L'envers d'eux deux

...
Au dehors de Rog Nirea, la Cité semblait encore plus curieuse : S'articulant comme un gouffre, la ville donnait l'impression de s'enfoncer irrémédiablement en son centre.
Ramrod avait remarqué dès son arrivée ici, accompagné d'un écureuil bavard et d'une gardienne évanouie, l'étrange similitude entre une Aëringor qui s'élevait vers les cieux, couronnée par sa Tour rouge, et une Rog Nirea, qui creusait apparemment sous la Terre, pour se finir par ...
... la caverne de mon inversé de despote ?

Mais le plus délirant n'était pas là, et ce ne fut qu'alors que Dounette (qui n'avait pas encore été au dehors) levait la tête, qu'elle le remarqua :

Mais ... où est le ciel ?! Ram, pourquoi tous ces ...

... des arbres, à ce que j'ai compris de Julius.
Il n'y peut avoir de ciel au-dessus de notre tête, Doun'.
Tout est inversé.
Effectivement, loin au dessus de la Cité, tapissant le "plafond", pointaient dangeureusement vers le bas, une myriade d'arbres cyclopéens.
Un horizon de feuilles et branches, à perte de vue.
Pas de soleil, pas de nuages. Mais une timide lumière les éclairait on ne sait comment ...

Le ciel, s'il y en a, c'est ... par là.
Il désigna du menton le centre de la Cité, qui s'enfonçait de quartiers en quartiers vers un trou noir.
Mais ... Il faut sortir Julius du pilori avant toute chose.
Il nous dira peut-être comment nous servir de ce qu'on a dérobé à la Taverne.

Il faut te faire soigner, d'abord. Qu'est ce qui s'est passé, dans la chambre ?
Je vais très bien. ... Il a voulu me proposer la botte, mais j'étais trop mal rasé pour lui.
Arrête, tu sais très bien de quoi je parle. Tu es ...
... Impatient de retrouver Casse-Noisettes. Le pilori, c'est par là-bas, je crois.
Il lui attrapa la main, et commença à marcher sur les ardoises blanches des toits.
Les toits se jouxtaient de près, ils n'avaient guère de mal à passer de bâtiment en bâtiment.
Et plus en plus bas.

Ce que Ramrod et Dounette ne purent deviner, c'est que loin derrière eux,
avançant silencieusement d'ombre en ombre, une silhouette mauvaise les guettait toujours.
Il ne les avait pas quittés des yeux. Pas depuis la chambre ...

Elle ... Je la tuerai comme l'autre.
Lui ... Il souffrira encore. Le doyen en a décidé ainsi.

Le pilori ...
Grande place pavée et sombre, bordée de bâtiments noirs.
En son centre, trônait un autel immense, découpé dans la pierre, buriné par le sang seché.
La place était vide ... en dehors de la petite silhouette enchaînée qu'on avait oubliée depuis longtemps.
Son hurlement rauque perçait le silence de la nuit ...

RRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRROOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOO
OOOOOXXXXXXXXXXXXXXXAAAAAAAAAAAAANNNNNNNNNNNEEEEEEEEEEEEEEE!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Fou don't Haffe to Put on the Red Light !!! Fhose dayz are ofeeer, Fou don't haffe to ... FFeeeeeell your body to Ve night !!!!!!!!!!!!!!!!!!
...
RRROOOOOOOO... Mm ?

"Ah ba fous en afez fi du tempf !"

Deux yeux noisettes lancèrent des éclairs de colère à l'intention des deux silhouettes qui tentaient tant bien que mal de se cacher dans l'ombre d'une des ruelles qui debouchaient sur la Grand Place.

"Allez ! Grouiffez fous ! F'ai une touffe de foils coinfés et ca fait un mal de fien !"

"Bravo pour la discrétion" marmonna Ramrod.
Personne à droite, personne à gauche...On y va !

En mode sioux qui-n'a-pas-peur-et-qui-fait-fi-du-danger, Dounette et Ramrod s'élancèrent sur la place, et foncèrent sur le pilori où s'agitait Julius. Fort heureusement, les piloris d'à côté étaient vides, ce qui semblait d'ailleurs vraiment surprenant dans un tel pays.

Pendant que Ramrod s'évertuait à libérer le petit rongeur bleu de ses chaînes, Dounette fronca un sourcil, et s'approcha de Julius, soupsonneuse. Puis un grand sourire s'épanouit sur son visage.

