Sanz VS Freuzne

Il avait beau prétendre ne pas avoir été irrité, Freuzne s'était empressé de faire ouvrir une salle de combat. Bien sûr, ce n'était pas la grande arène, ouverte seulement sur réservation et pour des évènements susceptibles d'attirer une importante masse populaire. Non, c'était une salle privée ouverte à la demande mais sans possibilité d'accueillir un public. Ceci dit, toutes les salles avaient un système de modulation dimensionnelle projetant les combattants dans un espace-temps parallèle qui était décrypté et enregistré, ce qui permettait de conserver des traces de la rencontre. Sans attendre d'avantage, les systèmes furent activés, propulsant l'homme dans l'arène choisie.

Freuzne patientait sur un vaste plateau enherbé qui était cerné par des reliefs montagneux habillés jusqu'à moitié d'une forêt pleine de vie. Un peu plus haut, un lac de montagne était alimenté par un torrent descendant des glaciers haut perchés. Il allait creuser une vallée située plus loin dont les rives ne semblaient porter ni village ni ville sur des kilomètres.

A la relativement faible luminosité, on pouvait aisément deviner le crépuscule se cachant derrière les nuages. La roche gris-clair renvoyait encore pas mal de lumière ; le contraste entre la partie inférieure et la partie supérieure des montagnes n'en ressortait que mieux. Pas un souffle de vent ne se faisait sentir et l'ouïe s'en allait chercher un son, un bruit et laissait imaginer l'eau couler fougueusement entre les galets et les roches un peu plus loin. Un pierrier faisait saillie dans le sombre manteau sylvestre, imitant une rivière figée dans le temps.

L'homme n'avait même pas pris le temps de se renseigner sur son adversaire autrement que par ses sens.
Ne te fais pas d'illusion, se disait-il.
Si tu ne l'as pas refoulé, c'est qu'il t'intéresse. Il a quelque chose... de différent des autres, de différent de toi et pourtant son spectre spirituel présente suffisamment de similitude avec le tiens pour que ça t'apparaisse aussi clairement que ça.

Il marqua une courte pause dans ses pensées puis se mit à faire les cent pas.
Vois comme Elles se sont agitées lorsqu'il s'est approché, Elles qui sont toujours si paisibles, constantes et fluides... En effet, je dois le reconnaître. C'était une sorte d'effervescence, d'ébullition. Ceci dit, ce n'est pas la première fois... Et souviens toi : que s'était-il passé la dernière fois?

Freuzne stoppa net. Il souriait ; ses sourcils étaient froncés.

Il n'était pas dans les habitudes de ce vieux crouton de Freuzne de céder au moindre caprice de ses adversaires. Il n'était certainement pas le plus puissant de tous ni même le meilleur, ça ne l'empêchait pas de connaître tout de même quelques trucs que seule l'expérience pouvait apporter. Mais bon, pour le moment il s'agissait de poser le problème ; le résoudre viendrait ensuite.

Sans se cacher, la petite dague quitta son fourreau. La lame glissa, endormie, de l'obscurité à la pénombre pour s'arrêter en pointant le sol, tenue dans la main droite ornée à son pouce d'une belle pierre rouge illuminée. Sans pour autant être fasciné par cet éclat, Sanz y prêtait une attention particulière.


Vous semblez n'être qu'un potentiel... quel dommage.

Sa voix, lasse mais parfaitement audible illustrait plutôt bien cet homme d'âge mûr qui semblait porter une forme de sagesse particulière, inaccessible. Il se retourna lentement pour faire face au prince.

Diable, j'espère me tromper quant à votre qualité. Après tout nous venons tout juste de nous rencontrer. Pourquoi devrais-je vous tenir rigueur de votre bluff? lança-t-il avec un clin d'œil, sur le ton de l'ironie.

A peine eut-il entendu la fin de la phrase que Sanz se retrouva projeté dans une masse de flammes considérable. Un dixième de seconde seulement avait suffit à cette sorte de moine pour faire jaillir de nulle part un torrent de feu droit vers lui. Mais si c'était relativement commun dans ce genre d'endroit _l'arène étant une zone de convergence des anomalies spirituelles_ c'était plutôt l'environnement qui l'avait surpris : quelque chose avait empêché ses pieds de se décoller du sol et il n'en savait guère plus.

Non, le plus étrange c'est cette sensation. Aucune douleur... pensait-il.

