[Background] H.

H.

« Les archives dans lesquelles ont été retrouvés les notes concernant l’histoire du sujet ont, pour la plupart, étés endommagées. Ainsi, j’ai du, en tant que conteur, réécrire certains passages, entachant malheureusement les textes originaux de mon style, afin que la geste soit complète. »

L’Auteur.

I.

« Les événements décrits dans les notes suivantes se passent à plusieurs époques différentes. Dans un souci de clarté, vous retrouverez au devant des chapitres nécessiteux les annotations concernant la localisation temporelle de l’histoire. Il demeure néanmoins important de savoir que le Cycle du Vaestas se déroule dans des temps anciens, n’ayant ainsi aucune incidence sur l’histoire actuelle. Le Cycle d’Ishtar et ses dix décans, quand à eux, sont les premiers prédécesseurs de l’Aube du Del Rivhen - Comprenez par là qu’ils s’apposent juste avant cette dernière dans le Calendrier du Crépuscule. »

-

« Par delà le grand vide, au cœur des océans de brumes, se trouve myriades de mondes, flottant dans des lacs d’infini, soutenus par la seule puissance de nos Dieux. Royaumes ô combiens différents, peuplés d’êtres aux savoirs tout autres, aux seigneurs dissemblants, aux hérésies certaines. Plus loin encore, se trouve l’Extérieur. Entre lui et notre Univers de civilisations, se tiennent parcelles d’ébène, flottant aux limites des cieux. Sanctuaires protecteurs. Là vivent les Veilleurs, constamment plongés dans l’horizon, chevauchant serpents ailés, semblant attendre l’Ombre qui les éveillera de cette torpeur dans laquelle ils s‘immergent… »

Note Anonyme quand à la Possible Composition de notre Planète.
Bethil, Années Pré Damnéiques.

II.

Date d’Archivage : Quatrième Décan du Vaestas.

-

D’aucun retard, mes mots ne peuvent souffrir. Par cette lettre, j’exprimerais ma crainte, mon inquiétude, ainsi que mes souhaits. Dans les remugles de la guerre, j’ai navigué. Jusqu’au cœur des Citadelles d’Azur, je portais la bannière du Crépuscule. Là, ma route croisa celle de moult légendes, combattant pour de nobles causes. De ces hommes, seul un attira mon attention. L’Héraut du Bout du Monde, conseiller de notre royaume.

-

Les liens tracés par le sang versé ne peuvent égaler ceux guidés par un rêve commun. Défendant jusqu’aux confins de la nuit nos principes de justice, nous avons fraternisé. En ce guerrier, coulait un fleuve caché, un trésor inconnu, de ses alliés comme de ses ennemis. Ce n’est qu’au cœur de la tourmente que ce diamant enfin me fut visible.

-

Telle puissance ne peut demeurer l’apanage d’un seul être, sans qu’aucun ne l’aide à la gouverner. Ce don, nombre voudront s’en emparer, voyant en lui la réalisation de leurs souhaits, la force que nul ne peut terrasser. Telle ne doit pas être la destinée de mon frère d’armes. Par son courage, ses espoirs, sa résonnance aux flux, Il a prouvé sa valeur. Nul initié ne peut le juger indigne d’apprendre aux sources du savoir : A travers la brume, un fait demeure certain. S’il y a un guerrier apte à diriger les courants de puissance dans les entrelacs de l’honneur, de l’équilibre, c’est sans nul doute le protégé d’Aë.

Altan Hayarn.

Yvaen Septem.
Missive destinée à la Cité du Crépuscule.

III.

Date de l’Entrée : Septième Décan du Cycle d’Ishtar.

-

« Une gigantesque voute d’obscurité, parsemé de ces joyaux que sont les étoiles. Sous le regard de l’Aven’Nest, le désert semble d’argent, les dunes s’alignant jusqu’au lointain. Mon rêve. Toujours le même, celui qui m’obsède depuis des cycles. Depuis toujours. Ce silence, cette tristesse. Cette noirceur, ancrée au cœur même de mon esprit. Malgré leur plénitude, ces lieux sont tristes, ravagés par un fléau dont je ne connais point le nom. Et je les contemple, une poussière d’écume incrustée dans l’œil, cherchant la réponse, la raison. Une explication à ses songes qui brisent mes nuits. Un message, enfoui dans le sable… »

Altan Hayarn.

IV.

Date de l’Entrée : Aube du Del Rivhen.

-

« Mes pieds s’enfonçaient dans le sable. Pas une once de vent pour bouleverser mes empreintes. Semblable aux autres nuits, le désert demeurait, imperturbable… Pourtant, c’est en ces instants que tout changea. Un simple détail. Pour tout autre homme, une dune, gravée dans le paysage. En mes yeux, néanmoins, cet univers était dessiné. Et l’infime changement n’en faisait point parti. Cette silhouette, noyée dans l’infini, ne pouvait être une simple part du décor.

-

Durant plus d’une heure, je marchais, le regard fixé sur cette « chose » croissant à l’horizon. Au-tour de moi, le monde s’éveillait. Les ombres projetés par les nébuleuses se tordaient, s’extirpant d’un songe sans fin. Le souffle des Gardiens plongeait dans la nuit, arrachant les plus hauts mon-ticules, prenant force, rage, dans chacun des mes pas. Les nuages obscurcissaient le ciel, embru-mant mon royaume. Tous ses signes semblaient vouloir me projeter en arrière, m’empêcher de voir ce qui se cachait « Là-bas ».»

-

La créature ne bougeait point, plongée dans l’abstraite contemplation de la tourmente. Quelques longueurs nous séparaient. Autour de nous, l’univers tout entier s’était transformé, devenant indomptable tempête. Seul son dos m’était visible. Encore un. Le crissement du sable sous mes ongles. Face à ce son sortant de son « Quotidien » - Etrange phrase quand on sait que ce jour était son premier, dans mon rêve tout du moins - l’autre se retourna. Son visage enfin m’apparut. Un instant, je restais figé, heurté de plein fouet par l’incompréhension. Qu’est ce que cela signifiait ? Pourquoi lui ? Pourquoi cette tempête ? Pourquoi ses yeux ? Ces yeux, ce regard. Lui qui remontait aux temps jadis, à sa naissance…

« Henrhiv ? »

Altan Hayarn.

V.

