Voyageuse

J’étais voyageuse des turquoises et je les mêlais aux mauves. Les facettes lumineuses me cernaient de toutes parts dans cette nuit sans nom. Le souffle oppressé, je les réunis entre mes mains pour tenir un cristal immense, et je laissai battre mon cœur aux coups répétés du gong qui appelait la transe.
D’où me vint la volonté de serrer la pierre contre mon sein pour la sentir vibrer ? Quelle force me permit d’étrangler si fort le joyau qu’il volât en éclat ?

Cristaux de vie, semés dans les ténèbres de la fatalité, ils pleuraient les larmes de la destinée. Sans rage ou acrimonie, leur sang fut versé pour te nourrir afin que tu sois née. Toi, ma sœur miroir d’une autre vie, tu aurais pu être ange ou simplement amie. Tu étais belle, auréolée de lune alors que ta blondeur habillait ton corps nu, immaculé. Ta chevelure, brillant d’un feu pâle, se répandait en un long chemin luminescent. Et je l’empruntai sans crainte de m’égarer, pour vagabonder jusqu’à moi.



J’étais voyageuse des champs d’étoiles. Les astres comme coquelicots envahissaient l’horizon obscur. Ils allumaient des feux comme fleurs aux ténèbres. Je respirais à peine pour ne pas les souffler et gardais dans mon cœur les battements incessants d’une percussion qui sonnait le tocsin.
D’où me vint le désir d’enfermer dans mes paumes un des fruits de soleil ? Quelle force m’obligea à porter, du bout des doigts, la bogue sauvage et brûlante ?

Virtuose de l’Art, la Nova, tenue entre mes mains, se fit miroir des âmes. La colère enrobait les pensées et leurs cris sourds et muets contrariaient mon humeur. J’en avais presque peur, aussi je la lâchais et elle roula, entrainant dans sa ronde d’autres feux pour en faire un bouquet. Je profitai du chemin de noirceur que la roulade m’ouvrait et j’écartai la peine pour ne pas m’égarer et tenter de parvenir jusqu’à moi.



J’étais voyageuse de solitude, j’avançais, perdue dans le Néant. Je vis d’abord ses yeux, billes de verre ardent, vif argent qui perçait la noirceur par son regard si franc. Puis j’aperçus ses crocs aussi longs que poignards sur une face de rat. J’appréciais sa fougue à dévorer sa proie, crochetant dans la viande avec joie et fracas. Son appétit comblé, il me dévisagea.
D’où me vint le caprice de le saisir aussitôt ? Quelle force me tenta de faire de lui un guide qui ne me quitta plus et s’attacha à moi ?

Boule de fourrure au contact de mon cou, nous parlions sans nos voix. Si près de mon oreille, il conseillait ma fuite et osait me mener vers les silences de mon cœur. Lorsque fatiguée d’avoir déjà tant marché, je me lovai sans bruit, il était là je crois, dans le miroir du temps. Et nos corps enlacés, prêts à naitre, multipliés dans l’infini des songes, furent recouverts du voile de la lumière. Alors, je m’égarai et je revins à moi.