Puis il retrouva la vue : les flammes venaient de disparaître comme elles étaient venues. Mais là, plus aucune trace de Freuzne n'était perceptible ; sur le plan spirituel c'était également très confus. Ceci dit, une chose restait malgré tout : la dague était plantée dans le sol à l'endroit même où il était.

L'obscurité gagnait régulièrement sur ce qui restait de plateau éclairé. La nuit venait draper de son manteau d'ombre les clairières encore pleines de vie parsemant les montagnes, coulait sur la cime des arbres comme la lave dévale d'un volcan. Un autre crépuscule guettait : le fleuve noire venant de kidnapper Sanz s'évaporait en allant. Pourtant, comme l'obscurité céleste, celui ci ne cessait de progresser.

Il n'a pas à contrôler le temps et l'espace.

Soudain, un flash bleu très pâle illumina un instant la zone où était les deux combattants. Suspendu dans les airs, il s'était formé un anneau d'une substance verte lumineuse au dessus de la dague. Il descendit lentement au sol, se laissant transpercer par la petite arme avant de voir son diamètre croître légèrement puis des lignes perpendiculaires les unes aux autres se formèrent en partant de ce cercle. Très vite se forma au sol une sorte de réseau, de quadrillage vert s'étendant sur une assez vaste surface d'où naquirent cinq êtres, cinq corps : cinq Freuzne. Les techniques de clonages étaient monnaie courante dans ce genre d'établissement, elles offraient pour avantage d'approcher l'adversaire sans risquer de perdre de son énergie vitale dans un assaut. Le désavantage majeur était que l'individu à l'origine d'une telle technique devait fournir à ces clones suffisamment d'énergie spirituelle pour qu'ils puissent se maintenant en état. De plus, la présence de l'essence mère, l'âme à l'origine de ces créations devait rester dans un proche périmètre au risque de les voir devenir instables puis de s'éteindre. C'était donc une certitude : le Freuzne original s'était mêlé aux quatre clones qu'il avait généré. Aussi, si aucun de ces derniers n'avait de dague, ils gardaient tous chacun les quatre bagues aux doigts. C'était un risque à considérer : toute riposte verrait son efficacité multipliée par cinq. Malheureusement, un halo essentiel empêchait le Prince de distinguer chaque essence spirituelle, chaque esprit et donc où était l'âme mère parmi eux.

Le flot d'ombre arrivait à leur hauteur. Chose étonnante, curieuse tout du moins, le quadrillage qui s'était glissé sous les pieds des combattants, âmes et clones y compris, semblait tenir un rôle de barrière contre cette marée noire. Le plateau vu du ciel apparaissait ainsi comme une immense étendue chaotique où perçait une intense lumière verte.

De leur côté, les robes affichaient une certaine confiance en elles. Cependant, il était dit à raison que, lors d'un affrontement, la méfiance était la règle absolue. Les apparences devaient toujours être remises en question, sur tous les plans. De la même façon, si Sanz commençait à se sentir légèrement oppressé sans savoir pourquoi, il était hors de question qu'il le laisse transparaître.

Alors cher invité, commença l'un des Freuznes sur l'aire émeraude, avant d'être repris par un autre.
Où donc s'est évaporée votre assurance?

Puis un autre : Un festin n'est agréable que chaud ; tiède, il perd de sa saveur.
Puis un autre : Froid, il vous intoxiquera.

Une ride se formait au coin de toutes ces lèvres. Freuzne lui envoyait là un avertissement, mais le Prince eut à peine le temps de s'en apercevoir qu'il vit trois de ses opposants se manifester offensivement. Tous en appelaient au pouvoir des bagues, chacun la sienne. Des rhizomes jaillirent du sol à une vitesse ahurissante pour s'enrouler autour de la jeune femme et de la bête depuis leurs pieds jusqu'aux genoux. Cette première phase s'expliqua d'elle même lorsque le Prince vit un rubis et un saphir illuminés.

Sanz percevait la formation des halo auratiques devant chacun des clones, marque d'une activité spirituelle distincte en chacune des pierres. En effet, chaque être ayant une essence spirituelle propre, la mobilisation de cette essence, encore appelée énergie spirituelle par beaucoup en référence à l'énergie vitale, provoquait des mouvements essentiels éphémères mais perceptibles par certains individus : l'aura. Autrement dit, un individu ayant une essence spirituelle inerte à un moment donné masquait par la même occasion son aura, donc sa présence sur le plan spirituel et pouvait échapper à la sensation de proximité spirituelle, devenant spirituellement parlant indétectable.
Dans la situation actuelle, les yeux indigos semblaient percevoir non pas une mais cinq auras différentes.

