L'enfant perdu [RP public]

Un grand silence régnait, un silence aussi vide que l'insomnie, pas même un chuchotis.
Mais parfois, quelques images, confuses, sans liens, du blanc, du noir.
Puis plus rien.


C'est avec un énorme mal de crâne que l'enfant se réveilla ce jour-là. Cela faisait plusieurs jours qu'il était là, assoupi, les pieds dans le lac, le reste sur un lit d'herbes et de feuilles. Trois jours exactement, avant que le silence qui régnait en lui fit progressivement place au doux clapotis de l'eau et au chant calme du vent. Doucement, il quitta son monde sans son pour un autre qui en était rempli. Une lumière vive filtrait à travers ses paupières, qui ne suffirent plus à garder son esprit dans un état de somnolence. Il se leva donc, l'air mécontent, se frotta les yeux, s'étira comme un chat, baya comme un ours. Il regarda un moment devant lui, laissant le temps à sa conscience de revenir.

Un moment passa.

Rien.

Il ne se souvenait de rien. Rien le concernant.
Hein ?
Ses traits se figèrent dans la stupeur, le regard écarquillé, le corps tremblant, paniqué.
Je ne sais pas qui je suis!

Il avait fouillé partout, le moindre recoin des environs, mais rien, pas le moindre indice sur sa provenance. Pourtant, certaines légendes racontent bien l'histoire de ces enfants qui sont capturés par des êtres de féerie ou des habitants de planètes étrangères. Mais ils ne perdent pas la mémoire dans ces cas-là.
Et puis cela n'avait aucun sens !

Il respira un bon coup, tenta de retrouver son calme.

Bon ! Qu'est ce qui est vérifiable sur moi ?

Il s'approcha du lac, observa son reflet. La première chose qui le frappa, fut la blancheur qui semblait le caractériser. Tout de lui était blanc, sa peau, ses cheveux bien trop longs, ses vêtements. Tout sauf ses yeux, qui étaient semblables à ceux d'un reptile, d'un jaune doré.
Je ne suis pas un humain, ni aucun membre d'une des races que je «connais». Je ne suis pas bien vieux, j'ai l'air d'un enfant de 12 ans, ou peut-être 13. Mais comme je ne sais pas ce que je suis, je ne peux pas trop me focaliser la-dessus, ce n'est pas vérifiable.

De ses mains, il attrapa une de ses longues mèches, observa sa longueur, mais s'en lassa rapidement pour se retourner vers son reflet.

Qui suis-je ?

Son reflet lui renvoya son interrogation, l'air tout aussi perplexe.
Puis, un nom, un seul, sembla s'imposer dans tout son être, comme une évidence.

Lessandre
Je m’appelle Lessandre.

Son attention fut ensuite attiré par un insecte qui volait bien bas. L'enfant se redressa, regarda le ciel. Le vent venait de tombé et un lourd nuage commençait à se former, au loin.

Et merde, il va pleuvoir.

Ca faisait vingt jours qu'il errait dans les plaines belthiliennes. C'était la saison des pluies et le vieil Hugo avait toujours apprécié de se promener sous l'ondée. Il y trouvait souvent l'inspiration, dans son passé d'écrivain, et il trouvait que ces gouttes avaient quelque chose de poétique. Il les considérait comme rien moins que l'encre du ciel, qui venait tracer sur la terre le chemin de nos vies. Et lorsqu'un long sillon venait caresser ses joues, il souriait en pensant à la longue vie qu'il avait eue, et qu'il continuait d'avoir.

Son chien, Kaz', l'avait abandonné après trois jours de jeun. Hugo l'avait volontairement poussé à partir pour que lui aussi, profite un peu de cette liberté qu'offraient les plaines. Ils se retrouveraient sur le chemin, quand les muses le voudraient.

Chemin faisant, il fredonnait une vieille comptine, en s'approchant d'une ombre qu'il discernait au loin: ses pas le guidaient visiblement vers un inconnu.

Il resta un moment à regarder le ciel, avant de lâcher un soupir. Le nuage avait maintenant pris plus de place, recouvrant le lac qui perdit sa couleur bleuté pour un gris plus foncé. L'enfant s'avança plus, s'immergea dans l'eau jusqu'aux genoux. Puis, il lança à son reflet un regard de défi.
-Tu m'a répondu pour le nom. Répond à mes autres questions.
Il crut lire sur son reflet une expression d'attente, comme si cet autre lui n'attendait qu'une nouvelle question pour y répondre.
-Qu'est-ce-que je suis censé faire ici ?
Mais bien sûr, il n'y eu aucune réponse, aucune nouvelle voix ni aucune nouvelle phrase ou nouveau mot pour remonter le long de sa conscience. Exaspéré, il ramassa subitement une pierre à ses pieds et menaça son reflet.
-Parle... LESSANDRE !! PARLE !!!

Il la lança de toutes ses forces sur le visage de son autre lui.
Il se laissa ensuite choir, brouillant plus encore son reflet dans l'eau. Puis, petit à petit, des petites gouttelettes tombèrent, d'abord près de lui, puis sur le reste du lac. Lessandre dissimula son visage dans ses bras.