"Mais Julius ! Tu zozotes !" s'esclaffa la jeune fille
"Chuuuuuut !" rouspéta Ramrod, s'escrimant sur une chaine
Fuuuuuuut ! répéta Julius à sa suite "Fi tu crois que f'est facile à ronger, des faines en afier, fu te trompes! Et arrete de fire !"

Dounette, hillare, dût mettre ses mains sur sa bouche à s'en étouffer pour préserver la discrétion du petit groupe, qui ne tarda pas à disparaître dans les ruelles obscures attenantes, laissant sur place un amas de chaînes - et quelques touffes de poils bleus.

...

Ram' ?"
Dounette venait de s'arrêter net, la main sur le ventre, l'air inquiet.

Que se passe t il?" s'enquit Ramrod, vaguement alarmé.
Ouink?" renchérit Julius, qui ne perdait, de toute façon, jamais une occasion de se taire.


"Ram...On a grimpé en haut d'un sapin, on s'est fait agresser par des écureuils,
des roux, des bleus, on a fait les guignols pendus à une branche...


...On est tombés dans un gouffre, dans un toboggan géant, on s'est fait courser dans des tunnels...


...On a fait les funambules sur les toits, on a declenché une bagage, on est...

Viens en au fait, Dounette...Le temps tourne à l'orage, on dirait..."

Ramrod levait vers le ciel des yeux inquiets, levant une main paume tournée vers le haut, dans l'attente de la première goutte.

Ram' ! Ce n'est pas l'orage ! J'ai faim ! Tu sais depuis combien de temps on a pas mangé ?"
Maintenant que tu le dis..."
L'estomac du Peintre manifesta alors bruyamment son accord, et sembla engager poliment une conversation avec son pendant féminin.
Moi fa biche, mais je ne fuis jamais contre me caler une noisette ou deux sous les infisives, à priori..."zozota Julius.

Et puisque en Aeringor, nous avons le Kom Turgo, restaurant de luxe..." réflêchit tout haut la gardienne.
...ici y a moyen de trouver un vague équivalent, puisque les deux villes sont liées ! " continua Ramrod
Arrêtez de terminer ainfi les phrases de l'autre, comme fa...c'est d'un cliché..." ronchonna Julius.

Les deux gardiens commencèrent à se diriger vers la zone probable où devait, d'après eux, se situer le restaurant dans ce miroir déformé d'Aeringor, puisque les deux cités semblaient avoir - à la louche - à
peu près la même stucture architecturale.

Mais puisque le Kom Turgo est en Aeringor un restaurant grand luxe...
...ici, qu'est ce que ça doit être !

Un fast food ?
Une sandwicherie ?
Une gargotte?
Le bistrot "chez Roger"?
...
Pire !
...le Palais de la frite...

Autant Rog Niréa était à tendance nettement grise, du gris gris franchement gris au gris souris, en passant, évidement, par le très classique gris ardoise, actuellement en vogue chez les coquettes de la ville, autant cette boutique détonnait par son...jaune.
Les gardiens regardèrent, perplexes, l'écriteau sur lequel figurait un bonhomme d'aspect jovial résentant joyeusement un cornet de frites luisantes.

Aie mes noeils !"
Ca pique un peu, tout ce jaune..."
Allez, on entre ? Qu'est ce qu'on risque ?"
A part une intoxication alimentaire tu veux dire? Ooo pas grand chose..."

Il faut rendre justice au propriétaire : celui-ci semblait, au moins, avoir de la suite dans les idées, et n'avait pas hésité à aller jusqu'au bout de son concept en assortissant joyeusement l'intérieur à l'extérieur...

- bondjoû, bondjoû, ètrandjè !"

- Sephi ?" s'étrangla Dounette
- Son double", corrigea Ramrod, pragmatique.

Le tenancier, derrière son comptoir, souriait de toutes ses dents, les mains posées bien à plat sur son ventre rebondi, ses oreilles d'elfe pointant à travers sa toque d'une blancheur douteuse.

- Sephi...tu peux répéter ? On a pas mangé depuis longtemps et ça doit nous jouer des tours ..."

- jé dies ...bondjoû, bondjoû, ètrandjè !"
Ah oui nan c'est pas la faim...
- Sephi ! On est pas sourd ! On a juste pas l'décodeur !

