Résurrection [RP confrérique (2)]

Etrange pas de danse, passe-passe sans souffle.

La louve était restée calmement à sa place pendant cet échange, simple rempart de poils cachant maintenant l’épée plantée dans le sol. Cela même ne la fit pas broncher, son regard doré posé sur les trois Enfants de l’Unique. Elle n’avait pas besoin de le voir pour sentir Laylay qui se déplaçait furtivement, son odeur tranchant celle de la riche terre du cimetière. Lùthien ne bougerait pas tant qu’ils ne l’attaqueraient pas ou qu’ils n’essaieraient pas de s’emparer de l’épée, bien qu’elle doutât que celle-ci les intéresse. Non, plus vraisemblablement ils chercheraient à atteindre l’essence de Sanz. Mais il semblait suffisamment rétabli pour la protéger seul. Dans leur frustration les Enfants pourraient tenter de s’en prendre à la louve, chose qu’elle ne craignait pas. Elle avait déjà eu maille à partir avec d’autres représentants sur d’autres planètes, mais ceux-là n’avaient pas de raison, pour le moment, de la soupçonner d’être autre chose que ce qu’elle paraissait : un gros loup. La chasseuse n’en avait croisé aucun à Galvorn et elle était peu sortie de la ville sauf pour ses excursions dans le cimetière.

Ses oreilles se dressèrent sous l’impulsion des notes de Sharah’In. Instinctivement, un grondement bas s’échappa pour répondre à l’aigüe de la guitare, formant un contrepoint qui se mariait à la musique. Mais la louve ne bougea pas.

Dans sa Nuit froide, le Triple Archange fixait la scène dans une intempérie d'essences troublées, de mouvements disjoints, il contemplait cette lente configuration qui se hissait du chaos pour déterminer une réalité latente. Ce n'était pas leur combat mais il fallait l'admettre: ils s'y incluaient les yeux fermés, à chasser des hérétiques. Tous allaient vers le même sens, une même harmonie divine. Et peut être, par eux, ces enfants de l'Unique, il pourrait atteindre son but. Son cœur s'arrêta. Shyon semblait revenir de son lointain songe. L'Armée fixée au sol trembla puis vacilla d'une lueur dorée, éclat aveuglant dans l'ombre, signe de la présence de l'Aspect Draconien.

Si tu t'approches...ils veulent t'empailler, sais tu?

Qu'ils empaillent le Temps, ca fera le même effet. Offre leur une danse, ils attendent que tu les amuses. Sois à la hauteur.

En terre consacrée, l'incidence est un Orage, qui foudroie même le lanceur.

Le langage s'étouffa tandis que Sanz réapparut dans le dos de Sharah'In comme s'il renaissait à la surface du réel. Sa main droite était posée sur l'épaule de l'enfant.

Continue ta belle musique, j'entends les âmes qui applaudissent.

Puis dans un ballet étrange, ou ses pas semblaient plus survoler le sol que le toucher, ou le temps se contracta tellement qu'une seconde semblait devenir une très longue minute, tant et tant que pour un observateur les déplacements du Prince se résumaient à des téléportations brusques et erratiques - jusqu'à ce qu'il ait touché son arme et que mû par la présence de l'Aspect Draconien, elle se réveilla lentement.

Continuez cette musique, ces notes! Continuez Shara'in, faite honneur à votre lignée!

Sa voix d'abord murmurante fut soudain empreinte d'une joie incompressible. Elle sautait d'âme en âme, se glissait dans une pensée puis se retirait pour assiéger ailleurs l'autre part. Et dans le même temps, d'autres courants, d'autres voix se glissèrent dans le Mouvement. Dans ce même temps ou l'on crut que le cimetière était devenu un forum vivant, des pétales de rose écarlates se posèrent délicatement sur le front des enfants de l'Unique. Le paysage se déforma peu à peu, les tombes s'enfoncèrent dans le sol. Il n'y eut plus qu'un appel sombre qui murmura à chacun.

Je suis ta Mémoire, belle, drôle et fragile, ton humeur, tes silences, je te sais, Souviens toi... . Souviens-toi.

****

Un banquet trônait au milieu de la place. Une très longue table où fumait des mets alléchants, encadré par des chaises drapées de pourpre. Au bout se tenait un Prince couronné et disséminé des convives, marquis, valets, bouffons. Tous siégeaient autour du buffet quelque soit leur rang. Et dans l'espace une lumière violente illuminait l'endroit, éclatant toute trace d'ombre.

Continuez Sharah'in votre belle musique, elle ravit nos oreilles, il faudrait des harmonies comme cela toute la journée pour aimer le jour! Et ne loupez pas de notes, ce serait un désastre.. ne se plaît-on pas ici? Ravissant!

D'un geste de la main il convia tout le monde à se restaurer. L'air fut soudainement saturé, de rire, de voix bruyante, de bruits de gloutons. Le Prince alla même déposer une assiette au Loup qui restait immobile prêt d'une sculpture de marbre représentant un Ange désignant le ciel avec son arme.

Rassasiez vous mes amis, la vie est si courte, il faut en profiter, et ne vous inquiétez pas pour le beau pétale qui resté collé à votre front, c'est extrêmement seyant.

Il rit un moment avant de se reprendre.

Ser Laylay, venez donc profiter du banquet également, que votre ami Exodus se joigne aussi à nous. Je crains malheureusement que SHarah'In ne soit trop occupé à nous composer des extraordinaires ballades, et tant mieux pour nous je dirai, n'est ce pas? Elle en réveillerait les morts.

Des applaudissement fusèrent de la table, puis tout le monde se remit à manger, à rire, a occuper l'espace d'un élan de vie.

MAngez...Messieurs... Mangez et souvenez vous en... tout au long de notre vie, notre vrai combat n'est-il pas de vouloir rassasier notre faim?

Il s'esclaffa avant d'ordonner brusquement

Continuez de jouer Sharah'in, ne vous arrêtez pas. Même si vous saignez des mains vous continuerez.
[i]

A peine les nouveaux venus avaient-ils pointé le bout de leurs armes dans le cimetière que Cordelia s'était éclipsée sous le couvert des arbres qui bordaient les tombes. Elle pouvait sentir dans chaque fibre de son corps la violence latente qui saturait l'air. Et cela lui était insupportable. Jouant avec le feuillage et ses nuances de verts-gris, elle se fit la plus discrète possible. Lorsque Sharah'In fit monter dans le cimetière le chant d'Anamorphose, Cordelia s'enroula et se déroula sur le rythme de la musique, liane de soie et de plumes émeraudes.

Tant que les seules paroles échangées, que les seuls gestes esquissés, que les seules émotions projetées ne seront faits que de haine et de violence, Cordelia restera dans l'ombre à observer sans agir. Le combat n'était pas pour elle.

Le décor changea sous ses yeux, la laissant, l’espace d’une seconde, rêveuse. On ne lui avait pas mentit lorsqu’elle s’était renseignée sur Sanz, Ange aux pouvoirs mentaux développés. Il était peut-être réducteur de l’appeler ainsi, mais elle s’en moquait. Les notes qu’égrenaient Anamorphose flottaient dans l’air comme des bulles dans de l’eau, éclatants à peine sorti de leur milieu aqueux.

Continuez de jouer Sharah'in, ne vous arrêtez pas. Même si vous saignez des mains vous continuerez.

Oui, elle allait jouer dans ce piège mortel qui se refermait sur elle, sur ces mains encore peu endolories. Mais cela n’allait pas tarder. L’ordre impérieux de Sanz résonnait dans ses entrailles, l’empêchant presque de s’arrêter, si tant est qu’elle l’aurait voulu. Peu importait au fond, sa volonté. Celle de la musique était plus forte, plus importante même qu’une simple volonté, fusse-t-elle humaine ou autre chose. Ses accords montaient dans les aigues, redescendant dans les graves, sorte de montagnes russes démentes. Ses comparses semblaient hésiter à se restaurer au somptueux festin, sans doute eux aussi comprenaient le piège tendu.

- Voyez, je joue. Mais regardez mieux ! s’exclama-t-elle dans une bravade qui aurait pu paraître vaine.
Les âmes reposantes déjà se relèvent
Vers la musique enchanteresse leurs corps les mènent !

Un mince changement dans le rythme, si faible qu’il en était à peine audible commença à prendre forme. Sanz lui avait interdit de s’arrêter de jouer, mais pas de modeler sa musique à sa guise, selon sa propre volonté. La charmeuse d’âme invita ses compagnons d’un soir à prendre part à la fête. Hommes et femmes sortis de nulle part, et d’autres présents à la table même du banquet, s’approchèrent d’elle, l’enveloppant de leurs regards envoutés. Faisant face au prince des lieux, ils n’étaient plus que mépris, eux qui avaient été pleins de respect pour celui qu’ils croyaient être leur prince.

- Vois ! Je joue.
Je joue sur les mots, sur les notes
Je joue à ma guise, fière dévote !
Je ne fais que passer, brise sur ta joue.
Car tout simplement, je joue.

Ses notes augmentèrent en amplitude, envahissant l’espace, s’y installant avec un soin méticuleux. La table du banquet se flétrit, les mets devinrent carcasses envahis par les mouches, la nappe si belle se constella de nombreux trous, s’effilochant comme s’effilochait le rêve que Sanz avait construit. Elle n’avait pas vraiment envie de tout détruire, mais juste d’altérer, de donner à la scène cette allure d’oubli, de flétrissement qui arrivaient, indéniablement. Les belles parures se firent vieux bijoux jaunis, les somptueux manteaux simples redingotes bon marché… Seuls restaient dans leur magnificence les protagonistes de la scène. Laylay regardait Sharah’In avec respect et crainte, Exodus haussa les épaules, un vague sourire aux lèvres.
Les doigts de la musicienne commençaient à ralentir, sa volonté lui revenant par saccade, à mesure qu’elle étendait son songe à la scène. Bien qu’elle n’arrivait pas à se détacher complètement de l’emprise de Sanz, elle la sentait faiblir à mesure qu’elle jouait. Elle savait d’expérience qu’elle pouvait encore tenir un bon moment avant que ses doigts refusent de lui obéir ou deviennent trop douloureux pour continuer. Mais elle devait employer ce temps judicieusement.

La situation était particulièrement perturbante: le cimetière dans lequel ils se tenaient venait de disparaître au profit d'une place en fête, remplie de convive eux-même rassemblés autours d'une immense table. Cette dernière débordait de victuailles et de boissons, que la foule pillait à loisir en riant et chantant. Et au bout de la table, trônant la scène avec un plaisir non dissimulé, se tenait Sanz, le prétendu Archange. Invitant les Enfants à se rassasier, à se joindre à la foule tandis que Sharah'In ne s'arrêtait de jouer, pour le plus grand plaisir de Sanz et de sa cour.

De son côté, Exodus était de plus en plus indécis. La scène était forcément une illusion, mais ce que sa logique lui hurlait était refoulé par ses sens et par son esprit. Sans savoir comment, il était enfermé dans une bulle, assaillit par des images, des sons et des odeurs qui lui semblait plus réelle encore que les souvenir qu'il avait de ce genre de chose. Le fumet des plats lui envahissait les narines, réveillant sa gourmandise perpétuelle; les invités batifolaient autours de lui en riant de plus belle, allant jusqu'à le bousculer lorsqu'il se trouvait sur leur chemin.

Une illusion peut-elle sembler si réelle? Suis-je en train de rêver, suis-je devenu fou, ou est-ce vraiment ce que cela semble être: une joie pure et enthousiaste?

Cherchant la réponse autour de lui, son regard se posa sur ses compagnons: Sharah'In jouait de plus belle, ses doigts enchaînant les accords à une vitesse improbable, suivant toujours la même mélodie. Pourtant elle semblait troublée, la sueur perlant sur son visage au fur et à mesure que les notes accélérait. Seul détail étrange: le pétale qui restait collé sur son front malgré la sueur et les mouvement répété de son corps. Pourquoi semblait-elle si mal alors que tout autour était si joyeux?
Exodus essaya alors de repérer Laylay dans la foule, avant de l'apercevoir accroché à l'une des chaise, regardant autour de lui avec affolement, comme si quelque chose lui manquait, le rendant totalement insensible à la liesse ambiante. Et lui aussi avait droit à cet étrange pétale sur le front, désespérément immobile.