Ca ne colle pas avec son nombre. Cinq "lui", c'est certainement une façon de brouiller les pistes. pensait-il.

Non. Il y a...

Il y a six essences différentes penses-tu?

Je n'en suis pas certain. La toile spirituelle tissée dans cette... chose verte est déstabilisante. Je n'arrive pas à les différencier aussi clairement que je le devrais.

Malgré l'omniprésence du vert, Sanz aperçu une lueur jaunâtre derrière les trois autres couleurs. Puis tout à coup, du rubis naquit un geyser de flamme partant droit vers la bête et un pieu de glace d'environ un mètre de long jaillir du saphir pour foncer droit sur l'amazone, tous deux encore retenus par les racines. Ses oreilles se mirent à bourdonner, à siffler ; il avait l'impression d'être plongé dans un océan vert et noir quand une onde spirituelle se fit ressentir, comme un claquement dans ce qui tenait la matière.

Sanz était en aval de cette onde. Le goût du crime l'aveugla alors très tôt, tant cette notion est imprégnée d'un Mal qui ne saurait se définir autrement que par rapport au Bien. Freuzne, lui, ne se rattachait qu'aux causes et aux conséquences. C'était uniquement à cause de ça que le très jeune prince n'avait rien vu venir.

Sidérés, les quatre clones n'émettaient plus le moindre bruit, la moindre aura. Freuzne, touché, se donna le temps de prendre la parole dans cet espace de calme.

Potentiel, le terme est définitif., dit-il, le ton grave.

Chaque combattant avait des codes qui lui étaient spécifiques. Pour lui, un affrontement intelligent se déroulait toujours de la même manière, à savoir observer et évaluer son adversaire avant de foncer tête baissée. Bien entendu, cela impliquait certains risques comme se faire blesser en sous-estimant les forces opposées. C'était "la sentence imposée à la naïveté par la loi des causes et des conséquences" dirait-il. Avec Freuzne, cette phase durait toujours jusqu'à ce qu'il établisse un constat oral de la situation. Et si l'on pouvait qualifier de stupide cette initiative car indiscrète, il répondrait que la confrontation était un moyen de progresser et qu'un handicap ne pouvait être que bénéfique à certains niveaux.

Toi qui semble avoir connaissance des mouvements spirituels, des tensions harmoniques et du Mouvement général, toi qui a su utiliser ces vecteurs pour diriger ton estoc...
Il retira ses mains de la plaie : aucune trace de lésion!
Peux-tu m'expliquer pourquoi ne pas avoir fuit cette onde plutôt qu'utiliser les contre-vents pour m'atteindre?

Freuzne se liquéfia en la même substance verte qui avait généré le quadrillage. Le prince n'avait touché qu'un leurre, pourtant il était certain d'avoir ciblé la source d'où coulait l'essence spirituelle. Quelque chose lui échappait, c'était source de la plus grande satisfaction pour son adversaire dont le pécher mignon était de révéler à son partenaire la raison de son échec, mais après en avoir profité.

Les quatre Freuznes restant se liquéfièrent comme le premier. Sentant ses tympans se tendre de plus en plus dangereusement, Sanz décida de mettre de la distance avec cet environnement menaçant quand soudain il buta contre une cloison du même vert que le quadrillage, et malgré les vitesses qu'il pouvait atteindre en état de pas d'ombre, il ne trouva aucun moyen de sortir du carré délimité par les lignes vertes, y compris par les aires. Il était enfermé dans un cube dont les parois ne se révélaient que pour le bloquer. Même la structure de cet obstacle lui était étrangère : cela semblait être un amalgame entre lumière et matière, pourtant la substance semblait être dépourvue de masse. Il s'agissait peut-être d'une sorte de champ d'un système autre que la matière et l'anti-matière, un système que peu d'univers avaient eut l'opportunité d'accueillir lors de leur Genèse.

A nouveau, Sanz perçut un intense flash bleu pâle dans son dos. Il se retourna : Freuzne se tenait devant lui, à quelque mètre simplement. Ce qui le frappa était son vêtement : la robe avait été sublimée en un habit d'une conception beaucoup plus complexe. Des milliers de draps de soie d'une blancheur immaculée enveloppaient cet homme de la tête aux pieds, donnant une impression d'extrême volupté, de douceur et de fluidité au moindre de ses mouvements.

