L'appel du temps

Jour 1

L'anneau du mage esclavagiste désormais en ma possession, je me rends dans les terres désertées pour y accomplir mon rituel. J'ai décidé de prendre quelques notes qui me seront utiles, je l'espère, par la suite.

Jour 2

Mon périple a débuté, morne et solitaire. Je viens de quitter la dernière zone habitée avant longtemps. Les visages chaleureux des hommes vont me manquer. Les cavernes pourpres ne sont pas des plus hospitalières.

Jour 3

Une multitude de gerbes d'eau s'écrase en contrebas des chutes. Cette beauté bleutée et irisée m'arrête quelques instants. Je pense aux zones arides et stériles à venir...

Jour 5

Arrivée dans les terres désertiques et désertées. Le mal du temps semble me guetter. Plus aucun bruit ni chant d'oiseau ne vient troubler la triste quiétude de ce paysage désolé. La végétation ne peut prendre ni reprendre ses droits dans cet océan de sable impitoyable. Brûlant est le soleil sur ma peau exposée. Agressif est le sable qui fouette mes chevilles. Cruel est le vent transformant l'air en tempête. Je m'abrite entre deux rochers attendant que cela cesse.

Jour 7

Deux jours fiévreux à délirer dans mon abri de fortune. Mon enveloppe humaine est sensible aux maux, à la faim et à la soif. Le mal du temps m'a rattrapé. Quelques herbes m'ont permis de me relever. Je payerai l'usage de ses drogues plus tard. Peu importe, me voilà debout. J'atteindrai les cavernes pourpres au crépuscule.

Jour 10

Cavernes monumentales, abîmes insondables, m'y voilà engouffré. Mon écriture chancelle avec tout mon être. L'obscurité ravive mes sens mais éteint mon esprit. Cette obscurité qui a bercé ma vie, qui est tantôt mon alliée, tantôt ma rivale. J'espère qu'elle sera avec moi, tout du moins pour les jours à venir.

Jour 12

Me voici devant la porte. Chaotique. Sertie d'ambre. Démoniaque. Rougeoyant dans la pénombre. Les mots qu'il me faut, seul un enfant les connait. Un enfant que j'ai vu en rêve. Je vais le convoquer. J'espère que le rituel décrit dans les vieux écrits que j'ai subtilisés sera efficient. Je vais vite le savoir.

Jour 12 (bis)

L'enfant est devant moi. Encore endormi au milieu du pentacle. Il affiche la sérénité gracieuse d'un enfant de son âge. De son âge... Mais quel âge a-t-il ? Peu importe. J'attendrai qu'il se réveille. Je me demande s'il m'a déjà vu en rêve. Si nous ne sommes que de simples pions d'une prophétie bien plus alambiquée. Si nous ne servons pas notre propre intérêt mais bien un aspect plus global et plus grand. J'ai du lire trop d'écrits. Ma vue se brouille. Mes yeux sont fatigués. Je vais dormir un petit peu, l'enfant ne se réveillera pas avant de longues heures.

Jour 1

Mi.
Marche et brillent les étoiles dans les cieux d'univers.
Phénix traverse les Néantes à grands coups d'ailes, les plumes lissées par le vent qui se forme.

Jour 2

Ré. Vent.
Rêvant.
Phénix voyage. Toujours. En vol.
Phénix a fait un tour des Néantes avant d'aller observer quelqu'âmes humaines et magiques du Monde Commun.
Le Ré-vent, c'est le vol du Phénix.

Jour 3

Phénix hume les parfums de la Terre. L'eau qui s'échappe des profondeurs terrestres pour goûter aux couleurs offertes par le soleil. La lune.
Un do grave. Un do de terre.
Brume d'odeurs qui se mélangent.
Puis la sienne. Odeur du Djinn. Déjà vu.
Phénix est curieux. Phénix change légèrement sa direction puis suivre sa Trace d'âme.

Jour 4

La.
Humidité qui vole du corps. Qui monte dans l'air. Les goutes flottent.