Le tenancier du Palais de la Frite, le typique Sephiroth, avait gentiment assis l'ex-Gardienne du Conseil, l'ex-Gardien des Arts et le curieux écureuil bleuté à une table ...
Gentiment, certes, mais avec fermeté et sans autre choix possible.
Mais là n'était (finalement) pas le problème.
Le problème venait des trois assiettes qu'avait posées leur hôte devant eux.

Hm ...
Vivi ...
Quoi ?
Non, rien.
Rien du tout.

...

Commence, toi, Julius.
Oui, juste pour voir.
... si tu meurs tout de suite ou non.
Au mieux ça te cautérisera le museau 10 minutes.
HEIN?
Au pire ... Ah oui non, en fait, on a un peu besoin de lui.
Ah oui flûte ...
AH.
MAIS QUOI ?
Mmmmmm ... Vas-y toi, Ram'
MOI ? Nononononon ...
sisisisisisi ... Sois fort, Homme blanc. Toi manger Coyote Rapé.
Toi, la Violette à longs poils ... Attends queJE SUIS BLEU, gros charnu tondu !!
Allez ! ma rawette de Frites sauce Lapin n'est pas bonne ? Ne me racontez pas de carabistouilles, hein !!

Sephiroth, et sa mine bonhomme inhabituelle, était venu s'accoler à la Table, s'essuyant les doigts sur son tablier
(qui ne fut sûrement jamais blanc, et qui le serait encore moins après ... ça d'essuyé dessus).

Ramrod leva la tête vers lui, le teint légèrement aussi blanc que ses cheveux.
Dounette, elle, essayait de détourner le regard de l'assiette.
Julius, lui, commençait à regarder son assiette d'un autre œil ...
Du lapin ? Y'à du lapin, là d'dans ? Héhé, je vais me sacrifier, bougez pô !

A ce moment là, tout alla très vite :
Ramrod, sans cesser de fixer Sephiroth, empoigna le Carnicureuil à la taille, alors que Dounette, dans le même instant, lui fermait les mâchoires de ses mains prudentes. Ils se lévèrent d'un bond tous les deux, saucissonnant discrètement le petit affamé.
Ramrod grimaça un sourire, et fit ce qu'il peut pour paraître sincère et éviter de bafouiller :

Sephi ... Hmm ... Boah finalement ...
Ne nous en veux pas, mais le devoir nous appelle, tu comprends.
Vivi, le sort de la Terre du Milieu est entre nos mains, tu vois ?
Hein ? Mais tu racontes quoi, toi ?

Le Roi de la Frite eut une moue d'incompréhension, puis se gratta le menton en guise de réflexion.
Menton qui parut nettement plus jaune après le passage des doigts du propriétaire.

On postpose une fois le dîner, si ça vous plaît.
Vous avez difficiles, je vois bien.
Oui, voilà, oui.
Hm ? Il dit quoi, là ?
chuuuut .... laisse.

Ce faisant, le petit trio s'avançait lentement vers la sortie, ponctuant leur pas de petits signes de la main et de sourires forcés à leur hôte.

Frouchelez pas trop, tous les deux ! leur fit Sephiroth en joignant un clin d'oeil complice, alors qu'ils passaient la porte.

OUF.
Désolé Dou ... Pas trop faim ?
Si je m'écroule, tu me porteras, ça nous rappellera des souvenirs ...
On peut le lâcher, tu crois ?

... Julius ... Sage, ok ? Pas bon manger là-bas. Pas bon.
Je suis peut-être petit,
J'ai peut-être de jolis yeux en amandes,
J'ai sûrement une voix trop aïgue pour mon âge,
mais ...
Ne me parlez plus comme ça. Pas à un carnicureuil dans la force de l'âge.
Ah ? Tu es vieux, alors ?
Toi, la peste, je vais te ...
te ...
Bon.
ok ok.
On vas par là, alors ...

Julius tendit une griffe vers une ruelle sombre qui descendait.
Du moins croyait-il pointer une ruelle.
En définitive, il ne faisait que désigner une silhouette métallique devant eux, obstruant le passage, immobile.

VOUS ... N'ALLEZ ... NULLE PART.

VOUS...N'ALLEZ...NULLE PART.

Julius laissa retomber sa griffe, sa papate pendant aussi mollement le long de son corps que la mâchoire de Ramrod devant la montagne métallique.
L'Inconnu, fermement campé sur ses jambes, tenait à deux mains une énorme épée, brillante au soleil, menaçante, et implacable. A travers les fentes étroites du heaume brillait un regard : les yeux du guerrier étaient braqués sur Ramrod, intenses...haineux...Mais derrière, on pouvait y deviner comme une étincelle ... de dévotion?