[Chapitre du Livre Saint du Crépuscule]

« […] Néanmoins, à travers les siècles, d’aucuns rencontreront les avatars d’Aë. Reine de la nature, détentrice des clefs, Aë demeure la plus sage des Déesses du Sanctarium. Et ceux jugés dignes de combattre aux cotés de ses fils seront les seigneurs de nos destinées. Certains nous protégerons, d’autres nous guiderons. Mais les chevaucheurs de dragons seront à jamais les commandants de nos avenirs, promis aux éternelles légendes. »

El Sanctarii.
Tome Troisième.

VI.

Aube du Del Rivhen.

-

« Toc, Toc… »

L’Os contre l’os. Altan ouvrit un œil, cherchant à découvrir la source de ces inexplicables coups. L’Aven’Nest brillait encore dans les cieux, le Val’Tenen tout autant. Les sacs semblaient être à leur place. D’un mouvement de poignet, il vérifia si sa Lame était bien planté à ses cotés. Oui. Rien ne semblait annoncer une catastrophe imminente. Si ce n’est le rêve qu’il venait de faire… Tant de questions demeuraient sans réponses. Ce songe enfin accompli ne lui avait, au final, rien apporté qui fusse probant pour son avenir. Seulement l’inquiétude. La peur de voir son fils unique devenir la victime…

-

Un nuage de soufre rompit immédiatement le fil de ses pensées. Descendant des hautes strates des sentiments majeurs, Atlan revint dans le quotidien. Une ombre infinie s’étendait autour de lui, noyant dans les ténèbres la lueur des nébuleuses. Tout être sans trop de témérité aurait sans doute effectué un sursaut magistral. Mais le veilleur ne bougea point, observant le spectacle. Les ailes d’ébène s’étendirent dans les cieux, rompant l’astre en deux hémisphères. S’étirant jusqu’aux étoiles, le cou de la « Créature » se déroula. Malgré la noirceur, l’on pouvait apercevoir son visage, long, fin, altier. Des dents tracées telles des glaives. Des yeux de saphirs, reflets des tempêtes déchainés des océans australs. Un dragon, détenteur des savoirs ancestraux, protecteur de l’une des légendes de la Cité du Bout du Monde.

Adun.

VII.

Aube du Del Rivhen.

-

« Je suppose que c’est toi qui m’a réveillé… »

Adun baissa la tête, ramenant sa gueule au niveau du visage du Veilleur. La réponse vint, immergé dans les fleuves de la pensée. « En effet. Non contant de faire des cauchemars, tu renversais tout ce qui se trouvait à ta portée. Il était de mon devoir de te tirer de tes songes. Et de te faire taire. » Altan toussota, laissant passer les raisons illogiques et peu claires de son compagnon de voyage, pour se consacrer au vil problème de dialectique de ce dernier. « C’est fou. Tu es un dragon, à la base, non ? Majestueux, spirituel, énigmatique. Pourtant, tu t’intéresses à tous les problèmes superficiels que tu peux rencontrer, avec un franc parler qui permettrait à n’importe qui de comprendre ton verbiage… Tu as été acheté au rabais ? »

-

Une petite langue de feu frôla le visage du veilleur, histoire de lui rappeler le rapport de force qui subsistait en eux. Le grognement rauque revint dans la tête d’Altan. « Je l’ai été… - Le conseiller eut la grâce de ne pas relever cette phrase qui s’accordait parfaitement à sa dernière question - Depuis le commencement, je fus une énigme. Et, par mon comportement, aujourd’hui encore, je le demeure. Et je te jure que pour se faire entendre, ce n’est pas aisé. Combien de défaites ont subi les dragons pour cette incompréhension qui demeurait entre eux… Je préfère être clair et passer pour simplet plutôt que de perdurer dans l’hypothétique sagesse qu’est celle procurée par l’abus de termes savants. »

-

Altan se releva, un petit sourire en coin de bouche. « J’avais cru apercevoir un remugle de spiri-tualisme en début de phrase, mais depuis, rien. Enfin. Prépare-toi. Nous partons pour la Cité. Tu baignes dans mon esprit, alors, tu en comprendras les raisons. » Sans prêter plus d’attention à son compagnon, Altan retira sa lame du roc, la rangeant délicatement dans son fourreau.

VIII.

Aube du Del Rivhen.

-

- Veux-tu parler d’Henrhiv ? Demanda Adun.
- Oui. Ce rêve le concernait directement. Je me refuse à le laisser sans protection devant un tel songe.
- Et cela parce que tu l’a vu avec ses yeux.
- Ce présage me suffit amplement. Es-tu prêt ?
- Hum… Ecoute. J’apprécie énormément ton fils. Et je n’ai pas envie de me pointer comme une fleur dans la Cité en ce jour. Te souviens-tu pourquoi nous étions en train de dormir sur un rocher ?
- Je ne considère pas cela comme une raison suffisante. Allons-y.
- Altan. Ecoute-moi. Il n’est pas indispensable qu’un fils choisisse de marcher dans les em-preintes de son père… Devant le danger qui autrefois frappa notre peuple, tu auras décidé de devenir un Guerrier. Nul compagnon alors ne fut plus approprié que moi. Henrhiv, quand à lui, vit dans une époque de paix. Sans pression aucune, il a pu choisir sa voie. Prendre femme, au sein de notre royaume. Et, très sincèrement, il ne verra point d’un bon œil ton arrivée impromptue lors de sa nuit de noces !
- …
- Imagine un peu, si, en plus, j’avais été énigmatique sur ce coup-là.
- Une femme. Je ne puis comprendre. Y’a-t-il plus grand privilège que celui de vivre au coté de l’image des Gardiens ? Si ses pas continuent à le mener sur ce morne chemin, alors, mon fils perdurera par sa plume, Conteur immortalisant les légendes plutôt que de les vivre… Piètre existence.
- Vous n’avez point les mêmes rêves, les mêmes honneurs. Ton fils abhorre la destruction pendant que tu l’acceptes. Henrhiv veut bâtir, par son art, gravant à jamais les mythes d’antan. Il désire voir ses futurs descendants croitre et devenir. Pas sentir le sang couler sur sa peau, entendre les râles de ses victimes…
- Et cette superbe digression nous empêche-elle de voler jusqu’au Crépuscule afin d’éviter que le plus sombre de mes cauchemars se réalise ?
- Cette digression avait justement pour but d’éviter une recrudescence de cette question.