Jour 5

Sol.
Le soleil lèche les plaines les dunes qui courent. Partout. Partout.
Le désert brûle les nuits de ses chants de jour. Le sable qui crisse. Les humains du désert qui y vivent tracent dans l'air des notes et tintements de leur quotidien. La vie qui parle et qui construit des histoires de voyage. Des humains qui voyagent. Des âmes-sages qui savent des choses que peu savent.
Parfois Phénix les regarde et ces humains le regardent en retour. Et dans le regard il y a le monde. Le monde qui parle. Des discussions de sages qui savent parler en regards.

Jour 6

Humains du désert partis. Ailleurs. Il sont comme le Phénix. Ils n'ont pas de maison à proprement parler. Ou plutôt, le monde est leur demeure.
C'est ainsi.
C'est un si. Pour construire des idées des couleurs des images des langages.
Rencontre.
Rencontre l'univers. N'oublie pas de lui parler comme les humains font, souvent.

Jour 7

Phénix vole. Plus doucement. Prend son temps. Mets en mémoire chaque image et toute son intensité. Pour ne rien oublier. Jamais rien. Va Phénix, Fa !

Jour 8

Phénix ouvre le bec en son vol
pour croquer l'air qui rigole.
C'est un ré, c'est rire : air qui rentre et qui sort.

Jour 9

Phénix vola si vite que Djinn ne le vit pas le survoler.
Phénix, tout en douceur, se pose sur une branche qui bouche une anfractuosité de la caverne. A proximité de l'ouverture, il attend. Patiemment. Écoute ce Monde parler. Voit les couleurs s'assombrir puis s'éteindre puis se peindre de blanc. Lune en bulle dans le ciel. Sol de lune. Donc, neige.

Jour 10

Phénix regarde Djinn qui arrive. Pénètre dans la caverne dans une état que l'on qualifierait humainement délabré. Mais Djinn n'est pas humain. Alors il est autre. Autrement.
Phénix volette en retrait du Djinn.
Camouflé. Bruit trop léger pour s'entendre. Même à l'oreille d'un Djinn.

Jour 11

Là, la.
Djinn avance sans repos. Il est solide.

Jour 12

Phénix observe. Son œil malin rit.
Humains, êtres magiques n'ont jamais su parler dans l'univers. Toujours ils doivent s'atteler à des procédures compliquées pour lui faire tendre oreilles. Pourtant, il suffit d'écouter. S'ils connaissaient mieux leurs âmes, ils sauraient tous l'appeler sans bruit. Sans amplifier à outrance les appels.
C'est que tout l'univers va encore écouter.
Trop de bruit. Beaucoup trop. C'est un si. Strident. Indélicat.
Il faut laisser de la place aux autres univers. Aux autres Néantes.

Jour 13

Derrière Djinn, Phénix a pris une forme humaine pour pouvoir parler sans écorcher les oreilles d'univers. Phénix parlera humain, voilà tout.
Phénix est donc Miel. Le petit enfant qui marche pieds-nus habillé d'une simple tunique beige. Ses yeux ronds fixent Djinn :

- Tu m'as appelé. Parle moins fort, tu réveilles les Néantes.

Des empruntes de sol dans la voix.
Nul agacement pourtant dans le corps qui ne parle pas. Juste le regard. Ce regard étrange.

- Que veux-tu donc ?

Le Djinn se retourna. L'enfant endormi avait disparu. Pâle illusion, vite remplacée par cette vision, tellement réelle qu'elle lui faisait plisser les yeux. Devant lui, Miel, l'enfant. Ou, plutôt le phénix. Ou, l'incarnation de l'un dans l'autre. A moins que les deux ne forment qu'une seule entité. Son esprit s'embrouille. Ses pensées sont confuses. Désemparé, il met un genou à terre pour être à hauteur de l'enfant, et le serre dans ses bras.

-Tu es venu, phénix millénaire chuchota-t-il. Ma joie est si grande que je ne sais plus que dire. Enfin, si, merci à toi.

Le Djinn se releva et adopta un regard soucieux. De nombreuses pensées lui traversaient l'esprit. Il ne fallait pas traîner, et ces effusions sentimentales ne lui ressemblaient guère. Son esprit affaibli par la maladie avait du en prendre un coup.