VOUS...NE...PASSEREZ... PAAAAAS !

Dounette ne douta pas un seul instant de la véracité de cette affirmation, somme toute assez arbitraire. Le temps semblait s'être figé autour d'eux, comme si la meilleure chose à faire - la seule possible dans ce cas précis - était de bouger le moins possible, afin de ne pas exciter l'instinct meurtrier d'un grand fauve. La jeune fille s'attendait presque à voir Julius tomber à la renverse, langue pendante et yeux révulsés, afin de simuler le mort.

FUYEZ, PAUVRES FOUS !

*Tiens? Ca me dit quelque chose...*

Sephiroth, les mains encore encombrées par un chiffon crasseux, venait de faire irruption dans la ruelle, face à l'
Inconnu. Le sympathique tenancier semblait avoir subit une transformation radicale, et son sourire affable laissait à présent place à un rictus guerrier.

Ce fut Ramrod qui réagit le plus vite. Attrapant la main de Dounette, il faillit la faire trébucher lorsqu'il entama une course folle à travers les ruelles. Julius démarra juste après, et galopant de toute force, parvint à les rattraper, et même, à les dépasser.
Ce fût au moment où Dounette pensait sentir son cœur exploser dans sa poitrine que Ramrod commença à ralentir l'allure. Sa poigne autour de son bras se desserra petit à petit. Leur course se termina au fond d'une cour proprette et ombragée. La Gardienne, à bout de souffle, se laissa littéralement tomber par terre, tandis que Ramrod s'appuyait sur le mur, légèrement pâle.

"Ramrod...C'est lui, n'est ce pas, qui nous a attaqué lorsqu'on était à l'auberge?"
...
"Oui, je suis certaine que c'était lui. Que nous veut il? Tu as VU comment il t'a regardé ? Il te connait..."
...
"A moins qu'il ne connaisse ton double? Remarque, ce ne serait pas étonnant, qui ne connait pas Ramrod l'Usurpateur ?"
...
"As tu remarqué ses cheveux roux qui dépassaient ? Et son armure...Il ne t'a pas semblé déjà avoir vu une armure pareille ? A cette exception ci que cette armure ci est noire, et que celle de Nichiren est d'or..."
...
"Ram? Dis donc! Tu pourrais répondre quand je..."

Dans un grognement de douleur, le Gardien des Arts venait de s'affaisser, glissant le long du mur. Le long de sa jambe, une rigole de sang teintait sa toge d'une couleur de mort.

"Ramrod ! Ô mon dieu, j'avais complètement oublié que tu étais blessé !"
Mais le jeune homme venait de s'évanouir. Son visage, pâle, était trempé d'une sueur glacée.

"Ram...Ram...Réveille toi ! Je ne peux pas te porter !" gémit Dounette, désespérée, secouant mollement un pan de la toge de son ami. Son regard, hébété, balaya la cour, à la recherche d'une solution miracle et s'arrêta sur ... Julius.

"Julius ! " s'exclama Dounette. Le carnicureuil en fit quelques pas en arrière de surprise. "Tu vas devoir nous aider. Sans toi, Ramrod est fichu !
Il y a dans cette ville une dame qui se cache. Elle se nomme Dame Elvia. Dans notre monde, elle est guérisseuse. Peut être en est il de même à Rog Niréa...

File ! trouve là, et ramène la !"

"Bon...ne-pas-s'affoler", murmura Dounette, en passant rapidement en revue leurs maigres possessions.
Etalé sur le sol devant elle, un petit tas de bric à brac.
"Un crayon -sans mine...Deux pinceaux, un morceau de toile déchiré...un sachet de noisettes vide -de sa faute d'façon tout ce qui nous arrive...un mouchoir, sale."
Ca devait être la fatalité, après tout.

Se retournant vers Ramrod, Dounette constata que la situation, bien loin de s'être améliorée, avait même empiré le temps qu'il lui avait fallu pour se rendre compte ... qu'absolument rien ne pouvait les aider à se sortir de cette mouise. Le jeune homme était encore plus pâle, et gémissait dans son inconscience. De longues rigoles de sueur froide coulaient le long de ses tempes. La jeune fille entrepris de les éponger à l'aide du vieux mouchoir qu'elle avait découvert dans l'une des poches intérieures de la toge du peintre.

