[Background] Voyage.

30 Novembre.

Depuis une semaine déjà, m'est venue l'idée du voyage. Un voyage pour me ressourcer, retrouver l'inspiration, revenir à mes racines que la vie en couple m'a délicieusement fait quitter.
Trois semaines, du moins je l'espère, à voyager à travers Aelis et au delà, par la voie des airs. Je suis allé ce matin au marché, afin de faire le plus de provisions possibles. Des fruits secs, du pain pouvant être conservé longtemps sans trop durcir, du fromage, sec aussi, du lard séché et fumé, et d'autres victuailles, que je compte marier avec ce que je pourrais trouver au cours de mon voyage. J'ai de l'or comme monnaie d'échange, et je peux troquer quelques bricoles. Le démantèlement provisoire d'une des mitrailleuse du Papillon a permis de libérer de la place dans la soute, assez pour caser la nourriture et le matériel (que j'ai essayé de limiter au maximum). J'en ai profité pour lui faire une petite révision ; il roucoule comme un moineau (quelle ironie, pour un papillon). L'isolation a été renforcée. S'il n'y a pas trop de vent ni de turbulence, je devrais pouvoir rédiger mon carnet en vol.

Demain sera le grand jour, le départ. Tôt le matin, pour partir le plus loin possible dès la première journée. J'espère pouvoir sortir du pays, au moins avant que tombe le soleil quelque part entre mer et terre. Qui sait ce que je vais découvrir en dehors ? J'ai fouillé dans les archives de Belthil, et il est étonnant de constater que l'on possède très peu de trace de voyages au delà de nos frontières, comme si Ter Aelis saisissait au vent les voyageurs, sans jamais les lui rendre.

Il n'a pas été facile de parler de ce voyage à Kyara, mon épouse. Sans doute aussi parce que j'ai fais l'erreur d'attendre l'avant-dernier jour pour lui dire. J'ai toujours peur de la rendre malheureuse, si sensible est-elle. J'ai dû lui faire de la peine, mais elle allait mieux, aujourd'hui ; Il ne doit pas être facile de vivre avec un aviateur comme moi, même si j'ai beaucoup réprimé mon esprit voyageur. Je me dis que lorsque je reviendrais, dans une vingtaine de jours, les deux semaines de vacances nous feront beaucoup de bien à tous les deux. Je l'emmènerais sans doute au restaurant, peut-être même que l'on prendra un week-end tous les deux dans un hôtel-volant, comme pour notre lune de miel. Et Noël viendra aussi, et la grande envolée des cadeaux qui l'accompagne. Je dédaigne un peu cette fête, mais tant pis, il faut ça pour me faire pardonner, et j'ai quelques idées d'attentions à lui offrir.

En vérité, le voyage commence ici, aux premières lignes de ce carnet de bord. Et si je ne suis dans le cockpit de mon avion, les mains serrées sur le manche, cette première journée est déjà une expédition dans mon esprit, à refléchir aux conséquences de tout ça, aux risques (minimes), à ma petite Princesse qui m'attend(ra).

Aujourd'hui, pour la dernière fois avant de partir, nous avons fait l'amour elle et moi. Ca n'avait pas un goût d'adieu, mais plutôt comme une manière de se dire au revoir, quelque chose qui dépasse les mots, qui les sublime. Sait-elle en cet instant, je la sens qui regarde par l'entrebâillement de la porte du bureau, que je suis en train d'écrire cela ?

1er Décembre.

Heureuse constatation : je peux effectivement prendre mes notes dans mon cockpit. C'est donc dans cet espace etriqué qu'apparaissent ces lignes sous ma plume. Mon carnet tiens sur mon bras qui tient le manche. C'est assez incorfortable, mais je tolère.

Le départ ce matin s'est parfaitement déroulé. Le ciel est limpide depuis que le soleil s'est levé, ce qui permet une navigation confortable malgré le vent du nord assez important. Le Papillon s'est "levé" sans effort, et le décollage n'a posé aucun problème, même si les cieux portaient encore sur eux, le bleu de la nuit.