-Phénix, il me faut retrouver mon âme. Je suis une coquille vide, tel que tu me vois. Qu'est ce qu'un génie sans lampe ? Une bonne question. Je ne suis plus rien, je n'ai plus d'identité, plus de consistance. Je dispose de mon libre arbitre hors de mes autres incarnations, je suis... déconnecté du reste de mon monde. J'ai besoin de toi, pour m'assister, pour me guider. Je suis perdu.

Dans l'obscure caverne, un visage s'éclaira. Celui d'un enfant. Celui de Miel.

L'enfant ne bougea pas et laissa le Djinn s'exprimer.
Miel sentit le parfum du soulagement, de l'inquiétude exploser par goutte dans l'air à respirer. L'enfant observa les habits rapiécés de l'être magique voler doucement en fonction de ses mouvements. On aurait dit des plumes qui atterrissent en sol terrien. Avec douceur dans le bleu. D'ailleurs, ces habits fût un temps étaient peints d'une prestigieuse couleur. Que le temps de la lampe perdue avait ternie en sombre poussière et couleur terre qui colle. La pluie, peut-être. Peut-être qu'il avait rencontré la pluie dans ses chemins sans lampe. Sans abri. Sans demeure de cuivre.

L'enfant le laissa l'étreindre. L'action semblait l'apaiser, lui donner sorte de satisfaction qui lui délie la langue en requête d'âme magique à âme magique. Il se dégagea de son étreinte.

- Sais-tu ? Chaque forme a un nom. Enfant, je suis Miel.

Le petit visage regardait Djinn sans sourciller. Il se voulait clair.
Dans le regard, un échange.
Djinn savait qu'il était phénix mais devait respecter le nom des corps : le phénix, Lumeï et l'enfant, Miel de ceux qu'il connaissait.

Rapidement, le Djinn prononça :

- Phénix, il me faut retrouver mon âme. Je suis une coquille vide, tel que tu me vois. Qu'est ce qu'un génie sans lampe ? Une bonne question. Je ne suis plus rien, je n'ai plus d'identité, plus de consistance. Je dispose de mon libre arbitre hors de mes autres incarnations, je suis... déconnecté du reste de mon monde. J'ai besoin de toi, pour m'assister, pour me guider. Je suis perdu.

L'enfant se gratta la tête pour faire comme les humains lorsqu'ils réfléchissent. Ses cheveux étaient de toute façon complètement ébouriffés. Et à vrai dire, Miel s'en fichait bien de se coiffer, de se décoiffer ou autre chose bien inutile.
Puis, un immense sourire fendit son visage.

- Si tu me proposes un voyage, alors je te suis, s'exclama-t-il tout guilleret.

C'est tout ce qu'il répondit.
Il se dirigea alors vers Djinn en sautillant, reprenant une allure enfantine et lui donna une accolade au niveau du bas de son dos. Car n'oublions pas que Miel était un enfant. Petit qui plus est.
Avec curiosité il demanda :

- Sais-tu où est ta lampe, Djinn ? Car pour trouver, il faut chercher. Et pour chercher bien il faut savoir, un peu.

Le regard interrogateur de l'enfant était de ceux qui avancent prudemment. Où le point de départ commence même par d'erratiques informations.

-Un voyage ? Une errance plutôt. Ne t'attends pas à une partie de plaisir, enfant. Cette porte démoniaque ne nous apportera aucune joie. Les tourments infernaux vont nous engloutir dans leur obscure noirceur. Non, décidément, voyage n'est pas un mot approprié.

Les flammes cyan de ses yeux dansèrent dans ses orbites. Ses doigts faisaient s'écouler le sable et la poussière vers le sol. Comme s'il égrenait le temps. Il respira longuement, puis ferma les yeux. Énigmatique il se tourna vers l'enfant :

-Un chant de mon peuple dit que les génies ignorent la peur. C'est vrai. Les génies sont très ignorants. Ils détiennent un savoir absolu et incontesté qui leur est propre. Mais ils ignorent tant de choses. Cette quête sera une quête initiatique. Une renaissance. Un renouveau. Quoi de mieux qu'un phénix, ou du moins son incarnation charnelle pour m'accompagner. Je cesse, à présent, face à mes yeux, tu seras Miel. enfant malicieux aux mille visages.