Merveilleux, n'est-ce pas? L'efficacité avec laquelle ces perles bloquent l'influx nerveux et rendent visqueuse l'essence spirituelle. Tu la sens s'agglutiner tout au long de ces méridiens qui jonchent ce corps?

C'était un fait : l'aura du Prince avait quasiment disparue dès ce flash ce qui était logique puisque son fluide spirituel était extrêmement ralenti. Plus aucun de ses pouvoirs ne semblait répondre dans l'instant, la fuite était vaine ; la dague était revenue dans sa main droite. Une sorte de boue, de substance noire et visqueuse s'échappait continuellement du métal même de la lame. Ce fut au tour de Freuzne de l'empaler avec son arme. Le sternum du prince céda avec une étonnante facilité sous la pointe du poignard. Le tranchant glissa sans un bruit dans son thorax où se mit à se répandre cette sombre boue, cette vase spirituelle, avant de se retirer sans verser une seule larme de sang et retrouver son fourreau, pour l'instant.

Si tu as des yeux, c'est pour t'en servir. Ta soif de puissance te fait passer à côté de beaucoup de signes que je ne peux masquer... autant qu'un appétit, un appétit pour les âmes qui fausse ton raisonnement.

Se reculant d'un pas, il leva les mains pour mettre en évidence ses dix doigt.
Simple prince, tu ne pourras pas me suivre d'avantage. Montre moi qui tu es vraiment avant que je ne t'achève.

Puis il disparut progressivement de la vue du Prince, comme s'il n'était qu'un ectoplasme.

Les enfants sont déjà morts Sanz...

La situation était tragique. Le pauvre Sanz s'était trop vite laissé distancer par son adversaire qui avait eut tout le temps de préparer la scène à son avantage. Même s'il fallait toujours se méfier de lui, Freuzne savait qu'il avait indéniablement pris l'avantage ; et venait le temps félin avant l'exécution.

Sanz voyait tout autour de lui se ralentir, comme si son existence même au sein du Mouvement était entrain d'être exclue, comme si une harmonie se rebellait contre lui et l'empêchait de continuer, Il se sentait bloqué. Bien vite, cette impression se confirma : tout devenait de plus en plus obscur, lent et obscur, jusqu'à être plongé dans le noir le plus total. L'archange sentait pourtant les plans spirituels rester avec lui, quand soudain il sentit ce choc dont il venait de parler. Azräael, prolongement d'une de ses âmes réunifiées, s'était violemment rétractée. C'était véritablement comme si son essence spirituelle avait été distendue, étirée à l'extrême et relâchée juste avant la rupture comme un élastique reprenait sa place. L'absence d'information sur cet évènement l'inquiéta juste un instant, puis la lumière revint, verte, encore. Enfermé dans un cube vert à sa taille, Sanz se mettait enfin à goûter l'essence de l'homme de l'autre côté ; plus une trace de pétale n'était visible, cette disparition était encore mystérieuse pour l'archange.

Tsss... il te manque si peu de chose pour exceller, commença-t-il avec le ton moralisateur qu'il avait l'habitude d'employer à ce moment d'un combat.
Si la masse n'est qu'énergie, alors tu es lourd. Immensément lourd même, pour quelqu'un d'aussi... jeune que toi. Et c'est là, ta jeunesse, ta faille la plus béante.

Freuzne, encore tout de blanc vêtu et indemne à tous les niveaux, se mit à faire les cents pas devant la prise verte bâtie tout spécialement par l'émeraude.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : tu manques encore d'expérience pour entreprendre un... Projet dirons-nous. Cette essence qui rôde autour de toi, primaire et infinie que je sens depuis le début t'épauler ne semble pas être suffisante pour te contrôler.

Il s'arrêta net puis vint se placer pile en face de Sanz, toujours protégé par ces parois divines de l'"incantation verte". C'était les yeux dans les yeux qu'il lui dit :
Il est fortement probable que l'avenir me conduise à recourir à ce potentiel qui se terre au plus profond de ces âmes. Alors d'ici là, je ne peux souhaiter que ta progression.