Jetant un coup d'œil vers l'entrée de la petite cour, pour la quinzième fois au moins depuis qu'elle avait envoyé Julius chercher du secours, Dounette se figea, interdite. Là, sa silhouette se découpant clairement dans la pénombre constante de Rog Niréa, une vieille femme. Et à ses pieds...

"Qu'est ce que ça peut bien être ? Un vilain petit canard?"

Quelques secondes se passèrent ainsi, puis l'ancêtre se décida à avancer vers Dounette, toujours agenouillée auprès de Ramrod.
Son visage ressemblait à un vieux drap fripé, tant les plis de l'age étaient marqués. Cependant, même dans sa prime jeunesse, bien qu'il sembla presque impossible à Dounette d'imaginer que telle vieillesse puisse avoir été jeune autrefois, cette femme n'avait jamais dû être d'une grande beauté. Son nez était proéminent, ses dents, aujourd'hui déchaussées, n'avaient jamais du être bien droites, et ses cheveux filasses paraissaient d'une propreté douteuse. Le vilain petit canard la suivait, collé à ses basques.

"Qui...qui êtes vous?" Dounette tenta de s'écarter un peu de la vieille qui avançait toujours plus près, inexorablement. On ne sait jamais...la laideur peut elle être contagieuse?

"Tu ne me reconnais pas, jeune demoiselle ? Pourtant, si je suis ici, dans ce monde...je dois également être dans le tien..."
Dounette leva les yeux, surprise, vers le visage décharné. Tout semblait archaïque dans cet être. Tout sauf ... ses yeux. Dounette avait déjà vu ce regard vif et malicieux quelque part...Baissant les yeux vers la bestiole qui accompagnait l'inconnue, la Gardienne su alors QUI elle avait en face d'elle...

La vieille sourit. "Ca y est, tu m'as reconnue? Mon double doit être sensiblement différent de moi, si je me fie à ce que j'ai appris sur toi..."
"Le moins qu'on puisse dire, c'est que oui, elle l'est, différente...Schaft.

Schaft Koneko..."

"Schaft Koneko...."Les yeux de la vieille se voilèrent légèrement, et son corps maigre fut parcouru d'un long frisson de nostalgie. "C'est ainsi qu'on m'appelait, avant."
Puis d'une voix plus ferme :"Tu peux m'appeler La Vieille. Ici, c'est sous ce sobriquet qu'on me connaît.

Puis, d'un geste étonnamment vif, la vieille attrapa le menton de Dounette et l'obligea à lever les yeux vers elle.
"Et je sais bien des choses...Comme par exemple, que ta présence en ces lieux..vivante...est tout à fait étonnante..."
La gardienne, tout d'abord effrayée par le contact glacé de la main fripée, fronça les sourcils sous le coup de la curiosité. "Vivante?"
Schaft lui jeta un coup d'œil, puis lâcha le visage de Dounette, visiblement satisfaite d'avoir pu accrocher l'intérêt de la jeune fille.

Resserrant ses épaisseurs de châles autour de ses maigres épaules, Schaft continua, tout à fait ravie, apparemment, d'avoir trouvé un auditoire aussi attentif à aussi bon compte.

"Oui " s'écria t elle d'un air théâtral, " Je suis la dernière ici bas à connaitre les secrets enfouis...La dernière..à part l'Ancêtre. Mais la pauvre Egorann est tellement vieille qu'elle ne sait même plus comment elle s'appelle. Les secrets sont plus que jamais enfouis dans sa pauvre tête perdue...

Et à toi, je vais les révéler. A toi, qui ne devrait pas être là..."

Schaft marqua un temps d'arrêt, pour s'assurer que son auditrice ne perdait pas une miette de son grandiloquent discours. Une fois rassurée, la vieille continua, la main toujours fermée, telle une serre, autour de ses châles.