-

« Adun… Ce qui se passe en cette heure dans la Cité ne m’est point inconnu. Néanmoins, un vent de ténèbres plane à travers les Rocs, porté par mes songes. Deux passes obscurs s’ouvrent à moi. Quelque soit la voie qui sera mienne, j’infligerais blessures aux êtres qui me sont chers. Briser le plaisir d’un instant ; Perdre mon fils et héritier. Le choix, en mon âme, n’a pas à exister. Partons pour nos demeures… Maintenant ! » Le veilleur regarda son compagnon, sans dire un mot de plus. L’empressement, l’inquiétude, la peur. Tous ses sentiments brulaient dans la brume de ses prunelles, reflets de la tempête qui bouleversait son être.

-

Quelques minutes plus tard, une ombre traversait l’horizon, volant au plus près des différents Mondes. Adun glissait avec grâce entre les piliers de terre, sans trembler, sans faillir. Assis sur le dos de la créature, Altan écrivait, une plume d’Argent à la main, immergé dans le fil de ses pen-sées, laissant à son compagnon les voiles de leur voyage. Malgré la tourmente, la feuille ne tremblait point. Protégée par la « Magie » du Bout du Monde, insensible aux colères de l’extérieur.

IX.

[Chapitre du Livre Saint du Crépuscule]

« […] La grotte s’étendait jusqu’aux confins des ombres, abyssale noirceur sans lumière aucune. La main de l’aveugle longeait les aspérités des rocs, cherchant à s’orienter dans cet infini dédalle. Ici, il n’était qu’un homme parmi tant d’autres. Les yeux, en ces lieux, n’étaient que fardeaux. Nul ne sait combien de temps il continua son voyage. Vient une nuit où le monde lui sembla si lointain qu’il en perdit conscience. L’Univers alors n’était plus qu’un souvenir, gravé dans d’obscurs sentiers. Egaré au cœur du néant, l’aveugle s’arrêta. Sa chair usée sentait les flots se repaitre à ses pieds. Son cœur entendait le reflet de l’éclat bondir sur d’opalins joyaux. Posant la main sur sa crinière, Il défit son bandeau, symbole déchu de son infirmité. »

-

« Il vit. Fleuves d’argent tournoyant autour de ses membres, traçant arabesques infinies dans le lac cristallin. Tours d’ébène longeant les murailles naturelles, grimpant jusqu’aux sommets de cette colossale caverne. Fermant son poing, l’homme dressa sa colère vers les plus hautes pierres, appelant à lui la puissance de ces sombres rivières. Les courants répondirent à son appel, venant se fondre dans sa chair. Dans un ouragan d'enchantements, la grotte s’effaça. »

-

« Ainsi naquit le premier d’entre nous, immortel seigneur du Concile du Crépuscule. Depuis, face aux dangers, naissent des Initiés, capables de diriger cette impalpable essence qui compose notre monde, voguant dans les troubles océans de l’irréalité. Eux sont les protecteurs de cette magie, gardiens des Flux à travers les temps. […] »

El Sanctarii.
Tome Premier.

X.

Date d’Archivage : Premier Décan du Cycle d’Ishtar.

-

Conseiller Hayarn. Lorsque ce message vous parviendra, les cendres auront déjà établi leur do-maine au cœur de la Colonie de Jade. La tempête venue bouleverser cette humble cité demeure inconnue. Seul un cri, projeté au travers les flux, témoigne de la gravité de la situation. L’Ombre qui s’abat sur eux semble inéluctable. Rares sont les guerriers capables de venir à leur portes afin d’enrayer cette infernale mécanique. Vous êtes le plus proche de tous.

Message à l’Intention d’Altan Hayarn

XI.

Date de l’Entrée : Premier Décan du Cycle d’Ishtar.

-

Hier fut sans doute la plus étrange des soirées de ma vie. Sous la lueur des nébuleuses, je navi-guais, en quête d’un village embourbé dans d’infinies ténèbres. Ce que j’y découvris, je ne peux encore le déterminer. Néanmoins, dans ce lac d’incertitude et de faux semblants, à travers la mort, le désespoir, un joyau d’éternité sommeillait.

Un fils.

Journal de Voyage.
Altan Hayarn.

XII.

Premier Décan du Cycle d’Ishtar.

-

Dans un nuage de poussière, le dragon se posa sur le promontoire. Vu du sommet, la cité semblait avoir été victime d’une explosion monstrueuse, prenant naissance en son cœur pour s’étendre, en un gigantesque cratère, jusqu’à la périphérie. Quelques habitations brulaient encore. Le reste n’était que cendres. Posant la paume de sa main sur les écailles de son compagnon, Altan souffla : « Que c’est il passé ici, Adun ? Voilà quelques jours, ce lieu était florissant, empli d’enfants, de sourires, de rires. De guerriers joyeux, moqueurs. Un paradis à l’échelle humaine, antre de paix et de bonheur… Et maintenant ? »

« Maintenant… Il aura vu le véritable visage de l’Univers. »

-

Altan resta un instant silencieux, une petite perle d’écume coulant le long de son visage, seul sacrement qu’il pourrait accorder à ces rêveurs qui avaient partagés une part de son existence. Ravalant sa tristesse, il reprit :

- Penses-tu qu’ils soient les coupables de ce Carnage ?
- Non… Mais leur naïveté, oui. Regarde l’Orient.

L’Orient. A quelques miles à l’Est se tenait l’Ennemi des Veilleurs. L’Extérieur. Ici était le point le plus sensible de la fine muraille qui séparait le Bout du Monde du Reste. La Paroi des Ombres. A travers cet endroit, pouvaient rentrer les fantômes qui hantaient les terres du dehors. Ceux que les mortels nommaient innocemment les démons. Altan regarda plus attentivement, cherchant à distinguer un indice. Il n’eut point à le traquer bien longtemps.

-

La frontière de l’Univers, habituellement translucide, semblait bruler de milles feux, projetant des reflets pourpres sur bien des longueurs. Au cœur de cette « Auréole » se dessinait une petite faille, blessure dans la Muraille.

- Qu’est ce qui en est la cause, Adun ? Une Roc de l’Extérieur ?

« Je ne sais pas. Cela expliquerait le cratère. Mais la virulence des dégâts… L’Absence probable de survivants. La puissance de l’explosion. Cela ne peut soutenir ton hypothèse. Nous devons aller voir. C’est notre seul chance de comprendre ce qu’il s’est passé. » Sans attendre l’accord du Guer-rier, le Dragon plongea de la falaise, rejoignant, en quelques battements d’ailes, le centre du chaos.