C'était là, alors que leurs regards se fondaient l'un dans l'autre que Sanz comprit toutes ces fluctuations harmoniques, ce blocage, les claquements qu'il avait ressenti et pourquoi c'était lui qui l'avait intéressé plus que les autres. Lui et Freuzne avaient des harmoniques parallèles, même direction et même sens, donc même objectif. C'était de ça qu'il parlait, de ce projet, cette vengeance. Et l'homme qui le tenait aujourd'hui n'avait aucun intérêt à l'écraser, non, mais plutôt à accélérer son ascension, à le rejoindre dans son expérience.

Dès le début tu aurais dû exploiter une de mes faiblesses pratiques dans l'art de l'illusion, à savoir que, sous cet état, il me faut cligner de l'œil pour te hameçonner. Ensuite, tu aurais pu remarquer l'inversion symétrique dont je fais l'objet, en te basant par exemple sur le changement de côté de mes bagues. Tu ne t'es pas plus méfié du flou spirituel que j'instaurais sur le terrain pour évité d'être repéré bêtement que tu ne t'es méfié de l'incantation verte se glissant sous tes pieds. A ce moment là, trop d'erreurs étaient déjà commises, alors j'ai essayé d'attirer ton attention sur mes bagues en te montrant explicitement mes mains. Ton ambition jusqu'alors t'aveuglait et tu n'as pas su distingué que la source spirituelle qu'Azräael a perforé n'était qu'une poche de cette énergie spirituelle qui s'écoulait depuis un leurre, le clone perforé, alors que je n'étais même pas sur le quadrillage avec vous, masqué par l'illusion, seulement par le sens de la vision. Pourquoi y aurait-il eut deux flash bleu pâle? Rien n'arrive pas hasard au cours d'un combat. Il s'agissait des 16 perles de lumières, de leur appel et pour le deuxième flash, de leur utilisation, ce qui a bloqué ton corps et ton esprit, le temps pour ma lame de te perforer à son tours. D'ailleurs, pourquoi l'aurais-je laissé plantée au sol jusque là? Tu aurais dû ressentir cette essence hybride l'habiter et servir de relai entre mes bagues et les clones sur le quadrillage. Il y avait bien cinq essences différentes, certainement as-tu été embrouillé par cet hybride spirituel qui semblait compter pour deux.

Contraint d'écouter, ce ne fut qu'à ce moment là que Sanz se sentit faiblir. Son faciès trahissait sa perte de force et il sentait toujours ses méridiens envahit par cette substance noire.

Tu le sens n'est-ce pas? Les filets sombres de cette essence hybride qui maintenant envahissent tes méridiens, qui remontent le courant tout au long de ton corps, agglutinent ta propre essence et rendent turbulent tes flux spirituels. Les poisons sont dits lâches car redoutés, or selon moi, la lâcheté est un concept encore une fois erroné car reposant sur les notions artificielles de Bien et de Mal.

Freuzne se retourna, fit quelques pas puis s'arrêta de nouveau, dos à Sanz.

Pour l'heure, il te faut apprendre, te souvenir de tes erreurs pour devenir meilleur, toujours meilleur. Là, tel que tu es, tu es dans une impasse : enfermé dans ce cube d'où il t'est impossible de sortir, dit-il en levant sa main gauche pour insister sur l'émeraude.

Ca, c'est uniquement grâce à Elle.

le manteau de la vierge

Le cube où Sanz était enfermé vit alors l'intérieur de ses parois se munir de plusieurs centaines de pieux de la même substance verte, menaçant clairement l'intégrité physique de l'archange.

Tu n'as pas encore à connaître une Renaissance. Pas encore... dit-il, tenant fermement quelque chose en sa main alors que les parois commencèrent à se rapprocher de son adversaire.

Ca pourrait être réciproque, poursuit-il en lançant un regard méfiant aux yeux indigos.

Sans doute frustré, il serra le poing. C'était compréhensible dans la mesure où la victoire venait de lui filer entre les doigts et redevenir un objectif lointain.

J'imagine qu'il n'est nullement nécessaire de vous indiquer, à vous et aux autres âmes que visiblement vous côtoyez, que j'ai coutume de faire cavalier seul. Ceci dit, il est vrai que certaines circonstances pourraient modifier la donne.

Aussi minime soit-elle, c'était une ouverture. Pourtant Sanz sentit très vite que son adversaire n'était pas encore près à en parler d'avantage. Quelque chose semblait le retenir.

Cette conversation n'a pour l'instant pas sa place ici.