"Rares sont ceux qui connaissent les secrets des Mondes Inversés. Quelques arbres, tout au plus...et moi. Elvia, peut être...mais rien n'est moins sûr. C'est donc une des Dernières Connaissances que tu as acquises, en tombant dans ce trou..."
"Poussée, serait le mot juste" murmura Dounette.
"... et en te retrouvant parmi nous. Mais tu ne sais pas tout. De grands dangers vous guettent !"
"Oui, ça, on le savait déjà...Le mauvais Ramrod, le mauvais Nichiren...y en a une paire comme ça..."
"Pire." le ton était sans appel, et Schaft semblait se régaler de ce petit instant de gloire.
"Les deux mondes sont régis par des lois inviolables.
La première : ne jamais, jamais, ô grand jamais se retrouver en face de son double ! Le Temps lui-même n'y survivrait pas...Car lorsque l'improbable rencontre le réel, de grandes catastrophes font vaciller la base même de nos mondes..."
Schaft se rapprocha de Dounette, et planta ses yeux vifs dans ceux de la jeune fille. Puis, baissant la voix, elle murmura :
"Et la deuxième loi...un double ne peut mourir sans entraîner l'extinction de l'autre, dans son monde...Les essences sont liés, et la Vie elle-même ne peut déroger à ce grand principe. Aucun survivant. C'est ainsi."
La Vieille fit un clin d'oeil entendu à Dounette, semblant attendre quelque chose d'elle...
"Euh..."
"Quoi? Tu ne comprends pas? " Schaft jubilait, tout heureuse de donner sa brillante conclusion.
"Si tu es ici, vivante, cela ne peut signifier qu'une seule chose...Dounette l'Usurpatrice est encore en vie ! Ramrod a donc échoué dans sa tentative d'éliminer sa plus vieille ennemie...Cela peut être un élément décisif dans notre lutte..."

La Vieille marmonnait, à présent, perdue dans ses réflexions.
"Tiens, d'ailleurs, je me demande quels résultats cela pourrait bien donner, que toi - ou lui, dit elle en désignant d'un vague geste Ramrod étendu à terre- mourriez en terre inversées ... Les lois inviolables auraient-elles une faille? Non...impossible...les arbres ont tout prévu..."

Soudain, à l'extrême limite de sa vision, Dounette aperçut un éclair métallique, qui alluma immédiatement tous les signaux d'alarme de son cerveau.

"Attent..."

Trop tard...

Dans une effrayante lenteur, Schaft Koneko, dit La Vieille, se plia, une intense expression de douleur déformant son visage fripé. Ses mains éternellement accrochées à ses châles enserraient cette fois-ci le métal froid d'une épée lui sortant de la poitrine.
Puis, avant même que le flot rouge de vie ait tâché sa robe rapiécée, le corps flasque de ce qui avait été Schaft Koneko s'effondra sur le pavé.
Derrière, menaçante, l'armure brillante du chevalier. Nichiren.

Ca pulse hein?

Julius ??? Comment ...? Que ...? Mais ?!
Puis, dans un éclair de colère :
Et .. si tu es si fort que ça, t'aurais pas pu te libérer tout seul de tes chaînes tout à l'heure ?! Tu nous as laissé courir un grand risque pour venir te libérer, pendant que môssieur chantait !

Jetant un bref coup d'œil légèrement arrogant à Dounette, le petit rouquin leva une patte et inspecta ostensiblement le coupant d'une de ses griffes de devant. Puis, après un bref temps d'arrêt, daigna répondre :
T'as encore des choses à apprendre sur les carnicureuils petite.
Puis, très fier de son effet et ne pouvant garder aussi longtemps une attitude sérieuse, Julius se remit sur ses pattes et en deux bonds fut sur le torse de Ramrod, toujours allongé à terre, inconscient des évènements dramatiques qui se jouaient autour de lui.

Elvia, dans un tourbillon de robes exaspérée, passa en trombe et jeta à peine une regard au chevalier noir assommé.

Dépêchons nous. Si lui est là, c'est que les autres ne sont pas loin. Et je ne tiens pas à être encore dans le coin quand Nichiren va se réveiller. Ça ne sera pas joli joli ...

Dounette, reprenant peu à peu conscience de ce qui l'entourait, ravala sa frayeur et murmura, atterrée :

Il n'est pas mort n'est ce pas ? Parce qu'on a un Nichiren chez nous ... Bé vous allez pas me croire hein... Mais l'est gentil comme tout et ..
Dounette s'arrêta, foudroyée par le regard sévère de la guerrisseuse. Puis, comme si la gardienne n'existait pas, Elvia se pencha tendrement sur le corps de Ramrod, un étrange sourire aux lèvres. Elle porta les mains vers son cou, là où une fiole de cristal brillait d'un pur éclat, puis, tout en marmonnant quelques paroles réconfortantes, glissa quelques gouttes du liquide qu'elle contenait entre les lèvres serrées du peintre évanoui.

Voilà. Il va falloir prendre patience à présent. Cela peut prendre quelques minutes avant qu'il ne s'éveille, puis encore un petit moment avant qu'il n'ai retrouvé suffisamment de force pour avancer. Ma magie est puissante, mais elle garde ses limites.