C'est forcément une illusion, chercha-t-il à se convaincre, sans grande conviction.

La chose était-elle si dure à admettre? Son instinct et sa logique lui hurlait sur tout les tons de détourner les yeux, mais la joie de la scène et la bonne humeur de leur hôte l'attirait de plus en plus facilement. Lentement, il se dirigea vers la table, son estomac s'étant finalement réveillé, à la fois impatient et effrayé de se servir dans ce festin. Après tout, le plus difficile à admettre n'était-il pas plutôt que ces rires et ces chants était la réalité, celle vers laquelle il aspirait naturellement?
Exodus stoppa un instant, certain que cette pensée n'était pas la sienne. Il voulu se placer les mains devants les yeux, devant le nez, toucher son front pour sentir sous ses doigt la caresse du pétale, mais sa main refusait de monter, tandis que ses jambes reprenaient leur lente progression. En face de lui, Sanz, le Prince aimé, l'invitait à rejoindre son cercle, à partager ce bonheur. Et son Prince souriait, souriait tel un ange.
Puis une note changea. La scène semblait perdre en couleurs, les notes absorbant la vie de l'endroit. Les convives se détournèrent de Sanz, rejoignant peu à peu Sharah'In, laquelle avait retrouvé un semblant de sourire alors que ses doigts jouaient un morceau encore inédit. Une foule de plus en plus importante l'entourait, surgissant de nulle part. Alors elle lança au prétendu Prince une bravade, jouant comme il le demandait mais un air qu'il appréciait visiblement moins. Elle chantait presque, défiant l'hérétique qui présidait une table vide. Elle jouait avec son cœur et sa foi, prenant lentement le dessus dans un combat invisible aux yeux des autres Enfants, faisant flétrir l'image devant eux. La nappe devint miteuse, les plats pourrirent jusqu'à devenir poussière, les invités ressemblaient plus à des clochards... Et au milieu de son front, le pétale se racornit, fanant à vu d'œil, près à se décrocher.
Exodus put alors sortir de sa transe, conscient et certain que tout ce qui l'entourait n'était qu'une réalité folle, imaginée par un être dément et blasphémateur. Une réalité que Sharah'In remodelait petit à petit. Elle lui lança un bref regard, auquel il répondis par un discret sourire et un haussement d'épaule, comme une sorte de bravade à la situation. De son côté, Laylay semblait avoir retrouvé ses esprits, malgré le pétale toujours collé à son front.
Exodus se tourna vars Sanz, lequel paraissait juste un peu contrarié en raison de sa fête gâchée. Il lui fallait percer pour de bon cette vision s'il voulait retrouver tout ses moyens, aussi, apostropha-t-il le faux Prince:

- Tes tours ne peuvent nous retenir indéfiniment, blasphémateur. Nous somme guidés par notre foi, notre cœur, et ce que nos sens veulent nous faire croire n'est rien à côté. Prends toi à nos esprit si tu le souhaite, tu ne feras en cela que renforcer notre opinion sur ta lâcheté et tes mensonges. Un archange est Enfant, comme nous, et ne prend pas peine de cacher sa nature aux siens. Tes illusions sont la preuves de ton impuissance face à Lui!

En même temps qu'il parlait, il avançait droit devant lui, traversant sans s'en apercevoir une chaise qui se changea en cendre à son contact, fixant ce Prince qui affichait un air étrangement amusé.

- Les illusions ne peuvent plus rien. Nous somme Ses Enfants, contrairement à toi, et bénéficions de Ses grâces. Tu ne peux plus rien nous cacher, car Il voit à travers nous, et universelle est Sa vision!

La prière silencieuse du répurgateur venait de s'achever sur ces mots, sans que son adversaire s'en rende compte (ou du moins l'espérait-il). La scène sous ses yeux s'évapora soudainement, remplacé par une succession de flash gris clair, lesquels lui montraient les lieux tel qu'ils étaient véritablement: une étendue de tombe et de poussière, de caveaux et d'arbres blanc et secs. La seule constante restait les notes jouées par Sharah'In. Sur sa droite, il aperçu un mouvement, quasi perpétuel, et reconnu en quelques flash la silhouette changeante de Cordelia Melicerte, laquelle restait apparemment en retrait de la scène. Il se tourna alors vers elle, puis exécuta une ironique révérence.

- Dame Melicerte... Pourquoi ne pas vous joindre à la danse, vous qui appréciez tant le mouvement? Notre Sœur est en train de composer en cet instant même, laissez vous entrainer par le rythme, rejoignez donc votre maitre qui doit se sentir si seul sans sa cour de désincarnés!

A ces mots, il tourna la tête en direction de Sanz, voulant le fixer dans les yeux. Mais au moment où le flash lui révéla le Prince, la prière s'interrompit brutalement, aveuglant Exodus pour un cours instant. Tout en recouvrant la vue, il essaya de comprendre en vain ce qu'il venait de voir en fixant le corps du maitre des membres du Sang: un corps , une infinité, de la taille d'une épingle mais arborant des ailes gigantesques, absorbées puis recrachées par le gouffre béant qui était en son centre, masse noire immobile en perpétuelle mouvance...
Il ne pouvait espérer comprendre cette vision qui déjà s'estompait de son esprit mais une chose lui semblait sûre: quel que fut ce qu'il venait devoir, l'Unique ne pouvait l'avoir créé, et c'était là tout ce qui importe...
Il se releva lentement (il se rendit compte seulement maintenant que la vision l'avait mis à genou), lançant un regard empli de haine envers le Sanz, qui souriait légèrement, près à l'affronter. Un reste de pétale brûlé chuta depuis son front jusqu'à ses pieds. Au moins l'illusion avait été rompue...

Lentement, les images se fissurèrent au rythme du vent, lentement Cendres revinrent et une apaisante froideur emplit le Sanz. Peut être que la musique pressait ses étranges cordes dans l'espace improbable de sa respiration. Sa respiration... elle était lointaine et silencieuse dans le creux de l'Aspect Draconien qui surveillait le Cimetière.

Ce sont des Enfants, Shyon, si tendres si...

L'Aspect l'interrompit dans un battement d'élan qui ébranla les cendres jusqu'à les faire danser dans un lent ballet. Ses yeux ardents fixaient les enfants de l'Unique longuement comme s'ils cherchaient à percer leur âme pour en deviner quelque chose que seul les dieux savent observer puis son regard s'arrêta, immobile, sur la Musicienne.

Dans le même temps le paysage continuait de se désagréger a mesure des notes toujours plus rapides. Sur les doigts de Sharah'In un mince filet de sang coulait, rebondissant mollement sur le sol, faisant naître a l'impact des bourgeons qui grandirent anormalement vite et formèrent des roses : une parcelle de roses à l'odeur sulfureuse.

Au milieux de cet univers de souffre, le Prince se glissa pour aller tendre la main vers Cordelia et l'invitant à le suivre il l'entraîna avec douceur dans une danse qui s'accordait à la musique de l'Anomorphose.

Sa voix grave fondit sur les doigts ensanglantés pour leur murmurer :

Jouez encore... Le Maître à demandé de jouer... . Chaque note est une longue ballade, et votre sang s'y accroche comme si..vous jouiez avec votre propre corps..ne vous arrêtez pas c'est vote coeur que vous faites sonner.

Puis elle s'éteint dans un souffle tandis que Sanz emportait dans un tourbillon son partenaire ; les vents claquèrent autour de lui comme des tourbillons alors que des ailes d'une lumière aveuglante naquirent et ce fut dans l'espace comme un puits de Lumière entouré d'une pluie de cendres qui tournait, tournait toujours plus vite. Jusqu'à ce que cette voix intérieure reprit lentement son chemin vers Exodus.

De quelle vision est-ce là ton Dieu? N'y aurait-il qu'un réalité accrochée à la chair, qui la voit se blesser, se déchirer et transpirer son eau rouge jusque dans les yeux de son créateur? N'est ce la qu'un Monde? Regarde le Mouvement glisser son souffle dans le Temps. Ainsi crois tu que c'est une illusion.. Exodus...

EXODUS!

La voix hurla brusquement tel un orage qui tonne, explosant dans l'âme ciblant sous une grêle d'écho grave et aigu à la fois, chaque fois dans un ton croissant. Puis elle se radoucit

Vision est une lente harmonie... celle de ton sang..je connais bien l'Unique... Il était... il était... .

La lumière déclina peu peu au fur et à mesure que l'Appel sombre décroissait, taisant les voix jusqu'à ne plus devenir que des chuintement de vent au fond des consciences. Ce furent les vraies lèvres du Prince qui formèrent la conclusion.

Ce n'était pas une illusion, seulement l'empreinte du passé sur ces terres gorgées d'âme.s Il y avait ici un beau palais jadis, que des nobles occupaient. Ils organisaient des vastes banquets et le monde se pressait à leur porte. Un jour un enfant vint et...

Il fit une pause glissant ses mains sur les joues de Cordelia et rapprochant ses yeux aux siens il reprit :

Il les tua un par an, avec un sourire aux lèvres, jusqu'au dernier. Là ou nous sommes les têtes tombaient mollement sur la grande table chargée de victuailles. Jusqu'au dernier, ce conte ou ce Prince. Alors l'Enfant se mit à pleurer en s'excusant auprès du Maître des Lieux.

" Ce n'est pas ma faute Monsieur, ce n'est pas ma faute... . C'est Lui... Lui là-haut! Il dit que vous êtes des hérétiques et qu'il faut purifier cette terre. Ici poussera des tombes fixant le ciel comme la preuve que rien ne reculera devant ma Vision. Oui Monsieur ma vision..la connaissez vous? J'en rêve toute les nuits. Toutes, vous m'entendez? Vous m'entendez Monsieur? Toutes les nuits! "

Puis montant sur le banquet, renversant tout, il planta son poignard dans le front du dernier vivant, clouant sa tête contre son trône. Il s'assit sur les jambes de sa victime et l'on dit qu'il resta de longs jours à dormir, respirant le silence comme on respire l'air.

Enfin seul, pendant un temps interminable, il creuse des fossés dans lequel il tira les corps froids. On dit encore que quand il s’en alla un vent furieux arracha la demeure, les chaises, le banquet… . Un Enfant… . Les illusions ne sont que des probabilités latentes au fond de notre vision. Dieu… exauce des probabilités.

La Danse s’arrête mais pas la musique. Elle continuait de saturer l’air au rythme du flot de sang qui s’échappait de Sharah’In. Quand aux roses, elles avaient envahi l’espace tant et si bien qu’elles recouvraient les tombes d’une couleur monochrome. Leur fragrance embrasait l’air du rêve que les lèvres du Prince avaient formulé.

Ce n’était que l’empreinte du Passé dans la chair de la Terre. Et vous n’êtes que l’empreinte d’une vision dans la chair d’un Dieu.

Dans la Chair de mon PÈRE !

Le dernier mot fut comme une explosion sonore. Tandis qu’une vague d’onde frappa violemment l’espace, les ailes du Prince se reformèrent plus lumineuses encore, Azräel s’entoura d’une aura faites d’ombre et d’âme mêlée tel un tourbillon autour de la lame et vint se place dans la main du Triple Archange.

Quelle Illusion.. ? Ce n’est que mon passé fleurissant lentement tout autour de mon ancienne demeure. Sous vos pieds pleure mon Histoire. Le passé n’est qu’une longue et langoureuse chanson du Présent. Tu le sais bien, Shara’in. Tu le sens n’est ce pas, dans tes veines, cette musique. Tu le sens pour moi cette harmonie du Temps qui affleure dans le Vivant… .

L’Archange leva son arme et la déposant sur l’épaule de Cordelia chanta avec l’Anamorphose :

Père je bénis vos Enfants et votre Sainte Vision. Que par la foi de leur cœur ils sentent ton Verbe guider leur cœur et leur âme vers le juste Chemin. Qu’ils s’éloignent du pêché et de la Tentation et qu’ensemble ils puissent toucher de leur esprit votre Inspiration.

Les Ombres-Ames qui se formèrent derrière lui répondirent dans un même cri :

Amen.

Alors tout le monde sentit jusque dans ses entrailles, même Luthien , même Cordelia, dispersée dans sa matière, tous sentirent que loin d’être une Illusion le Prince avait consacré la Terre qui fut jadis celle qu’il avait retourné pour enfouir les corps, et que désormais face à eux se tenait un Archange, l’arme dressée et la vision d’un Dieu ancrée dans le Cimetière. :

Messieurs, maintenant que nos prières sont entendues, je vous attends.

