Une fenêtre ouverte par laquelle je saute. Et la chute commence, rapide, grisante, comme une bouffée d'air trop frais. Le vent contre la peau, les vêtements plaqués au ventre, aux bras, aux jambes, vibrants. Les yeux qui pleurent. Un courant d'air montant pourrait me faire voler, mais, trop lourde, je tombe encore. Je sens ma peau se tendre, la chair qui tremble, malmenée par la force des vents désordonnés. Je pourrais avoir peur, mais je n'y pense pas. Je pense à mon corps qui n'a plus de poids. Il ne pèse plus sur mes pieds fatigués, ni au bout de mes bras trop faibles. Non, il chute.
Le sol semblait très loin quand j'ai pris mon élan. Douze étages, on peut bien se dire que c'est haut. Moi, j'ai pensé : "Juste ce qu'il faut. Aucun risque d'en réchapper." Enfin, j'aurais pu, mais je n'ai pas eu le temps. Mes pieds battaient déjà le vide quand j'ai réalisé que l'envie de sauter m'effleurait. J'ai toujours voulu voler, comme les oiseaux. Comme Icare, mais en mieux. Maintenant, j'en profite. Voler, ce n'est pas battre des ailes, sentir l'air s'engouffrer sous les plumes. Non, voler, c'est fermer les yeux et écouter le sifflement du vent qui vous regarde passer. Quelle importance que ce soit au dessus d'une place bétonnée pleine de monde ou d'une étendue d'eau ? Au fond, l'important, c'est de ne plus avoir conscience que de la chute. Salutaire.
Mon cœur bat fort et vite. Je l'entends malgré mes oreilles bourdonnantes. Lui et la vitesse m'empêchent d'écouter la musique du vent. Il cherchait pourtant à me chuchoter quelque chose, je me souviens. Mais je ne sais plus quoi. Je crois qu'il me parlait de la Vie, celle que je fuis, celle que je vais bientôt regretter. Je commence à me demander si sauter était vraiment une bonne idée. Mais de toute façon, il est trop tard. Je n'ai toujours pas d'ailes, et mon corps n'a pas laissé échapper de gramme superflu dans les airs, qui pourtant ne manquent pas.
Douze étage, à pied, c'est beaucoup plus long à desc...