Elvia jeta un coup d'oeil vers Dounette, toujours prostrée. L'expression de la jeune fille devait être pitoyable, car la grande guerrisseuse sembla s'adoucir.

Vous êtes à présent trop engagés dans une voie qui ne peut que vous amener vers la gloire ou la destruction. la neutralité n'est plus de mise. Ramrod l'Usurpateur sera détruit ou vous capturera, c'est un fait.

Dounette leva un regard hagard vers Elvia, le front plissé, dans un effort visible pour donner un sens aux évènements de la journée. Puis, avec un éclat de sanglot dans la voix :
Mais nous voulions juste manger des noisettes ...
Elvia posa une main apaisante sur le bras de Dounette, et sentit sous sa paume les frissons angoissée de la jeune fille.
Les choses arrivent parfois pour des raisons qu'on ne peut comprendre. Pourquoi, par exemple, as tu vu le jour dans ce monde choyé où la lumière du jour éclaire vos vies, lorsque nous autres devons lutter dans cette guerre intestine, au fond d'un monde en gris et blanc?
Puis, avec une petite tape de reproche, Elvia continua :
Nous trouverons le moyen de vous faire rentrer. Mais avant cela, vous devrez nous aider. Je crois en la sagesse des Gardiens. L'un d'eux vous a envoyé ici, et ceci, pour moi, est un gage suffisant pour vous faire confiance.

Et, alors que Ramrod commençait à s'agiter faiblement, la rougeur de la vie teintant à présent légèrement le haut de son front, Elvia tendit la main, l'air décidé :

Bienvenue dans la résistance !

Oui mais bon .... Quand même !
Mais-je-te-dis-que-c'est-Elvia !
Et depuis quand Elvia use de sorts de combat ?
... de lévitation, nouillasse.
Répète. Juste pour voir.
... de lévitation. 'Bien pour ça que le cuirassé à volé, tu comprends bien, nou ...
Dou.
Bah pour qu'elle te délègue un sort de ce niveau, il fallait bien qu'elle soit un peu c...

Il se réveille.
Ramrod ouvrit lentement les yeux, comme s'ils pesaient quelques kilos chacun.
Il vit tout d'abord deux mains ouvertes au-dessus de lui, une lueur fine s'en échappant lentement.
Puis son visage, qu'il faillit prendre pour celle qu'il connaissait, mais qui n'était que dureté et autorité.
Elvia ... ?
Oui. Ton corps ira mieux, désormais. Je te laisse à tes amis.

Il entendit des pas accourir vers lui. Sa vision était encore un peu trouble, mais lui apparut soudain le visage de Dounette, avec cette expresion inquiète qu'il connaissait si bien. Elle lui semblait si belle, aujourd'hui ...
Hello, beau blanc. Tu nous as manqués.
Puréééééééé !! Les miquettes que tu nous as mis, toiiii ! Nan mais j'te jure, ça pissait le sang, ça tremblotait, ça allait CRE-VER.
Et BADABAM Voilà la sorcière qui nous agites ses mains au-dessus de toi, tu vois, là comme ça ...
Salut, Julius ... Tais-toi : c'est déjà trop pour moi.
Salut, ma Dounette. Trop content de te retrouver.
GRMBL.

Le Carnicureuil pivota en ronchonnant, les bras croisés.
Ramrod essaya de se relever, aidé par Dounette, ses jambes tremblaient encore un peu.
l'ex Gardien des Arts leva les yeux vers l'endroit où il se trouvait : une grotte basse de plafond, meublé et décorée chichement, qui se prolongeait devant lui en mince couloir, dans lequel la pénombre perdurait.
A quelques mètres de lui, Elvia attendait patiemment, Astriel, "le chat-chauve-souris" s'était perché au plus haut (sans doute pour échapper aux griffes de Julius), et une troisième personne qu'il ne connaissait pas.
Quoique ...

L'inversé est remis. Allons-y.
L'inconnu avait parlé. Froidement, en fixant Elvia.
Remis ... heuuu ... Ne me demandez ni de courir, ni de sauter, et considérez que j'ai 80 ans pendant 10 minutes.
Justement ... Minute. On part OÙ ?
L'inconnu pivota lentement pour fixer maintenant le Peintre.
Son regard était dur et froid comme la pierre.
A la guerre. Vyndolanda l'Olivier nous attend.

