioritures. Les verres levés à l'aventure ne danseraient donc pas à la lueur de l'auberge. Pas ce soir.
Peut-être jamais. Si le temps leur était donc compté.

Soupir.

Mielle lança un rapide coup d’œil par la fenêtre sur le ciel qui semblait respirer : les nuages se mouvaient en danse que seul le ciel comprenait. Seul le ciel ainsi que le jeune homme, si elle y réfléchissait à deux fois.

Elle regarde l'homme.

- Peut-être, plus tard, nous apprendras-tu à lire le ciel comme tu le fais ?

Puis, sans attendre une quelconque réponse immédiate, elle se dirigea vers la porte. Sortit. Attendit ses compagnons de route, de voyage. Qu'elle ne connaissait aucunement pour l'instant.
Peut-être ne reviendrait-elle jamais dans cette auberge.
Peut-être ne reviendrait-elle jamais dans cette ville. Celle qui lui avait appris tant de choses de ce monde. Et si peu.

Elle attendait de ce voyage de grands changements. D'extraordinaires découvertes.
Elle n'attendait que le départ.

Ils partirent alors, sur cette route incertaine. Brouillée.
Ils partirent pour répondre à ces questions que soulèvent les quêtes.

Navire sur les flots, fendant l'écume dans la brume, les voilà partis pour de bon. Les clapotis de l'eau donnent une atmosphère sereine à ce début de voyage, même si l'écran trouble entourant le bâtiment pourrait bien se révéler traître et dissimuler de nombreux périls épars.
Dorian n'est pas confiant. Il n'aime plus prendre la mer. Une bouteille d'hydromel est pour lors, son seul réconfort. Déjà vide. A croire que le sort s'acharne. Le ciel, noir de jais, est une invitation à faire demi-tour.

-Il serait plus sage de rebrousser chemin. Nous n'en sortirons jamais vivant, si nous arrivons affaiblis sur place. De plus, il nous faudra un bateau en état si nous espérons pouvoir revenir de ce périple douteux.

Cynique et pessimiste. Ainsi le forgea le temps. Temps cruel et acéré, qui à chacun laisse des marques, plus ou moins profondes selon sa préférence. Le temps a ses têtes, ses humeurs. Certains semblent avoir mérité son courroux. D'autres ne peuvent pas en dire autant, mais le subissent de plein fouet. Dorian était un de ces hommes. Meurtri, blessé par les âges. Sans aucune raison apparente. A moins que dans ses précédents périples, il n'ait eu l'impudence de défier une entité susceptible. Nous ne le saurons probablement jamais. A moins qu'il ne nous fasse lire ses récits de voyage, carnets enfouis au plus profond d'un coffre, resté sur la terre ferme. Mais le cœur n'y est plus, il n'a même pas pris de quoi écrire. Sa plume restée à terre, il pense surement s'être embarqué vers son dernier voyage.

Les bourrasques se levèrent, les poussant vers le large, comme si un dieu malicieux et malveillant avait décidé de lui refuser la vie sauve. Ils avancent au milieu du néant, l'obscurité grandissant, l'inquiétude avec elle. Le vieil homme se tourna vers le meneur :

-Sais-tu au moins où tu vas, pauvre fou ?

Le meneur a la barre, le meneur à guider les destins ne craint ni l'orage ni le temps. Il se sait confiant, il se sait béni par des entités qui ne l'abandonneront pas. Il le croit dur comme fer. Son regard dérive vers Dorian et l'enfant à côté qui regarde la mer gémir en des vagues triomphantes. Et il répond lentement :

Les fous, seuls, savent le chemin qui mène aux Dieux. Nous traverserons la mer et trouverons un désert. Et dans ce désert paraît-il se trouvent des trésors comme nulle part ailleurs... . Là-bas nous trouverons notre bonheur. Soyez en assurée.

Sa voix était chaude et confiante, ses traits étaient doux et bienveillants. L'enfant reprit la parole comme pour appuyer ses propos, dans ses yeux brûlants l'on discernait comme une lueur sauvage

La bas, j'ai vu des monolithes sortir de terre et former un soleil dans le ciel sombre, balayé par des tempêtes de semble. On aurait dit que la terre recrachait ses symboles. C'était très beau.

S'ils n'étaient pas convaincu au moins pouvait-ils rêver désormais, pensait le meneur qui retournait son regard vers l'horizon. Il restait une nuit, une nuit dans le tumulte dans la tempête et ils devraient rejoindre les rivages de l'Estie.

Une nuit qui parle. Le vent fouette l'air et les vagues. Il s'amuse à créer des formes en hauteur qui tournent et qui avancent. Qui dansent. Mais ses sifflements mettent en garde les humains du danger d'y plonger.
La jeune femme demeura sur le pont toute la nuit afin de contempler les mouvements terrestres. Respirer. L'air frai. Presque glacial que eau puis vent s'amusent à faire briller.
C'est la nuit et la lune luit. Lunes. Lune dans le ciel et dans l'eau. La lune coule et vole.
Fragment d'espoir,
lueur du soir,
regard.
Un regard, c'est une lumière. C'est une parole. Une parole qui s'ouvre sur le monde.
Mielle s'ouvre à l'univers, ce soir de vents qui grondent en percussions unies.
Gronde. Pendant que le bateau s'avance. S'élance dans le creux de la mer.
Gronde. Pendant que les rêves des voyageurs de notre quête s'ébauchent dans les sommeils.
Gronde. Car, de toute façon, tout se réalise.

Et le soleil touche la mer. Par pointe légère.
Et le soleil touche la mer puis se réveille, s'étire de sa veille de lumière.
Et le soleil touche la mer, funambule d'horizon.

- Et le soleil touche la mer.

A l'aube les âmes d'humains sont douces, énergiques.
Sourire est un petit soleil.
Sourire le matin présage quelques jolis chemins.

- Et le soleil touche la mer en un sourire.

Mielle voit la terre qui rencontre la mer. Quelle discussion ont-elles ? Parlent-elles des humains qui les frôlent de leurs pieds ? Parlent-ils de la lune et du soleil qui jamais ne se rencontrent - sauf cet humain talent qui le permet ?

Mielle écoute les âmes qui se réveillent, progressivement. Des petits bruits d'humains qui se mouvent. Puis, des sons légers qui surfent sur le bois du navire; jusqu'à son oreille.
Les matins sont des perles.
Petit bonheur pour la jeune fille qui savoure. Sans limite.

A ceux qui se lèvent, elle demande :

- Vous avez rêvez la Terre ?

Mais que lui répondent-ils ? Quels furent donc leurs rêves ?

Un peu froid car trop tôt. Le soleil n'avait pas encore tiédi la Terre et ses humains. Les corps des quêteurs frissonnent. On dirait comme des arbres que le vent bouge en cimes.
Rire qui perle de la gorge de Mielle.
Puis, elle ôte ses chaussures, se jette sur la plage les pieds nus. Marcher. Marcher vraiment. Sentir les subtilités du sol. Son langage.
Pour la première fois, Mielle a traversé la mer.
Pour la première fois, elle marche sur les possibles.