Le ton était clair, sans emphase. Dans ses yeux brillait son triple iris. Et tout autour de lui l’ombre-vent, cette puissance du vent mangeuse d’âme, circulait dans des claquements de rafale brusque.

De ses doigts coulaient un léger filet de sang. Autour d’elle fleurissaient des roses rouges, recouvrant petit à petit le sol pourtant infertile du cimetière. Sa mélodie grimpait dans les aigues, redescendait dans les graves, variant au simple plaisir de son public, emportée par les vents violents qui balayaient le cimetière. Son unique public, simple homme qui dansait au bras de Cordelia. Sharah’In sentit une goute de sueur perler le long de sa joue, rejoignant bientôt les goutes de sang qui perlaient de ses doigts. Nulle douleur ne l’accablait encore. Elle savait, pour en sentir l’odeur ferreuse, qu’elle perdait quelque partie d’elle dans sa musique, mais n’en éprouvait encore aucune gène. Elle avait vu pire. Elle s’était déjà perdue plus profondément dans ses notes, plus profondément que ce Prince ne l’emmènerait jamais.

Elle concentra toute sa volonté dans ses doigts, laissant sa totale confiance en Anamorphose. Sa compagne ne l’avait encore jamais laissé tomber, cela n’allait pas commencer maintenant. Pour sortir de ce cycle imposé, il ne lui fallait qu’une note. Qu’elle soit fausse ou simplement différente, il ne lui fallait que changer une note, varier cette mélodie qu’on lui imposait. Une note dans laquelle elle mit toute sa volonté. Et qui finit par arrivée, au détour d’un refrain trop longtemps répété. Elle ne voulait quémander de l’aide à Exodus ou à Laylay, qu’auraient-ils pu faire ? La pousser, la bousculer, lui arracher les doigts de son instrument ? Rien n’aurait fait, elle en était quasi certaine. Alors elle comptait sur cette note, qu’elle espérait cassante, briseuse d’harmonie.

Fausse. La note qu’elle produisit fut atrocement fausse. Une dissonance dans l’harmonie créée, le bruit crispant d’un diamant sur un tableau noir. Le Prince eut une grimace sous l’offense musicale, Sharah’In un sourire en biais. Déjà elle reprenait le cours d’une mélodie nouvelle, grinçante de dissonance et de contretemps. Elle ne cherchait plus qu’à créer cette disharmonie qui l’empêchait de mettre en place un motif récurrent, un refrain fixe à sa musique. Elle entendait presque les dents grincer, ou les visages se crisper.

En face d’elle, le Prince avait cessé de danser. La disharmonie avait commencer à modeler les lieux du cimetière, lui donnant l’aspect d’une toile cubiste, tout en angles, retournement de perspective, paysage de douleur fait d’épines de terre, de creux et de surplomb. Une apocalypse de formes dures, dissonantes, disgracieuses, ou simplement complexes dans leur symétrie même. Seul point fixe, une aspérité du haut de laquelle jouait la Musicienne, concentrant son énergie au cas où la situation changerait. Elle doutait de pouvoir, de cette façon, trouver la faille qui façonnait tout individu, celle du Prince, en particulier, mais elle savait qu’ainsi, elle pourrait appeler du renfort.

Il n’était plus temps de rire, ni moquerie, ni bravade. Juste cette musique, si le mot convenait encore, qui emplissait l’air et saturait les oreilles de sonorités disgracieuses.

Exodus avait été particulièrement secoué par l'onde sonore que le Sanz avait créé, submergeant ses sens. Mais une brève prière lui avait permit de retrouver en partie ses esprits et il s'était remit à avancer, la rapière au point, en direction de Sanz et de sa partenaire.
Lorsque le Déchu laissa libre court à sa puissance, saisissant son épée auréolée de ténèbres, marquant l'esprit de ceux qui se trouvaient autour de lui, Exodus ne pu réprimer un sourire. Il avançait d'un pas lent, les oreilles bourdonnant encore légèrement, mais tous le reste de son corps se réjouissait à la vue de la puissance que l'Hérétique concentrait en lui. Il acceptait enfin la combat et l'Enfant comptait bien le lui faire regretter.

- Une bien belle histoire que tu nous raconte là, lui dit-il avec un sourire moqueur. Dommage qu'elle ne finisse pas aussi bien que le début laissait présager. Oui, quel dommage que cet enfant ai grandi de si mauvaise manière, loin des paroles de son père! Après tout, un Enfant se doit d'écouter son Père, non?

Au moment où il achevait sa phrase, l'instrument de Sharah'In émit la note la plus disgracieuse de sa longue carrière.
Le son fut horrible, massacrant la musique aussi sûrement que les sermons de Tear massacraient la langue, du point de vue d'Exodus. Et, plus concrètement, elle détruisit toute notion d'espace dans le cimetière. Les objets semblaient croitre arbitrairement, chaque face poussant dans un sens opposé, tandis que les tombes s'enroulaient sur elles même, conservant malgré tout une vague forme rectangulaire. De leur côtés, les caveaux et leur arches tournaient sur eux même, leurs angles dépassant les limites mathématiques. Au sol, là où était posés les dallages du chemin, les pavés se tordirent, prenant la forme d'octogones aux lignes contrariés, aucun n'obéissant aux lois de la symétrie. Le sol se vallonnait au hasard, tandis que les couleurs nocturnes laissaient place à de nouvelles chromatiques inconnues.
Et au milieu de tout ce chaos, Exodus souriait. Après le choc sonore de Sanz, la note, aussi laide soit-elle, lui avait paru insignifiante. Ses oreilles le faisaient souffrir mais il s'en moquait. Ses sens lui indiquaient des informations contradictoires mais il s'en moquait tout autant. Car au milieu des variation de réalité, le Sanz se tenait debout, son masque d'indifférence effacé. Même la brume noir qui l'entourait encore il y avait quelques instant semblait s'être désagrégée face à la disharmonie.
Sharah'In avait réussi à lui faire perdre le contrôle qu'il croyait sans doute total sur cette terre et cela semblait bien l'avoir surpris, au ravissement de l'Enfant. Et il espérait bien transformer la grimace de dégout qu'affichait le Déchu en une grimace de douleur...

Serrant fermement sa lame dans sa main droite, la gauche prête à saisir l'arme de circonstance, il franchit la distance qui le séparait de l'hérétique en quelques seconde avant de se jeter sur lui en un violent coup d'estoc. Sanz esquiva le coup en se déportant sur sa gauche, sa propre lame amorçant un mouvement pour s'abattre sur l'épaule exposée du répurgateur. Toutefois, ce dernier interposa sa rapière, la fine épée accompagnant le mouvement pour mieux le dévier, laissant son propre poids déséquilibrer l'attaque de Sanz. Sans lui laisser le temps de retrouver son équilibre, Exodus, pivotant sur sa jambe droite, lança son pied gauche en direction du flanc exposé de l'hérétique, espérant le projeter au sol et peut-être lui briser une ou deux côtes au passage, pour peu qu'un être aussi vicié ai les mêmes dispositions anatomiques.
Un rapide mais puissant battement d'aile fit faire marche arrière à Sanz,qui évita sans trop de problème la botte du répurgateur. Il asséna au passage un revers de son épée à quelques centimètres des yeux de son adversaire puis atterrit quelques mètres en retrait, fixant l'Enfant de ses triple iris.
De son côté, Exodus éprouvait une sorte de déception. Il y avait de la puissance dans les coups de Sanz, mais ses mouvement semblaient hésitant, comme s'il ne se souvenait plus de comment diriger une lame, voir même son corps tout entier. Puis, jetant un œil à sa rapière, il contempla les éclats qu'avait provoqué le contact des deux armes sur le tranchant: là où l'épée de Sanz avait glissé, la rapière avait été ébréchée par de minuscules fissures. Elle tiendrait le long du combat mais Exodus se demanda finalement si le manque d'élégance du style de Sanz ne découlait pas plutôt d'une puissance brute difficilement contrôlable que d'un manque de talent.

Il n'eut toutefois pas plus de temps pour réfléchir quand une forme animale se jeta sur lui, tout crocs dehors. Celui-ci percuta Exodus de plein fouet, le projetant au sol, cherchant à lui attraper le bras, voir la gorge, entre ses mâchoires.
L'Enfant, cherchant avant tout à protéger le haut de son corps, replia les jambes sous le corps de l'animal et poussa d'un coup sec, projetant son agresseur à quelques mètres. Il se remirent tout les deux sur leurs jambes (ou leurs pattes, c'est selon), l'animal - qu'Exodus pouvait maintenant identifier comme la grande louve qui avait protéger la lame au début de l'affrontement - se plaçant entre lui et Sanz. Les yeux de la louve, grondante, ne le lâchèrent pas un instant, tandis que Sanz semblait se réjouir de la scène.
Exodus se massa l'avant bras, le rouge de sa robe devenant plus foncé à mesure que le sang s'écoulait lentement de là ou la louve l'avait mordu, perçant en partie les brassards cachés sous le tissus. Puis il se mit en garde, prenant l'une de ses dagues dans sa main gauche en prise inversée, et se mit à avancer précautionneusement en direction de la louve noire et de celui qu'elle protégeait.

- Jolie robe, jolie taille et surtout jolis crocs... dit-il à voix basse. C'est une bien belle bête à qui nous avons à faire. Sanz, à défaut de tout autre chose, sait s'entourer, je le reconnaît. Il fixait lui aussi la louve, près à parer tout assaut. Mais je ne suis pas venu là pour jouer avec un louveteau, Sanz!

La dernière phrase avait presque été hurlée par l'Enfant, qui regardait maintenant droit dans les triples iris du Déchu. Il se mit alors à tourner légèrement sur la gauche, la louve le suivant dans ses geste et Sanz le fixant avec un air intéressé, presque amusé. La louve grondait plus fort à chaque pas qu'il faisait.

- Tu sais, je crois que je me suis trompé, reprit-il alors d'une voix distraite. Peut-être que finalement, le drame de cet enfant est qu'il n'a jamais grandi. Il est toujours là, tremblant et grelotant malgré ses jolis dessins, effrayé par le noir. Peut-être même au point d'y préférer le néant... Il arrêta de tourner, puis se remit à avancer droit en direction de Sanz, qui s'était contenter de le suivre du regard, daignant tout juste tourner la tête. Il reste un enfant, se cachant de ses peurs derrière un rempart de jouets, de soldats et de peluches. Sans vouloir t'offenser ma toute belle, rajouta-t-il à l'adresse de la louve.

Plus il se rapprochait du Prince hérétique et plus celle-ci grondait, au point d'en couvrir la musique dissonantes de Sharah'In. Un pas de plus et elle lui bondissait à la gorge.

- Ah... J'avais dit que je n'était pas venu là pour jouer, dit-il à la louve en soupirant. Mais puisque tu insiste... Si nous jouions à celui qui mord le plus vite?

Hurlant au combat, il se jeta en direction de l'animale et de son maitre Déchu, sous le regard amusé de ce dernier.

_______________________

Mais au même moment, évoluant sans un bruit au milieu d'un cimetière jonglant avec les lois de ce monde, une ombre maniant deux porteuses de mort s'apprêtait à bondir. Une ombre rouge et or.

Laylay était là, non loin de la scène. Il était partout et nulle part en même temps. Il courrait, sautait, volait, tel l'air porté par le vent ou l'eau par les vagues. Il passait d'arbres en arbres, de stèles en stèles tel un acrobate. Plus rapide que le vent il se fondait dans les éléments jusqu'à devenir invisible. Jouant avec les ombres et la lueur de la lune aucun mouvement n'était détectable. Seul les flammes qui avaient recouvert sa capuche couleur sang laissaient transparaitre une présence. Mais nul n'aurait pu deviner la présence de l'assassin devant cette lueur, n'importe qui y aurait deviné tout au plus la présence de lucioles.

L'intervention de Exodus avait permis à Laylay de prendre le temps de réfléchir et de mettre au point une stratégie. La première fois il y était allé la tête baissée et cela avait faillit lui coûter chère. Mais un assassin ne fait jamais deux fois la même erreur au risque de perdre la vie. Sanz, le pseudo-fils de l'Unique, Laylay ne semblait pas se fier à ses dires, il espérait bien l'intervention de la voix de l'Unique pour lui révéler toute la vérité à ce sujet. En attendant Sanz semblait avoir oublié sa présence, c'était une grave faute, oublier une ombre est une maladresse à ne jamais faire.