Il laissa le froid du lac calmer son esprit, se concentra sur les petites sensations que lui procurait la pluie coulant le long de son visage, du poids de ses vêtements alourdi par l'eau. Il inspira longuement, garda l'air quelques instants dans ses poumons avant de tout expirer d'un seul coup. Il ne put s'empêcher de sourire, tout cela lui évoquait quelque chose de nouveau et tant désiré. Il était vivant, ça il en été sûr.
-Mais jamais je ne connaîtrais mes réponses comme ça, pas par moi.

Il passa sa main sous l'eau, joua doucement avec les ondes qu'il créait. Jusqu'à ce qu'il les entendit, ces pas qui se rapprochaient de lui.
D'abord méfiant, Lessandre se contenta de ne plus emmètre le moindre mouvement, se concentrant sur ce bruit, répétitif. Lorsque ce fut assez proche de lui, il se leva et se tourna vers l'inconnu, lui faisant face comme il pouvait du haut de son mètre quarante-cinq.
Ce sera donc lui la première personne que je verrai ici ?
Il le détailla du regard avant de le regarder droit dans les yeux, très intrigué.
-T'es qui ?

Décidément, ce bonhomme avait l'air bizarre. Depuis qu'il l'observait, chemin faisant, Hugo avait noté plusieurs faits incongrus: l'illustre petit gars barbotait dans le lac, il semblait passablement s'énerver sur quelque chose qui figurait dans l'eau, et apprécier la froideur des pluies. Un drôle de garçon qui promettait une charmante rencontre, il en était sûr. Et pour preuve:

- T'es qui?

Hugo répondit d'abord par un sourire énigmatique, qui traduisait à moitié l'amusement, à moitié la provocation. En guise de réponse, il rétorqua:

- Et toi, gamin, t'es qui?

Le vieux conteur avait la peau un peu parcheminée, des yeux noirs, des lèvres noires, des ongles noirs. Mais de toute sa hauteur relative (le grand âge y était pour beaucoup), il irradiait une bonne humeur et une arrogance telle qu'on ne pouvait pas ne pas la deviner. Aussi n'était-il donc guère étonnant que le vieillard refuse de répondre à une question aussi inquisitrice relevant presque d'un ordre, surtout venant d'un gamin. Néanmoins, son regard restait plus rieur qu'agacé et montrait qu'il prenait plaisir à ce petit jeu qu'ils venaient d'inventer tous les deux. Autour d'eux, la pluie aussi semblait s'amuser, et frappait le sol en rythme comme on applaudirait au spectacle.

-Et toi, gamin, t'es qui ?

Cette question le surpris, cela se lisait facilement sur son visage.
Il croisa les bras et fronça les sourcils, sur la défensive.
Qui il était ? Ça il aimerait bien le savoir, mais il n'avait pas cette chance, malheureusement.

Il remarqua le regard rieur et un brin provocateur de l'inconnu et eut la désagréable sensation qu'il se moquait de lui.
Mais pour qui il se prend celui-là ? se disa-t-il, sans penser une seconde qu'il ai pu se montrer lui-même très impoli.
Il toisa de nouveau l'inconnu, le détailla en relevant un de ses sourcils. Il s'attarda sur ses ongles, sa bouche et ses yeux noirs. Tout cela ne semblait pas provenir d'un quelconque maquillage. Mais il n'aurait su dire si c'était des caractéristiques propre à une race qu'il ne connaissait pas, ou si c'était ce vieillard qui était bizarre pour un humain... s'il était vraiment un humain. De toute façon, il n'avait rien à ajouter à ce sujet-là, lui-même ne semblait pas en être un.

De mauvaise grâce, il se décida enfin à répondre d'une toute petite voix:
-Lessandre

Son regard se fit fuyant, sombre, les sourcils aussi froncés qu'ils pouvaient l'être, les joues rougissantes du gêne et de la frustration de ne pas en savoir plus sur lui-même. De quoi avait-il l'air maintenant face à ce vieillard, incapable de répondre correctement à une question qui aurait dut être si simple. Et puis pourquoi lui avait-il posé cette question, comme ça, sans prévenir? C'était lui qui avait demandé en premier.

Il secoua brusquement la tête pour se débarrasser de sa honte et de l'abattement qui commençait à poindre le bout de son nez. Son regard se fit plus dur, ses pupilles plus fine, accentuant leur aspect inquiétant.
Hors de question de perdre la face devant ce type.

D'un geste de la main, il désigna la clairière dans son entièreté.
-On est où ? Tu le sais ça ?
Puis, recroisant les bras.
-Ou alors vas-tu me poser la même question ? rajouta-t-il avec un sourire en coin, ouvertement provocateur.

Le vieillard souriait jusqu'aux oreilles. Ce gosse était une vraie pièce de théâtre rien que sur son visage. Visage qui n'était pas humain et qui aurait pu mettre mal à l'aise bon nombre de personnes, au demeurant. Mais le conteur, lui, n'y voyait que de la fascination.

Il finit par cracher le morceau et il en fût content. Il répondit alors:

- Je suis Hugo. Lessandre me suffit pour l'instant, petit mec, alors te fais pas de bille, d'accord?

Il regarda à gauche, à droite, en l'air, puis au sol, et hésita avant de répondre au jeune garçon:

- Quant à savoir où on est... Je dirais entre ici et nulle part, non loin de Belthil, j'imagine.

Il avait les yeux rieurs et aimait provoquer gentiment ce petit bonhomme. Mais il se demandait tout de même ce qu'il pouvait bien faire là...