Le vieux Dorian posa un pied sur le sable. Puis le deuxième sur la terre ferme. Il but goulûment à une vieille flasque, retrouvée quelques instant auparavant dans les replis de ses frusques. L'eau de vie était amère, parfait pour ne pas être trop optimiste. Le soleil sur le sable donnait au lieu une apparence paradisiaque. Le sable était fin, doux au toucher. Doux, trop doux. Il jeta sa flasque contre un rocher à quelques mètres. Les bris de verre sur le sable, le liquide suintant , quelques gouttes tachant l'étendue immaculée, tout cela venait enfin rompre cette impression de perfection. Une manière d'expliquer à la nature et à l'environnement proche qu'il n'était pas dupe. Détruire pour conquérir. Enlaidir pour dominer. Des préceptes bien humains. Mais tellement justes.

L'alcool aidant, il se sentait bien mieux, bien supérieur à tout ce qui l'entourait. Peu importait le regard incrédule et outragé de Mielle. Cet enfant n'avait aucun bon sens, aucune idée de la vie, froide et cruelle. Il apprendra vite...

-Assez bavassé gamin, sortons de cette plage, laissons des hommes au navire pour notre éventuel retour.

Le groupe s'enfonça plus avant dans les terres, hors de la plage. La végétation commença a devenir luxuriante. Les chants d'oiseaux égayaient le cheminement de la poignée de compagnons. Cette ambiance ne plaisait pas à Dorian. Trop de gaieté tue la vigilance. En ces terres, la moindre erreur peut être fatale.

Le vieil homme s'adressa au chef de groupe :

-Dis moi, où nous rendrons nous après cette forêt ? Quelles terres désolées nous attendent ?

Ce n'est pas une forêt. C'est un oasis.

La voix dure du meneur Arkas trancha dans l'air. ils étaient a l'orée du désert d'Estie. D'ici dans la fraicheur des arbres hauts, et des sources discrètes qui l'irriguaient pouvaient laisser croire que le milieu était agréable mais c'était sans compter sur les dunes blanches du Desert. Cette echappée d'herbe n'était qu'un lointain héritage, une mémoire d'un monde disparu sous le règne des Aspects. Ici, la vie semblait avoir fui, ici il ne restait plus rien sinon l'écrasante chaleur et l'effroi du danger. Arkas rejeta sa bandoulière dans son dos avant de s'avancer et de humer l'air. Au loin les cris d'oiseaux continuaient de scander le silence de la petite jungle. L'enfant qui les suivait s'était arrêté plus loin, agenouillé il contemplait un petit insecte sur la feuille d'une fleur. Il semblait comme fasciné, perdu dans son observation. mais brusquement le sol trembla, la végétation s'agita. il y eut une seconde de calme avant qu'une violente bourrasque de vent ne les obligea tous à tomber sur le sol verdoyant. De terre lentement, sorti d'abord ce qui ressemblait à des phalanges, puis émergèrent péniblement dans l'orage qui grondait sous le soleil éclatant des squelettes, des squelettes armés d'un bouclier et d'une épée, et plus surprenant encore, sur leurs os des vêtement déchirés collaient, suintant de poussière. Les yeux d'Arkas s'agrandirent tandis qu'il jura . Derrière lui , l'Enfant s'était retourné et riait à gorge déployée. Le reste semblait frappé de peur ou d'une préoccupation quelconque. Bref personne ne semblait vouloir intervenir tandis que les créatures sorties de terres se rapprochaient lentement, la lame pointée vers eux. L'enfant Hezeriel commenta lentement :

Ce sont des Shano, des soldats oubliés dans une époque oubliés. Ils sont mort il y a très lointain mais quelque chose les retient sûrement ici, ou quelqu'un les retient, c'est au choix. Ils ne nous voient pas réellement, ce n'est que l'aura qui émane de chacun de nous qui les attire et les guide. En somme même si nous fuyons ils nous retrouveront.

Son explication était parsemée d'exclamation et de joyeux cris.

Alors que les squelettes, ces créatures éminemment magiques, sortaient des oubliettes des fonds de Terre; Mielle sentit un frisson la parcourir des pieds à la tête. Une vague froide caressa son sang pour repartir aussi vite qu'elle l'avait balayée. Un sourire en coin sur le visage de femme.
Elle observa ces créatures qui semblaient renaître en leur sortie des galeries sombres froides. Elle remarqua que les os qui composaient ce qui devait être en leur vie de mortel leurs têtes brillaient sous les rayons vaillant du soleil.

*Oh, ils vivent !* pensa-t-elle.

Cette force qui leur faisait bouger les os était vie de toute façon. Magique ou non. C'était forme de vie. Quel esprit animé ?
Ces pensées demeuraient cependant totalement inutiles face à la vague déferlante d'hommes-squelettes qui leur arriverait bientôt devant le nez.

Alors c'était maintenant que certaines choses commençaient. Probablement, fallait-il réaliser certains actes pour mettre fin à la poursuite.
Quand.
Quoi.
Et surtout, comment.

Mielle se tourna vers l'enfant qui riait toujours, montrant ainsi au monde ses belles dents à croquer les arbres alentours. Elle le regarde et posa sa question :

- Tu devrais plutôt leur ronger les os, s'amusa-t-elle.

Elle reprit rapidement un ton plus sérieux :

- Nous ne pouvons fuir éternellement. Toi, tu connais ces êtres ou en tout cas, leur histoire, affirma la jeune femme.

- Dis-nous, seule la mort entrave la poursuite de nos âmes ?

La jeune fille plissa des yeux.

- Auquel cas, nous devons agir et présentement. Ou plutôt, devons-nous d'abord observer comment ils se mouvent dans l'espace, comment ils réagissent à nos armes. Que sais-je. En réalité, je ne me suis jamais battue. Mais j'imagine que nous devons observer avant de nous lancer les yeux fermés en combat dont l'issue présage mort de l'un ou de l'autre.

Il n'y avait pas de peur dans son regard.
Des fleurs épanouies à tendre vers la compréhension.
Le dos droit.
L'oreille vive.

Un olivier. C'était un olivier. Son grand-père l'avait planté. C'était une époque joyeuse et sans tourments, propice à l'élevage et à l'agriculture. Son grand-père adorait les arbres. Il lui avait appris le respect de la nature. Les arbres disait-il, sont les poumons de la terre. On ne pouvait pas lui donner tort. A sa mort, ce grand homme avait été enterré entre les racines du grand chêne. Comme il l'avait souhaité. Lui, Dorian, s'était occupé un temps du verger. Puis vint la malchance. Le déshonneur. La mort et la famine. Il dut quitter son passé, ne garder plus trace de ses racines. A ceci près. Une branche de l'olivier. Du bois, poli par l'âge. Qui ne le quittait jamais. Cette branche, qu'il avait travaillée nuits et jours après le décès de son grand-père. Cette branche, devenue arc et instrument de son amère colère. Dorian n'aimait pas la vie. Mais il haïssait encore plus la mort. La mort, sous toutes ses formes. Les morts-vivants n'ont pas lieu d'être.

Éclair en plein jour.
Une flèche fuse.
Puis une autre.