Au moment même où Laylay enfouissait ses mains dans ses poches une voix retentit en lui :

** N'ai crainte enfant, Ce fils n'est plus mien depuis bien longtemps. Aucun hérétique ne mérite un héritage si puissant que celui qui est miens. **

Un large sourire se souligna sur les lèvres de Laylay, celui-ci exprimait bien plus du sadisme que de la joie, rien que la pensée de ce qu'il allait faire subir à l'hérétique lui donnait soif de meurtre. Sanz avait beau être le Maître du sang, celui dont le métier était de le faire couler allez bientôt se retrouver juste dans son dos, deux larges lames plantées en lui. Laylay ressortis les mains de ses poches avec une fioles dans chacune d'elles. Celles-ci avait la couleur de la nuit, elle était si sombre qu'elle devenait presque invisible dans les méandres de l'ombre. La voix résonna à nouveau dans la tête de l'homme :

** Tel la feuille, flotte au vent, fend l'air et agis selon ma volonté. Il doit mourir, le moment est venu, dans 5 secondes ce sera le moment idéal. **

Laylay décrocha de sa course, et tel un aigle il plongea en direction de sa cible, les serres prêtes à planter les chaires de sa proie. Formant des virages pour suivre les ombres, foulant le sol avec une délicatesse et une légèreté tel qu'aucun bruit ne s'échappait de ses pas, Laylay s'apprêtait à agir. Laylay commença le décompte.
** 5 **
Il lanca une première fiole dans les airs juste au-dessus de là où se trouvait son acolyte, Sanz et la louve. Celle-ci partie si haut dans les airs qu'elle sembla léviter durant un instant. Laylay ramassa un cailloux avec sa main maintenant libre et commenca à contourner le groupe.
** 4 **
Laylay sentait le vent caresser ses cheveux, les flammes avaient cessé étouffées par le souffle. La capuche avait laissé place à un amas de lambeaux noircis. Laylay jeta la pierre en direction de la fiole, toujours dans les airs.
** 3 **
La fiole se brisa répandant son contenu tout autour du groupe, un liquide noir très odorant recouvrit le sol. Les ombres se creusèrent et se rependirent, augmentant la zone d'action de l'assassin. La louve sembla dégoutée par cette forte odeur de poisson pourris, elle reconnut rapidement l'odeur de l'encre de pieuvre d'Atalentë. Laylay exultait de la voir regrettait son odorat si puissant.

** 2 **

Laylay jeta la seconde fiole à quelques mêtres dans le dos de Sanz, celui-ci se retourna intrigué par le bruit du verre brisé. Laylay pu entrevoir une lueur de crainte dans son regard. Pour une fois il ne semblait pas être maître de la situation, L'Unique avait raison le moment semblait idéal.
** 1 **
Continuant de tourner autour du groupe, Laylay décrocha sa cape. Même Exodus semblait inquiet, il se posait certainement des questions quant à la fiabilité des compétences de l'assassin. Seule Sharah'In restait imperturbable, continuant de jouer. Laylay jeta sa cape entre Sanz et la louve, la manche vint lui caresser la joue.
** Maintenant ! **

Sanz se retourna une fois encore, Laylay profitait du spectacle, tout allez si vite, ses pas semblait guidé par l'Unique. Il était en transe, plus rien ne pouvait l'arrêter, le moment était venu. Laylay qui était maintenant placé juste derrière Sanz, fendit l'air, tout katars au vent et vint se planter dans son dos. Une de ses armes étaient plantées non loin de sa colonne vertébrale tandis que l'autre était restée plantée dans une de ses ailes. Laylay se mit à rire, Exodus le regarda comme s'il était fou.

- L'Unique ne ment pas, ta voix ne vaut rien quand la sienne est en moi, tu ne mérites pas son sang !

Laylay enfonça ses katars plus profondément dans ses chairs tendis que Sanz pris à peine le temps de bouger, ne laissant rien transparaitre, puis il s'écarta, laissant jaillir le si précieux sang au moment ou ses armes se dessoudèrent des chaires.

Cassiopée avait gagné le sommet de la tour Nord du château de l’Orgueil pour se glisser dans la nuit et ressentir la présence du Cosmos au plus profond de son âme. Le Pouvoir du Sang lui enseignait chaque nuit la Connaissance qu’elle détenait au fond d’elle, mais qu’il lui était défendu de voir.
C’était au temps où les essences prenaient forme que les dieux s’étaient élevés, longues lignes harmoniques dans les confins du monde. Ils étaient des aspects du Néant, emprunts d’une source de pouvoir unique et infini qu’ils tiraient de leur origine. Ils animèrent de leur souffle le sang des hommes. L’infini Pouvoir du Sang ou l’élan de vie.

Cassiopée prenait pleinement conscience de cet élan qui l’habitait quand, soudain, son âme se déchira d’un trait violent.
Le Sang était encore répandu.
Elle se dressa vers le ciel au moment même où Issac passait suffisamment près d’elle pour qu’elle l’enfourche et qu’ils plongent dans le Néant, immobilisant le temps et jugulant l’espace.

Issac avait pris soin de se placer un peu à l’écart du champ de bataille. Cependant, la scène qui se déroulait devant eux leur montrait le traitre Laylay plantant son arme dans le corps de son confrère de Sang. Mais il n’était pas seul, un guerrier et une musicienne l’accompagnaient.
Cassiopée se gonfla d’une colère qui alluma une tempête intérieure dans le sein du triskell des forces qui combinaient son pouvoir. Alors, une brume dense et opaque s’étendit sur le cimetière isolant tous les acteurs de cette sinistre scène les uns des autres. Elle était si chargée d’amertume et de tristesse qu’elle emplit l’espace de sifflements saillants qui perturbèrent la musique comme les âmes.

Cassiopée laissa s’envoler Issac alors qu’elle se dispersait dans la brume comme une ombre fantomatique. Libérant une part de son pouvoir, elle éleva la voix pour émettre les sons d’un indicible chant. Le Sang chercha le Sang. Lorsque l’incantation s’acheva, Issac, semblant émerger de nulle part, happa Laylay à pleine gueule et donnant un grand coup d’aile qui délogea l’arme encore plantée dans l’aile de Sanz, replongea dans le Néant, là où l’odieux traitre perdrait tout repère avant d’être jeté du haut des cieux sur les cimes éternelles. Et l’onde incantatoire suivit son chemin comme si elle était un souffle qui plongea dans les blessures, les baignant d’un baume, les irriguant du pouvoir du Sang.

Sur le corps de Cassiopée, de fines blessures suintaient là où les katars avaient frappé. Le Sang avait trouvé le Sang, le Partage opèrait.

Quelques heures plus tôt, à la grande cathédrale de Belthil

- Exodus ! s'écria De Vaanne. le Frère cuisinier aurait besoin de ton approbation pour la liste des victuailles à achet... Il n'est pas là ?

Stoppés net par l'intervention tonitruante du primat, les deux hommes qui rangeaient le cellier mirent quelques secondes avant de secouer la tête. De Vaanne ouvrit de grands yeux et referma doucement la porte.

- Pas dans la cambuse ? Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ? On nous l'aurait changé ?

Sur ces paroles pleines d'un étonnement bien compréhensibles au vu de la réputation du répurgateur, surveillant autoproclamé des cuisines, et surnommé par ses collègues le monstre du réfectoire, il se dirigea vers la nef, en espérant y croiser quelqu'un qui l'aiderait.
Bien mal lui en prit : elle était aussi vide et froide qu'une tombe. L'absence de musique indiquait clairement que Sharah'In n'était pas à sa place habituelle près de l'orgue monumental, et l'absence de bûcheron indiquait qu'Exodus ne faisait pas sa sieste sur un banc. par ailleurs, ni TeaR, ni Laylay ne faisaient leur prière de l'après-midi agenouillés devant l'autel... Un bruit de pas le fit se retourner : ce n'était qu'un Frère juré qui traversait la nef pour se rendre à ses quartiers. Pressé de questions, l'homme indiqua à De Vaanne qu'il avait vu des Enfants au dernier sous-sol. Le laboratoire de Teclis.

Une fois descendu en trombe au sous-sol, il surprit Teclis en train de faire à un TeaR fasciné une démonstration du fonctionnement des derniers instruments de torture de son invention. Instruments qui n'étaient sans doute pas de torture, d'ailleurs, mais il fallait prévoir le pire dès que l'archiviste posait se pattes poussiéreuses sur u objet quelconque. Entre ses mains, tout objet, même faiblement contondant avait tendance à devenir un piège mortel pour le prochain à s'en servir.

- Bonjour messieurs... dites, vous ne sauriez pas où sont vos collègues, et en particulier le goinfre officiel ?

- Pas vus depuis hier, primat, dit TeaR. Peut-être sont-il partis en mission... J'ai dit quelque chose de mal ? ajouta-t-il vivement en voyant le visage de De Vaanne se durcir.

- Je n'ai autorisé aucune mission, TeaR... Pourquoi fais-tu cette tête, archiviste ? demanda-t-il en voyant Teclis prendre l'apparence de quelqu'un qui en sait trop en espérant vainement le cacher.

- Moi ? Mais je ne sais rien. Rien du tout. Du tout...

- Tu mens. Où sont-ils passés ? Dans une taverne de Belthil ? un bordel ? partis faire leurs courses à l'armurier du coin ? Parle, et vite !

- Eh bien... c'est que... ils sont partis en mission contre les dragonniers au cimetière d'grmlbmlfpf

- Accouche ou je te fais essayer tes inventions, archiviste de malheur ! beugla le primat excédé.

- Partis. Hier soir. Cimetière d'Echoriath. Des dragonniers y seraient.

A peine Teclis avait-il fini de parle que De Vaanne s'était rué hors de la pièce en hurlant de sonner le rassemblement. Intrigué, l'archiviste le suivit à pas plus prudents. Lorsqu'il arriva dans la cour, plusieurs dizaines de Frères jurés se tenaient en rang sous le regard d'un Primat au bord de l'apoplexie.

- Pourquoi tout ce remue-ménage, enfin ? Ce n'est pas si grave ?

- pas si grave ? Espèce d'irresponsable ! Exodus est le pire des dangers publics de cette contrée ! Lui laisser choisir sa mission c'est demander à quelqu'un d'allumer sa pipe près d'un baril de poudre à canon ! Et tu voudrais que je le laisse faire, alors que la moitié de ma Confrérie vient de se carapater sans me prévenir ?

- Vu comme ça...

- Ouais... Quinze hommes à cheval prêts à partir, hurla-t-il aux Frères. Ne prenez que le strict nécessaire, nous allons devoir foncer. Et toi, dit-il à Teclis, prépare quelques arbalètes, on ne sait jamais.

- Oui, primat. Tu prends la Coiffe du Pénitent également ?

- Deux fois plutôt qu'une ! Au fait, ton projet anti-dragons, est-il prêt ? Nous n'aurons peut-être pas de meilleure chance.

- Encore quelques mois, primat, répondit l'archiviste d'un air gêné.

De Vaanne grogna et se dirigea vers l'armurerie.

- Je paye, je paye et je ne vois toujours rien venir... Au fait, j'espère que tu sais monter, parce que tu viens avec nous.

Quelques courtes minutes plus tard, les dix-sept hommes armés jusqu'au dents sortaient à bride abattue de la cour de la cathédrale. Teclis se maintenait difficilement en selle, tout en maintenant avec peine le train d'enfer que menait le primat qui galopait en tête, ses traits congestionnés par la rage cachés sous son casque doré. Tous, quel que soit leur grade, espéraient arriver à Echoriath avant qu'il ne soit trop tard.

... Exodus hurla en se jetant sur Sanz et la louve. Cette dernière bondit en avant et un choc sourd retentit lorsque les deux adversaires se percutèrent violemment. La fierté de l'amour du saint Père contre la bestiale férocité d'une mère.
Les jurons, les rugissements et la musique, combinés aux lointains gémissements tourmentés des âmes permirent à Laylay d'agir. Une lame étincela dans la nuit.
Un sang millénaire s'écoula tandis que l'assassin frappait de deux rapides coups dans le corps démoniaque de Sanz. Le nectar pourpre envahit l'air ambiant, répandant une odeur caractéristique de cuivre à des kilomètres à la ronde. La terre se noircit à l'endroit ou la substance rouge perla au sol, le souillant à jamais. C'est alors que survint l'étrange phénomène.