Il s'approcha de la porte, et psalmodia quelques mots dans une langue aux accents sourds et amers. La porte chancela, elle se troubla, pour laisser la place à un portail aux couleurs violacées. Sa destination invisible n'apportait nulle promesse.

-Enfant, il est temps de continuer. Tout du moins de commencer. Je t'emmène en un lieu où nous trouverons des réponses à nos questions.

Il franchit le vortex.
Violet.
Glacé.
Contraste saisissant avec la chaleur de sa peau d'ébène.

Jardin enneigé dans la nuit étoilée. Ce lieu est tout autre que celui qu'ils viennent de quitter. Des onguents laissés sur une table au milieu du jardin semblent les attendre. Le Djinn s'en empare vivement, et prononce à nouveau ces mots couleur de sang. Vortex. Insaisissable. Les voilà de nouveau dans l'obscure caverne. De l'autre côté de la porte, cependant.

-Engouffrons-nous dans ce volcan. Je vais ouvrir la marche.

La parenthèse enneigée à peine refermée, eur épopée pouvait débuter.

L'âme de l'enfant recevait les mises en garde du Djinn ainsi que le petit historique de sa peuplade avec curiosité.

- Ah, ton peuple...

Visage illuminé par la flamme bleutée. Des yeux qui brillent et qui percent à comprendre le sens. A s'immicer dans les mots.
Le Djinn parle. Il raconte à la façon des conteurs, des marionnestistes. Artistes de voyage. Le Djinn aussi a son parcours. C'est ainsi qu'il conte son histoire. Ou plutôt, celle des siens.
Cependant, parmi ces informations offertes par les sons. Par un chant. Djinn omettait un élément important que l'enfant voulu mettre lui même en mots :

- Djinn. Quand tu renaîtras, je renaîtrais aussi. L'issue de mes voyages est toujours la mort.

Il n'en dit pas plus. Mais Djinn savait que Miel était le phénix. Dans son air sérieux et curieux de chaque mort, probablement ; se glissait la renaissance à suivre. Perpétuelle. Ce cycle phénixien.
L'enfant observa son compagnon œuvrer en sortilège d'une magie particulière d'un peuple particulier.
Il sentit l'air glacé lui dévorer la peau. Lui caresser l'âme. Une glace poignante et silencieuse dans sa douceur de temps. Puis, un paysage devant les yeux qui naît qui est, devient un monde à parcourir. Quelques flocons glissent sur la joue de l'enfant. Il y pose sa main à attraper la pluie souple et épaisse.
Puis, quant à celle du Djinn, décharnée, inhumaine ; elle ouvre la porte. Dans un grincement de vieillesse. Porte à gonflé de la glace dans l'air. Porte a séché de l'autre côté, volcanique.
Une vague de chaleur sur la glace, un court instant. La tiédeur presque excessive du volcan semblait s'insinuer dans toutes ses galeries, son ventre immense. Sans fin connue. Cela, c'était facilement supposable.
L'enfant sourit. Parce qu'il aimait les mystères. Les voyages. L'inconnu à dessiner soi-même.
L'enfant sourit. Parce qu'il aimait les volcans. Nid de phénix. Quelque part. Dans une autre Néante.
Miel ne se fit pas prier. Il pénétra dans cette galerie à la roche brune. Il voulait voir quelle allure avait ce soleil sous terre.

- Tout est à découvrir, de toute façon, marmonna-t-il imperceptiblement.

Mais l'ouïe du Djinn était fine. Et il rit. Son rire était intrigant. Un peu grave. Tout droit sorti d'une caverne. Du fond des âges qui vivent et regardent le monde quand il grandit.

La neige se transforma en cendres qui pleuvaient par bourrasques, parfois.
La tiédeur devint chaleur. Presqu'étouffante.

L'enfant s'adressa à la créature de la lampe :

- Tu nous fait courir les extrêmes, Djinn.

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