Le râle des morts n'a d'existence que pour celui qui y croit. Dorian n'a pas peur. Ses flèches sont acérées. Bien à l'arrière, chaque tir fait mouche. Il a perdu de vue ses compagnons dans l'obscure fumée de l'affrontement. Peu importe. Il ne les touchera point. Il est en transe. En communion avec son arc. Cette branche d'olivier, qui jamais ne lui a fait défaut, même au plus profond de son désespoir. Des têtes touchent le sol. Esthétique sauvage. Il est bien loin de ce charnier en décomposition. Mais il en fait partie. Il est la rédemption. De ces âmes, réveillées à tort. De ces âmes en colère. Il est la mort implacable. Leur ultime repos.

Pas de sang.
L'absence de l'écarlate est déroutante.
Ces abominations sont dérangeantes.
Ne sont plus, à vrai dire.

Les pensées embrumées par l'alcool, l'adrénaline du combat retombant peu à peu, Dorian part rejoindre ses compagnons. La fumée les a dissimulés. Il n'espère rien. Il attend de savoir combien ont survécu. La mort viendra bien asse tôt cueillir le fruit des rescapés. Tout n'est qu'une question de temps. ce voyage est un aller simple. Peu importe. Dorian survivra au jour le jour.

Au sol, les phalanges craquent lentement tandis que des mains squelettiques arrachées à leur corps trainent encore dans mouvements erratiques. Les morts ne meurent plus jamais, disent les légendes. Mais ce n'était que des Shano possédés par des Esprits. Et c'est vers les esprits qu'il faut se tourner. Sans même les voir, ou les comprendre, il faudrait les toucher et les faire fuir. Au mieux peut être détourner leur attention par des préoccupations mineures. Dans le charnier du conflit Arkas est au sol, blessé au visage et à la jambe. Blessures légères, il garde encore le sourire de l'homme qui aime quand ça se gâte un peu. A coté de lui, l'enfant Hezeriel lèche du bout du doigt le sang qui coule un peu. Son regard brillant confie le bonheur qu'il a goûter à ce met délicat. C'est un enfant qui aime boire le sang. Au sol les squelettes vaincus semblent se relever d'un coup, âmes immortelles tenues par un serment quelconque. Une lame siffle sur la joue de l'enfant. Perturbé par le coup qui le gêne dans la dégustation, il s'enrage et de ses yeux devenus pourpres un vent se lève violent. C'est l'orage. Du sable qui entoure l'oasis sortent des furies venteuses. Les branches des arbres craquent, se brisent en deux, forment des pieux acérés et fondent sur les squelettes réanimés pour finalement s'empaler dessus.

Le calme revient lentement. Le meneur regarde stupéfait le môme qui vient de régler le problème. Non, il ne s'attendait pas à cela. Il n'est d'ailleurs même pas sûr que ce qui vient d'arriver est du fait de l'enfant, ou d'un des membres ici. C'est arrivé, c'est tout. Et brusquement, dans un léger temps après, des ombres sortent des fourrés armées de torches. Des hommes et des femmes, vêtues d'habits légers et de tissus de soie pour couvrir leur tête. Ils sont une dizaine, ils parlent dans un langage étrange. Ensemble, dans une belle coordination ils embrasent les squelettes d'un feu bleu, et s'affairent comme des hommes qui savent ce qu'ils font. Le petit groupe se relève lentement. Arkas les salue en boitillant, discutant avec eux dans leur langue tandis que l'enfant continue de jouer avec le sang répandu au sol. Lumeï s'approche de lui en le regardant faire, tandis que Dorian range son arme.

Après des bonnes minutes d'échanges, Arkas qui discutait avec le groupe retourna vers eux en claudiquant d'une jambe. Son visage était soucieux, de celle d'un homme qui doit faire un choix.

Lentement il s'exprima au groupe :

- Ce sont des traqueurs du Désert, une communauté marginale qui siège dans le Désert depuis un siècle. Ils parlent l'Orang et n'aiment pas vraiment les visiteurs. Mais ils me connaissent un peu de par le passé et sont prêt à nous aider un peu. Ils sont venu quand l’étrange orage a éclaté. Ils proposent de nous emmener dans leur camps le temps que nos blessures guérissent. En échange, ils auraient besoin d'un coup de main sur des bêtes qui ont déjà tué trois d'entre eux. C'est à nous de choisir si l'on veut les suivre ou si l'on se débrouille par nous même pour la suite. Mais je ne suis pas sûr qu'au vu des dégâts, mêmes mineurs, nous soyons aptes de reprendre la route immédiatement. Puis c'est une manière aussi de glaner des informations. C'est à vous de voir.

Dans sa voix, le groupe pouvait sentir les modulations de fatigue. C'était probablement lui le plus blessé, et celui qui avait le pus besoin de cette aide. Le reste du groupe semblait avoir été plus ou moins épargné par l'embuscade.

La bourrasque soudaine avait fait voler les cheveux de la jeune fille et l'enfant lui avait eu l'effet de lui faire écarquiller les yeux.

- Pour chaque situation inattendue, un acte inattendu... marmonna la jeune fille.

Elle n'osa bouger. S'occupant plutôt d'observer ce qu'il se passait.
A lui seul, l'enfant avait su de façon plutôt efficace résoudre l'affrontement.
La jeune femme était impressionnée par la technique guerrière de Dorian et celle, précieuse, d'une sorte de magie dont avait usé la jeune personne. Mais d'ailleurs, si jeune, comment avait-il pu agir ainsi ? Où avait-il appris ces tours incroyables qui lui permettaient une défense sans égal ? Une énigme troublante.
Mielle s'était rapprochée de l'enfant le regardant se satisfaire du sang à boire. Quel plaisir à se délecter ? Quel goût le sang avait-il au bout de sa langue ? Était-ce le goût du souvenir de ses batailles passées ? La soif de celles à venir ? L'à venir. Mielle se demandait quelle tournure prendrait leur quête.

Déjà deux chemins s'offraient à leurs destins.
Ce choix importait.
Dorian semblait fatigué en plus des blessures qui l'avaient touchées. Pour lui et pour l'enfant, un repos sûr était amplement mérité.
La jeune fille prit donc sa respiration. Son visage prit une allure plus sérieuse qu'auparavant. Elle se dirigea ensuite vers Arkas :

- Laisse-moi te dire que je vais les aider à trouver la créature, objet de leur recherche. Vous avez bien assez combattu alors si un repos quelconque peut vous être proposé ; j'irais les aider.

Ses mots n'attendaient pas de contradiction. Pas plus que l'intonation de sa voix.
Elle fût assez clair en son message dit. C'est pourquoi, nul ne fut surpris lorsqu'elle s'avança vers le groupe des Orangs'. Nul ne fut surpris de l'assurance et la fermeté dans ses gestes à les rejoindre et les suivre dans le désert.