XIII.

Date de l’Entrée : Premier Décan du Cycle d’Ishtar.

-

Le chaos… A travers chacune de mes respirations, je sentais la souffrance, la mort, la tristesse. L’âme de ceux qui avaient vécu dans l’espoir d’un monde meilleur pour finalement perdre la vie au travers de circonstances qu’ils ne pouvaient contrôler. Quelques pas en arrière, Adun scrutait le village, cherchant âme qui vive. La peur suintait au travers de mes gestes, remugles d’un sen-timent d’impuissance ancré dans mon âme. L’Ombre rodait à nos cotés, sans que je puisse l’apercevoir, quelque soit le monde ouvert à mon regard.

-

« Altan ! Attention ! »

Le cri me fit revenir à la raison. Brisant les ténèbres, la créature jaillit. Une fine rangée de crocs acérés brillait sous le reflet de l’Aven’Nest. N’ayant point le temps de tergiverser sur l’apparence physique de mon adversaire, je dégainais. L’Aelkam des Veilleurs fila hors de son fourreau, tra-çant ellipses filantes dans les cieux embrumés. La lame s’abattit sur le monstre, tranchant sa-vamment son flanc. Pourtant. Malgré la souffrance qui devait être sienne, il continua sa course, transperçant mon bras par la force de sa mâchoire.

Un coup de pommeau eut tôt fait de la détacher. A mes cotés, je sentais l’esprit de mon compa-gnon, cherchant à se plonger dans l’affrontement. Sa puissance, ainsi que la vigueur de ses coups, ne lui permettait pas d’intervenir dans un combat si rapproché. Esquivant vivement un deuxième assaut, je me décalais sensiblement en arrière, afin de mettre le plus de distance entre la « Créature » et moi.

Une douce lueur illumina ma main, glissant lentement le long de mon bras indemne. Se dessinant sur le sol, apparurent de fins filaments d’ébène, porteurs des puissances rugissantes de nos Mondes. A travers eux, je voyais l’Univers respirer. En ce royaume, l’ennemi n’était qu’un vaste assemblage d’arabesques argentées, propulsés en une unique direction. La mienne. Fermant le poing, je concentrais mes forces sur ces Flux. L’éclat de ma chair s’intensifia, devenant insoute-nable aux yeux du monstre. Puis… D’un souffle, toutes les forces qui soutenaient son corps s’effacèrent. Il chut, s’écrasant au sol dans un nuage de poussière.

-

« Maintenant ! »

Adun agit sans entendre mon injonction, pressentant l’ouverture avant qu’elle n’apparaisse. En son sein, s’embrasa la magie. Sous la forme d’une colossale flamme, elle jaillit, enveloppant de sa fureur le corps de la créature. Rongé par la colère du dragon, cette dernière s’affaissa à jamais. Morte.

-

Le Dragon se pencha au dessus du corps, les naseaux fumants. La bête ne ressemblait à rien de connu, rien d’animal. Un monstre effrayant, sans pour autant avoir l’aspect d’un véritable démon. Je me rapprochais lentement, la Claymore prête à l’assaut. Restant un instant prostré dans ma contemplation, je réfléchissais, tentant d’associer « Ceci » avec mes expériences passées. Ce fut moi qui, le premier, posa la question qui nous hantait tout deux.

- Qu’est ce donc ?
- Cela fut sans doute un animal, durant les temps jadis. Aujourd’hui, néanmoins, il n’était plus que le réceptacle d’une haine dominatrice, capable de diriger ses moindres senti-ments d’une simple pensée…

Journal de Voyage.
Premier Décan du Cycle d’Ishtar, Altan Hayarn.

XIV.

Premier Décan du Cycle d’Ishtar.

-

Altan chut. De sa plaie s’échappait de fines rigoles ensanglantées, prenant lentement la teinte des ténèbres. Autour de lui, l’Univers s’assombrissait, perdant toute consistance, toute couleur. Ses membres étaient paralysés. Le sang se détacha de sa chair, s’enroulant autour de son corps. De-vant lui, le cadavre s’agitait. Des fleuves pourpres s’envolaient des ossements, gravant dans les cieux les traits du Veilleur. En un instant, la bête se métamorphosa. Apparut un reflet d’Altan, indescriptible fantôme d’ébène, voyant au travers d’écarlates rubis, ancrés tel des yeux au cœur de sa face. Un regard qui, un cycle plus tard, briserait le sommeil du Conseiller, apportant la touche finale à son eternel cauchemar. La créature avança son hypothétique main en direction du corps d’Altan, la posant sur la blessure. Dans un hurlement, le Veilleur perdit conscience.

-

« Ne t’abandonne point. Il ne peut te saisir. Libère-toi. »

Une voix sortant de nulle part, sans force, se glissant dans l’esprit du Veilleur, brisant le lien qui le maintenait lié au fantôme. Altan ouvrit les yeux, inspirant une longue bouffée d’air frais. Cette dernière avait le gout de cendres, de la mort. Qu’importe. Se relevant, Il chercha les traces de son ennemi, disparu dans les ténèbres. Puis, se tournant vers le dragon, le Conseiller murmura.

- Combien de temps suis-je resté ainsi ?
- Le temps de cent battements de cœur. Je ne pouvais me mouvoir. Tout semblait bloqué.
- Je l’ai senti. Une seule explication demeure possible.
- Non. Les Flux sont l’apanage des initiés. Les enfants de l’Extérieur ne peuvent les contrôler ainsi. Si jamais cela était possible, alors notre rôle ne serait que fumée. Imagine.
- Je ne pense pas qu’il maitrise les Flux. Il a fait autrement…

Adun resta silencieux, analysant consciencieusement les propos de son compagnon. Il comprit instantanément. Néanmoins, l’écho d’une silhouette, faible poussière incrustée dans la forêt, allait remettre cette discussion aux temps futurs. « J’ai l’impression. Altan. Quelque chose vit dans les Bois, à l’Ouest. »

XV.

Date de l’Entrée : Premier Décan du Cycle d’Ishtar.