La tension baissa sensiblement ; des débris de végétal mort aussi fins que de la poussière s'écoulèrent de son poing. La situation ne lui plaisait pas : s'il s'était jusque là débrouiller pour écraser cet arrogant provocateur qui l'avait abordé dans l'atrium, il découvrait seulement maintenant que le potentiel dont il parlait depuis plusieurs minutes était plus complexe que ce que l'on trouvait communément parmi les combattants.

Autant d'âmes et d'essences... ce gamin a quelque chose de spécial. Ce qui m'inquiète le plus, c'est ce type aux yeux bleu-vert là-haut. Il a une essence de nature similaire à celles des bagues. Et puis cette autre essence, encore différente... l'Appel...

L'homme avait beau avoir une longue expérience de ces situations, il réfléchissait à toute allure, ayant déjà commencé à agir cette fois-ci pour se protéger des emprises psychiques qu'il ressentait.

Oui, ça pue l'embrouille à plein nez même. Son profil spirituel est totalement différent du premier et il semble interagir avec le tissu spatio-temporel. Mais même si pour l'instant je n'ai plus l'avantage technique face à lui, Linae m'a permis d'accroître considérablement ma perception de l'espace-temps. A chacune de ses manipulations, qu'il s'agisse de distorsion ou de condensation spatiale ou temporelle, ce tissu transmet une onde perceptible dans la matière.

Si l'avenir était encore flou, les probabilités n'étaient pas encore contre lui. Les meilleurs atouts étaient à réserver aux cas exceptionnels et il avait l'impression que cette rencontre virait à l'exception.

Quand il remit les pieds à terre, Freuzne se rendit compte d'une interaction pour le moins gênante : l'homme à l'opale de feu maintenait une sorte étreinte autour du lien spirituel qui unissait l'émeraude à la technique du manteau de la vierge, et s'il ne parvenait pas à anéantir ce lien, il empêchait quand même à la dernière phase d'avoir lieu. Donc pour l'instant, le corps de Sanz, envahit par l'Appel, était prisonnier dans le cube vert sans être menacé par les pieux. On en voyait d'ailleurs plus grand chose : l'Appel avait comme engloutit Sanz dans une lumière enveloppante.

Alors que sa pierre bleue se mit à guérir ses plaies, il s'adressa à cet homme aux yeux indigos.
Je ne suis pas certain de comprendre qui vous êtes, néanmoins vous êtes, à ce que je fois, parfaitement capable de comprendre qui je suis. Aussi, s'il est peut-être dans mon intérêt de lui laisser un peu plus de temps, il parlait de Sanz.
Il serait également dans votre intérêt de ne pas vous mêler à cette histoire. Sans que ce soit des menaces, c'est à considérer comme un avertissement. Enfin, vous connaissez mon nom, il serait sans nul doute approprié que je connaisse le votre.

Freuzne était déterminé : l'évolution était son lot et rencontrer quelqu'un qui existait de la même façon que lui, c'est-à-dire avec une structure spirituelle essentielle multiple, pouvait être très intéressant.

Quel nom peut vous importer? Le mien a tellement changé. Depuis quelque temps j'ai l'habitude de me confondre a l'Enfant, alors..pourquoi pas Hezeriel SHinobi? Ou le lent appel du SAnz. Celui qui assassine les Dieux.

Les derniers mots n'avaient pas été dits. Ils existaient seulement dans une étrange mélodie qui faisait varier le tissu essentiel afin de transmettre la pensée.

Mon Etreinte je l'aime bien..SAnz réveille toi..c'est l'heure.

Je marche déjà.

Une furie venteuse traversa l'espace d'un coup pour se dissiper finalement.

J'ai tellement du mal à faire du bruit.

D'autres furies venteuses naquirent et moururent de la même façon. Jusqu' ce qu'une, plus insidieuse frappa Freuzne. L'incident ne sembla avoir aucune conséquence visible. Le vent s'effaça et un silence étouffa l'espace.

A chaque fois que j'avance le temps recule. J'ai beau essayer, ca marche a l'envers. Tout marche a l'envers. Pourtant, je mets un pas devant l'autre, je fais attention,je ne tombe pas. les étoiles elles tombent, mais pas moi. Jamais. Il faut seulement suivre le fil.Et ne pas le quitter des yeux pour regarder la lumière tomber. Je sais bien faire. Je ne tombe jamais..

Une pointe venteuse siffla brusquement qui effleura la joue et une trainée de sang couvrir la peau.