Le groupe des Orangs' échangèrent quelques mots en cette langue inconnue. L'éclaireur était revenu pour faire part, semblait-il, des informations qu'il avait dû glaner par-ci par-là sur le territoire plus en amont. L'homme avait le regard vif. Son élocution était plus rapide que l'emploi commun de la langue. Probablement avait-il découvert des traces de cette fameuse bête qui n'entrait pour l'instant que dans son imaginaire.
Quel sens ? Elle ne comprenait de toute façon pas un seul sombre mot. Cela dit, les sons courraient en fluide doux à ses oreilles. Des sons au traits de berceuses de ces mondes inconnus. Tant à apprendre. A écouter.

Cette créature devait être de taille et d'envergure imposante puis d'une force incommensurable pour mobiliser autant de guerriers à ses trousses. Qu'avait-elle fait ? Qu'était-elle pour qu'autant d'humains veuillent l'éliminer ?
La pluie commençait déjà à tomber depuis une heure, transformant le sol en une bouillasse marronâtre. Mielle cru un instant que la terre qui parsemait ces montagnes lui colorerait la peau à la couleur des ours bruns qui rôdent parfois là où elle naquit.
La jeune fille attendait. Elle attendait un ordre ou que savait-elle encore. La discussion entre l'éclaireur et l'autre homme semblait prendre plus de temps qu'il n'en fallait et leur marche faisait état de pause. Elle jeta un coup d’œil à ses compagnons : Dorian frissonnait, il fermait quelques instants les yeux ; essayant de parer la fatigue ; quant à l'enfant, il semblait calme, serein et aucunement troublé ni fatigué du combat qu'il avait pourtant mené. Elle regarda encore.

- Tu devrais profiter de cette pause pour te reposer, lui conseilla-t-elle, curieuse.

L'enfant ne tiqua pas. Lui comme elle savait qu'il ne le ferait pas.
Il continua de jouer avec sa lame, nullement perturbé.

Un des Orangs' vint se plaça devant Arkas et lui tapa l'épaule afin de le réveiller. Il l'informa que la chasse continuait.

- En route, formula-t-il.

Un regard suffit.
Les compagnons de la quête réalisèrent leur premier pas, prêts à affronter pluie, boue et autres phénomènes naturels et magiques afin de pouvoir gagner leurs quelques jours de repos et de parachever leur quête.

Zénith sur l'oasis embrumée. Havre de paix, dissimulé aux yeux des géants du ciel par la condensation incessante de l'eau dans l'atmosphère torride du désert. Seules les habitations des castes supérieures, bâties au sommet des arbres ancestraux, espèce millénaire croisement entre palmiers géants et flore des marécages, émergeaient à la surface du nuage de fumée. L'absence d'humidité était palliée par la présence de nombreux serviteurs, qui à l'aide de grandes feuilles distribuaient un courant d'air frais continu à leurs maîtres. Ces luxueuses cabanes, suspendues à l'aide d'ingénieux systèmes de poulies et de cordages, étaient reliées entre elles par un réseau touffus de passerelles, peu engageantes pour un étranger, qui aurait été bien en droit de douter de leur solidité. A intervalles réguliers, cependant, des puits étaient dressées, qui permettaient, actionnés mécaniquement par une demie douzaine de serviteurs, de descendre confortablement jusqu'au sol, pour qui ne souhaitait pas emprunter les grands escaliers extérieurs, qui ramenaient aux portes de la cité. Ces portes, ainsi que les murailles entourant l'oasis, étaient construites dans le même bois, sombre et profond, que les arbres gigantesques qui la composaient. Elles s'ouvraient sur des quartiers tentaculaires, froids et sinistres, constitués de tentes grossières, regroupées autour de brasiers, entretenus nuit et jour, seul moyen de chasser un semblant d'humidité, dans ces recoins sombres de l'oasis.

N'ayant pas le pied aérien, le vieux Dorian, en grincheux éternel, avait refusé catégoriquement une habitation suspendue. Après avoir frôlé l'incident diplomatique, une large tente fut mise à leur disposition dans un quartier proche de l'entrée sud de la ville. Là leur furent prodigués les soins nécessaires pour panser leurs blessures. Mais leurs âmes restaient meurtries. Les épreuves douloureuses des derniers jours avaient laissées des séquelles en chacun, qui ne se guériraient qu'avec le temps. Au fil des jours, Dorian avait pris ses marques, et semblait comme chez lui, connaissant déjà tous leurs voisins proches. A moins que ce ne soit eux qui aient voulus voir ce bougon réputé, capable de tenir tête à des membres des castes supérieures sans subir de représailles. Quoiqu'il en soit, les enfants venaient à tout moment le déranger pour obtenir des récits de ses voyages, et il ne se privait pas de conter ses périples, où il était presque impossible de démêler le vrai du faux, tant il modifiait, arrangeait, sublimait chaque histoire. Chaque détail qui paraissait insignifiant au premier abord, pouvait faire l'objet d'un autre récit, comme son imagination et son talent narratif n'avaient aucune limite. Puis venait le moment où il renvoyait tous ces sales gosses, car il avait besoin de repos, et pas que ça à faire. Mais ils revenaient le lendemain, et même s'il râlait pour la forme, c'est avec malice que ses yeux pétillaient en racontant ses histoires. Un état d'esprit que ses compagnons n'avaient jamais vu auparavant. Il faut dire que le vieux Dorian était d'abord fermé et taciturne, mais ces enfants avaient réussi à faire refaire surface à une autre facette de la personnalité du vieil homme.

Mais un jour, oui un jour vint, où chacun fut reposé, guéri, apaisé. Et ce jour, chacun sentit qu'ils n'avaient déjà que trop trainé en ce lieu de paix. Ils était temps de payer leur dette. Dorian était resté éloigné de toutes les affaires de politique, et avait trouvé que ces gens ne souffraient d'aucun problème réel. Cependant, Arkas avait participé à de nombreuses réunions, avait étudié les environs, et avait connaissance des réels troubles. Lorsqu'il expliqua à ses compagnons que c'était encore trois jeune enfants qui avaient péri cette semaine hors de l'oasis, partis ramasser des roses des sables, le sentiment de paix intérieure se mélangea d'un autre, de culpabilité. Dorian ne disait rien. Mais une lueur meurtrière brillait, là où un air presque bonhomme pouvait se lire quelques instants auparavant.

-Il est temps de nous mettre en route.

Ses paroles cinglèrent l'air, et ramena chacun à la réalité de l'instant présent. Oui, ils n'avaient que trop traîné. Les heures suivantes, il rassemblèrent leurs maigres affaires, et se chargèrent chacun un peu plus de provisions et nécessaire de survie en ces terres désolées, préparés spécialement par leurs hôtes. Un émissaire des hautes castes vint leur souhaiter bonne chance et réussite, alors qu'ils passaient par la sortie sud, en direction des ruines de Khel'tam. C'est vers ce lieu, maléfique et hanté d'après les habitants, que les enfants avaient été retrouvés mutilés. Quelques heures de marche à peine suffirent à couvrir la distance qui les séparait de ce lieu sinistre. Ils y arrivèrent lorsque le soleil était à son zénith. Il s'agissait d'anciens tumulus, des sépultures sacrées d'anciennes civilisations perdues, dont même les traqueurs du Désert ne connaissaient plus la langue depuis des générations. Aucun trouble ne semblait percer l'atmosphère. Ils décidèrent d'installer un bivouac en vue des ruines, sur une proéminence rocheuse. Là, bien en vue, ils commencèrent un long travail d'attente et d'observation.