-

Ces ultimes mots s’infiltrèrent dans les limbes de mon âme, appelant mes dernières forces, oblitérant la douleur. Un survivant. Mon compagnon ne m’aurait jamais prévenu s’il ne s’agissait que d’une bête. Le démon restant invisible, quelque soit le plan que j’observais, seule une hypothèse perdurait. Il s’agissait d’un être doté d’une conscience véritable, un avatar, voire un humanoïde. Les arbres défilaient à mes cotés. Guidé par les flux, je traquais l’infime mouvement, la respiration qui signalerait la présence de l’individu. Enfin… Je m’avançais dans la clairière, à travers les brumes. Les nuages flottaient au niveau de mes cuisses, voilant toutes présences à terre. Les entrelacs argentés se trouvaient à quelques pas de moi, s’enroulant autour d’une frêle créature…

Journal de Voyage.
Premier Décan du Cycle d’Ishtar, Altan Hayarn.

XVI.

Premier Décan du Cycle d’Ishtar.

-

L’emportant dans sa patte, Adun souleva délicatement le nouveau né. Ce dernier dormait paisiblement, miraculé au cœur de cet océan de carnages. A ses cotés, gisait le cadavre d’une femme, couvert de longs courants d’ébène, rongé de ce même mal qui avait frappé l’animal. Le Veilleur s’agenouilla, fermant les yeux de la dame, permettant ainsi son voyage par delà les mondes inferieurs. « Altan ? Penses-tu que ce soit comestible ? Cela ne me semble pas l’air bien gras… » Le dépit hypocrite régnant dans la voix du Dragon laissa le Guerrier à mi-chemin entre le rire et l’indignation. « Essaie seulement et je te jure que, pour la première fois depuis sa fondation, la Cité du Crépuscule va avoir du lézard à sa table ! Enfin… Y a-t-il encore signe du Démon ? » S’immergeant dans l’environnement, le Lézard en question laissa glisser son âme sur les terres avoisinantes. Pas un mouvement, pas un pas. Le monstre demeurait invisible, aux yeux du Dragon comme aux yeux du Veilleur.

- Non.
- Ca ne m’étonne guère. Partons, alors.
- Avec l’Enfant ?
- Voudrais-tu peut-être qu’on le laisse périr ici, s’exclama Altan, dans ces landes infestées de charognards ? Moi vivant, ce gamin ne finira pas dans l’Estomac d’une Wyvaern.
- Mais…
- Pas de Mais. Laisse-moi prendre le contrôle, cette fois-ci. Et écoute cette partie de ton être que tu as trop souvent tendance à abandonner au profit de la stratégie… Ton cœur.

XVII.

Premier Décan du Cycle d’Ishtar.

-

« Et comment comptes-tu l’appeler ? »

Altan réfléchit un instant, les yeux plongés dans la voute étoilée. Ils avaient quitté le chaos voila quelques temps, sillonnant les espaces entre les rocs pour rejoindre la Cité du Crépuscule. Si la blessure du Veilleur s’aggravait rapidement, elle ne pourrait néanmoins causer sa mort durant le voyage. Et, une fois à demeure, il aurait l’occasion de se soigner. L’Enfant dormait toujours. Le début de la route s’était dessiné autour d’un dialogue fort mouvementé sur l’adoption probable du garçon - Il s’agissait en effet d’un mâle -, Dialogue qu’Altan, dans une période faste de sa verve, avait remporté. Puis, venait l’instant présent :

- J’aimerais qu’il ait un nom qui évoque le passé. Son passé, sa naissance. Que nul ne puisse oublier qu’il a rencontré, dès son plus jeune âge, ce à quoi peu d’hommes peuvent résister. La mort, la tristesse, le froid, la douleur… Et seul un cycle du Bout du Monde évoque justement ces « états ». Lorsque notre pays entre dans la nébuleuse des glaces. Le Del Rivhen.
- Tu voudrais lui donner le nom d’un Dieu ? Tu ne te trouves pas un peu prétentieux, sur le coup ?
- Non… Je veux qu’il porte quelque chose qui évoque cette époque. Le trentième et dernier cycle du Calendrier Astral. Le cycle de la mort et de la renaissance.
- Le plus sombre de tous. Et le prochain. Dix décans nous séparent encore de lui. Un cycle seulement. Celui d’Ishtar, la lumière… Puis, nous arriverons dans la période la plus noire de notre peuple. Chaque Del Rivhen aura vu la souffrance, le combat, les ténèbres. Toi qui as connu le dernier, tu dois te souvenir mieux qui quiconque…
- Nous nous sommes rencontrés. Et ensemble, à travers les batailles, nous avons porté notre peuple vers la victoire. La plus grande de toutes les victoires. Et jamais nous n’aurons autant resplendi qu’au crépuscule du cycle. Ce nom lui portera chance, comme il nous porta chance à nous… T’en souviens-tu ? J’avais un peu moins de dix huit décans, fils de la lumière plongé dans les ténèbres. Mais… Ensemble, nous avons terrassés l’Ombre, apportant nos frères dans les fleuves de la gloire.
- Soit. Alors, son nom sera Rivhen ?
- Non. Comme tu l’as si bien dit, je ne veux pas de cette grandiloquence qu’apporte le nom d’un Dieu. Il sera son inverse, son némésis. Et peut-être que cette nomination fera de lui un Héros, un pourfendeur des ténèbres. Notre digne héritier.
- Je ne crois pas… Son destin demeura sien, à jamais. Ce que nous lui offrons là n’est, après tout, qu’un simple assemblage de lettres. Ces choix en feront bien plus. Une clameur d’espoir ou de peur. Un chant de joie ou de tristesse.

« Henrhiv… »

XVIII.

Date d’Archivage : Dixième Décan du Cycle d’Ishtar.

-

« Comme vous le savez, tout individu de notre Cité peut, à un moment de son existence, devenir un adulte. Cela n’a aucun rapport avec l’âge de celui-ci. Ce sont ses exploits, ses hauts-faits, son savoir qui lui permettront de rentrer dans les Hautes Strates. Pour l’exemple, certains Veilleurs sont, avec près de soixante cycles passé à vivre parmi-nous, resté des « Enfants », sans avoir le droit de porter le nom de leurs pères, ne pouvant ainsi perdurer leur héritage à travers les générations... Le cas que nous devons traiter aujourd’hui est celui Henrhiv, fils du Conseiller Altan Hayarn. »

-

« Malgré sa jeunesse, chose qui, comme dit plus haut, ne peut influer sur notre décision, il aura prouvé, par sa soif d’apprendre, ses connaissances et ses multiples postes, sa capacité à rejoindre ce que d’aucuns appellent innocemment « La Cour des Grands ». Ayant choisi, à contrario de son père, la voie de l’apprentissage et de l’art, le jeune homme est en cet heure conteur du Bout du Monde, décrivant les mythes de nos royaumes, assoiffé de mystères à résoudre, de légendes à sublimer. Sa sagesse, ainsi que sa participation à la vie courante de la cité, ne pourra que profiter de cette intronisation que nous pouvons lui offrir. Finalement, l’imminence de son mariage est une preuve irréfutable de sa maturité. A mes yeux, il ne fait aucun doute de la capacité du jeune conteur. Ce que nous possédons, il le mérite, plus que tout autre… »

Dixième décan du cycle d’Ishtar.
Archives de la Cité.