Pour ma part, je suis sorti paisiblement de mon lit, après avoir embrassé une dernière fois sur le front la Princesse qui partage mes draps. Dernière douche et dernier petit déjeûner chez moi, avant un bout de temps. J'espère que je trouverais d'ici là une occasion de me laver - peut-être dans le désert, la température devrait être supportable, quoique. Le petit-déjeûner seul avait quelque chose très étrange. En semaine, je ne déjeûne que très rapidement, souvent par quelques fruits achetés à la volée au marché ; le week-end, c'est en amoureux avec Kyara, au lit ou dans la cuisine. Cette fois-ci, la solitude seule me tenait compagnie, si je puis dire.

Mes affaires bouclées, mes gants, ma casquette enfilés, je suis parti un peu mécaniquement, sans trop reflechir à ce que je faisais. Le mois de décembre se fait sentir : En marchant je tremblais légèrement malgré toute la chaleur que me procure ma cape verte de voyage. Je pensais au mot que j'avais laissé sur la table de la cuisine.

"Ma douce,

Quand tu liras ce message, j'aurais sans doute déjà décollé, et je contemplerais le paysage de notre patrie, en me disant que seule ta beauté l'égale. Je te demande encore pardon d'être parti, même si tu me dirais si j'étais là, que c'est mieux pour moi. Tu aurais sans doute raison. J'espère que je ne te manquerais pas, du moins pas trop. Je ne vais pas m'étaler, sinon tu auras de la peine, je te connais bien. Prends soin de toi, ma Princesse. Je t'embrasse...

Green."

En y repensant, j'ai peut-être été un peu noir dans mes mots. Ma maladresse habituelle, quel piètre consolateur je fais. Tant pis, c'est écrit. Elle saura sans doute lire ce que je voulais vraiment lui dire, elle est loin d'être idiote.

Ma jauge de carburant commence à faire un peu la tête, tandis que je survole des étendues de champs blancs et mornes, après une journée de voyage. J'ai gravé un petit trait sur le compteur, pour indiquer vers quel moment je dois commencer à trouver une aire d'atterrissage. Il est temps. Le train d'atterrissage a été aménagé il y a quelques temps, pour que l'avion puisse se poser un peu partout. Reste à choisir l'endroit. Je vois une petite route de terre désertée, séparant deux prés boueux, et qui pourrait faire l'affaire.

Ouf. Je suis maintenant au sol. Pour un peu, c'était le crash ; la terre est gelée. Je suis sorti constater l'état de l'appareil, mais tout semble en bon état. Sacré Papillon.

Le paysage est tout sauf admirable, et je repense aux traits de Kyara. Rien à voir, c'est certain. Au loin, de basses collines, et si l'on regarde bien, on devine quelques lumières de villages perdus dans cette triste campagne. Suis-je encore en Ter Aelis ? Difficile à dire. Quelques moulins ridicules ponctuent le tableau. J'ai fais basculer le dossier de mon siège, afin de prendre du repos. Première nuit hors de chez moi, dans ce voyage. J'appréhende. Et puis c'est étrange de ne pas sentir la peau de ma belle contre moi.

Si je ne suis pas spécialement fatigué de cette journée, j'en suis tout engourdi, et les quelques pas fais dans les champs étaient un grand soulagement. Au menu ce soir, le pain frais que j'ai emporté, et du fromage très sec. J'ai pris soin de manger copieusement ces derniers jours, sachant que je devrais sûrement me rationner à la fin de mon voyage. La cuisine de Kyara me manque, mais manger de la nourriture plus pauvre constitue une sorte de purge corporelle. L'idée qui me vient en tête, du moteur que l'on décrasse, m'arrache un petit rire. Cela me rappelle aussi mon enfance, et les spécialités du désert qu'on achetait au marché de Sül-Nar, pour trois fois rien. J'ai eu beaucoup de plaisir à voler aujourd'hui, oui.

Vivement demain, avec espérons-le, un peu plus de vie.

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