POurtant on m'a dit de marcher, et je marche, on m'a dit il faut aller tout droit et pourtant je sens que je reviens, qu'en allant devant je reviens.

2 pointes sifflèrent sur ses mains, et une sur le torse. A chaque fois un filet rouge giclait dans l'air et l'enfant continuait de marcher tout droit, ne devenant plus qu'un point.

Peut être vais-je renaître.

Des cendres végétales de nouvelles fleurs éclosent. et commencèrent a quadriller l'espace dans des sifflements rapides comme si des lames dessinaient un grand échiquier et tranchaient la matière.

J'attends.

L'homme en robe n'était plus certain de tout comprendre, qu'il s'agisse de ce que son adversaire d'aujourd'hui représenterai dans leur futur ou encore de ce qu'il pouvait dire en général. Ce combat même lui semblait être dû à une méprise plus qu'à autre chose.

Le plan d'attaque s'annonçait à la fois clair et délicat : il fallait interrompre l'étreinte spirituelle exercée sur le manteau de la vierge par ce curieux invité avant tout. Ceci dit Sanz, si l'on pouvait encore l'appeler aussi simplement, reposait dans le creux d'une main puissante, une force qui le soutenait et l'aidait même dans sa présente ascension. La délivrance était encore confortable mais elle ne tarderai plus à perdre de sa fraicheur. Avant de penser à l'avenir : le présent. La lumière du saphir était alors l'œil que la paupière dévoile le temps de qualifier l'animal, de quantifier ses crocs et panser ses blessures.

Dans ses pensées, Freuzne murmura aux vents :
L'eau coule toujours, inutile de se cacher l'évidence.

Calme, il laissa au contact de sa peau la dague sans manifester de signes trahissant l'imminence d'une offensive.

Au fur et à mesure qu'il se superposait aux lignes vertes, le quadrillage floral dépérissait sous le pouvoir de l'émeraude : elle pouvait créer à profusion tout comme elle pouvait annihiler.

Sans doute... je renaîtrai.

Pourtant les choses ne se passaient pas si bien que prévues. En effet, la boue noirâtre qui lui avait été injectée troublait fortement son évolution, sa révolution. C'était à croire que plus il fournissait d'effort pour grandir, plus cette camisole spirituelle se resserrait au sein même de son corps, autour de ses méridiens et paralysait ses flux spirituels. L'extrait essentiel venu de la dague lui évoquait alors un serpent, un constricteur, qui resserrait ses anneaux à chaque pulsation cardiaque de sa proie, jusqu'à ce qu'elle s'épuise et s'abandonne à son destin. Et Freuzne sentait la difficulté allant croisant chez Sanz ; il était ce Serpent, le piégeur qui pousse à la Faute et goûte à chaque instant l'air et ses arômes porteurs de détresse, marqués de la peur, de l'ambition et de la fatalité.

Il était temps de réagir. La pierre jaune s'activa, entraînant ses sœurs dans un sprint crucial à l'étape qui allait suivre. L'émeraude reçut alors l'élan nécessaire au renforcement du lien qui la raccordait au manteau de la vierge, lui évitant de voir son artère spirituelle être disséquée par l'étreinte sournoise du curieux invité. Sanz ressenti un assaut de plus venant de ce parasite noir, l'aura qu'il s'évertuait à accroître chuta un moment puis peina à retrouver son éclat précédent. Pendant ce temps, Freuzne s'était dissimulé dans un cocon de lumière blanche. Un vent tiède y prenait source et balayait le sol de ses poussières, de ses cendres et de ses fleurs. Paradoxalement, les pourtours de cet œuf immaculé semblaient aspirer la clarté alentour pour s'en nourrir.

Les deux combattants s'entendaient alors penser, tous les deux en pleine ascension.

N'oublie jamais ton passé Sanz, il est là ta plus grande richesse.

A ça, le jeune prince répondit :

Freuzne... tu ne regardes que trop le passé, et tu finiras bien par être dépassé.

Je le sais, dit-il.
Tu ne tarderas plus à me chasser. Et ce sera nécessaire.

Sanz sursauta. Il se réveillait et n'avait pourtant pas le moindre souvenir de s'être assoupi. C'était mauvais signe, très mauvais signe.

Mais pas aujourd'hui.