XIX.

Aube du Del Rivhen.

-

« Nous y sommes. »

Le Dragon se posa sur le roc, dans les contreforts d’argent, quelques milles à l’ouest de la Cité. « Nous y sommes… » Tant de significations pour cette phrase. Un sens logique. Un sens voilé. A travers la nuit sans fin tombait des lucioles étoilées, parsemant de taches éclatantes la paroi des Ombres. Trente siècles Aélisséens s’étaient écoulés depuis le dernier Del Rivhen. L’Univers avait achevé sa rotation, plongeant les rocs du Bout du Monde dans la nébuleuse des glaces, pointe extrême de l’Extérieur. Vers l’est se dessinaient centaines de voiles d’Aspharen, tourbillonnant à l’infini dans la noirceur des brumes. Si le conseiller ne se rappelait point des ténèbres qui avaient suivi ce splendide spectacle, il l’aurait admiré, comme la première fois. « Le Del Rivhen. Porteur de mort et de renaissance. Qui, comme toujours, amène les larmes dès son apparition… Altan. ». Adun se retourna vers son compagnon, le regard rempli d’une tristesse incommensurable, de celle que seuls les immortels peuvent porter, tant est grand son poids. Les mots qui suivirent percèrent l’esprit du guerrier tel des lances enflammés, détruisant tout sur leur passage. Le rêve, l’espoir, la joie.

« La Cité brule, Veilleur… »

XX.

Aube du Del Rivhen.

-

Les deux compagnons s’avancèrent côte à côte. La porte ouest de la Cité s’était effondrée, brisé sous une force qui ne possédait point de nom. Altan ne soufflait mot, immergé au plus profond de son corps, cherchant la vigueur nécessaire pour mener à bien ce combat qui ne pouvait que l’attendre. Qu’importe. Pour son fils, tous les sacrifices pouvaient être faits. S’Immobilisant à quelques pas de l’entrée, il se tourna vers le Dragon.

- Adun. Mon Adun. Je ne sais ce qu’il y a par delà ces dalles brisées, mais je vais continuer ma marche. Car une chose demeure sûre. Henrhiv est là-bas. Et je suis son père. Alors, je te le demande et quelque soit ta réponse, je ne t’en porterais point reproche… M’accompagneras-tu ?

-

Le grognement du concerné fit trembler les cieux… Plongeant son regard dans les yeux du Conseiller, Adun parla.

- J’espère que tu te moques de moi, que tu cherches à donner une intensité encore plus dramatique à ce moment. Ta question est superflue. Je ne t’ai jamais abandonné en plus de trente Cycles. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais succomber à une peur qui ne coule point dans mes veines. Regarde-moi, Altan. Et vois mes yeux.

Plongeant ses prunelles dans celles du Veilleur, le Dragon le contempla longuement. L’Homme et l’Avatar restèrent dressés, face à face, entourés par une myriade de lucioles venus se dissiper, dans un océan de fumées, contre la terre de L’Univers. L’ombre de la Cité planait au dessus d’eux, emporté par les vagues de l’Aven’Nest. De douces nuances pourpres venaient orner les murs d’albâtre de la Régente du Bout du Monde, remugles des flammes venu ronger ses demeures. Un instant, le silence perdura. Puis. Altan détourna les yeux, marchant vers les ruines de la porte.

« Puissions-nous survivre à cette nuit… »

XXI.

Date d’Archivage : Huitième Décan du Cycle d’Ishtar.

-

« Reflets de l’océan tumultueux, agités par une millésime rage. Ciel d’été assombri par les larmes. Gouttes d’eau éclatées sur le sol. Tels étaient les yeux du dragon des légendes, compagnon du héros du bout du monde, le conseiller Altan… »

Henrhiv.
Conteur du Bout du Monde.

XXII.

Date d’Entrée : Premier Décan du Del Rivhen.

-

Nul ne sait ce qu’il advint en cette soirée. A l’aube, la Cité du Crépuscule, gardienne des frontières de L’Extérieur, gisait sous les cristaux de la nébuleuse, en ruine. La plus majestueuse des créations de l’humanité vit alors sa fin, à l’aube du premier décan du Del Rivhen. Les peuples envoyés à la recherche de survivants ne trouvèrent nulle âme qui vive… Seulement des corps. Et des fantômes.

II.

Date d’archivage : quatrième décan du cycle du Vaestas

- Soit un peu plus de vingt cinq cycles avant la naissance d’Henrhiv -

Rapport et notes quand aux conflits causés par la rencontre entre les deux courants d’Evolution universel.

Archives de la Cité du Crépuscule.

I.

Père.

J’espère de tout cœur que cette missive parviendra jusqu’à votre retraite. Le risque est grand de vous envoyer un message en ces temps de ténèbres : J’ai peu d’espoir. Qu’importe. Le Kalenden est sous siège. Sans nos armées, nous ne pourrons tenir bien longtemps. Les cités périphériques sont déjà tombées aux mains de l’ennemi, ainsi que les temples orientaux. Le tertre résiste tant bien que mal. L’Espoir de notre peuple s’effrite un peu plus à chaque instant : Dans le cœur des hommes, il n’existe plus de futur. Seulement l’inéluctable mort qui les capturera tôt ou tard, les emmenant auprès de leurs frères déjà tombés.

D’Obscures rivières nous enveloppent, prenant d’étranges aspects, se fondant dans l’acier pour mieux nous terrasser. Au travers des flammes, nous les apercevons, visages sans émotions aux reflets déchirés, épines mortelles tranchant l’air tel des flèches enchantées. De nos soldats, seuls les anciens se souviennent de telles créatures, enfants des temps jadis, vivant dans les contreforts des mondes avoisinants. Si, en ces rumeurs, demeurent un fond de réalité, alors, aiguisez votre glaive, père. De terribles tourments franchissent nos sanctuaires, emportant dans leur souffle tout ce qui nous est cher…

Lettre à L’Intention de L’Empereur du Kalenden.

