[Conf. Sang ][Le conseil] La confrérie du Sang

Fiers et droits, ils se dressaient, tels des statues de pierres. Immobiles. Leur seule présence suffisait pourtant à faire frémir la courageuse au sein de la salle du Conseil. Tàranis Linwëlin. Au centre de la pièce circulaire, les yeux fixés sur les quatre Confrères, elle attendait patiemment, ses cils dessinant délicatement des ombres sur ses joues. Puis, Cassiopée, la nymphe des étoiles s’avança. Claquant des mains, elle fixa le plafond, devenu gênant. Il lui fallait respirer, il fallait de l’air, du vent, de la liberté. Alors claquant dans ses mains, elle ouvrit le dôme de la salle du Conseil, pour sentir la caresse de la brise naissante. Celle-ci fouetta la cape de Sanz, violemment. La jeune Tàranis, les joues cinglées par la bise, serra convulsivement ses mains, prête à tout, à tout donner, pour rejoindre la Confrérie. Comme elle avait parcouru autant de chemin pour les trouver.

-Écoute, jeune Tàranis… il est temps pour toi de savoir certaines vérités. Sache que tu peux encore renoncer, mais si telle est ta volonté, prends acte de nos paroles avant de t’engager dans la voie de la Confrérie.

La voix de Cassiopée résonna comme un tambour jusqu’au fond de la vallée. Il était temps pour Sanz de parler. De sa gorge grave et profonde, habituée aux éléments, il commença :

-La Confrérie est née dans une dualité. Pour survivre elle a tué, pour gagner en puissance elle a cru en Dieu et détruit ses Ennemis. Elle aura aimé autant la mort que la vie, autant le désespoir que l'espoir. Ses pouvoirs elle les tire du Néant et sa volonté est de fondre dans l'ombre des Autres toute la Lumière de son Savoir, de son excellence. Son Désastre est d'être né en fer, son Avenir est...

D'exploser dans le ciel.

Celui qui l'a fondé est un Ange qui hait autant Dieu qu'il l'aime, qui sait tout perdre, et veut tout gagner.

-Ce qu'est Cassiopée dans la Confrérie ce n'est pas simplement une dame aux Étoiles, mais aussi toute la rage, l'ombre et le Désastre de ses souvenirs, commença Kromo.

-Quand chaque pétale de réminiscence a violé le temple de sa Mémoire pour y glisser l'Effroi, l'Amnésie, le doute, la peur, poursuivit Nahïs.

-Et entrant dans le Sang, se faisant elle même Criminelle elle est entrée dans la dualité.

-Prêtresse du Sang, et Reine de Lumière.

-Licorne et Nymphe.

Silence. Le vent s’était calmé, comme suspendu. Ou était-ce le temps qui avait stoppé sa course… Face à Tàranis, quatre confrères, unis dans la vie comme dans la mort. Capables du pire comme du meilleur. Et Tàranis, retenant elle aussi sa respiration, espérait qu’ils l’acceptent.

Cassiopée, digne dans son manteau d’étoiles, reprit la parole :
-Ce qu'est chaque personne n'est pas une corde simple, nette ou s'enfilent des perles, mais un Prisme ou tous les possibles viennent dresser des infinités d'Avenirs empilés, froissés, déchirés, recousues comme on recoud des habits râpés par la Vie.

Une vie qui est dans l'ombre et la Lumière.

-On rêve de tuer ses parents autant que de les sauver.
On garde en nous un monstre dans sa cage et c'est lui qui nous permet d'affronter nos épreuves, les lois des autres, et illumine nos Libertés.

Qui es tu Tàranis?

-Juste la Dame au Renard?
-Ou une Princesse de Sang?

-Juste une Aélissienne endormie sur la digue?
-Ou un loup?

-Quelqu'un qui prend conscience de ses origines ? Ou quelqu'un qui figure encore des tas de secrets Inavouables?

Est ce que tu est juste quelqu'un de banal ou toute la Dualité de notre Existence?

La tirade se stoppa tout à coup. L’heure était venue de choisir. Le regard clair, Tàranis se redressa. Elle avait pleinement mesuré le pour et les contre. Pleinement senti que sa vie s’engageait dans un tournant. Et que nul retour en arrière n’était possible. Tout lui parut limpide. Sans une once d’hésitation, elle murmura dans un souffle parfaitement audible :

-Je suis la Nomade au Renard, je suis une Princesse de Sang, je suis un Dragon endormi, je suis la haine et l'amour, je suis la soeur de celui qu'on hait, mais que j'aime malgré tout, je suis la gentille elfe qui rit et rougit, je suis la froide statue qui jauge et calcule, je suis ce que je montre et ce que je refoule.

Je suis ce que je suis, et je ne sais pas tout.

Le regard fier de Cassiopée transperça tous les membres de la Confrérie. Elle saurait. Tàranis saurait survivre au rituel imposé par le pacte de sang des confrères, rituel impitoyable où la mort broie les corps. Alors, le timbre rauque, Sanz continua :

- Ce que la Confrérie te permet, c'est d'exprimer ton Tout. peu à peu. Autant le Monstre qui tisse ton art. que celle qui compose avec la Réalité. Nous ne nous suffisons pas d'une Apparence.

Nous explorons l'Âme pour en tirer le Blanc et le Noir Originel.

Si tu veux être des nôtres il te faudra être fière d'être la soeur de celui qu'on hait si telle est ta fierté, et la gentille elfe qui rougit et qui rit.