Le jeune prince sentait son corps se modifier. Son crâne s'agrandissait, il pouvait presque entendre résonner l'écho du vide et en même temps il avait l'étrange sensation que ses membres et son tronc s'atrophiaient fortement. Puis plus rien.

Peu importe le temps qu'il te faudra pour devenir... ce que tu as à devenir. Pour l'instant, je me satisfais de graver sur l'édifice de notre univers la ligne qui donnera direction à l'avenir tout entier.

En réalité, c'était Sanz qui avait quitté son corps. C'était une expérience qui lui était alors inédite : ce prince, ce gamin si prometteur était au delà même de ce que l'on appelle le couloir de la mort.

Le cocon avait laissé place à une créature angéliforme, un bestiau qui devait mesurer dans les 4 mètres de hauteur et une dizaine de mètres d'envergure. Sa tenue avait évolué elle aussi : il portait une longue robe lui tombant sur des pieds chaussés de fines sandales en cuir. La dague s'était considérablement développée puisqu'elle prenait maintenant l'apparence d'une longue épée argentée devant dépasser les 3 mètres de longueur. Sans vent, les cheveux mi-longs de Freuzne lui retombaient sur les épaules, immobiles.

J'avoue être surpris par ta résistance, quelque part je me sens même l'obligation de te féliciter. Tu as plutôt bien résisté à trois feuilles.

Sanz ne ressentait plus rien de son corps, il était à l'état d'âme errante. Ceci dit, il conservait tout son calme et patientait au dessus de sa dépouille. Pendant quelques minutes, Freuzne lui expliqua comment une première feuille avait annihilé ce gêneur à la pierre frontale avec une simplicité similaire à celle nécessaire pour noyer un nouveau né, comment une deuxième feuille brisa la continuité de son schéma spirituel et comment la troisième en balaya les miettes.

Théoriquement tu es mort. Seulement il semble que Traumatisme ne souffle pas encore assez large si bien qu'il s'est passé un évènement particulièrement rare : à moins que je ne me trompe, la viscosité de ton fluide spirituel était considérablement augmenté de part ce que je t'ai inoculé, ce qui a en quelques sortes rendu ton âme élastique.

Sanz avait déjà en lui ces explications, c'était comme si cette chose qui ressemblait à un ange ne faisait que souffler sur la poussière d'un vieux grimoire.

Ainsi le déchirement engendré par sa technique n'a pas été total.
Une partie de ton âme a éclaté en plusieurs fragment sous les forces colossales que Traumatisme lui a imposé.
Ainsi, je n'ai plus d'âme pleine et entière. Ces fragments...
Il y a eu un phénomène d'accrétion spirituelle. Après avoir été fragilisé par ce choc, les fragments de ton âme primaire se sont regroupés en ce que l'on pourrait imager en lune de ton âme.

Sous la Renaissance, Freuzne disposait à la fois de beaucoup plus de ressource que Sanz et également d'une perception des mondes beaucoup plus poussée que lui. Avoir recours à cette technique particulièrement puissante était rédhibitoire : le prince avait perdu cet affrontement. Or, ce n'était pas la victoire qui figurerait à l'instant de la ligne présente écrite par lui et Freuzne, c'était cette étrangeté spirituelle, une manœuvre mêlant scission et fusion d'une même âme qui influerait massivement sur l'avenir.

L'ange achevait ses explications.
Cette élasticité est encore là, il reste un lien entre... entre ce qui pourrait être appelé le système spirituel planétaire qu'est le tien à présent et ce corps à moitié cadavre qui repose sous l'éther qui te maintient devant moi.

Freuzne paraissait légèrement dérangé.
Quelque part, je suis responsable de la viscosité de ton fluide spirituel et de cet imprévu. Tu aurais du mourir, à la place je t'ai défiguré et je crains ne pas être en mesure de pouvoir réparer cela. Aussi...

Un pieu vert transperça douloureusement la cage thoracique du prince. Cette extrême violence physique fut à l'origine d'un élan vital massif de son organisme qui attira faiblement l'énergie spirituelle environnante vers lui, suffisamment pour provoquer le retour de ce système planétaire spirituel en lui. Sanz revenant à lui, l'ange commanda à un second pieu de transpercer son abdomen ; il ressortait par l'ombilic.

Jeune homme, très jeune homme. J'hésite à t'anéantir tant tu pourrais devenir soit une merveille de ce monde, soit le pire fléau qu'il puisse arriver. J'espère ne pas faire erreur en épargnant ta vie aujourd'hui.