II.

« […] L’Aube du combat naquit au cœur des forêts du Kalenden, les premières pousses germant au plus profond du cadavre de l’Héritier du monde. Lorsque les armées impériales franchirent les plaines du Vargas, ils ne virent que cendres là ou autrefois, se tenaient les temples érigés en l’honneur de leurs dieux. Devant telle profanation, l’Empereur entra en guerre. Et avec lui ses alliés. Au fil du temps, chacun y vit une cause à défendre, protégeant les êtres qui, par leur mode d’expansion, leur ressemblait. Le conflit devint total, embrasant l’Univers dans les flammes de la barbarie. L’ancienne sagesse des arcanes, dressée face aux énergies dévastatrices de la technolo-gie. Durant des cycles, le sang coula, emplissant les lacs, remplaçant les rivières. Puis, vinrent les dernières heures, juchées sur les tours des Citadelles d’Azur, cité mère des armées technocrates, au cœur d’une sombre bataille pour l’avenir de l’Evolution. […] »

Histoire des peuples de L’Univers.

III.

Le Kaladas se reflétait sur les tours d’azur. Dressées sur le plus haut promontoire du roc d’Istahïs, les Citadelles brillaient de milles feux. La rage des guerriers dégageaient d’immenses nuages de poussières, glissant le long les avenues, noyant dans la brume les basses demeures de la cité. Les murs étaient couverts de drapeaux écarlates, tous portant le poing d’acier des armées technocrates. Pourtant. Au cœur de cette vague pourpre, flottait une bannière d’argent. Un chêne millénaire entouré de sept raies de lumière, blason de la coalition arcaniste en ces temps de guerre…

Notes sur le Siège des Citadelles d’Azur.
Troisième Décan du Vaestas.

IV.

Dans un éclat lumineux, le tir partit. Altan glissa vivement sur le coté, laissant le projectile exploser contre la muraille. L’Aelkam était à quelques pas de lui, plantée au cœur des innombrables cadavres.

-

S’élançant vers son adversaire, le Veilleur fit tournoyer l’étendard, improvisant la bataille avec les objets disponibles. Une douce brise longeait les parois des Citadelles, emportant la bannière dans le vent. Le Technocrate ne trouva point le temps de réarmer son calibre. La hampe frappa son bras, emportée par la force du Guerrier. L’Arme s’envola. Un instant s’écoula, interminable. Puis. Altan expédia un coup de pied dans l’abdomen du soldat, le laissant choir par delà la balustrade. « Adun, siffla le Veilleur, Je suis surpris par ton manque de réaction. Est-ce que tu pourrais faire preuve d’un peu de sérieux ? En pleine bataille, ce ne serait pas du luxe. Adun ? » Dans un grognement de dépit, le concerné tourna la tête en direction de son compagnon, abandonnant la glorieuse pose qu’il avait réussi à élaborer durant l’altercation entre les deux combattants. « Chose regrettable, pensa-il, les peintres du Crépuscule aurait eu grand plaisir à représenter cette image ».

-

Altan soupira. Ce dédain face au combat représentait parfaitement le peu d’intérêt que l’Avatar avait pour cette guerre. Sans vouloir l’admettre, le Veilleur comprenait. Compatissait. Si les en-fants de l’Extérieur étaient des monstres à leurs yeux, il n’en allait pas de même des technocrates. Cette guerre était une noble bataille, certes, lancée afin de protéger les atouts des arcanes à travers le temps. Pourtant, telle gloire perdait bien de son essence dans ces incommensurables bains de sang qui, depuis toujours, accompagnaient cet eternel conflit.

« Derrière vous, Conseiller ! »

Altan se retourna. Dans un éclair d’albâtre, la lumière plongea dans ses pupilles, effaçant à sa vue les infinies tours d’azur. L’Univers se déplaçait au ralenti, enfoncé dans un inextricable bourbier. Le Veilleur cligna des yeux, cherchant à distinguer l’ennemi. Deux sphères bleuâtres, venus des confins des Citadelles, projetés en sa direction avec la puissance des tempêtes. Nulle arme ne pouvait arrêter si puissant projectile. Nul acte ne l’emmènerait assez loin. Mettant sa main devant lui pour se protéger de l’éclat, le Conseiller inspira une longue bouffée d’air, nonobstant la poussière et autres particules ancrée en elle. Son dernier instant…

-

Le monde se figea. Autour de sa paume, se tracèrent les mythiques lignes d’argent, longeant sa chair jusqu'à rejoindre son cœur. Alors, puisant dans les forces voilées du Veilleur, les Flux hur-lèrent leur fureur, noyant la lumière dans d’invincibles ténèbres.

Notes sur le Siège des Citadelles d’Azur.
Troisième Décan du Vaestas.

V.

La première des citadelles gisait dans un amas de ruines, brisée jusqu’aux plus fines fondations. Aux yeux des Initiés, tournoyaient autour des débris les derniers filaments d’ébène, enveloppant de leurs voiles ces bâtiments autrefois soutenus. Altan contemplait le carnage du haut des murailles, l’air hagard. Adun survolait l’endroit, guère moins déconcerté. Le Veilleur murmura dans le vent, espérant une réponse venue du cœur même des éléments. « Que c’est-il passé ? ». Surgis-sant dans son dos, une voix naquit, au combien différente de celle de son Dragon.

« C’est une question qu’on ne peut éluder, Veilleur… »

Notes sur le Siège des Citadelles d’Azur.
Troisième Décan du Vaestas.

VI.

L’Ombre recouvrait la nébuleuse, plongeant l’étendard dans les ténèbres. Un oiseau d’ébène, aux yeux de brume. Un géant parmi ses pairs, enfant des dieux du Crépuscule. L’Avatar du Vaestas. Cylkaem, le Kalasvre. L’Animal se posa sur le flanc de la muraille, courbant l’échine devant Adun. Accroché à ses plumes, un homme contemplait la situation, les sourcils tordus dans d’étranges mimiques. Descendant souplement de son compagnon, celui-ci s’avança en direction du Veilleur. « Yvean ? Est-ce vous qui avez fait ceci ? Est-ce là la marque d’un Initié ? ». Le Concerné continua sa marche. Sous ses pas, le sol semblait se refermer, les pierres retrouver leurs forces d’antan.