Une ombre blanche tomba sur le cimetière entier tandis qu'un sifflement strident, ni grave ni aigu, emplit l'air. Les âmes s'affolèrent en tous sens, apparemment rendues folles par le bruit. Elles se mirent à tourbillonner dans une valse anarchique au rythme de cette étrange symphonie.
Sharah'In, les doigts ensanglantés, concentra tout son talent pour reprendre le contrôle de l'univers sonore, pour l'heure anomique.
Cependant, au milieu de ce chaos, c'est l'apparition d'une immense gueule béante happant Laylay qui aurait pu faire frémir n'importe qui. Rapide et preste, l'assassin tenta d'éviter par une pirouette les crocs acérés tout en déchirant l'apparition de coups de katars précis et meurtriers. Néanmoins, rien n'y fit. Aussi sûrement que Dieu referme la main pour cueillir une vie, l'Enfant de l'Unique fut englouti par les ténèbres.
C'est à cet instant qu'une voix forte, vibrante d'espoir, survola le champ de bataille.

- Tenez-bon mes frères et sœurs ! L'Unique veille sur vous !

Le Primat De Vaanne bondit littéralement au triple galop dans le cimetière, semblant surgir de nulle part. Sur son chemin, la nasse blanchâtre s'écartait, les âmes reculaient et Antienne fendait l'air, avide du sang des hérétiques.
Dans son sillage venait une quinzaine de bons cavaliers, habillés de pieds en cape, qui lardèrent l'air de carreaux d'arbalète à répétition. Plusieurs tentèrent de décocher des traits sur la monstrueuse apparition qui avait dévoré Laylay, sans succès. Il y eut un étrange moment de silence alors que la créature replongeait dans l'obscurité, rompu par les hennissements apeurés des chevaux lorsqu'un terrifiant rugissement carnassier retentit un peu plus loin. Une voix s'éleva alors dans le brouillard, à quelques mètres vers l'Ouest.

- Par tous les saints et les somptueux festins, le Primat est là.

Il y eut de nouveaux grognements et le sifflement caractéristique d'une rapière qui mouline l'air.

- Pas que lui d'ailleurs, espèce d'insubordonné ! J'ai quinze frères avec moi et le grand Archiviste -d'ailleurs, où est-il passé ? Où sont donc tes deux acolytes ?

Quelques notes réconfortantes résonnèrent parmi les tombes, tenant lieu de réponse pour Sharah'In.

- Bien, et Laylay ?

Mais De Vaanne connaissait déjà la réponse. Il avisa l'immense masse sombre et obscure qui se mouvait avec grâce, insaisissable, dans le cimetière.
Recommandant son âme à l'Unique, il fonça droit vers cet adversaire, son cheval esquivant les stèles défoncées ou les restes d'antiques mausolées. Une fraction de seconde, il crut vaguement apercevoir la silhouette de Sanz sur sa gauche mais il n'y prêta pas attention. Il fallait dégager des priorités, et les compétences d'assassin de Laylay seraient très utiles pour la suite du combat, qui risquait de s'avérer excessivement difficile. Finalement, il atteignit l'incarnation intangible d'Issac. Sur sa tête, la Coiffe du Pénitent trônait fièrement. Il y eut un mouvement dans le brouillard tandis qu'il abattait Antienne.
La brume sembla refluer au bout de sa lame, puis s'y concentrer. Enfin, un terrible déchirement eut lieu tandis que le dragon donnait un furieux coup d'aile en s'élançant vers les cieux avant de s'y effacer. Au même moment, le corps meurtri de Laylay retomba lourdement dans la poussière. L'assassin était couvert de blessures et sa robe rouge déchirée par endroits. Néanmoins, il se releva tant bien que mal et son visage s'illumina d'un rictus de douleur.

- Et bien... Je me passerai volontiers d'une seconde visite là-dedans...

***

L'archiviste Teclis s'écroula au bas de son cheval, le derrière en feu. La chevauchée, à laquelle il n'était pas habituée, l'avait éreinté.
Toutefois, de là où il se trouvait, il possédait une bonne vue du cimetière et de ses environs. Il posa son arbalète à répétition à ses cotés et se munit de son calepin et d'un fusain, tout en déroulant une mallette pleine d'instruments de mesure. D'un geste rapide, il ajusta son monocle avant de commencer à gribouiller tout un tas de choses sur le combat.
Alors même qu'il finissait d'écrire à tout va une troisième page de notes, il devina plus qu'il ne perçut dans le ciel environnant la présence d'un pouvoir ancien et puissant. Il sentit de la fureur dans l'air. Son regard pointa ensuite vers la brume du cimetière, où ses sœurs et frères allaient bientôt en découdre avec l'hérétique Sanz, le parjuré, et l'immondice qui le protégeait.
Il sourit en pensant que quoi qu'il arriverait, son récit des évènements serait l'un des plus épiques du culte ; et une sacrée bonne histoire pour Exodus à raconter à la taverne du coin...

A vrai dire, pour Sharah'In, tout s'était passé trop rapidement. Les yeux rivés sur Sanz, la seule chose qu'elle capta fut à la périphérie de son champ de vision, restreint par la concentration et la douleur qui lui montait de ses doigts à la pulpe ensanglantée. Elle avait tressaillit en voyant Laylay et Exodus se lancer enfin à l'assaut du Prince, sentant du même coup l'emprise qu'il avait sur elle diminuer.

Puis il y avait eu cette ombre blanche, et le bruit de sabots qui résonnait dans son corps. Les modulations des voix lui parvenaient de façon abstraite, comme extraites de leur sens. Sharah'In n'en avait cependant rien à faire pour le moment. Elle profita de ce répit pour moduler sa mélodie. Redevenant l'essence même de la musique, elle profita de quelques accords pour dispenser quelques sons à Laylay, emporté subitement elle ne savait trop comment. S'il était à porté d'oreilles cela lui ferait sans doute quelque peu de bien. Malheureusement, c'était le genre de mélodie qui ne ciblait pas une personne ne particulier. Aussi, toute personne se trouvant dans le cimetière ressentit, l'espace de quelques secondes, une onde de bien être réparateur l'envahir.

Ne pouvant, pour des causes évidentes, pas continuer cette mélodie plus longtemps, elle embraya tout de suite sur quelque chose de plus agressif, plus sombre. Les accords lourds et graves s'entrecoupaient de notes plus aiguës, presque stridentes. Autour d'elle, des ronces commencèrent à pousser, remplaçant les pétales de fleurs présents quelques instants plus tôt. Des ronces aux épines de plus en plus grandes, de plus en plus tranchantes. Elles semblaient se nourrir des gouttes de sang qui perlaient de ses doigts meurtris, qui ne pouvait toujours pas cesser de jouer.

Insidieusement, les ronces serpentèrent, cherchant une proie, une prise. La musique emplissait l'air, ne parvenait tout de même pas à couvrir le bruit des chevaux qui arrivaient. Sharah'In savait que l'état de ses doigts ne lui permettrait pas de moduler suffisamment ses notes pour épargner ses compagnons. Il était cependant trop tard pour les prévenir. Déjà les ronces commençaient à s'enrouler autour de la cheville d'Exodus, avant d'enfin arriver aux pieds de Sanz. La seule chose qu'elle pu faire, ce fut résorber les épines autour de son compagnon de bataille pour empêcher la morsure douloureuse des plantes qu'elle faisait naitre de son sang et grandir de sa musique.

Pourtant, elle savait qu'elle ne pourrait sans doute pas gagner. Dans cette guerre d'usure, elle ne saurait avoir le dessus tant qu'elle n'aurait pas trouver un moyen de conserver une certaine intégrité pour ses doigts. Qu'importe. Une partie de son esprit était déjà en train d'échafauder un échappatoire en cas d'une prochaine confrontation. Pendant que cette partie de son esprit explorait des pistes envisageables, le plus gros de son attention était braqué sur Sanz et la musique qui sortait de ses doigts.

Le long de sa jambe, une ronce pleine d'épines tranchantes lui mordait les chaires. Elle cessa de grandir à hauteur de sa hanche, s'enracinant un peu plus en elle. C'était le prix à payer pour sa musique. Mais la douleur était moindre, comme engloutit dans le flot de musique qui les animait, elle et la plante. Plus rien ne comptait, pas même l'animation qu'elle percevait vaguement autour d'elle. C'était comme si plus rien ne pouvait l'atteindre, tant elle était enfoncée dans les méandres de son esprit pour en projeter des éléments toujours plus puissants, toujours plus dangereux. Le seul lien qui la reliait à la réalité, c'était cette douleur latente sur son flan droit, né de la ronce qui grandissait un peu plus à chaque minute. Une douleur nécessaire pour ne pas sombrer totalement. Pour ne pas refaire cette erreur qui lui avait tant couté, des années auparavant.

Se refusant de repenser à cela, ou simplement de penser, elle augmenta légèrement la vitesse de sa mélodie, qu'elle ne percevait presque plus, laissant ses doigts agir à l'instinct. Déjà, elle voyait le décor changer autour d'elle, sans pour autant savoir si l'illusion était le fruit de sa musique ou si elle lui était spécialement destiné, de part son avancée toujours plus grande dans les contrées les plus reculées de son esprit. Elle ne pouvait pas réellement dire que tout ceci lui faisait peur, c'était justement l'inverse, comme une libération de l'emprise de son corps.

A hauteur de sa hanche, la ronce éclot lentement d'une fleur rouge sang....

Le Mouvement ne sait pas qu'il veut. Les Dieux le savent eux, et le mortel le réalise. Du flux à la conscience. Je suis simplement un passeur. Et je dois continuer d'avancer. Je ne suis qu'un passeur.

Sanz fixait lentement le temps qui découlait. Pour lui tout s'était ralenti, tout était une vaste scène de théâtre ou les personnages crachaient plus de sang qu'il ne voudraient. Même lui sentait ce corps emprunté se vider. Il ne sentait rien en lui, trop tôt, trop tard. Que pensait Cordelia. Cette question effleura sa mémoire. Jusqu'au cri d'Issac, au rugissement divin de l'Aspect. Et du martèlement des armes, et et des blessures ouvertes qui se réduisaient lentement tandis que le partage du sang atténuait les coups de Laylay le Traître. Tout était si simple. Il suffisait juste d'avancer. Les probabilités éprouvaient le temps, ils n'étaient que des incidences dans une conversation essentielle. Qu'y avait-il d'important à voir s'entredéchirer le vivant?

Je respire, j'essaie, je respire, du sang coule aux commissures de mes lèvres. Dans mes yeux, s'embrase la lente et latente folie, mais je maintiens mon étreinte sur l'Appel.

L'Appel. Tu ne sais pas SHarah'in mais cette de cette langoureuse harmonie que tes doigts s'arrachent à reproduire. C'est une vieille musique, plus vieille que nos Pères. Elle serpente dans la création comme une vieille histoire qui s'accroche, se mêle , imprime la matière. Elle était là avant toi, elle sera là après toi. Elle ne cesse jamais. Tu essaies de la moduler, tu imagines qu'elle glisse sous tes doigts et que tu la domptes. Continue, bel enfant, continue, Musicienne, tu éveilles mes rêves. Et tu éveilles ma belle folies. Je ne ressens plus rien. Toi aussi? Le Monde s'étouffe, la réalité se disperse. Viens tu là ou je suis? Dans cette dimension étrange ou des toiles se forment, étreignent ta vision et expulse ton propre vent. Immobile dans le courant du Temps, et pourtant nous marchons. Je heurte la réalité, elle se morcèle. Pourquoi ces ronces? Elles poussent aussi pour toi. Elle pousse pour nous. Sais tu ce que tu fais, t'en rend compte? Es-ce toi encore? Comment fais tu? Cette douce musique.. D'ou vient t'elle? Je voudrai savoir..je voudrais savoir d'où tout cela te vient pour que l'on entende l'Appel chanter sous tes doigts? Tu ne sais pas ce qu'est l'Appel, pourtant. L'aurais-tu en toi? La Réalité se morcelle.

