[Conf. Sang]L'Héritière des Drem

C'était une grotte sordide, c'était une caverne sans visage, perdue au fond d'une vallée, siégeant dans l'ombre d'une cascade, au flot si colérique que même les animaux n'osaient s'approcher. C'était un voile de mauvais présage, d'où l'on entendait parfois le feulement d'un loup ou le rugissement d'un lion surgir dans les nuits les plus terribles - d'où coulaient quelque fois des filets de sang sur les parois rocheuses et les flots d'eau damnés. C'était ici, que l'Histoire attendait, recroquevillée dans sa mélancolie.

Ish jetait des petits cailloux pour les faire ricocher sur la Rivière Fëhr, près de la grande cascade blanche. Les pierres faisaient un ou deux rebonds avant de plonger dans l'obscurité du flot. C'était un lieu tranquille, à quelques lieux de sa demeure perdue dans la forêt dense qui couvrait les flancs du défilé d'Ehk. Elle aimait se retrouver, ici,au matin, avant de partir chasser quelques proies faciles. Depuis l'hiver rude et impitoyable de l'année précédente, au sortir des guerres qui avaient esseulé le continent et ravagé nombre de régions, la nature s'était de nouveau épanouie, retrouvant son air florissant et prospère. Les ombres et les démons avaient reculé derrière les grandes Montagnes d'Echoriath, laissant les vallées proches des plaines retrouver leur sérénité. Et c'était dans cette grâce de la Nature qu'Ish profitait de la paix retrouvée. A coté d'elle, Ver, dormait, patte en rond. C'était un loup blanc au pelage soyeux qu'elle avait rencontré en contrebas, blessé et seul, et qu'elle avait adopté sans trop comprendre pourquoi, et qui l'avait accepté sans trop qu'elle sache également. Ils s'étaient trouvés ainsi, ils étaient restés ensemble. Elle appréciait sa présence. Parfois même, elle éprouvait une sensation étrange, comme s'il lui murmurait au fond de son esprit des paroles étranges qu'elle ne comprenait pas. Mais cela l'apaisait et elle finissait généralement par s'assoupir, la tête posée sur le flanc de l'animal et les jambes en boule - comme un enfant au creux de sa mère. Elle adorait ces moments de repos, même s'ils se faisaient plus rares ces derniers temps.

Ces derniers temps la forêt bruissait de nouveaux sons, de nouvelles présences : plus nerveuses, et plus étranges. Le flot de la rivière s'était emballé d'un grondement sourd, le feuillage des grands arbres s'était brusquement densifié, et le chant des oiseaux avait presque disparu. Et depuis ce moment là, Ver avait changé de comportement. Plus distant, moins câlin, il semblait passer son temps à faire le guet, et insistait de plus en plus souvent pour retrouver la musique sourde des Cascades de la Rivière Fëhr.  Ici, dans cet espace grandiose, il semblait vouloir attendre.

Nu'Ailh s'était éclipsé sans un bruit de la grande hutte familiale. Son père, Temeros ronflait aussi fort qu'un géant de faille et n'avait pas ralenti son rythme alors qu'elle passait la porte. Sa mère, Sil'g avait l'oreille collée à son époux et n'entendait que les pleurs de ses jumeaux. Mais pour l'heure, ils dormaient à poings fermés.
Elle ne voulait pas rendre compte de ses faits et gestes. Aussi, la nuit était pour elle le meilleur moment pour effectuer ses recherches. Elle avait pris l'habitude de faire des petites nuits et se rattrapait dans la journée en sommeillant le temps de très courtes siestes. Depuis qu'elle procédait ainsi, sa santé ne paraissait pas souffrir de ses longues veillées nocturnes.

Nu'Ailh arriva rapidement au sommet du mont Geod qui dominait le village. Le vent était rude ce soir là, et la bise parvenait à passer la lourde fourrure dans laquelle elle s'était cousue un manteau. Même la capuche fourrée n'empêchait pas le froid de pénétrer près de son cou.
Cependant, sur son piédestal, elle pouvait aisément se repérer et visualiser son objectif. Pour plus de sûreté elle sortit la fine peau de sa poche.
Le vent essaya bien de la lui arracher, mais elle s'y cramponna le temps de repérer le chemin qu'elle aurait à parcourir.
Jaeth, le grand prêtre de son clan, n'avait pas décelé son emprunt et Nu'ailh avait bien l’intention de  remettre à sa place la petite peau de divination avant qu'il ne se rende compte de sa disparition.

La jeune fille dévala la longue pente en courant, ne prenant pas garde aux cailloux. Elle parvint aux premiers résineux au moment où la lune se levait derrière les cimes.
L'ombre des arbres impressionnait toujours Nu'Ailh qui aimait dominer le monde. Elle courbait la tête sous la majesté des milles sapins car les ancêtres végétaux avaient survécu aux tonnerres des cieux mieux que les dragons eux-mêmes.
Dans la nuit, Nu' entendait les arbres murmurer les sombres histoires des temps mais elle ne les comprenait pas. Le murmure grondait parfois et Nu'Ailh baissait un peu plus bas le front.
Enfin, elle arriva au bord du ravin. A ses pieds, la rivière Fëhr dévalait du glacier. Pour rejoindre la Grande Cascade, il lui faudrait suivre la rive encore un long moment.

Descendre au fond du ravin, n'avait pas été aisé, et Nu'Ailh y avait laissé une part de ses genoux. Elle avait dû se glisser entre deux parois de roche pour parvenir à atteindre la rive et elle se demandait bien comment elle négocierait le retour. Mais chaque chose en son temps, elle devait courir pour parvenir à ses fins sans qu'on découvre sa disparition.

Elle courait donc le long du torrent, remontant tant bien que mal ses berges.
Cependant sa course était de plus en plus souvent interrompue par la caillasse et de gros blocs de roc. L'un d'eux, plus haut et plus grand que les autres attira son attention. La lune se reflétait sur les faces polies et en s'approchant elle découvrit la tête féroce gravée sur une des faces. Les yeux de la bête montraient leur colère et Nu'Ailh s'en écarta vivement, mue par réflexe.

Elle sortit la peau sur laquelle son chemin été indiqué. Elle n'était plus très loin de sa destination finale. La joie fit place à la crainte et elle reprit sa route.

A présent, les colonnes sculptées se succédaient les unes aux autres. Tombées au sol, cassées, mais très reconnaissables. Nu'Ailh circulait dans une allée ancestrale bien plus belle et plus majestueuse que toutes les ruines qu'elle avait bien pu explorer jusqu'alors.

L'allée autrefois couverte, menait à un renfoncement dans la paroi de la montagne. La jeune aventureuse était totalement excitée à l'idée de voir ce que Jaeth aimait à leur conter mais qu'il refusait de leur montrer. Aucune peur ne l'effleurait. Seule la curiosité et l'envie la guidait.