Le paysage était rocailleux et la pluie battante fouettait les visages tirés des voyageurs.
Chaque minute s'écoulait en longueur et dans les esprits on pouvait deviner des nuages qui naissaient à rêver des dos las s'effondrant sur des lits de paille. Les muscles ne provoquaient plus de douleurs. Maintenant, ils ne faisaient que tirer le corps. Tirer pour attirer loin. Toujours plus loin vers les traces de cette fameuse bête dont ils ne voyaient toujours pas le moindre bout du museau.
Les orang's étaient cependant de plus en plus agités. On pouvait lire dans leurs regards un empressement de ceux qui précèdent les grands moments d'action. Les corps silencieux attendaient la venue de la Bête.
Dorian était calme mais la jeune fille se tortillait légèrement. Tous étaient cachés derrières des buis ou avaient creusé des trous dans la boue marron et s'y étaient faufilés afin de surprendre cette commune ennemie.
Mielle était assise à croupie à la droite de Dorian. A sa gauche, l'enfant, l'imperturbable regardait les gouttes lui tomber dessus. La jeune fille lui jeta un regard et s'apprêta à tendre une main vers l'épaule de l'enfant. Puis, elle le vit : il ne semblait apeuré de ce qui pourrait potentiellement advenir du groupe. Mielle resta un instant à l'observer. A contempler ce calme qui lui manquait. Cette bête si féroce soit-elle les dévorerait peut-être tous. L'animal avait cet âme à la chasse que les humains avaient perdue au fil des âges.
Mielle était sûre de ne pas l'avoir mais elle souhaitait l'acquérir. Il le faudrait.
Il ne pourrait y avoir deux survivants : ça sera donc la Bête ou le groupe.

* Il le faudra * pensa-t-elle.

La jeune fille essaya d'infuser une certaine sérénité pour contrôler au mieux sa pensée et donc ses gestes.
Dorian regarda les membres de son propre groupe :

- Tenez-vous prêts. La Bête ne vous laissera aucun répit. Nous ne sommes qu'un vulgaire lapin pour sa panse. Ni plus, ni moins.

Mielle acquiesça.

***

Ils s'y attendaient tous. La bête sauta d'un monticule de roches pour atterrir sur le chemin accessible aux pas d'humains. Elle bondit sur un homme et agrippa son immense mâchoire sur son avant-bras avant de tirer vers le haut. Le cri de l'homme quand la peau déchira. Non. Le hurlement.
Il y eut un léger temps d'attente. Imperceptible car les plus aguerris et les plus courageux n'attendirent aucun ordre pour se lancer. Des lances, des haches. Tout faisait bonne figure. Tant que l'objet entaille, coupe, perce, écorche. Leurs coups affaiblissaient la Bête.

Si faible, si fragile bête, ce ne pouvait être pareil adversaire qui pouvait être si effrayant. L'enfant regardait le combat acharné. Il était calmement assis en train de regarder les faits d'arme s'accomplir sous ses yeux. Ce n'était pas intéressant, mais il y avait derrière la bête, tapi dans l'ombre un relent de mémoire, un relent d'être plus fascinant. Une aura sombre et sanglante se dégageait comme le voile d'ombre qui attendait, tapie, à voir se fatiguer ces mortels sur un petit bestiau qu'elle commandait comme une marionnette. Certains hommes mordaient la poussière, d'autres se relevaient hardiment. Ils étaient convaincu de réussir. L'enfant tourna sa tête vers Arkas, puis Dorian. Dans ceux du dernier, il percevait cette même appréhension. Alors qu'il le vit décocher une flèche il murmura.

" Le blesser ne sert a rien. Vous le savez bien vous, vous avez vu derrière ce qu'il y a. Vous vous souvenez aussi? Je sens dans votre sang l'excitation, et la mémoire ; cela tremble comme une eau fiévreuse. QU'attendez vous, qu'elle sorte, de son ombre, que le soleil la pourchasse? "

Son discours semblait glisser sur l'impassibilité du vieux guerrier qui s'arma et rejoignit d'un bond la bataille comme pour le faire mentir. Mais l'enfant ne doutait pas. Si ce n'était qu'un ramassis de mortel face à ses yeux, Dorian avait entendu le grondement de l'ombre. Il continua, cette fois ci mentalement, touchant l'esprit du vieux

" Comment allez vous la réveiller, elle va régénérer les blessures de la bête, elle va vous fatiguer avant de vous achever, elle rit d'avance des futiles assauts. Elle n'est pas pressée. Elle vous intéresse peut être. Vous attendez peut etre que tout le monde meurt pour l'observer, se repaître, vous simulez d'incroyable combat auquel vous ne croyez pas en attendant qu'elle vienne montrer le bout de son nez. Ou vous avez oubliez et vous n'êtes qu'un lâche"

Une flèche siffla à son oreille, comme un avertissement. Il allait très loin. Ses yeux se plissèrent dans un caprice.Dans le même temps deux hommes tombaient sous les coups du monstre. D'un bon rageur il fonça l'adversaire commun et tira une dague se jeta à sa gorge. Il n'eut pas le temps d'arriver bien loin, une force mentale le projeta contre un arbre, lui arrachant une longue entaille sur son front. Il se ramassa dans les feuillage. La bête n'avait pas bougé, ce n'était pas elle, c'était l'ombre, il sentait encore l'étreinte glaciale qui l'avait frappé. Sa rage augmentait lentement tandis que les coups du monstre pleuvaient de plus en plus rapidement. Les orangs semblaient dépassé par la mesure du combat. L'enfant se releva péniblement en regardant Mielle qui observait tout cela, fascinée. Il murmura :

" Chante pour la bête, ca la calmera, on se contre fiche d'elle, c'est derrière qu'il faut viser".

Devant le regard incrédule de la jeune femme, il réitéra son ordre avant de sauter de nouveau, la dague en avant.

Flèches de brume, vents vibrants, la tempête s'abattait.

Les hommes tombaient et se relevaient en une danse macabre, animés par un dernier espoir de survie, tantôt morts tantôt vivants, quelques fois même les deux à la fois. Dorian avait reculé. La bête n'était qu'un écran de fumée. Cela lui hérissait le poil, mais oui, cet insolent avait raison. Tous semblaient sombrer dans la folie, Mielle se balançait d'avant en arrière en chantonnant, perdue dans un songe éveillé. Arkhas était en proie à l'indécision, semblait complétement désemparé, comme si être le leader d'un groupe aussi conséquent était devenu un fardeau plutôt qu'une noble tâche. Et l'autre, et son air narquois, que faisait-il concrètement, à part regarder les autres mourir.

Abîme hurlant, éclairs tonnerre.