Dans l'indistinction du temps, arraché par la douleur et les ronces, il y eut comme le déplacement d'un Ange noir dans l'immobilité du temps. La main droite du Prince se posa sur le front de Sharah'in au même moment que l'on pouvait voir une fleur rouge-sang éclore, éclatante de merveille. Ce fut l'orgue soudainement qui résonna brusquement. Le sang qui tombait reflua brusquement, jadis des filets comme des fontaines ils remontent brusquement le courant.

L'inversion, Sharah'in. C'est tellement loin. J'ai fais si peu. Raconte moi comment tu éduques cette Musique... Raconte moi ce que tu sais faire. Je voudrai tellement savoir. J'ai..hâte de savoir.

L'inversion. La main de Sanz brûla soudainement tandis que le sang continuait de refluer. Sur le front de sa fascination, le temps comme un vent inversait sa course. L'harmonie jadis univoque retournait sur ses pas, et c'était tout le refrain qui égrenaient ses notes à l'envers. Plus rapidement que jamais, les doigts recouvraient les sillons tracées dans l'espace, creusaient à nouveaux les mêmes chemins, retournaient au dedans comme une furie fiévreuse. Et pourtant, les ronces continuent d'arracher la chair, et pourtant Sharah'in et Sanz se fixaient, à dix centimètres l'un de l'autre. Et pourtant, elle continue de jouer tandis que les yeux ardents de l'Ange et sa main sombre discutent avec son âme.

Désormais ce n'est plus ton combat. Tu devras te battre avec toi même pour ne pas céder face à ton propre vent, ta propre musique. Ceux là ne sont plus ta réalité. Ta propre réalité est un cube ou crissent, résonnent à l'intérieur tes modulations.

Le pied droit de Sanz déchiré par les ronces s'éleva une seconde et écrasa la fleure écarlate.

Retrouve cette fleur. Bienvenu dans Mon Monde Sharh'in. J'espère que tu as fais bon voyage jusqu'ici et que ta musique t'as grandement aidé.

***

Au loin dans le ciel, tel une ombre venteuse qui observait sans intervenir, Shyon mesurait les combats avec son air continuellement nonchalant.

Dieu qu'ils sont lent, et il te prennent pour un Dragon... ca te choque pas toi? Tu t'en fous hein?

Issac ne répondit pas effectivement. Perdu dans sa fureur il continuait d'œuvrer dans le sens de son intuition.

Je m'ennuie moi, il me demande rien. Il continue de faire son fier, baignant tranquillement dans son sang a discuter de sonate avec sa voisine. Il aurait pu au moins dire bonjour au Primat. Question de politesse. Un petit coup dans le poitrail pour saluer le nouveau belligérant. Tiens je vais visiter le coin de sa tête.

L'ombre du vent siffla aux oreilles du Primat, cherchant une prise dans laquelle s'immiscer. Rien. Il soupira et ce fut une jolie brise qui chatouilla le nez d'Antienne. Maudissant l'étrange mur qui l'empêchait de faire sa visite il en informa Sanz. Mais celui dormait dans un Songe auquel il sembla avoir du mal à se défaire.

Prince, vos illusions vont bientôt.. servir d'occupations aux rats du coin.

Le jeune Prince fut supris de l'air pantomime de Shyon. Rarement il le sentait léger et distrait, autant surpris d'ailleurs que la matière de Cordelia résistait vaillamment aux assauts des ronces même si désormais la peau se mêlait aux pointes de la plantes grimpantes telle une étreinte sanglante.C'est à ce moment qu'il se rendit compte de la présence des deux nouveaux arrivants. Il compta mentalement :

Deux qui semblent protégé par je ne sais quoi, quinze tirent sur Issac et ..les autres. Ca nous fait...

Il ne mit pas longtemps a faire son compte.

Il faut recruter. Shyon, occupe toi-en.

L'Aspect gronda de plaisir et poursuivant ses vents erratiques plongea dans les âmes des soldats accompagnant le Primat.

Messieurs... regardez celui qui tire... Un Hérétique !

Et sa voix enjôleuse les intima de charger Teclis. Un rire léger fusa dans l'air tandis que le Prince s'adressa a Cassiopée qui laissait le partage continuait lentement son chemin et meurtrissait son corps .

Je pense que je devrais pouvoir tenir tout seul mes blessures... Tu devrais arrêter.

Au même moment les ronces semblèrent hésiter puis retombèrent mollement accrochées a sa jambes. Sharah'in était désormais trop loin pour les maîtriser. Le Prince bougea un peu ses jambes, arrachant un peu de peau au passage, entraîna son arme et un sourire tranquille s'approcha du Primat.

Vous êtes Monsieur...?

Un louveteau. Sous les grondements perça le dédain.

Concentrée sur Exodus, Lùthien avait tout de même suivi la progression de Laylay. Seulement, elle ne pouvait être partout. Au Prince de se débrouiller, elle avait d'autres chats à fouetter. Alors que l'homme en armure continuait de discourir avec Sanz, la louve évaluait la situation et la meilleure façon de faire rentrer ses insultes dans la gorge de ce jeune blanc-bec. Sa taille pouvait encore être augmentée, mais elle était déjà plus que satisfaisante puisqu'elle permettait à un humain de s'en servir de monture au besoin. Ce serait donc une perte d'énergie inutile. De l'esbroufe. Par contre, puisque ce stade là était déjà atteint et que son adversaire saignait... Elle pouvait lui donner une vraie raison de la considérer comme une ennemie de l'Unique auquel il tenait temps.

Exodus chargea. En hurlant. Comme si ça pouvait l'aider. La louve, elle, s'entoura d'une aura d'un rouge/violet malsain. Et étira ses babines en un sourire canin. Son corps, maintenant, véhiculait un poison démoniaque. Son contrôle avait changé de propriétaire, l'elfe ne gardant que le stricte nécessaire pour ne pas que son âme se fasse dévorer par celle du démon-loup. La louve esquiva tranquillement le premier coup d'un bond qui la plaça sur la gauche de l'Enfant. Le temps qu'il se replace, elle chargeait aussi.

Ce fut le moment que choisit l'assassin de l'ombre pour lancer ses fioles. L'odeur agressa immédiatement les sens de la louve qui ne dévia pas pour autant, percutant avec force Exodus, qui roula plusieurs mètres en arrière avant de se remettre prestement en position. Le choc lui avait coupé le souffle mais rien de plus, ce n'était pas le but. Lùthien avait à peine senti l'armure et s'ébroua. Une pluie de poils noirs vola vers l'Inquisiteur. Certains, déposés au moment du contact, étaient déjà au travail, profitant de la blessure sanglante pour s'infiltrer dans le corps de l'ennemi. Qui très vite en ressentit les premiers effets. Son bras commença à le brûler, le poison rongeant rapidement la peau, les cellules, s'insinuant dans sa circulation sanguine pour se répandre dans tout son corps, lançant une vaste campagne de destruction au sein même de l'Enfant de l'Unique.

La louve resta vigilante. Elle ne pensait pas qu'il puisse combattre aisément un tel poison mais il fallait se méfier de ces encapuchonnés. D'ailleurs de nouveaux arrivaient. Du sang, de la rage. Une folie meurtrière qui montait en son sein. Elle les déchirerait tous de ses crocs avant de les regarder se tordre de douleur sur le sol.

Cassiopée avait encore une fois négligé sa force. Elle n’avait pas encore pris l’habitude d’être complétée à l’infini par Issac. Il était à tel point son inverse qu’il libérait pour elle une énergie égale à celle qu’elle utilisait dans ses incantations et elle avait si bien partagé la douleur et les blessures de Sanz, qu’elle avait omis le propre pouvoir de son confrère. Aussi, se sentit-elle un peu gênée quand celui-ci lui fit remarquer en souriant qu’elle pouvait s’arrêter. Sanz avait, en effet, mieux qu’elle, récupéré ses forces au sein de ce corps étrange qui n’était pas le sien. Au moment même où elle stoppait l’échange, Issac pénétra en elle, reposant sur les blessures comme un baume réparateur, plus efficacement un quelconque soin. Par sa simple présence, les fines mais profondes coupures se soudaient. Il partageait son corps et ne pouvait se satisfaire d’un corps imparfait.

-Vois Shyon, contrairement à toi qui te repais d’âmes, je considère que le contact avec la chair est doux et tendre. L’Humanité a ceci de charmant, j’apprécie le contact charnel.
C’est vrai qu’ici je suis un dragon, mais pour Elle je suis son « dragon », c’est ainsi qu’Elle me nomme.

-Mon dragon ne saurait se satisfaire d’être une ombre-vent. J’ai découvert que tu me complètes tant que nous formons à nous deux les pôles opposés d’une énergie qui serait peut-être capable de transformer un monde. Comment nommer autrement les rugissements que j’émets à travers lui et le pouvoir créatif dont il est l’origine ?
Ne crois pas que ta présence plus lointaine parmi les hommes fait de toi un ancêtre plus puissant que les nouveaux-venus Shyon. Tu as tant goûté d’âmes que tu en oublies aujourd’hui leur saveur.
Il y a parmi ceux-ci des âmes au goût de fleur qu’il ne faudrait pas négliger.

Cette conversation entre Cassiopée, Issac et Shyon n’était pas murmurée, ni même distincte. Elle n’était que pensées partagées dans le temps arrêté pour que le calme exulte après l’effort.
Les cris du champ de bataille montèrent lentement lorsque la réalité reprit son cours.
Alors qu’à l’opposé du cimetière Exodus se jetait dans la gueule de Luthien, Cassiopée aussi dispersée que le vent, émit un long sifflement qui se modula lentement pour se diriger vers Sharah’in, il venait épouser la mélodie de l’âme, s’entrelacer dans la trame pour y retrouver ses racines. Lorsque le souffle se noua à la plante, elle l’irrigua d’une rosée salvatrice, rosée purifiante et chantante dont le goût était parfumé de rose et de lilas. Il plaisait à Cassiopée de nimber Sharah’in des symboles de l’Amour et de l’Amitié dans un même parfum envoûtant.

Lors de son assaut, Exodus avait été surpris par la métamorphose opérée par la louve. Sa silhouette s'était retrouvée nimbée d'une aura pourpre et maléfique, prouvant à l'Enfant que la créature qu'il avait en face de lui n'était pas ce quelle lui semblait être au premier abord, à savoir une grande louve noire.

Elle esquiva d'un bond un rapide coup de taille, se plaçant sur la gauche du répurgateur. Avant qu'il n'ait eu le temps de replacer sa garde, elle chargeait déjà en sa direction. Tout s'enchaîna à une vitesse impressionnant: la fiole lancée par Lay éclata au dessus d'eux, saturant leurs sens et en particulier ceux de la louve, mais celle-ci était déjà lancée. Sa lourde masse s'abattit sur Exodus, l'une des épaules de l'animal percutant ce dernier en plein torse. Son plastron d'acier léger, caché sous sa robe rouge et or, atténua en partie l'impact mais n'empêcha ni sa respiration d'être coupé par le chox ni le vol plané qui s'en suivit. L'Enfant parcouru deux bon mètres avant de retomber sur le dos, se relevant le plus rapidement possible, aussitôt qu'il eut retrouvé les notions de haut et de bas. Cherchant la louve du regard, il l'aperçue à quelques mètres de lui, le regardant fixement. Toutefois son attitude avait changé. Elle n'était plus ramassé sur elle même, comme prête à bondir au moindre de ses mouvements. Non, on aurait plutôt dit qu'elle attendait que quelque chose se passe.
Se remettant instinctivement en garde, Exodus sentit soudain une comme une brûlure le long de son bras. Il jeta un coup d'œil à son avant bras, au niveau duquel sa robe avait été déchirée par les crocs de la louve, tout comme le brassard de cuir qu'il portait en dessous. Là où les crocs avaient atteint la chair s'affichait une vilaine blessure, par laquelle s'écoulait un sang rouge, plus foncé encore que le tissu de la robe. Et, nageant dans le sang jusqu'à la blessure, remontant le léger filet rouge, de fins segment noirs ondulaient pour disparaître dans le blessure, sous les yeux ébahit du répurgateur. Ce qu'il identifia avec dégout comme les poils noirs de la louve s'insinuaient dans son corps, tandis que la sensation de brûlure se propageait maintenant dans tout le haut de son corps. Autour de la blessure infectée, la peau prenait une couleur inquiétante, bien loin de sa teinte naturelle.