« Non, Altan. C’est pour cela que je ne vous expliquerais rien de ces événements. Ce serait tout bâcler. Le temps viendra où vous comprendrez. Pour le moment, bien d’autres combats nous attendent. Notre conseil ne sait que décider en ce qui concerne le sort destiné aux technocrates. Il tergiverse, tourne en rond, ne pouvant trouver assez d’influence dans les différents partis. La réussite de l’équilibre, le retour de la paix, repose sur nos hauts-faits, Veilleur. Des actes tels que les vôtres sont les seuls qui nous donneront assez de pouvoirs pour choisir la destinée de nos ennemis. Nous ne pouvons échouer. Imaginez. » Yvean soupira.

Observant les flammes ronger les premières allées de la citadelle, le Dragonnier répondit. « Un courant d’évolution disparaissant, écrasé dans la main de quelques hommes, quelque soit leur camp. Tant de savoirs annihilés. Tant de vies gâchées. Si l’avenir est si précaire, nous devons retourner au combat, maintenant, Yvean. Nous n’avons en effet point le temps de discuter. »

Notes sur le Siège des Citadelles d’Azur.
Troisième Décan du Vaestas.

VII.

Exprimé selon les souhaits du Crépuscule, le Traité de L’Equilibre n’infligera aucune humiliation aux technocrates, les frontières reprenant leurs apparences d’antan, telles qu’elles étaient avant l’invasion du Kalenden. Néanmoins, tous les peuples, quelques soient leur courant d’Evolution, se devront de tolérer l’existence de l’autre, acceptant le passage de ces derniers dans leur Mondes, sans menaces, sans violences. Toute civilisation rompant avec ce « Principe » sera dument sanctionné par le conciliabule austral, quelque soit sa position dans l’univers. Ainsi, ce texte aura pour but de stabiliser les relations entre ethnies, garantissant un échange, doublé d’une paix durable dans nos Royaumes.

Notes sur le Traité de L’Equilibre.
Citadelles d’Azur.

VIII.

« Grace à ce texte, la paix s’établira. Les cultures cohabiteront, sans qu’aucune ne s’enfonce dans les limbes de l’oubli. Et, peut être, viendra un jour ou nous verrons les machines vivre au coté des magiciens. Alors, des villes entières voleront au dessus des temples sacrés, érigés au cœur mêmes des plus saintes forêts, sans qu’une goutte de sang ne coule. Nous nous sommes battus pour qu’un jour, nos enfants puissent voir ce monde. Enfin. Nos routes se séparent ici. Le combat est encore long pour que ce traité soit respecté. Je resterais en ces lieux, représentant notre peuple auprès des technocrates, protégeant nos intérêts dans la bataille. Quand à toi. Il vaut mieux que tu rejoignes la Cité. Un Conseiller dont la renommé traverse les légendes lui sera sans conteste nécessaire pour s’extraire de la tempête. »

Journal de Voyage.
Altan Hayarn, Troisième Décan du Vaestas.

III.

I.

« […] Néanmoins, moult ombres demeurent sur ma propre existence, cela dès son commence-ment. Bien des fois, Altan est venu vers moi, afin de m’en parler. Mais toujours, les impératifs, les rendez-vous. Tout nous rattrapait. Le monde entier semblait vouloir m’empêcher de savoir qui j’étais vraiment… Aujourd’hui encore, j’attends l’heure des révélations. Je ne brusquerais point mon père. Un jour, le temps viendra. Alors enfin, je comprendrais. Pour l’instant, je demeure Henrhiv, le fils du Conseiller, l’enfant dont nul ne connait le passé. Si ce n’est un Veilleur à l’emploi du temps surchargé et un Dragon qui utilise des métaphores à outrance avec ma seule personne… »

Henrhiv.

II.

Suite à la chute de la Cité du Crépuscule, sous l’injonction du représentant des veilleurs au conseil des peuples, une expédition a été mise en place, afin d’éclaircir la situation. En effet, des provinces avoisinantes, viennent ambassadeurs apeurés, narrant l’existence d’opalins déserts, peuplés de sinistres créatures, prenant naissance dans les ruines de la régente du Bout du Monde. Chose qui, à tout point de vue, met en péril le commerce austral […].

-

[…] Composés de représentants des deux ethnies, l’équipe aura pour mission d’expliquer les causes d’une telle débâcle tout en analysant les répercutions de la disparition des veilleurs sur la paroi des Ombres. Elle commencera son voyage dès la publication de ce décret officiel - Date locale [Bout du Monde] : huitième nomasten du premier décan du Del Rivhen.

Décret officiel des Citadelles d’Azur.

Nota Bene : Le décalage existant entre la date de la disparition du Crépuscule et la mise en place de l’expédition (seize caedrans, ou, dans le calendrier local, sept nomastens) s’explique aisément par la lenteur de l’administration, les tentatives d’analyse à distance, le recrutement de l’équipe, la recherche de financements et la rédaction de cette note.

III.

Dans un lieu ou le Del Rivhen règne en maitre, les notions de soir et de matin sont terriblement abstraites. Seuls les hommes peuvent déterminer, au vu de leurs instruments, les instants dédiés aux ténèbres. Le commandant d’expédition avait décidé, après un dizaine d’heure de voyage, d’établir un campement, afin de passer la « Nuit » - Puisqu’il faut bien donner un nom à ce moment… Epuisé, je sommeillais, laissant mon regard vagabonder dans les ténèbres, contemplant l’éternelle pluie de lucioles.

« Au Loup ! »

Dans la douce torpeur de l’ombre, jaillit cet hurlement porteur de souffrances, emportant avec lui songes et fatigues. D’un souffle, je bondissais, m’élançant dans les brumes. Alors que je courrais, virent s’immerger dans mon esprit les inévitables questions inutiles qui accompagnent constamment les situations de stress. « Un canidé, ici ? A moins de trente milles du centre du cataclysme, à la limite d’un désert ou rien ne subsiste, si ce n’est l’enfer ? Et même si cela était possible, pourquoi ce dernier vient-il s’en prendre à une caravane de machines grouillant de lumières effrayantes ? Les loups ne sont pas fous, normalement. Pas au point de s’en prendre à telle troupe. Est-ce un effet de la vague de néant qui a frappé la région ? Des loups complètement défoncés du cogiteur… »

Carnets.
Nilaken Yan Telvar.

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