Dorian devait se ressaisir. Il ne valait pas mieux qu'eux, en cet instant même. Il ne faisait rien d'autre que penser, radoter, se parler à lui-même. Rien de bien constructif en somme. Un homme de plus était dévoré par l'insatiable frénésie de la bête maléfique. Ou bien n'était-ce pas vraiment elle. Peut-être une ombre tout simplement. Son esprit est troublé, s'égare. Mais il a déjà vécu ça, contrairement à Arkhas il sait comment s'en tirer. Mais pour cela il aura besoin d'aide. Il sortit son couteau, qui autrefois lui avait permis de se sortir de pareille situation. Quelques feuilles pour enduire la lame d'onguent. Il lécha la lame au goût amer avant de s'approcher d'Arkhas. Il lui entailla la paume de la main avant de se faire subir le même sort.

Obscurité. Pénombre. Demi jour à peine éclairé.

Les voilà, eux deux dans une caverne éclairée par de curieuses roches phosphorescentes. Arkhas était troublé. Il se retenait de frapper Dorian qui venait de le mutiler. Mais en baissant les yeux il se rendit compte que sa main ne portait pas la moindre trace du couteau. Par quelle sorcellerie ? Dorian prit la parole.

-Même si le temps est suspendu, il nous faut nous hâter. Tu as bien fait, au final de venir chercher ce bon vieux Dorian. Bon à rien peut-être bien oui. Mais vieux et plein d'expérience surtout. Ce démon, je l'ai déjà rencontré. Et il a bien du dévorer une bonne partie de mon âme et de ma santé mentale pour sûr. Mais je me contente de ce qui reste tu vois. Je prends les choses comme ça depuis... depuis bien avant en fait. Suis-moi, je sais comment l'arrêter. Il nous faut suivre ce chemin. Rien de bien compliqué tu vois. Enfin pour moi ça devrait être une promenade de santé. Toi tu ne sais pas. Enfin, il faut que tu te souviennes de toujours avancer. Ne jamais t'arrêter. Le chemin n'a qu'une issue Enfin, une seule qui ne soit pas létale.

Sur ce discours peu engageant, Dorian s'enfonça plus avant dans la grotte. Arkhas à la fois sonné et interloqué lui emboîta le pas. Pour ce dernier, les premiers pas furent merveilleux. Le chemin serpentait autour d'une cathédrale de blocs de roche naturelle à couper le souffle. Sa précision et son exactitude ne pouvaient être que l’œuvre d'humains, ou d'une civilisation bien plus secrète et ancienne. La nature n'avait pas place en ce lieu. Il entendait la frustration, le grondement de la nature bafouée par un tel édifice édifié sur ses terres, qui défiait toutes ses lois. Le plafond s'écroula.Des torrents e boue et d'araignées en jaillissaient. Arkhas ployait sous tut ce poids, tandis que Dorian le suppliait de continuer. Plus que quelques pas disait-il. Mais c'était beaucoup trop. Les araignées commençaient à le dévorer. Elles étaient bien trop abominables pour vraiment exister. Mas pourtant, mais pourtant. Peut-on réellement trouver un sens à la folie. Arkhas s'abandonna à elles. IL ne désirait plus exister. Il est plus simple de lâcher prise.

Bousculade. Coup d'épaule. Clignements d'yeux.

Les voilà au cœur de la cathédrale. C'était Dorian, en personne qui l'avait tiré de sa torpeur. Lui avait-il sauvé la vie ? Ou bien s'était-il contenté de l'arracher de la folie où il l'avait entraîné. Il n'eut pas le temps de réfléchir à toutes ces considérations, car Dorian désignait une pierre d''un blanc laiteux, posée sur le piédestal central.

-Voici l'essence de l'entité qui met, mettait et mettra en pièce nos compagnons. Rappelle moi de remercier Mielle pour m'avoir guidé jusqu'à elle. Tu sais, tu es un leader remarquable, car tu as su t'entourer des bonnes personnes sans même savoir pourquoi. Jusqu'au moment venu. C'est à toi maintenant de prouver ta valeur. Arrache-le.

Arkhas, hypnotisé, s'approcha de la pierre. Il la retira.

Souffrance, cris. Abîme hurlant à nouveau.

Ils étaient de retour à la surface. Leurs compagnons exténués les attendaient.

La respiration de Dorian était plus calme, sereine au regard de la marche en cette grotte étrange. Ce chemin d'étrange avait été un parcours dans la Néante de la Bête. Trouver son âme. En elle.
Un chemin sombrement mystérieux qui avait exigé les pouvoirs du vieux Dorian et la force de la jeunesse d'Arkas. Deux forces complémentaires pour percer et s'immiscer en cette âme. Cette force de la Nature contre laquelle Dorian se battait depuis des années.
La respiration de Dorian était plus calme, sereine. Des temps, des corps inertes. Il pensait à tous ceux-là morts et oubliés depuis longtemps qui lui avait permis le chemin de ce savoir.
Tuer la Bête était sa tâche. Sa tâche d'homme.
Quant à Arkas, son évanouissement n'avait eu d'influence peut-être que de se reposer un peu au milieu de ce champ ensanglanté. Un moment léger. Ce ne fût pas long. Il sembla comme sortir d'un rêve, la mine perplexe. Probablement le choc avait dû provoquer une forme d'hallucination. Le corps, alerté, fit une pause.

Mielle tant bien que mal essayait de percer le choc des épées contre la peau de la Bête, les cris de ceux qui meurent, qui se battent, qui se donne courage, qui abandonnent. La bête elle-même poussait des cris d'attaque fort bruyants.
La jeune fille ne savait s'il fallait prendre le jeune homme au sérieux mais l'idée de chanter pour La calmer lui semblait précieuse et plus douce que le fil d'une épée. Elle s'était alors élancée et grimpa aussi vite que possible - mais certes prudemment - à l'arbre le plus proche. Elle s’immisça presque jusqu'à la cime pour être à hauteur de la Bête. Avec maigre confort d'installation, elle entonna fébrilement un chant qu'elle avait un jour entendue, plus jeune, il y a longtemps. Elle alla pêcher dans mémoire, un poisson arc-en-ciel.

" Quand vous m'ennuyez, je m'éclipse,
Et, loin de votre apocalypse,
Je navigue, pour visiter,
La Mer de la Tranquillité.
Vous tempêtez ? Je n'entends rien.
Sans bruit, au fond du ciel je glisse.
Les étoiles sont mes complices.
Je mange un croissant. Je suis bien."

Son chant camouflé par un hurlement.
Une larme qui perle.
Des âmes qui perlent des corps. Qui s'échappent.

La colère, dans l'âme de Mielle. Extrême. Et sur ce fil, elle regarda la Bête, respira puis recommença sa chanson.
Plus d'assurance. Plus de force. Des étoiles dans les mots.

***

Le jeune homme avait rejoint Arkas qui tenait en ses mains vieil et nouvel objet brillant sorti d'on ne savait où. Celui-ci ne parût nullement étonné de le voir paraître cette petite étrangeté. Il avait l'air de savoir des choses. Celle-ci parmi d'autres, sûrement.
Arkas réfléchit en lui-même :

*Il connaît les lieux. Peut-être n'y est-il jamais venu. Mais il a des renseignements que nos habitants ne savent même pas. Si la bataille prend fin, il faudra demander.*

Il ne prit la peine de présenter ce lieu étrange qu'il avait arpenté pour ramasser ladite pierre. Il s'adressa en ces mots :

- Voici la pierre, je l'ai trouvé.