Au même moment retentit dans le cimetière le cris de ralliement du Primat, galopant entre les tombe à la tête d'une quinzaine de gens d'armes.

- Par tous les saints et les somptueux festins, le Primat est là! S'entendit-il s'exclamer, le sourire aux lèvres.

"Je suis mort." fut ensuite sa première pensée, en se remémorant le fait qu'il avait omit d'informer le Primat de leur plan.
Celui-ci avait dégainé Antienne et fonçait droit devant lui, défiant la monstruosité qui avait saisi Laylay sitôt son attaque réussie.

Exodus n'eut pas le loisir d'observer d'avantage la situation car la douleur se rappela à lui, lui compressant le crâne autant qu'elle atteignait maintenant ses membres inférieurs. Il ne sentait presque plus son bras et inconsciemment effectua un moulinet de sa lame en direction de la louve, réflexe sans doute dû à la panique de ne plus contrôler ses gestes. L'animal gronda mais ne bougea pas, un regard presque amusé posé sur le répurgateur.
Témoin de la destruction qu'engendrait l'infection impie, l'Enfant s'efforça de garder son calme, appelant à lui les paroles de réconforts que lui avait appris le Culte depuis son plus jeune age. Il ferma les yeux, conscient du danger que cela représentait dans cette situation, mais la louve continuait à le regarder avec plus de curiosité qu'autre chose, s'intéressant même plus à la troupe nouvellement arrivée qu'à son ennemi agonisant.
"J'ai la Foi en l'Unique, le seul être de pur bonté vers qui me tourner..." Il récitait machinalement, tandis que ses membres brûlant avait de plus en plus de mal à le supporter. Sa tête lui tournait, ses jambes menaçaient de l'abandonner à chaque seconde. "Il est mon Père, il est mon Dieu, il est le Tout, là où rien n'existait..." Seule sa main droite restait forte, serrant toujours plus fermement la poignée de sa rapière, jusqu'à ce que ses phalanges blanchissent. "Jamais il ne m'abandonne, toujours il porte son regard sur moi car il m'aime plus que je ne pourrais jamais le lui rendre...". Il se redressa dans un dernier effort, rouvrant les yeux pour fixer le dos de la louve qui préférait se diriger vers les Frères Jurés et criant sa dernière phrase comme un défit:

- Car il est l'Unique, et Sa Main est sur nous!

La douleur qui l'envahit à cet instant lui sembla inimaginable, tandis que la chaleur atteignait un seuil intolérable dans tout son corps. Puis il hurla de douleur, comme presque jamais auparavant, avant de retomber à genoux, le dos vouté et le menton posé contre son torse, la capuche de sa robe s'étant replacée sur sa tête au passage. Il resta quelques secondes immobiles, avant de ramener son poignet devant son visage: là où la blessure avait quelques instant plutôt acquis une couleur inconnus des cercles chromatique, une chaude lumière dorée filtrait, refermant la plaie et endiguant le saignement, purgeant le sang et le corps par la même occasion. La douleur était horrible mais l'effet en valait la peine: en échange de ces souffrance, son corps avait été nettoyé de la corruption que la louve avait voulu lui insuffler. Se redressant lentement, il se mit alors à marmonner entre deux grognements, fixant le dos de la louve qui s'éloignait en direction des Jurés.

- Douleur, douce douleur... Elle est mon chemin, mon repentir, le don de ce que j'ai de plus cher. Elle est mon offrande à Sa gloire.

Doucement, il se remis debout, penchant légèrement sur sa gauche, sa rapière placée le long de sa jambe droite. Sans quitter la louve des yeux, il se mit à fouiller sous les replis de sa robe de sa main libre.

- Le sang coule car je protège Sa parole. Mon sang est le Sien car je ne suis qu'une partie infime de Sa puissance. Et quiconque fait couler Son sang déchaîne sur lui Sa colère.

Il sortit des bandoulières situés sous sa robe un pistolet à poudre d'environs 30cm, munis de deux canons, gravés chacun d'une des saintes paroles du Fides, armant le chien de l'arme avec un son reconnaissable entre mille. De son autre main, il ramena lentement la rapière derrière lui, la point orientée vers le sol, alors que la lame commençait à émettre une lueur dorée de plus en plus vive.

- Aussi craignez-le! Craignez-nous, nous qui somme les messagers de Sa fureur, annonciateur de Sa venue. Implorez, repentez-vous mais n'espérez aucune grâce...

Il était impossible de distinguer la lame tant la lumière qui en émanait était intense. Se ramassant un peu sur lui même, la rapière toujours en arrière mais cette fois dressée vers le ciel, Exodus hurla au cimetière les dernières paroles de sa prière.

- Car il est l'Unique, et juste est Sa Colère!

Le mouvement qu'il donna alors à son arme libéra l'éclat, qui fila en direction de la louve sous la forme d'un vague arc de cercle de plus d'un mètre de long. Celle-ci, s'étant retourné lorsqu'elle avait entendue le cri de l'Enfant, vit fondre sur elle un trait de lumière pure, et ne put qu'instinctivement se jeter hors de porté de l'attaque. L'éclat passa à quelques centimètres d'elle pour continuer son parcours parmi les tombes du cimetière, sectionnant net celles qui se trouvait sur son passage, avant de toucher le sol, explosant à l'impact dans tel une petite étoile. Là où l'éclat était passé, la zone était comme brûlée. Même la roche des pierres tombales était en feu là où la lumière l'avait tranché.
Une désagréable odeur de poil brûlé émanait de la louve, la chaleur de l'éclat ayant fait roussir une bande de ses poils noirs le long de son flanc.

À quelques mètres de l'animal, l'Enfant se tenait, droit, son pistolet pointé en direction de la louve. Sa rapière avait toujours ce même éclat lumineux qui courait le long de sa lame, gagnant en intensité à chaque instant, prête à lâcher un nouveau trait de lumière.

- Je suis Exodus, Enfant de l'Unique, répugarteur et chasseur de démons. J'incarne Sa passion et Sa colère face aux lâches et aux hérétiques. Qui es-tu donc, toi qui te dresse entre nous et la menace qui pèse sur ce pays? Qu'es-tu seulement?

Ainsi ses prières avaient été exaucées et son adversaire revenait dans le combat. La louve observa avec un intérêt renouvellé Exodus, gardant à l'oeil son épée lumineuse pour parer à toute nouvelle attaque.

- Je suis Exodus, Enfant de l'Unique, répugarteur et chasseur de démons. J'incarne Sa passion et Sa colère face aux lâches et aux hérétiques. Qui es-tu donc, toi qui te dresse entre nous et la menace qui pèse sur ce pays? Qu'es-tu seulement?

Décidemment, cet homme l'amusait. Aussi le Démon-Loup décida-t-il de répondre à la provocation. Chose rare; sa voix était peu utilisée. Pour faire bonne mesure, il choisit d'accroitre encore un peu la taille de la louve. Ses yeux dorés se trouvaient presque à hauteur de ceux du répurgateur.

Je suis aussi vieux, peut être même plus, que le grandes dents à écailles qui combat derrière. La voix était forte et pourtant seul Exodus la percevait. Elle n'était pas en lui comme pour un télépathe, mais tout autour, flottant dans l'air, roulant comme un tonnerre. Je suis tout ce que tu combats et sans moi tu n'aurais aucune raison d'avoir la Foi. Pourtant, elle, n'est pas moi, mais ça les fous de Religion ne peuvent le comprendre. Elle n'a pas choisi. Elle est mon Geollier, mon Gardien, mon Temple, ma Maîtresse. Grâce à elle, je vis. Grâce à moi, elle est forte. Sans moi, elle mourra. Si elle meurt, je vivrais toujours. Elle s'est choisi un Destin et celui-ci passe par la conquête de Ceux-là. L'accent mis désignait clairement les Dragonniers. Conquête qui passe par leur défense. Le poil noir de la louve se hérissa, prêt au combat à nouveau. Veux-tu chanter avec moi, Nourrisson?

L'attaque valait bien celle lancée par le Répurgateur et la louve attendit, sur ses gardes, la riposte.

- Qui je suis n'a guère d'importance, à mon avis, répondit De Vaanne après un temps.

Il avança aussi, jusqu'à ce que Sanz et lui ne se trouvent qu'à quelques pas l'un de l'autre.

- Si vous tenez à la savoir, je suis le primat De Vaanne, fidèle serviteur de l'Unique et nommément responsable de cette Confrérie... quand ses membres ne prennent pas de fâcheuses initiatives.

Il était évident que le primat bouillait d'une rage contenue à grand peine, et que la personne responsable aurait besoin d'une excellente excuse lorsque ce joyeux bazar serait terminé.

- La vraie question, elle vous concerne. Qu'êtes-vous ? Sanz, je suppose, l'illuminé qui dirige ces dragonniers. Où est votre animal de compagnie ?

Il eut un sourire.

- Encore une fois, je crains de devoir prendre les services de renseignement du Culte en défaut... Empêtré ainsi dans les ronces, vous ne faites pas honneur à votre réputation. Quoique l'illumination puisse, parait-il, venir de la douleur ?

Le Primat empoigna son épée et la sortit du fourreau dans un long sifflement d'acier, et commença à jouer négligemment avec la lame.

- Enfin, l'habit ne fait ni le moine, ni le mystique et si j'étais un étranger à ma Confrérie, je serais sans doute ahuri de voir qu'un être tel qu'Exodus y a des responsabilités. Responsabilités qui, il est vrai, ne tiennent qu'à un fil...

Dans un dernier mouvement, la lame se retrouva pointée d'une seule main vers Sanz.

- Allons, sa bêtise aura peut-être l'avantage de mettre fin à votre présence sur cette terre. En garde donc, quel que soit votre armement, et réglons ce différend une bonne fois pour toutes !

Quel différend?

La voix du Prince était chaleureuse, portée par une brise légère tandis que l'ombre-vent shyonesque sifflait dans les âmes pour leur enjoindre d'aider leur Prince, mais de quelle aide pouvait-on s'arroger ici même?

Je l'ai dit à ce qui semble être vos amis, qu'ici n'est pas votre guerre, et que bien emporté par des considérations fort acceptables, je ne suis dans ces lieux que pour régler quelque commerce dont je ne suis que le créancier.

Laissant jouer l'arme du Primat non sans la quitter des yeux il s'en approcha même jusqu'à placer son cou contre la lame.

Que dois-je penser de votre Mouvement? Par quelle cause devrions nous nous battre? Quelle ordonnance vous invoque jusque dans ce cimetière?

L'esprit du Sanz paraissait d'une lucidité surprenante, comme emprunte à une quelconque sagesse qui aurait effleuré sa conscience.

Ai-je tué un de vos fils, votre mère peut-être? En ai-je condamné quelque uns dont je ne saurai ni le nom ni le visage? Ai-je souillé vos terres, brûlé vos villes, violés vos femmes? Avez vu une quelconque blessure qui viendrait m'accuser?

Des vent sombres a mesure que la voix semblait approcher de l'orage entourait dans une figure circulaire parfaite les deux êtres qui se mesuraient l'un face à l'autre. Le Prince attira la lame plus près encore de sa gorge jusqu'à ce qu'un mince filet de sang perla et s'insinua dans le fer pour redescendre vers la garde.

Il y a erreur dans votre jugement, et j'ai bien peur que ceci ne vous engage mal. Ceux qui sont ici ne sont pas vraiment des dragonniers. Il est possible qu'ils l'aient été sous un autre commandement que le mien,mais aujourd'hui... . Ils ont appris un autre langage, une autre forme de vie que votre Dieu a oublié et condamné longtemps avant que vous ne deveniez un de ses hérauts, que Père a laissé dans des gangues de glace en croyant que tout bannissement est éternel. Et c'est cela même, ce qu'IL n'a su renvoyer , qui revient peu à peu et auquel vous allez être confrontés.

Le vent s'accrut encore, tant et si bien que c'était désormais dans un cercle de vent furieux que se tenaient les deux êtres qu'un Destin aveugle avait joint.

Je crois sentir votre main fébrile et vos pieds mal à l'aise. Ne vous battez pas, ce n'est pas un mirage. Ce n'est que du vent.

Alors le Prince posa sa main sur la lame et la poussant d'une pulsion brusque sembla ébranler une seconde l'imposant Primat.