Puis il s’inclina.

Songeant aux futurs tableaux qui viendraient compléter la magnifique salle du Conseil, la nymphe Cassiopée, les yeux emplis de la grâce des étoiles, souriait déjà. Son rêve de voir la confrérie au complet prenait forme, et quelles formes... Kromo, fidèle lui-même, le visage caché par ses cheveux lisses attendait immobile, tout comme Sanz. Nahïs, trépignait d’impatience, et sautait dans tous les sens, ravie de voir la confrérie s’agrandir.
Puis, la porte s’entrouvrit doucement. Le regard inquiet par la peur de mal faire, Dieu soit loué il avait pensé à retirer ses chaussures avant d’entrer, le graphiste Laylay fit son apparition.

-LayLay! S’écria Nahïs, pétillante. Bienvenue dans la Salle du Conseil, décorée par les soins de dame Cassiopée.

Sanz se redressa, un léger sourire aux lèvres.

-Approche, jeune apprenti. J’imagine déjà le jour où tu raconteras à tous que tu as flanqué une rouste aux Vilains, que tu as pendu les Sybillins aux derniers concours !! Ah… Laylay… Tu compteras bientôt parmi nos membres. Il y aura toi, Laylay, Grand Artiste, aux mains des Trophées et Grand Illustrateur de nos victoires. Puis toi Laylay, le jeune noble, Tourmenté, Dualiste dans son essence. Autant Noir que Blanc, et qui s’inscrira dans la mythologie de notre Confrérie…

Après tout, tu n’es pas qu’une image, ou des images, des créations. Tu es un Tout vivant, Artiste doué parce que doué de mille Capacités aussi fascinantes qu’effrayantes, et conscient en toi-même de ce que tu peux être, toi et un Autre. L'Artiste mêlé à l'homme. Homme Que je vois faire des choix autant de couleur que de pensées intimes et personnelles.

Si tu veux être des nôtres pourquoi ne pas assumer aussi la Responsabilité d'être de chair et d'os?

Gêné, l’apprenti murmura :
-je crois que je comprend pas bien...

Sanz sourit.

-Normal, En simple Heureux. Écoute bien. La Confrérie n'est pas seulement fière que de ce qu'elle va gagner comme coupe et comme fierté Artistique. Elle est aussi fière des membres qui la composent et de leur histoire. Si tu devient mon confrère, je veux être fier autant de ton Dragon que de toi Laylay Artiste.
Tu as déjà gagné une partie de mon estime, à toi de faire l'autre moitié du chemin.

L’apprenti acquiesça.

- J’ai la motivation nécessaire pour avancer, pour avancer la Confrérie, pour avancer sa conquête.

-je sens que tu foutras une sacrée raclée à un Vilain en lui piquant sa coupe de champagne lors du prochain Anniversaire, s’esclaffa l’Ange. Mais redevenons sérieux. J’aimerais te parler, mon cher Lay, d’une chose bien plus compliquée. Les rites du Sang…

L’apprenti déglutit, tentant d’humidifier sa gorge devenue sèche.
- Il me semble en avoir entendu parler… les villageois parlent beaucoup, mais ce qu’on dit, c’est que cette chose est terrifiante.

-On a seulement peur de ce qu’on ne sait pas.
Tu sais ce que c'est que la Dualité de l'Homme?

- la double personnalité peut-être ?

-En quelque sorte. Un jour un grand illustre inconnu a dit que nous étions sans cesse déchirés entre deux postulats simultanés, l'un vers Dieu, l'autre vers Satan. Un Autre disait aussi souvent que du laid l'on tire l'exquise beauté et que le sublime n'est rien sans le grotesque.
Ce que je veux dire par là ?

Sanz se retourna vers Cassiopée, lui lançant un large clin c’œil. Celle-ci s’accroupit près du novice, et lui parla longuement :

- Tu n'es pas seulement Laylay, tu es aussi l'inverse de toi. Ce sont les deux parties de toi, totalement ou presque opposées qui font de toi la Vérité de Laylay.
Ce en quoi Laylay existe, c'est parce qu'il rit autant qu'il pleure, c'est parce qu'il aime, autant qu'il hait, et c'est parce qu'il peut être Leni ou tout un Autre.
J’étais une Dame des étoiles, belle, douce et joyeuse, insufflant l'Amour dans ses relations aux autres et ne prônant qu'un bonheur doux et éthéré.
Aujourd'hui dans mes humeurs noires, je suis fiévreuse, souffre de souvenirs qui me morcelle. J’ai autant d'aura noire que blanche, aime le sang, et rêve parfois de tuer quelqu'un dans un désir compulsif de destruction.

- C'est l'envers du miroir en quelque sorte ?

- C'est l'ombre autour de la lumière. Tu ne verras jamais vivre une Lumière pure sans un Paradis d'ombre,souligna Kromo.

-Les rites du Sang sont là pour fragmenter ton Âme, et tirer tes désirs les plus immoraux et les plus primaires. Ceux qui te font un Animal sauvage sanglant et agressif, sans limite, versé dans le Néant parce que le néant est au delà de la mort.

Pensif, Laylay plongea son regard dans celui de la dame aux Etoiles, où les deux iris brillaient de mille feux. Il était prêt. Prêt à affronter les rites du Sang, prêt à donner son âme à la Confrérie, prêt à tout.