Il baissa les yeux.

- Dorian...

Sa voix se perdit. Il ne savait trop comment dire que c'était grâce à cet homme. Comment expliquer qu'il l'avait également sauvé. L'homme était intelligent. Le jeune homme le savait aussi. Le regard, uniquement, lui donna le sens.
Mais le jeune homme le pressa en lui rappelant que le temps étaient compté.

- Vois par toi-même, les Orangs se fatiguent. Leurs gestes ont moins de force et l'espoir dans leur yeux s'échappe un peu.

Arkas rit :

- Mais Dorian ne m'a pas expliqué comment utiliser cette pierre !

Les nuages sur les arbres, ces chapeaux comme pour ralentir le temps et multiplier le bruit des gouttes qui tombent par nonillion.
C'est presque la nuit alors il fait un peu froid.

Mais que fait la réponse ? Où court-elle ? Elle défie le vent du temps.

- La pierre, c'est l'âme. Tu dois juste la briser, l'informa-t-il.

****

Mielle ne voit plus rien d'où elle est. Les sons qui montent de la bataille sont plus sourds qu'avant. Elle doit régulièrement se replacer sur la branche faute de glisser à la renverse.
Mais son chant.
Toujours.
Poisson arc-en-ciel.
Il vole dans le ciel et traverse nuages, pluie, gouttes.
Il traverse même la mort.

"Vous pouvez toujours vous fâcher,
Je suis loin de vos rancunes !
Inutile de me chercher :
Je suis encore dans la lune."

La jeune fille continuait de chanter. Elle se posait mille questions. La Bête se calmait-t-elle ? Elle essayait tout à la fois d'écouter ses grondements, ses cris d'attaque pour observer une amélioration à venir.

L'enfant virevoltait autour de la bête, l'obligeant a se défendre en négligeant d'attaquer à son tour. Et la chanson œuvrait lentement, occupant l'esprit du monstre, ralentissant ses actions.

Remarque si tu la brises, tu peux mourir aussi, ca arrive.

Le ton était plus léger, plus rieur, et Hezeriel s'arrêta brusquement en fixant Arkas qui avait les mains tremblantes et le cœur à bout de course. Ça s'apparentait à un sacrifice, sans savoir ce qu'il y allait avoir au delà. Son visage se tordit d'une grimace tandis que l'homme regardait avec effroi l'essence brillante. La scène s'était figée dans le dilemme qui déchirait le meneur, jusqu'à ce que décidé il balança la pierre spirituelle de toute ses forces contre le sol. Du sang gicla au même mot, et il s'effondra, du sang noir qui brûla ses paumes. Il hurla et se retira brusquement en rampant, s'éloignant aussi vite qu'il pouvait. L'enfant, habilement dessiné de son arme un cercle autour de la flaque avant de s'assoir aux côtés d'Arkas pour enfermer le démon dans un sceau. Enfin il sourit.

Les orang vont pouvoir achever la bête. Cette chose devait lui donner une force et une résistance extraordinaire. Tes blessures guériront peut être avec le temps, d'ici l'utilisation de tes mains risquent d'être douloureuse, un peu.

Arkas gémit tout en répondant à l'enfant :

]Je vais mourir, n'est ce pas?

Ho pas tellement, ou ce sera un peu long, coupa t'il tout en voyant le monstre qui avait semblé tant effrayant s'effondrer, agonisant dans sa douleur. Le sang de démon, c'était toujours tant aléatoire. Même lui, l'enfant qui avait passé sa vie à les observer de loin, de près, ne les comprenait pas beaucoup. Il fallait s'être battu contre eux pour avoir une idée de ce qu'on peut devenir, si jamais on en ressort vivant. Il jeta un regard vers Dorian qui semblait paisible et satisfait. Il ne savait pas tellement ce qu'ils s'était passé la dedans, dans le royaume du démon mais il doutait que ce fut joyeux. Un moment il envia l'expérience avant de se rapprocher du monstre mort et commença a jouer dans le sang en dessinant des symboles étranges, semblables à une langue complexe. Ils avaient aidé. Au loin, le ciel semblait se charger de poussière et de mouvement, une tempête effrayait les dunes. Ils avaient encore un peu de temps mais en s'attardant ici, ils risquaient de se la prendre de plein fouet. Dans le même temps, il ne voulait pas rentrer, il voulait continuer d'avancer. Il voulait aller toujours plus loin. Il fixa ses yeux dans l'horizon en rêvant lentement.

Arkas, les mains brûlées, gémissait.

Après avoir achevé la Bête vidée des forces accordées par le Démon ancré en elle ; les Orangs avaient tenu à les remercier de diverses façons. Déjà, toutes les vivres avaient été rassemblées et cuisinées ce qui donnait à ce lieu boueux une sensation étrange de fête. Mais il avait aussi un âpre goût de sang. Le repas s'était déroulé au milieu de joies apaisées, de douleur aussi car des hommes étaient morts au combat et ce temps était aussi pour les âmes compagnons qui s'ouvre à une fleur-pensée. On bu beaucoup. Les Orangs rentreraient fiers de leur victoire ce soir. Une victoire pour laquelle le combat de leur peuple avait été long, emprunt de crainte. Ils pourraient enfin arpenter le territoire sans la peur de cette Bête maléfique rodant dans les fourrés, dans les petites montagnes. Ils pourraient chasser sans avoir à surveiller leurs arrières, le ventre noué. De la viande pour tous, du gibier. Les baies, les fruits. Leurs troupeaux de brebis, de moutons pouvaient enfin sortir.
Ils étaient libres.
Libres de la Bête.
La fête dura toute la nuit mais Arkas n'avait pu en profiter. Il devait reposer ses plaies qui avaient probablement atteint une partie de son âme. La fièvre l'avait pris peu de temps après la scène finale, ultime qui avait enfermée le Démon à jamais dans le cercle. L'enfant avait d'ailleurs donné quelques herbes à bouillir à un soigneur Orang afin d'apaiser les douleurs et surtout les hallucinations qui perturbaient ses temps de sommeil, ses rêves. Il était parfois traversé de suées, conséquence possible de la fièvre, cu combat intérieur qu'il devait mené contre cette marque vénimeuse que le Démon lui avait laissé.