Tuez moi. Après, nous pourrons parler de différend. Et nous commencerons enfin à nous amuser.

Azraäel siffla violemment et faisant reculer son adversaire fit résonner dans l'espace le bruit d'un combat qui s'engageait.

Si tout du moins vous savez tuer.

La balle siffla aux oreilles de la louve qui ne dut son salue qu'à ses prodigieux réflexes. Face à elle, Exodus se tenait légèrement de biais, son pistolet braqué droit sur son museau, le canon encore fumant.

- Ça, c'est pour te remercier de ta franchise, lui dit-il d'un ton qu'il voulait le plus neutre possible.

La seconde balle que le pistolet libéra moins d'une seconde plus tard alla se ficher quand à elle dans l'une des pattes avant de la louve, dont la taille sans cesse croissante rendait bien plus facile la visée.

- Et ça, c'est pour le "nourrisson".

Malgré sa voix, son visage ne pouvait s'empêcher d'afficher une profonde satisfaction. Un possédé. Et du plus bel effet, avec malédiction et plan de domination fournit à la livraison. Qu'importe ce qui pouvait se passer maintenant, il ne regrettait pas d'être venu.
Ses pensées furent interrompues lorsque la masse de la louve fonça sur lui, fort mécontente de la balle qui venait de lui rentrer dans la chaire. Il bondit sur sa gauche pour éviter la charge, non sans envoyer un éclat à l'aide de sa lame. Celui-ci, partiellement chargé, fila en direction de la louve mais n'atteignit pas son objectif, passant légèrement au dessus. Toutefois il lui avait permis de gagner du temps et Exodus s'en servit pour mettre le plus d'espace possible entre les crocs et son intégrité physique.

- Tu es vraiment un cas de possession fascinant! Tu serais moins dangereux que je serais tenté de te ramener vivant à Teclis, je suis sûr qu'il a bien une vingtaine de théorie à tester sur toi. Mais pour ce qui est de ta maitresse, pourquoi ne pas lui laisser la parole?

Tout en parlant, il rangeait son premier pistolet pour en sortir un deuxième similaire, puis avec une rapidité issue de l'habitude, il tira de ses poches une petite fiole de couleur dorée, qu'il brancha un délicat système situé sous les doubles canons de l'arme. Le physique du démon jouait pour lui au corps à corps, mais avec ça, il aurait de quoi le maintenir à distance, tout en lui roussissant le poil et ce qu'il y a en dessous.

- Sincèrement, j'aimerais la rencontrer. Tu dis qu'elle n'a pas choisi, aussi je pense qu'elle serait heureuse d'apprendre que je vais la débarrasser de l'animal de compagnie un brin trop attachant que tu es. Et si comme tu le prétend elle y perdra la vie, au moins son âme sera-t-elle sauve, elle. C'est une bonne consolation, non?

Bien que douloureuse, la blessure n'était pas gênante dans son état. Le démon-loup s'amusait beaucoup de la force de son adversaire. Cela faisait des années qu'il n'avait pas combattu ainsi et sa soif de sang était pleinement éveillée maintenant.

Désolé mais je crois que sauver son âme ne la console pas vraiment et si j'étais taquin je dirais que c'est une femme timide, elle n'a pas envie de reprendre la main pour le moment...

Intérieurement, Lùthien éclata de rire. Parfois, il la surprenait agréablement, lui rappelant comment ils avaient pu parvenir à un accord.

Tes jouets sont intéressants, ils méritent que je t'en montre un peu plus...

Ces quelques mots prononcés, la louve repris une taille normale, tandis que l'aura l'entourant s'étendait et se densifiait. Comme pour dérouiller un muscle trop peu utilisé, le démon secoua sa queue de gauche à droite, entrainant l'aura dans un mouvement de fouet qui claqua près d'Exodus, noircissant la terre qui se mit à fumer. Satisfait du résultat, un sourire étira les babines de la louve qui reprit ses attaques, toujours aussi rapides mais avec une efficacité jusqu'à environ 10m de l'Inquisiteur, l'aura jouant le rôle d'extension. Bien sûr, elles n'avaient pas la portée des armes d'Exodus, mais c'était suffisant, et nettement plus dangereux que de simples griffes. Le combat s'intensifia, la louve sprintant, virevoltant, tout en lançant crocs, griffes et coups de queue sur l'Inquisiteur. Chaque coup porté laissait sa marque fumante.

Teclis était fasciné par le combat qui se déroulait sous ses yeux, un peu plus loin dans le cimetière. Il n’avait de cesse de griffonner sur son carnet avec frénésie, s’emparant parfois d’un instrument étrange pour mesurer un phénomène que lui seul semblait être capable de voir.
Il était en train d’analyser la démarche du loup géant qui combattait Exodus lorsqu’une volée de carreaux se planta à ses pieds. L’archiviste eut une moue perplexe en reconnaissant des traits de sa propre invention.

- Par les saints dessous de l’Unique, que se passe-t-il encore ?

Il eut une réponse rapide en voyant la quinzaine de guerriers ayant accompagné le Primat se précipiter vers lui en hurlant. Ils n’avaient pas l’air foncièrement de bonne humeur et devisaient le bibliothécaire comme s’il était le diable en personne. Dans leur course, plusieurs levèrent leurs arbalètes à répétition…
Une série de claquements secs retentit dans la pénombre du cimetière tandis que Teclis plongeait derrière un arbre mort. Une dizaine de projectiles vinrent se planter dans le bois pourri. Une goutte de sueur perla sur le front de l’archiviste qui arma sa propre arbalète en ruminant.

- Bande de pourceaux hérétiques. Je vais vous montrer ce qu’il en coûte de s’en prendre à un digne serviteur de l’Unique.

Un instant passa, silencieux. L’archiviste se risqua à jeter un coup d’œil. Il eut la mauvaise surprise de voir le groupe se diriger d’un pas décidé vers lui, avec en arrière-plan le combat entre Exodus et la louve. Le répurgateur envoya une coupole de lumière pure et brûlante vers son adversaire qui l’esquiva de justesse dans une pirouette surhumaine. La trainée d’énergie continua sa course en fendant nettes des tombes jusqu’à percuter la quinzaine de sbires de l’Unique. La déflagration en tua un tiers sur le coup tandis que les autres étaient envoyés valdinguer dans les airs comme de pauvres marionnettes.
Teclis ne se fit pas prier deux fois. Il sortir à découvert et arrosa copieusement les survivants de six carreaux bien placés. Sans avoir pris la peine de vérifier s’il avait touché quoi que ce soit, l’homme d’Eglise lâcha son arme et se saisit de deux cônes noirs qu’il conservait dans une poche intérieure de sa robe. En une seconde, deux goupilles sautèrent en l’air avant que l’archiviste ne plonge à terre, non sans protéger ses précieux instruments. Une paire de déflagrations retentirent. De la terre et des morceaux d’os, de pierre et de chairs se retrouvèrent éparpillés sur une large zone.
Au milieu du carnage, toussotant, le savant se relevait en époussetant sa robe pourpre.

- J’ai toujours dit qu’on ne pouvait pas faire confiance à ces intérimaires…

Un peu abasourdi, il reporta son attention sur le combat où Exodus luttait avec acharnement contre son ennemi, manifestement possédé. Le loup était entouré d’une aura malsaine, suintant la corruption, et qui lui permettait de porter des coups avec une allonge disproportionnée. Plus loin, Sanz et De Vaanne semblaient avoir échangé quelques mots avant d’engager un duel qui serait mémorable.
Sharah’In était perdue, avec sa musique dans un épais brouillard. Les démons paraissaient redouter ses mélopées et avaient assailli son esprit comme jamais. La volonté de fer de la barde semblait s’être légèrement effilochée. Comme une magnifique robe sur laquelle on aurait trop tirée. Apparemment, l’entité qui évoluait encore plus loin, dans les nuages, se plaisait à la tourmenter. L’archiviste rangea soigneusement ses instruments et son carnet, puis sortit un petit livre de prières auquel étaient accrochés plusieurs stylets étranges, ainsi que des loupes de différentes couleurs.

- Il est temps d’assister les miens à ma manière.

Teclis s’avança dans le cimetière, vers les combats en commençant à lire tout en susurrant.

On ne pouvait pas vraiment dire que Sharah'In était au mieux de sa forme. Mais on ne pouvait pas dire non plus qu'elle était proche de l'effondrement. En fait, elle se trouvait entre les deux, comme évoluant sur un fils ridiculement petit, funambule tourmentée par les vents. Des courants d'air violents, et même parfois contradictoire. Tantôt elle ressentait les effets venus des cieux, l'enveloppant d'un manteau doux et moelleux de sentiments tendres, tantôt la douleur se rappelait à elle, lui arrachant des grimaces alors que ses doigts meurtris ne cessaient de jouer.

Elle avait de plus en plus de mal à tenir une mélodie constante, changeant sans cesse. Elle ne savait plus sur quel pied danser, quelle stratégie choisir. Son flan lui lançait, à cause de la morsure de la ronce. Mais maintenant que Sanz ne semblait plus intéresser à elle, Sharah'In allait pouvoir souffler un peu.

De la bataille qui se déroulait autour d'elle, elle ne voyait rien. Plantée au milieu du champ de bataille à la manière de ces statues qui ornent les tombeaux, elle ne pouvait plus bouger, outre ses mains. Elle entendit, de façon lointaine, des bruits de sabots et des cris de bataille. Tant que son adversaire se désintéressait d'elle, elle allait pouvoir se préserver. Se concentrant une dernière fois, elle en appela à toute sa volonté pour tisser autour d'elle son cocon personnel. La musique tissa son lien autour de son corps et de son esprit, l'enveloppant totalement et la coupant corps et bien du monde extérieur.

Cela lui prit un peu de temps, mais finalement, Sharah'In se retrouva enveloppée d'une bulle impénétrable, une sorte de bouclier musical. Plus grand chose ne pouvait l'atteindre, ni les rumeurs du champs de bataille, ni même ce qui s'y produisait.

Elle était devenue imperméable au monde extérieur.

La dernière phrase de Sanz apparaissait si incongrue que De Vaanne explosa de rire, ce qui aurait pu s'avérer dangereux si son adversaire avait tenté quoi que ce soit. Il n'en fut rien heureusement : Sanz était resté impassible.

- Si je sais tuer ? La question en est drôle tellement elle est ridicule, et je vois que vous ne me connaissez pas plus que je ne vous connais... Un primat est élevé pour la guerre, la guerre sainte. J'ai de bonnes connaissances en théologie, politique et histoire, mais mes dons diplomatiques sont inexistants. Contrairement à vous, je ne baratine pas mes ennemis à mort.

Le primat avait à peine commencé sa dernière phrase qu'il fit balancer sa lame vers la gauche et, prenant appui sur le même pied, lança un coup de taille dévastateur. l'arc de cercle intenté ne s'exécuta pas entièrement : là où il avait considéré peu de résistance de la part des chairs et des os de Sanz, De Vaanne sentit un choc métallique lui remonter le long des bras, accompagné du vacarme de deux magnifiques lames de métal s'entrechoquant à grande vitesse.
De Vaane fit un pas en arrière une attaque en retour, lame baissée prête à volet en tout point menacé.

- Je préfère des moyens plus rapides et efficaces, quoiqu'un peu plus... salissants.

Sanz n'avait toujours pas bougé. Le primat, tenant toujours sa garde, recula encore de quelques pas.

- A vrai dire, je ne pensais pas que votre arme supporterait un tel coup. Je vais peut-être vous surprendre, mais une zweihänder n'est pas faite pour être parée, si l'ont tient à son bras. Je suppose que le conseil ne s'applique pas aux anges déchus...

A pas prudents, De Vaanne commença à tourner autour de son ennemi, qui se contenta de tourner pour toujours lui faire face.

- De votre délire, je ne tire qu'une chose : l'Unique a un contentieux avec vous, et c'est bien assez pour que je cherche à vous rayer de la carte, peu important vos objectifs ici, ou en ce bas monde.

Sans prévenir, le primat s'élança vers Sanz et asséna un coup de bûcheron, de ceux qui fracassent les boucliers les plus solides et les têtes comme du papier. Cette fois, quelle que fût la perfection d'Azraäel, rien ni personne ne pourraient résister à un tel coup.