Du mot interdit au secret de Polichinelle

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Du mot interdit au secret de Polichinelle

Que faut-il pour faire chanceler le monde ? Un mot. On l’aura :

« Jacqueline était une petite fille. Elle avait une maman qui s’appelait madame Jacqueline. Le papa de la petite Jacqueline s’appelait monsieur Jacqueline. La petite Jacqueline avait deux sœurs qui s’appelaient toutes les deux Jacqueline, et deux petits cousins qui s’appelaient Jacqueline, et deux cousines qui s’appelaient Jacqueline et une tante et un oncle qui s’appelaient Jacqueline […] »

Conte pour enfant de moins de trois ans, Ionesco

Ce mot, comme on le voit, n’a pas besoin d’être d’une richesse inouïe ou d’un exotisme forcené : qu'y a-t-il de plus banal que de s’appeler Jacqueline ? Il lui suffit d’ouvrir une imperceptible ouverture, un interstice, et de se glisser par un chemin de traverse dans cet entre-deux des choses qui est un vide de la pensée. Ce mot inconcevable parce qu’il dérange nos habitudes de lecture, ce mot intraitable parce qu’il congédie avec ostentation le réel aux portes du discours, ce mot cesse alors d’être un mot pour devenir un « entre-mot », c’est-à-dire un point de corruption. Subrepticement, ce petit quotidien « bourgeois » et étriqué s’est abîmé sous nos yeux dans une implacable étrangeté, et ce qui n’était alors qu’un stéréotype bonhomme venant conforter notre logique sociale – le papa et la maman, le petit garçon et la petite fille – s’est changé en une question. Tel est le pouvoir évocatoire et révocatoire du langage : il feint de se plier aux exigences d’une raison humaine, mais rien ne saurait le contraindre, pas même le réel, pas même la vérité, à supposer qu’il y ait une vérité hors des mots.

Nombre de messages : 505 Age : 51 Date d'inscription : 14/08/2009

Je vois également autre chose dans ce passage de Ionesco, de l'ordre de l'objet manufacturé, de la production en masse et de la perte de l'individualisme au profit de la société de consommation. Tout cela autours du jouet d'enfant. Il suffit de remplacer Jacqueline par Barbie ^^.

Nombre de messages : 667 Age : 32 Date d'inscription : 30/04/2013

C'est un commentaire poétique. Voilà, comme ça je ne t'aide absolument pas.

Goldmund a écrit:: Il lui suffit d’ouvrir une imperceptible ouverture, un interstice, et de se glisser par un chemin de traverse dans cet entre-deux des choses qui est un vide de la pensée.

Cette phrase est superbe. Bonne dans le sens de vraie, véritable. Des réflexions de ce style, j'en prendrais à chaque repas.
Je ne sais pas quoi dire d'autre. Je ne sais pas où le classer, mais il est prêt à l'être.

Qu'en pensent les autres ?

D.A. a écrit:: C'est un commentaire poétique.

Je trouve ça pas si mal. Merci pour ta remarque.

D'accord avec toi Jé.

J'ai un peu du mal à écrire ce commentaire, car je n'ai absolument rien à redire... Il est très précis, dans le choix des mots, syntaxiquement parfait, on sent qu'il a été très travaillé.
Mais il ne m'a pas touché, je n'ai pas ressenti d'émotion à sa lecture...

Merci de l'avoir partagé ici, car malgré ma remarque précédente je le trouve vraiment bien, et je trouve tes phrases très justes.

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