Les doigts de rose colorèrent l'horizon de leurs lueurs féériques.
Le feu agonisa dans un dernier chuintement, les braises devenues cendres.
L'homme ouvrit les yeux, sur un ciel dont le spectacle seul valait des siècles d'effort. Il contempla quelques instants ce divin tableau, encore à demi plongé dans le sommeil. Il sourit.
A gestes précautionneux, il se débarrassa de sa pelisse, quittant presque à regret ce refuge chaud et agréable. Il la posa à son côté, et se leva. Contemplant le soleil qui perçait timidement au loin, il étira son corps reposé par une complète nuit de sommeil.
Il saisit la gamelle, qu'il avait laissé négligemment traîner la veille, et en termina les restes. Frais et dispo, il empaqueta ses affaires, et se mit en route.
S'il avait bien calculé, il devrait arriver en vue d'une auberge qu'il savait être accueillante et confortable d'ici le soir.
La nuit prochaine, il dormirait au chaud. Rasséréné, si c'était nécessaire, par cette pensée, il allongea le pas.
Il marchait.
A travers les plaines infinies, à l'air pur et frais, ses pas le portaient toujours plus avant.
Du regard, il embrassait l'immensité, et l'air, frais d'un début de printemps, fouettait agréablement son visage serein.
Ni fatigue, ni ennui, seulement cette inexplicable exaltation à voyager en de si favorables conditions. Lentement, l'astre solaire montait dans le ciel, le réchauffant après une nuit froide et venteuse.
Il s'arrêta, et but une longue gorgée de son outre. L'eau, puisée récemment, était pure et saine. Il reprit sa route. La beauté verdoyante s'étendait encore loin devant lui ; il avait encore un long chemin à parcourir. Mais cela ne l'inquiétait pas. Depuis toujours, il avait horreur de rester entre quatre murs. L'aventure l'appelait, et il restait rarement longtemps au même endroit.
De temps à autre, il s'arrêtait dans quelque bourgade, et travaillait une petite semaine pour l'un ou l'autre artisan. Mais bien vite, il s'en retournait sur les routes, vivant par ses propres moyens.
Il respirait l'air frais, et marchait d'un pas rapide et régulier. Rien ne semblait devoir briser sa routine de voyage, jusqu'à la tombée de la nuit, où il s'affalerait, fatigué mais content de sa longue marche.
A chacun de ses pas sur la terre douce, il ressentait ce plaisir, cette merveille, ce nectar du voyageur : la Liberté.
Un claquement sec ; une couverture.
Je lève la tête, me dresse sur mes jambes engourdies, et m'engouffre dans l'étroite ouverture. Le bus démarre sans crier gare, et de justesse je parviens à m'agripper. D'un air chargé des relents d'un peuple de chauffards, je passe à une atmosphère étouffante, chargée des germes de cette putain de grippe dont on nous rabat les oreilles depuis des mois.
Autour de moi, des visages apathiques, voire patibulaires. Un grand gaillard me bouscule, et marmonne des excuses. Je le jauge d'un air méfiant, et vérifie la présence de mon portefeuille.
Un arrêt, et que voilà de nouveaux regards vides. Péniblement, cette fois, le car se remet en marche.
Un type ouvre une cannette. Un autre éternue bruyamment. Je jette un œil par la fenêtre, pour n'apercevoir rien d'autre que cet éternel gris qui fait le siège de nos villes. Encore quatre arrêts. Quinze cents mètres. Une demi-heure.
Je porte mon regard vers le haut, mais je ne parviens pas à distinguer la voûte céleste de l'épais brouillard urbain. Je renifle, et essuie les froides goutes de transpiration qui perlent sur mon visage morne. Le feu passe au vert, et le véhicule reprend sa laborieuse progression. Huit heures, déjà.
Sur ma droite, j'entrevois la rouge boîte du bureau de poste local.
Pour la mille huit cent trente et unième fois.