La jeune fille avait sombre mine. Son chant avait permis à la Bête de s'apaiser mais Arkas avait été brûlé par le Démon et l'enfant semblait sceptique quant à la guérison totale ou bien même quant à la seule survie d'Arkas.
Les Orangs avaient proposé à Dorian une altérenative intéressante. Ils promettaient d'amener Arkas dans leur village le plus proche, et de faire mander prestement les soins de leur meilleur guerisseur, Orûl.
Dorian avait passé la nuit auprès d'Arkas à lui tenir l'épaule. Il était un compagnon précieux mais sa santé prévalait contre tout, surtout contre le force obscure qu'ils allaient devoir combattre. Dorian soupira. Ils n'avaient pas accompli la moitié de leur tâche. Ils n'avaient encore trouvé les traces de la vraie Chose qui perturbait. C'était plus grand, oh oui. Vraiment plus grand que la démonstration de force qu'ils avaient vaincue ici.
Ils ne seraient pas nombreux, là-bas. Fort peu nombreux. Il faudrait être fort, vaillant, courageux, rapide, et... en bonne santé.
Il valait mieux pour Arkas que ça s'arrête pour lui. Il valait mieux pour le groupe également. La forme recouvrée, ses mains guéries, peut-être pourrait-il les rejoindre alors si le groupe n'était pas encore mort à ce moment-là.
Dorian avait laissé les Orangs emporter Arkas. Pour sa survie. Pour sa vie.
Mielle était jeune. Mielle était frustrée que le groupe n'attende pas Arkas. Elle avait l'impression qu'ils trahissaient Arkas. Eux. Leur groupe, qui l'excluaient tout bonnement.

- Pourquoi ? avait-elle lancé au vieux Dorian.

Celui-ci avait souri. Il avait osé lui sourire et et ne rien répondre alors Mielle avait haineusement préparé ses affaires. Elle avait salué cependant avec respect ses amis Orangs qui l'invitèrent à revenir les voir, un jour, en cette contrée caillouteuse.

Mielle s'était ensuite mise en chemin. Elle était derrière Dorian, à côté de l'enfant. Ils marchaient rapidement, sans un mot. Elle de toute façon, ne parlerait pas. Trop de déception venant de la part de Dorian, pour l'instant. Avant que ses lèvres, que sa voix ne se remette en marche, il faudrait du temps.

Dorian se tenait droit face à la petite assemblée. Mielle, toujours les yeux furieux et réprobateurs semblait vouloir le désintégrer du regard. Dorian semblait vraiment s'amuser de la situation. Son existence avait été fort tourmentée déjà. Cela avait en partie affecté son humour et altéré sa vision des choses. Ainsi, si les derniers évènement lui semblaient plus que cocasses, ses compagnons le prenaient plus pour un fou. Ils étaient tout juste remis de l'âpre combat, le sang des leurs tout juste nettoyé, les plaies encore brûlantes. Et lui, Dorian, il riait. A gorge déployée. De plus en plus sans pouvoir s'arrêter. Il semblait avoir franchi cette étroite ligne qui le séparait de la folie depuis de nombreuses années. Les autres le regardaient, incrédules.

Il avait ri aux larmes, mais il n'eut aucun besoin de les essuyer, elles avaient eu vite fait de s'évaporer, par cette chaleur. Il se redressa d'un coup. Son regard était plus dur. Presque effrayant. Un rictus déformait son visage. Il s'adressa à ses compagnons d'une voix rauque, après s'être brièvement raclé la gorge :

-Pauvres fous. Vous avez suivi Arkhas. Et le voici maintenant qui ne pourra mener à terme cette expédition. Le voici qui ne pourra tenir ses promesses. Asseyez-vous, tous.

Son ton était autoritaire, presque menaçant, et chacun s'exécuta, même Mielle qui pourtant avait un très grand ressenti pour Dorian. Hezeriel ne broncha pas, mais il faut dire que, lui, était déjà assis. Dorian commença à marcher autour d'eux, à passer entre les rangées de ses compagnons, tout en débitant la suite de son discours, quelque fois haché par des toussotements et des grondements de poitrine.

-Vous savez, vous avez, tout comme moi, suivi un homme qui vous a promis la fortune. Pas la gloire, ceci est un concept réservé aux faibles. Chacun l'a appris à ses dépens à un moment de sa vie. Moi le premier. Et maintenant, vous voici loin de chez vous, les promesses envolées, et toujours sans le moindre sou. Cela est-il juste ? Non. Arkhas n'est pas totalement responsable. Ce n'est pas lui qui a voulu, par grandeur d'âme, aider ces gens. Lui, il voulait surtout nous permettre de récupérer de la première attaque. C'est Mielle le premier qui a voulu nous donner de l'empathie. C'est Mielle qui a voulu nous ouvrir les yeux sur leur misère, à nous autres pauvres mercenaires. Mais il n'est pas non plus responsable. Personne ne l'est. J'ai été le premier à vouloir défendre ces pauvres gens. C'est bien le problème voyez-vous. Une fois les yeux ouverts on ne peut plus les fermer. A l'avenir, mes braves, ne témoignez plus d'aucune empathie, car elle mène à la souffrance, en des terres comme celles-ci, une souffrance nullement récompensée, à moins que vous considériez que des provisions pour une semaine soient un dédommagement suffisant pour la perte de nombreux hommes.

Il respira longuement. Chaque homme l'écoutait. Personne ne bronchait ou ne semblait respirer. Certains s'étonnaient aussi car le vieux Dorian n'était jamais aussi loquace.

-C'est pourquoi, mess frères, je vous propose un marché. Je suis déjà venu, en ces lieux. Ce désert inhospitalier a une fin. Une fin qui nous mènera à la richesse peut-être, à la mort sûrement. Mais cela vous le saviez déjà en acceptant le marché d'Arkhas.

Il tapota sa tunique, fouilla dans une poche profonde pour en sortir quelques rouleaux de papier, papyrus ou parchemin Les hommes ne pouvaient vraiment en discerner la texture, leur vision gênée par le sable.

-Arkhas était en possession de cartes pour nous mener à la richesse. Me les a-t-il données ? La réponse est non. Sont-elles en ma possession ? La réponse est oui. Tout cela a bien peu d'importanc, après tout. Si comme moi vous cherchez la richesse, et ne croyez plus en le salut de votre âme, suivez moi ! Je vous conduirai à la richesse, par delà les dangers du désert ! Alors, me suivrez vous ?

Les cris des hommes, presque galvanisés, enivrés par ses paroles, retentirent. Oui peu leur importait le meneur. L'argent. L'or. L'airain. Ce sont les vrais valeurs du mercenaire. Dorian arborait un sourire de plus en plus grand presque un sourire carnassier et manipulateur. Mielle frissonna. Hezeriel hocha la tête d'un air presque impressionné. Finalement, les pions écartés, les pièces de l'échiquier allaient pouvoir entrer en jeu.

Enfin. L'enfant souriait. Ses yeux brillaient des présages des combats, et des découvertes à venir. Il se moquait de l'argent, des pillages, de tout ce qui faisait rêver les mortels ; lui voulait rencontrer, découvrir, comprendre ce qu'il n'avait pas encore compris. Bien qu' assis, feignant comme toujours une vague indifférence, le discours de Dorian l'avait enthousiasmé. Oui il pouvait hocher la tête, ça allait être joyeusement excitant.

D'un bond, il se releva et sentant l'orage de plus en plus proche, de plus en plus invasif, il sourit, et se dirigea droit vers lui en criant à qui voulait l'entendre :

- C'est par là !

Et il s'élança. Quelque soit la route, le chemin, le temps et ce qui les attendaient, il suivrait. Il y a mille manière de mourir dans cet désert, et il voulait les tester toutes.