Face à la moue stupéfaite de Ramrod, Dounette s'approcha et lui attrapa le bras.
Vivi ... Moi aussi j'ai pensé à une recette de cuisine : "Vin d'Olande à l'olive d'Hyères".
Je t'expliquerai plus tard. Suivons-les.
... J'avais encore l'espoir de m'être sorti de ce cauchemar. Bon .. Tant pis.

Dounette tenait fermement le bras de Ramrod. Il pouvait parfaitement marcher seul depuis quelques minutes, les effets du sort de guérison d'Elvia ayant pleinement fait leur travail, mais la jeune fille ne se décidait pas à le lâcher. Elle avait eu si peur de le perdre ! Jusque là, elle avait fermement refusé de réfléchir sur ce qu'elle éprouvait pour le gardien des Arts. Était ce l'effet de cette abominable aventure? Ou quelque chose de plus profond? Avait elle seulement eu peur de se retrouver abandonnée dans ce monde sans queue ni tête?
Quoi qu'il en soit, elle ne pouvait lâcher ce bras rassurant, s'accrochant de toutes ses forces à cet homme qu'elle avait bien failli perdre.

Elle reporta son regard sur la silhouette de dos d'Elvia. Elle marchait devant eux, conférant à voix basse avec le jeune homme inconnu qui s'était rudement adressé à eux auparavant. Si Elvia semblait être la chef de la petite troupe de révolté de la ville, l'inconnu lui, semblait être le maître de ce qui se trouvait en dehors de l'enceinte de Rog Nirea. La discussion semblait houleuse, ce qui ajoutait à l'inquiétude de Dounette. L'inconnu ne voulait pas d'eux, elle en était certaine. Elvia seule suffirait elle à les protéger? Et voudrait elle le faire, d'ailleurs?

La marche dans les obscurs couloirs sous-terrains ne fut pas longue, mais suffisante pour éprouver durement les nerfs de la jeune fille. L'humidité suintait, et personne n'avait pensé à leur fournir une torche. Ils devaient se contenter de la faible lueur de la torche de tête, et le noir profond qui naissait derrière eux ne lassait pas d'inquiéter Dounette, réveillant d'antiques peurs d'enfant.
Enfin, l'air libre. Bien au delà des murs de la cité. En se retournant, Dounette fut saisie par l'étonnante ressemblance avec la ville de son monde. Si proche, mais si effroyablement différentes !
- On ne traine pas." dit l'Inconnu. "C'est dangereux par ici. Les hommes du Félon patrouillent de temps en temps en dehors des murs, ajouta t il en regardant fixement Ramrod. Visiblement, il n'était pas convaincu de la différence entre cet être venu d'un autre monde, et le tyran qu'ils combattaient. Dounette ne pouvait pas lui en vouloir, elle même était toujours sous le choc de voir des visages aimés transformés par le rictus de la haine. Nichiren...
Une solide poussée la sortit de ses rêveries. L'inconnu la fusilla du regard, un regard sombre, et s'avança vers la lisière de la forêt. Dounette se demanda pour la énième fois qui cet homme pouvait être. Sa longue cape noir lui cachait le corps et le visage, à l'exception de ses yeux, froids et sombres comme de l'acier. Même Elvia semblait le craindre.

Dounette frissonna en pénétrant sous le couvert des fondations, ne pouvant oublier le sinistre couloir d'arbres inversés qu'ils avaient traversés à leur arrivée. Ils n'eurent pas beaucoup à marcher avant le premier bivouac. D'autres hommes attendaient là, affutant leurs armes, s'entrainant à l'arc ou simplement se réchauffant autours de feux de camps. Tous levèrent les yeux à leur arrivée, et fixèrent intensément Ramrod, toujours faible et pâle. Beaucoup eurent des rictus de haine à leur passage, et Dounette sentit sa peau se couvrir de chair de poule sous la tension hostile, palpable dans l'air ambiant. Ils reconnurent au passage quelques visages : Nylrem... Grendelor...Dans un coin sombre se tenait une haute silhouette, le regard rougeoyant ...

Dounette reporta le regard vers leur guide. Celui-ci avait ôté sa capuche et conférait à voix basse avec un homme que la jeune fille ne connaissait pas. Soudain, l'inconnu se tourna vers elle et lui coula un regard brulant d'une haine contenue. Dounette sentit Ramrod sursauter de surprise, et elle-même sentit les couleurs quitter son visage.

Aillas ...