Hey petite,
J'veux travailler dans l'enfance, la petite enfance. S'occuper de plus jeunes que moi, éduquer des plus naïfs que moi. Parce qu'il y a trop de gosses qui sont forcés de travailler dans l'enfance, la petite enfance. A la base c'était pas une vocation, même pas une évocation, mais il a bien fallu échapper à ma propre révocation. On nait pas doué, on apprend toute sa vie ce qu'on va être et ce qu'on fait. Moi j'voulais savoir ce que j'faisais, un peu comme un aveugle qui avance à taton, j'ai pas vu l'caniveau, alors j'me roule dedans, m'écorches les genoux et crie dans la boue. Faut pas compter les bleus, sont près de trente par classe. Faut pas compter les bosses, pas celles des maths car maintenant faut instruire la vie, faut écouter les sages avis, à vie. J'voulais dire que j'allais donner aux autre la chance que j'ai pas eu, mais ça n'avait pas de sens, c'était l'creu du sonotone.
Mais ma garce, t'avais les yeux bleus de trop pleurer, t'avais les yeux bleus des amoureux. T'avais neuf ans et déjà mal aux dents, mal aux gencives, mal aux gens si vénaux, ceux qui t'accrochent par l'étiquette sur le porte manteau de l'éducation nationale. Fallait pas croire tout l'monde, sont pas tous là pour toi, certains mangent même des doigts. Tu connais l'chemin ceci dit, c'est si simple, si facile. Quand t'es dans la petite enfance, t'as pas les yeux des grands, ceux qui posent au pupitre de ton sourire l'encrier de leur avenir. Cet avenir, cet avenir qui va venir te cueillir comme on cueille les pommes d'un trop grand pommier, avec distraction à côté du panier. Ma p'tite enfance t'es mal léchée, t'avais les traits d'la panacée, mais c'est dans le purin que t'es tombée.
Ah Papa,
Papa, mon petit Père, t'es pas très doué. J'entrais à peine dans la cour de récré que tu étais déjà à cours des vraies craies qui permettent de poser sur le tableau plus que des additions. C'est votre addition qui va être salée, et c'est moi qui vais la payer. Je n'aurais pas suffisamment, surement, de toutes mes dents pour croquer la vie. On est tellement endettés, tellement édentés. Quand je regarde au dehors, de l'école, ce n'est pas le paradis qui éclot, car celui-ci est clôt. Dans mon existence, ma petite existence, j'attends des phrases et des pistes, des chemins à suivre. J'attends que ce qui fait que je fais ce que je fais s'attarde un moment à mes côtés, ne serait-ce que pour m'expliquer.
Mais Papa, mon petit Père, te voilà qui prend ce drôle d'air, est-ce une facture que ton regard lit ? Car ton allure se délit au fur et à mesure que tes yeux voguent sur les lettres imprimées de ce filigrane impersonnalisé. Laisse moi me pencher sur ce papier et d'un coup d'un seul brûler ces additions, ces addictions qu'ont les grandes personnes, celles qui pensent qu'elles peuvent me penser. Parce que lorsque tu as le regard perdu comme maintenant, dans le cosmos d'un autre espace, à fuir ce que nous sommes à sommeiller ce qui nous suit, j'ai ce besoin de me presser contre toi, de te dire que tu seras toujours là pour moi, qu'au final c'est plus toi -Papa mon petit Père- qui a besoin de voie, de moi.